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> larticle
De nombreux établissements gallo-romains
ont été enregistrés par photographie aérienne
à partir de Dijon depuis plus de 50 ans. Les
ensembles maçonnés vont de la modeste
ferme à portique de façade à la grande
villa dont la confortable pars urbana est
accompagnée des bâtiments agricoles de
la pars rustica. Deux d’entre elles émergent
de cette série, non par leurs dimensions –
entre huit et dix hectares – mais par leur
architecture. Celle de Lux, avec l’étendue
et la densité de ses bâtiments, sa façade de
prestige, est organisée vers un commerce
fluvial par la Tille entre le blé des Lingons et
Rome. Pour celle d’Attricourt, dont la maison
du dominus est plus réduite, mais d’une
grande richesse, dont le « sanctuaire » est
sans équivalent, l’importance des cultes et de
la qualité de la vie semble primordiale. Toutes
deux dans le paysage antique font partie de
ces « villas palatiales » qui ont été signalées
en Gaule et en Bretagne. Elles appartiennent
à cette série de sites archéologiques que
rien ne semble menacer, sinon les progrès de
l’agriculture et de la détection clandestine.
Les recherches d’archéologie aérienne menées depuis
1958 ont rassemblé à Dijon une aérophotothèque
riche de quelque 90 000 clichés. Leur numérisa-
tion permet d’en assurer la sauvegarde, le traitement infor-
matique et l’exploitation. Aboutissement des synthèses
thématiques, la publication en cours d’un Atlas mettra à la
disposition des chercheurs et du public les documents essen-
tiels de cette photothèque1.
C’est en confrontant l’ensemble des données dans le cha-
pitre de l’habitat rural « Les villas, demeures de prestige, de
production et de commerce » que la place exceptionnelle des
villas de Lux et d’Attricourt s’est armée : à Lux, une villa
palatiale enrichie par la production et le commerce ; à Attri-
court, la non moins riche villa d’un dominus soucieux des
cultes et de la qualité de la vie (gure 1).
LA VILLA DE LUX SUR LA TILLE :
COMMERCE ET PRESTIGE
Née de trois vallées captant une multitude de sources, renfor-
cée par l’Ignon, la Tille joua un rôle important dans l’installa-
tion des communautés qui se succédèrent sur le territoire de
Lux. Sa richesse en poissons (truites en particulier) jusqu’au
milieu du XXe siècle n’y est sans doute pas étrangère. En
dehors des périodes de sécheresse, son lit large et abondant
fut vraisemblablement utilisé pour la navigation vers la Saône
et le Rhône. La position de Lux sur les voies terrestres n’est
pas moins favorable, avec un axe protohistorique reliant Ver-
tault dans le Châtillonnais, par Essarois et le col de Beneuvre,
à Mirebeau et à Pontailler-sur-Saône. Elle est à moins de 3 km
à l’est de la voie romaine Lyon – Trèves et du site de Til-Châ-
tel. Celui-ci, inscrit sur la Table de Peutinger, est attesté par
les découvertes d’habitats et de nécropoles gallo-romaines,
dont la stèle au marchand de vin est bien connue. Au cours du
IIIe siècle, d’autres stèles funéraires de soldats témoignent de
la présence de détachements de la XXIIe Légion et de la VIIIe
Légion, envoyés de Rhénanie pour la sécurité (Le Bohec 2003,
n° 240-243).
L’importance de Lux avait déjà été mise en évidence par la
découverte sur la rive gauche de la Tille d’une grande enceinte
fossoyée circulaire, d’un village à trous de poteaux, d’une
1 L’ensemble de ces recherches ont été menées au départ avec la collaboration
de l’Armée de l’Air française. Le Conseil Régional de Bourgogne y a aecté
ensuite un avion spécialisé, ainsi que des nancements croisés avec le
Conseil Général de la Côte-d’Or et le Ministère de la Culture.
Deux villas d’exception
en pays lingon
Lux sur la Tille, Attricourt sur la Vingeanne
Par René Goguey, Archéologie Aérienne, UMR 6298 ArtéHis,
Avec la collaboration d’Alexandra Cordier, doctorante,
Université de Bourgogne, UMR 6298 ArtéHis.
