
Journal Identification = IPE Article Identification = 1097 Date: August 29, 2013 Time: 12:24 pm
C. Hanon, M. Sicard
Rome, le plus grand d’Italie. Maurizio, psychologue sur le même centre, avait acquis
un bateau et partait en mer avec quelques utente. Sous peu, ils embarqueraient pour
plusieurs jours.
C.H. : Et après ce séjour, tu es rentrée en France, comment s’est passé cet « après »
Trieste ?
C.Z. : Brutalement ! Je fais des remplacements d’agent hospitalier à l’hôpital Sainte-
Anne, dans un pavillon obscur où l’on attache les patients sur leurs lits. On dit qu’on
y fait des expériences pour tester des collyres pour les yeux. Je proteste. Je me vois
aussitôt affectée dans un pavillon vétuste, à l’écart de tout. Des clés pour entrer, des
clés pour sortir, un grand dortoir sentant l’urine. Il y avait des grands schizophrènes
régressés, des patients atteints de paralysie générale. Il fallait les laver, mais il n’y avait
pas de quoi les laver. On prenait du détergent, de grosses bonbonnes de savon liquide,
avec des vieux draps en guise de gants. Les infirmiers qui étaient avec moi étaient eux
aussi des « contestataires », tous mutés dans ce pavillon.
Entre deux cours à la faculté de médecine, je fais un stage dans le service de
Ginette Amado, centre rue Garancière à Paris. Je retrouve un peu là cette atmosphère
d’élation qui portait l’expérience de Trieste. Ginette Amado était une pionnière. Les
années suivantes, je suis attrapée par le moule des études de médecine, les examens,
l’apprentissage de la place du médecin, de celle du malade, de la hiérarchie. J’enfouis
les souvenirs de Trieste. Dans les services de médecine, de chirurgie, je fais de mon
mieux l’étudiante sérieuse mais je me sens vaguement en décalage. Je vis douloureuse-
ment ces relations thérapeutiques objectalisant le patient dans des discours comme des
carcans. Ce modèle, mortifère, n’épargne pas la psychiatrie, certains services parmi
les plus renommés et se réclamant de la pensée psychanalytique. S’y perpétuent des
rapports de pouvoir maintenant un ordre établi. La parole de celui qui est sensé savoir
confine le patient à une place de malade éternel qui légitime la place de l’institution
soignante telle un garde-fou.
C.H. : Comment fais-tu alors pour te « retrouver » ?
C.Z. : Je refusais, parfois en dernière limite, ce qui ne me correspondait pas ; je
retrouvais le théâtre, la poésie et la peinture ; j’entrepris une psychanalyse et découvris,
en écho à l’expérience italienne, les écrits phénoménologiques, ceux de Binswan-
ger, Fédida, Hochmann, Maldiney... Selon ce modèle, dans la relation thérapeutique
notamment, le soignant cherche un lieu particulier depuis lequel il regardera le patient,
un lieu tel qu’il le verra d’abord et simplement dans sa dimension d’altérité, un regard
tel qu’il perc¸oit l’autre dans son « advenance », dans ses naissances au monde. Cette
position, Henri Michaux l’exprime aux extrêmes, de cette fac¸on:«Jevoulais dessiner
la conscience d’exister et l’écoulement du temps, comme on se tâte le pouls ». C’est,
idéalement, dans cette intention et cette attention que l’on entre, que l’on est en rela-
tion avec le patient. Ce qui, on l’entendra, convoque une dimension philosophique et
esthétique.
C.H. : Cette expérience italienne t’a alors guidée dans ton début de carrière ?
C.Z. : Elle m’a au moins confortée dans ce que j’étais. Ce n’est pas pour rien que je
suis allée à Trieste. Je ne sais pas si ce qui m’a plu au début dans l’antipsychiatrie, c’était
la psychiatrie ou l’anti- ! Maintenant Cécile, si tu veux bien, je préfère au terme de
carrière celui de chemin. Il sera toujours temps de creuser sa carrière. Sur mon chemin,
oui, l’expérience italienne me fait des appels de phares ici ou là. Ce terme de négation
notamment. Dans sa pensée sur la communauté thérapeutique, qualification appliquée
aux réalisations de l’antipsychiatrie, Basaglia insiste sur la nécessaire négation, mou-
vement que doit opérer sans cesse l’institution pour échapper à la cristallisation dont
elle ferait l’objet dès lors qu’elle serait insérée dans le système en place.
574 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦7 - SEPTEMBRE 2013
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