3
archéoThéma no 30 | septembre-octobre 2013
> larticle Deux villas D’exception en pays lingon
avenue encadrant l’espace rituel des pertes de la Venelle et
d’une ferme celtique (Goguey 2007b) (gure 2).
Sur la rive droite, l’existence de la « Ville d’Ogne » à Lux
gardait des traces dans la mémoire collective : on y voyait
l’emplacement d’une agglomération, dont les premiers textes
mentionnent la tenue en juin 1116 des grands plaids de dieu
qui se t à la demande d’Hugues II, souverain du Duché de
Bourgogne et de Guillaume III. Ils en xèrent le lieu sur les
frontières de la Champagne et des ducs de Bourgogne qui
furent victimes des multiples invasions dont celles des Nor-
mands. Ils choisirent la plaine entre les villages de Lux et de
Til-Châtel.
Il semble qu’à cette époque la villa est totalement détruite.
Aux XVe et XVIe siècles, à son emplacement reconnu par des
pierrailles, des fouilles ont mis à découvert des fondations
d’édices et ont fourni des statuettes, des pièces de mon-
naies anciennes... et un tombeau en pierre d’Is-sur-Tille orné
de statues dont les têtes servirent longtemps de boules dans
les jeux des enfants du village (Antiquaires... 1823, p. XCI, M.
Girault).
Au XVIIIe siècle, Diderot visite le site, dont il rédige la
notice dans son Encyclopédie (volume 20, p. 639) : « Près de
Lux est une petite contrée appelé Val d’Ogne... En fouillant
la terre il y a 80 ans et en 1772, on a découvert des briques
longues et larges, des fragments de vieilles ferrures, d’armes
et 10 médailles dont trois d’argent... Je les ai vus en octobre
1776 chez M. Dubois, contrôleur à Til-Châtel, directeur des
chemins. Des tombeaux, du marbre blanc d’autres morceaux
curieux qu’on y déterre chaque jour annoncent l’antiquité de
ce lieu, où il n’y a pas de maison ».
Peu de temps après, en 1787, la route de Lux à Til-Châtel,
qui passait au sud de la villa, est remplacée par une nouvelle
chaussée qui traverse la pars urbana en diagonale. Les trou-
vailles durent être nombreuses, si l’on en juge par les dégâts
observés en 1974 par la déviation routière de Diénay au cœur
de la villa gallo-romaine du Paradis. En 1866 encore, on rap-
porte qu’on a trouvé au Val d’Ogne une quantité de débris,
des armes, des squelettes... Mais, en dehors d’une estampille
militaire sur tegula « VEXILL LEG... » dicilement lisible (Le
Bohec 2003, p. 350, D4), rien n’a été répertorié... Cependant,
en 1980 encore, l’un des propriétaires du terrain se souvient
que son grand-père, carrier, allait sur l’emplacement de la
villa quand il avait besoin d’un bloc de pierre.
Lux et la photographie aérienne
C’est en 1965 que les vols sur l’axe Dijon / Langres permettent
de repérer les premiers indices d’habitat gallo-romain au Val
d’Ogne. L’importance du site justia la multiplication des
prises de vue à moyenne et basse altitude, malgré les di-
cultés causées par le carrousel d’avions de chasse à l’entrée
du champ de tir d’Epagny. Les photographies sur neige, en
décembre, en janvier, en février et en mars d’années dié-
rentes rent ressortir les variations de l’hydrologie autour de
la villa (gure 3). A l’inverse des autres sites, 1976 n’apporta
que peu d’éléments nouveaux. C’est en 1967, 1973, 1986, 1989
et 2002 que les images les plus révélatrices furent obtenues
aussi bien pour les plans d’ensemble que pour les détails les
plus ns. Jusqu’en 1974, les « missions-photos » furent réali-
sées dans le cadre de l’entrainement des équipages de l’Armée
de l’Air, depuis la Base Guynemer de Dijon-Longvic et la Base
de la 33e Escadre de Reconnaissance de Strasbourg-Etzheim.
De 1990 à 2001, un avion R3000 spécialement construit pour
la photographie aérienne fut aecté par le Conseil Régional
de Bourgogne au programme « de la Loire au Rhin » (gure
4). Les données rassemblées sur Lux sont donc particulière-
ment riches avec des clichés de tous formats, en photo verti-
cale stéréo et oblique (Goguey 1972, p. 11-12 ; 1994, p. 203-206 ;
2007, p. 43). Un premier plan de la villa, redressé approxima-
tivement, a été établi en 1994 par Anne Richeton. En 2012,
Alexandra Cordier a réalisé un plan plus précis et plus com-
plet, redressé sous le logiciel QGis (gure 5).
L’essentiel de la villa s’inscrit dans un rectangle long de 350
m, large de 235 m, soit approximativement 8 hectares (gure
6). Son axe principal est orienté du nord-ouest pour la pars
urbana au sud-est pour la pars rustica. Avec 260 m x 225 m,
la pars rustica (A), couvre 6 hectares. Deux bassins, dont l’un
avec entrée (abreuvoir ?), sont visibles dans cette cour, que
traverse en biais une canalisation. Celle-ci peut être un aque-
duc venant du sud-ouest, ou un égout se déversant dans la
rivière. Sur le côté nord on distingue six bâtiments dont le
plus important (no 1 sur gure 5), avec cour et portique, est
interprété comme le logement de l’intendant (gure 7). Il
sera l’objet d’une fouille de diagnostic de 1981 à 1983. Les trois
pavillons suivants (nos 2, 3 et 4 sur gure 5), habituels dans une
cour agricole, sont alignés à l’extérieur du mur d’enceinte,
avec leur façade en saillie sur la cour. Le dernier (nos 5 sur
gure 5), plus important, est divisé en six pièces.
On retrouve sur le côté opposé trois petits pavillons (nos 6,
7 et 8 sur gure 5), mais ce dernier (no 8 sur gure 5) empiète
sur un édice en double rectangle centré (no 9 sur gure 5)
qui lui est donc antérieur. L’hypothèse d’un temple a été
suggérée : mais les références font défaut. Le bâtiment no 10
empiète aussi sur le no 9 et marque un décrochement de la
cour agricole (hypothèse d’entrée latérale ?) (no 11 sur gure
5 ; gure 8).
Le troisième côté de la cour agricole est en partie masqué
par des zones de pierraille qui en rendent la lecture dicile.
Ainsi, les photographies verticales sur neige n’en montrent-
elles que la masse (gure 9). En juin-juillet, la végétation
révèle un alignement de pavillons (no 12 sur gure 5) et une
bande interrompue parallèle à un ancien bras de la Tille (no
13 sur gure 5) (gure 10).
L’architecture de la pars urbana présente un plan inhabi-
tuel. D’ordinaire, la pars urbana est nettement séparée de la
cour agricole, soit par un portique du quatrième côté d’une
cour péristyle comme à Attricourt, soit par un mur et une
tour-porche comme dans les villas de la Somme (Agache,
Somme préromaine, g. 193, p. 318). Ce qui devrait être la
cour d’apparat est divisé à Lux en cinq cours secondaires
(B1, B2, B3, B4, B5) qui en rompent l’unité. Une telle organi-
sation est comparable à celle de la villa de Wordchester en
Angleterre (Gros, p. 342). Mais par ses dimensions la pars
urbana de Lux atteint le double de celle de Wordchester.
Tout ne pouvait être occupé par le logement du dominus et
de sa famille. L’habitat est rejeté à l’ouest et au nord (gure
11), prolongé par un espace quadrangulaire à portique sur
4archéothéma no 30 | septembre-octobre 2013
> LarticLe
trois des côtés, absides et structure centrale (no 14 sur gure
5). Ce pourrait être un bassin, attenant à un ensemble ther-
mal (gure 12). La façade occidentale est ouverte sur une
galerie (no 15 sur gure 5). On notera le nombre inhabituel
de longs « couloirs », qui évoquent des horrea, ces greniers
où l’on conservait le blé dans les sites portuaires comme
celui de Vienne – Saint-Romain-en-Gal. Au nord, un espace
rectangulaire (B6) limité par un mur à abside et exèdre qua-
drangulaire est vraisemblablement un jardin. L’ensemble de
la villa est protégé des inondations par une digue (no 16 sur
gure 5) dont le bourrelet de terre est visible sur quelques
photographies.
Entre cette digue et la Tille, une enceinte quadrangulaire
B7, avec petit bassin, semble particulièrement favorable à
l’une des activités essentielles de toute villa rustica : l’élevage.
Deux petits édices extra-muros peuvent être considérés
comme une dépendance de la villa (gure 13) : l’un en double
cercle concentrique (no 17 sur gure 5) donne l’image d’un
fanum, qui pourrait être lié à la série de quatre logettes (no
18 sur gure 5) que l’on trouve souvent dans les sanctuaires.
Mais avec d’aussi faibles dimensions, il peut s’agir du mau-
solée de l’un des riches propriétaires du fundus. Cette équi-
voque a été rencontrée à Norges-la-Ville, le long de la voie
Lyon – Trèves, et elle a été signalée à Montmirat « où l’on
serait tenté de l’interpréter comme une construction funé-
raire si le mobilier ne témoignait pas d’un rôle cultuel » (Fau-
duet, 2010, p. 113). Plus récemment, deux minimes structures
en double carré centré ont été découvertes à proximité d’une
grande villa établie à la limite orientale du pays lingon (Cor-
dier 2012).
Dans le proche environnement de la villa ont été décelés
des éléments de parcellaire quadrillé par des murs (C1, C2 et
partiellement C3), avec dans chacun un modeste pavillon.
Cette organisation du territoire agricole, autour de la villa,
avec répartition de la main-d’œuvre servile, est logique mais
rarement démontrée. Cependant celle de Lux présente une
anomalie : son axe est nettement diérent de celui de la villa.
Une telle divergence, aussi près des bâtiments gallo-romains,
est dicile à expliquer. Elle correspond d’ordinaire à une
période antérieure, mais on voit mal un tel basculement du
plan d’un niveau à un autre.
Les fouilles de 1981-1983
Aux connaissances supercielles et en partie hypothétiques
de la villa fournies par la photographie aérienne, les quatre
campagnes de fouilles menées de 1980 à 1983 apportent des
données plus tangibles. Il s’agissait d’évaluer les risques de
dégradations du site causés par la construction de l’autoroute
A31 à 500 m à l’ouest de la pars urbana. Une quarantaine d’étu-
diants berlinois ont travaillé sous ma direction sur un empla-
cement déterminé par les photographies aériennes : l’angle
d’un bâtiment encadrant une cour – vraisemblablement
péristyle – ouverte sur la cour agricole (gure 14).
Eectuée sur seize carrés de Wheeler, la fouille entière-
ment manuelle – a permis d’explorer une surface de 400 m2
tout en conservant les témoins d’une stratigraphie relative-
ment complexe. Les résultats ont été révélateurs d’une super-
position de niveaux (Goguey 1980 à 1983) :
Si les sols de la villa ont été détruits par les labours, les
substructions conrment l’exactitude des plans visibles sur
les photographies aériennes. Mais il s’agit de la phase nale
maçonnée d’un établissement rural qui s’est développé sur
place (gure 15).
Trois dés, de 65 cm de côté et 40 cm de hauteur, prouvent
la présence de colonnes (cour péristyle ?). Deux d’entre eux,
monolithes, sont soigneusement appareillés (gure 16).
La stratigraphie révèle trois niveaux principaux de sols,
sur lesquels ont été jetés pêle-mêle les matériaux de la villa :
pierrailles (gure 17), quelques tegulae, nombreux fragments
d’enduits peints avec bandeaux rouges, mouchetis sur fond
blanc, de marbre blanc-noir, de tesselles de mosaïques.
Le sol le plus profond, à – 97 cm, en terre battue, est creusé
des alignements de trous de poteaux d’une habitation primi-
tive (gure 16).
Malgré leur petit nombre, les éléments datants couvrent le
Ier siècle (en majorité) et s’arrêtent au IVe siècle.
En conclusion, ce « pavillon » de la pars rustica, à l’emplace-
ment de ce qui pourrait être l’habitat du vilicus, est sans doute
la riche et confortable demeure d’un personnage important :
le procurateur. Un tel dispositif a été observé sur la luxueuse
villa de Corgoloin-Cussigny (Goguey 2007a, p. 41-42) et sur la
villa d’Estrées-sur-Noye dans la Somme (Gros, g. 357, p. 327).
Une unité de production, de commerce et de prestige
Unité de production, la villa de Lux s’est établie dans le cou-
loir alluvial de la Tille, dont la terre argilo-calcaire est parti-
culièrement fertile. Au sud et à l’est le sol est favorable à la
culture des céréales. Les prairies conviennent à l’élevage
des bovins alors que plus à l’ouest, sur le plateau calcaire, les
troupeaux de moutons ont longtemps été majoritaires. Vrai-
semblablement partagé entre de multiples fermes à l’Age du
Fer, le territoire a été groupé autour de grandes villas et d’ex-
ploitations plus modestes. D’une importance comparable,
la villa de Gemeaux est à 4 km au sud-ouest de celle de Lux,
celle de Selongey à une dizaine de kilomètres au nord-ouest.
Or, celles de la vallée de l’Ouche sont plus rapprochées : 1200
m séparent les deux villas de Rouvre-en-Plaine, et on relève
la même distance entre les villas d’Aiserey-Potanger et
d’Aiserey-Lotissement. Un fundus important pouvait donc
dépendre de celle de Lux.
Unité de commerce, Lux l’est par son architecture, qui
excède les besoins d’une production locale. Les locaux allon-
gés rappelant les horrea sont adaptés au stockage des céréales,
attendant leur commercialisation. Celles-ci, accumulées en
été, pouvaient être expédiées en hiver par bateaux à fond plat
vers la Méditerranée et vers Rome. Le côté oriental de la pars
urbana, parallèle à un ancien bras de la rivière sur lequel il est
ouvert, est un indice de cette activité. Mais la Tille était-elle
réellement navigable ? Quelques arguments viennent à l’ap-
pui de cette hypothèse :
Si son lit, suivi par avion, est souvent à sec en été, avec une
pluviosité normale, c’est une rivière abondante, qui se jette
dans la Saône à Maillys le Port en un estuaire bien dégagé.
Cette navigabilité saisonnière avait déjà été décrite par Pline
le Jeune, chez qui un auent du Tibre « propre à la naviga-
tion, apporte à la ville tous les produits des terre en amont,
5
archéoThéma no 30 | septembre-octobre 2013
Deux villas D’exception en pays lingon
du moins en hiver et au printemps : en été il baisse... » (Pline
le Jeune, Lettres, trad. M. Durry, Livre V, p. 199).
L’utilisation de l’Ouche, jumelle de la Tille, par « un naute
de la Saône », est attestée par l’inscription NAVTA ARA-
RICVS...Naute de la Saône. Ce monument et cet empla-
cement ne feront pas partie de l’héritage »), relevé sur un
monument à pilastre provenant d’un mur du castrum de Dijon
(Le Bohec 2003, p. 67).
Même si c’est un indice moins probant, on doit citer la
légende de Saint-Florent, un jeune chrétien martyrisé au IIIe
siècle à Til-Châtel par des envahisseurs venus de Langres.
Refusant d’abjurer sa foi, il fut décapité et sa tête, jetée dans
la Tille, fut recueillie à l’île Barbe près de Lyon. Il est probable
qu’elle y ait été transportée dans une barque.
Un texte de Claudien dans l’Eloge de Stilicon mentionne ce
commerce uvial entre les Lingons et Rome : « Qui a jamais
vu [...] les moissons écloses sous la charrue du Lingon labo-
rieux voguer des champs fertiles de l’Ourse vers le Tibre
étonné ? » (Claudien, vers 100-149).
Unité de prestige, la villa de Lux l’est par la place accor-
dée à la pars urbana. Sa façade occidentale se développe sur
une longueur, hors tout, de près de 200 mètres. Ces dimen-
sions ne préjugent pas de la surface bâtie ni de la qualité de
l’architecture : ainsi les riches villas de Montmaurin, de Saint-
Ulrich, d’Anthée, d’Echternach, atteignent-elles rarement un
tel développement en façade. Mais pour le visiteur arrivant du
carrefour routier de Til-Châtel, la masse des édices barrant
le paysage devait être impressionnante. En Angleterre, Barry
Cunlie compare la villa de Fishbourne au palais de Buckin-
gham, dont la façade est moindre. Sans aller à un parallèle
aussi prestigieux, le proche château de Lux ne mesure que 77
m. A Dijon, l’emplacement du Palais des Ducs de Bourgogne,
avec ses trois cours, atteint 170 mètres. En archéologie mili-
taire, on retrouve ce souci de montrer la puissance de Rome
par l’architecture de la porte prétorienne, conduisant par la
voie prétorienne aux principia dont la façade monumentale
dépasse rarement 100 mètres.
LA VILLA D’ATTRICOURT SUR LA VINGEANNE :
CULTE ET QUALITÉ DE LA VIE
Comme sa parallèle la Tille, La Vingeanne prend sa source
sur le plateau de Langres. Elle serpente vers le sud-est en
une multitude de petits méandres, dans une vallée fertile de
pâturages et de céréales, en partie encore couverte de forêts.
Elle rejoint la Saône après s’être divisée en multiples chenaux
(gure 18).
La villa gallo-romaine d’Attricourt en Haute-Saône fait
partie de la série de grands établissements ruraux détectés
lors des vols de « strang2 » sur les vallées des auents de la
rive gauche de la Saône.
Les premiers indices ont été photographiés le 4 juillet 1974.
Dans des champs de blé « versés » par les orages se dessinaient
en relief – donc sous forme inversée – les bandes de substruc-
tions dans lesquelles on pouvait reconnaitre deux grandes
cours quadrangulaires et un alignement de bâtiments (gure
19). Leur étendue témoignait d’un site exceptionnel, qui fut
attentivement suivi d’année en année. Ainsi fut-il systémati-
quement photographié les 6 et 9 juillet 1974, le 3 juillet 1975,
les 30 mai, 24 juin, 28 juin et 30 juin 1976, le 14 juillet 1980, le
23 juillet 1980, le 15 juillet 1984, le 12 juillet 1985, les 19 et 27
août 1988, les 29 mai et 9 août 1990, le 4 juin 1991, les 7 juillet
et 4 août 1995 (Goguey 1974, 1976, 1980, 1984, 1985, 1988, 1991,
1995). De ce calendrier on peut retenir les cultures de céréales
favorables, selon les années, à la formation de « crop marks »
de mai à août. Les clichés les plus riches en informations ont
été obtenus, accentués par l’infra-rouge, en 1976 (gure 20),
et en haute dénition en 1988 et en 1991 (gure 21). On peut
noter que, de même qu’à Alésia, au sol, on suit les murs « à vue
d’œil, avec leurs compartiments, quand ces pièces sont ense-
mencées et qu’on les parcourt en mai-juin » (Mouton 1867).
Une cité d’Ates dans l’histoire régionale
Si pour l’archéologie aérienne Attricourt était une décou-
verte, son site gallo-romain n’avait été oublié ni des culti-
vateurs qui en exhumaient les vestiges, ni des historiens
renseignés par la Chronique de Bèze. De celle-ci il n’est pas
toujours facile de démêler la part de vérité de la légende. Dans
une notice sur l’ancienne cité d’Ates, le Président de la Com-
mission des Antiquités de Dijon, M. Boudot rend compte en
1833 des erreurs qui ont fait d’une prétendue « ville d’Antua »
dans la forêt de Velours la capitale des Attuariens (Boudot
1834). Pour lui, la cité d’Ates « existait entre le territoire de
Saint-Seine au nord, celui d’Alberic Court (ou Atricourt) au
midi, la forêt d’Autrey à l’est, et la rivière de la Vingeanne...
Telles sont les limites du sol d’Ates, aujourd’hui cultivé ». A
cette localisation il lie l’action de l’empereur Constance-
Chlore qui, arrêta des invasions d’Alamans : ceux-ci avaient
pillé l’est de la Gaule et assiégé Langres.
« Sentant la nécessité de faire cultiver ces champs fertiles,
dont l’Empire pouvait tirer une grande quantité de graines
pour la nourriture de ses armées, il y transféra en 293 une
partie de la tribu des Attuariens, aux conditions qu’elle porte-
rait les armes, en temps de guerre... et qu’elle livrerait annuel-
2 Strang : vol de recherche d’objectifs militaires à basse altitude sans
itinéraire imposé.
6archéothéma no 30 | septembre-octobre 2013
> LarticLe
lement une partie de ses moissons dans les greniers publics ».
Boudot décrit rapidement les ruines qu’il a visitées : l’em-
placement de cette cité (d’Atès) est couvert de débris de
tuiles romaines, et de vestiges de murs sur une supercie de
12 000 m2... Champ du Trésor, Champ d’Argent, Champ Festa.
Les fouilles furent menées en 1820 par le propriétaire du ter-
rain sur les murs qui arrêtaient le soc de la charrue.
Elles mettent au jour des mosaïques, des peintures murales,
des frettes de canalisations en bois, « des fondations qui
paraissaient avoir soutenu des magasins ou greniers d’abon-
dance », des fûts de colonnes décorés, des médailles d’or,
d’argent et de bronze... Des recherches plus précises sont
menées en 1865-66 par l’abbé P. D. Mouton, curé du proche
village de Poyans (Mouton 1867). Le plan qu’il publie est celui
d’une « maison romaine » longue de 121 m, large de 16 m, divi-
sée en 23 pièces (qu’il va jusqu’à identier) souvent déco-
rées de mosaïques « recouvertes d’une couche de cendres et
de débris calcinés ». Elle est longée sur ses façades par deux
portiques, donnant sur une « esplanade » en laquelle il croit
voir « le forum de la ville antique d’Ates » (Faure-Brac 2002,
p. 101). Ses éléments d’architecture et de décor font ressor-
tir le confort et la richesse de cette demeure gallo-romaine,
que l’on croit être celle d’un gouverneur du « canton attua-
rien ». D’un abondant mobilier, on peut retenir monnaies,
accessoires de bains, dés, amulettes phalliques en bronze que
l’abbé fait disparaitre pour ne pas choquer ses paroissiens.
Les révélations de la photographie aérienne
Comme c’est ordinairement le cas, la vision directe en vol du
paysage dans lequel s’inscrivent les « crop marks » a permis
d’identier le site. La numérisation des quelque 400 clichés,
leur traitement par Adobe CS5 et le redressement informatisé
ont permis de dresser un plan à une échelle assez précise pour
la localiser sur le terrain et pour l’intégrer au S.I.G. (gure
22). Cependant, une marge d’erreur est inévitable quand
on utilise des photos obliques à basse altitude. Ce plan n’est
qu’un schéma simplié, qui ne prend pas en compte le grand
nombre de traces – taches, lignes, pointillés... – visibles sur
les photos aériennes. C’est donc à elles qu’il faut se reporter si
l’on veut faire une étude approfondie du site, en particulier en
cas de grands décapages. Jusqu’ici, les quelques traces déce-
lées sur les photos satellites de Google Earth ne permettent
pas d’en reconstituer l’image.
L’aspect général est celui d’un espace divisé en vastes
cours quadrangulaires, sans aucune voie qui puisse justier
l’hypothèse d’une cité (Figure 23). L’organisation est celle
d’une villa gallo-romaine (Goguey 1977 ; David, Goguey
1982 ; Goguey, Szabo 1995, Goguey 2007, p. 38-39). Son axe
est orienté nord-ouest/sud-est.
L’une des cours (A sur gure 22), quadrangulaire, est
encadrée d’un portique. Avec 70 x 85 m, elle couvre près de
6000 m2. Elle est limitée à l’est par une bande continue de
constructions qui correspondent à la « maison romaine »
fouillée au XIXe siècle par l’abbé Mouton. Sa mise en parallèle
avec la photographie aérienne fait ressortir quelques diver-
gences, qui peuvent être dues aux destructions provoquées
par les fouilles ou à des erreurs du plan primitif (gure 24).
La façade occidentale ouvre par un portique sur ce qui n’est
pas « le forum de la ville antique », mais la pars urbana de la
villa. Au nord, l’aile est divisée en quelques bâtiments allon-
gés et d’une structure en double carré centré. Au sud, une
galerie continue accompagne le portique. A l’ouest, ce qui
semble être un portique donne accès à la pars rustica. Hormis
quelques taches claires inorganisées, la pars urbana parait
vide, sans trace de bassin.
La façade orientale des bâtiments, soulignée par un por-
tique, donne sur la cour B, dont la surface initiale est réduite
sur trois des côtés par un mur orthogonal. Ce mur est accom-
pagné sur le seul côté nord d’un portique. Les points de
colonnes et les lignes d’un petit édice pourraient corres-
pondre à l’entrée principale de la villa. Cet espace B était-il un
jardin ? Sa limite orientale est perturbée par un tapis de taches
claires sur lequel je reviendrai plus loin.
A l’ouest, la pars rustica (C sur gure 22), rectangulaire,
mesure 175 m sur 90 m, soit près de 1,6 hectares (Figure
25). Contrairement aux plans habituels, son axe est perpen-
diculaire à celui de la pars urbana. Il correspond aux rares
exemples de cours résidentielles et de cours agricoles d’axes
perpendiculaires (Ferdière et alii 2010, p. 431-432). A chacun
des petits côtés sont accolés deux pavillons cloisonnés, dont
la fonction artisanale semble établie pour deux d’entre eux :
les traces internes évoquent four de potier ou de métallurgie.
Ils sont eux-mêmes inclus dans deux petites cours annexes.
Apparemment, la grande cour agricole est vide. Mais elle
porte quelques traces claires divergentes comparables à
celles qui marquent l’extrémité orientale de la villa.
Cet ensemble résidentiel et agricole se prolonge à l’ouest
par un ensemble vraisemblablement cultuel dont un temple –
ou supposé tel – est le principal élément (T sur gure 22). Son
plan, très net sur les photographies de 1976 et 1988, à la forme
d’un T dont la branche principale, rectangulaire, mesure envi-
ron 22 m sur 18 m (gure 26). Un péristyle comporte d’après
ce qui est décelable – onze colonnes sur le grand côté, six sur
le petit. Moins probante, la trace de ce qui pourrait être un
nymphée est visible sur le côté occidental, de même que la
présence d’un bassin. Deux pièces quadrangulaires encadrent
la partie orientale de cet édice. L’ensemble ouvre sur une
galerie de façade, longue de 30 m, limitée par deux petites
structures carrées.
Il se prolonge par le mur d’enceinte de la cour D de la villa.
Mais une incertitude demeure quant aux dimensions de
cette cour, les deux côtés latéraux étant peu visibles. En 1976
un bosquet quadrangulaire subsistait près du « sanctuaire ».
Ce bosquet a été détruit entre 1976 et 1988 sans qu’aucune
découverte fortuite ait été signalée (gure 27).
L’interprétation « spontanée » de cet édice comme un
sanctuaire est-elle justiée ? Dès sa publication, le professeur
René Louis, spécialiste des Fontanes Salées, faisait un rappro-
chement avec l’un des sanctuaires de Trèves, sans doute celui
de Lenus Mars. Mais il y a peu de points communs entre les
deux édices. Pierre Gros, dans le premier volume de l’Archi-
tecture Romaine, consacre un chapitre aux « Fontaines monu-
mentales, nymphées et sanctuaires de sources » (Gros 2011,
p. 418-444). A Sceaux-du-Gâtinais, dans un contexte urbain,
un nymphée et sanctuaire des eaux – attesté par la décou-
verte d’ex-votos – sont associés. Dans l’Yonne, quelques-unes
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