RAPPORT DE RECHERCHE
N° 2014 - 02
Une évaluation de l'impact de l'aménagement
des conditions de travail sur la reprise du travail
après un cancer
E
MMANUEL
DUGUET,
C
HRISTINE
LE
CLAINCHE
www.tepp.eu
TEPP - Travail, Emploi et Politiques Publiques - FR CNRS 3435
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Une évaluation de l'impact de l'aménagement des conditions
de travail sur la reprise du travail après un cancer
1
Emmanuel DUGUET
Université Paris Est, ERUDITE (EA 437), UPEC, UPEM, TEPP (FR 3435)
et Centre d’Etudes de l’Emploi
Christine LE CLAINCHE
Ecole Normale Supérieure de Cachan, Centre d’Economie de la Sorbonne-Cachan
(UMR 8174 du CNRS) et Centre d’Etudes de l’Emploi
Révisé, Juillet 2014
Résumé : Nous évaluons l'impact d'un aménagement des conditions de travail sur le retour au travail
après un cancer. En appliquant plusieurs méthodes d’appariement, nous trouvons que, toutes choses
égales par ailleurs, l'obtention d'un aménagement des conditions de travail augmente fortement la
probabilité de retour au travail et améliore l'état de santé auto-évalué. Ceci va de pair, pour les
hommes, avec un sentiment de pénalisation au travail et une baisse des revenus du ménage causée
par la maladie. Pour les femmes, la même conclusion s'applique lors d'un aménagement du poste de
travail.
Mots-clés : santé, travail, cancer, appariement, retour au travail.
JEL : I10, J31, J81.
Abstract: We evaluate the impact of working conditions’ improvements on return to work after a
cancer. Applying several matching methods, we find that, ceteris paribus, the improvement of
working conditions strongly increases the probability of coming back to work and improves self-rated
health. These positive effects are compensated, for men, by a feeling of being at a disadvantage at
work and a household revenue loss caused by illness. For women, the same conclusion holds for a
change of tasks or work station.
Keywords: health, labor, cancer, matching, return to work.
JEL: I10, J31, J81.
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Cet article figure dans la continuité d’une recherche financée par l’ARC-INCA sur appel à projets. Nous remercions pour
leurs remarques sur des versions antérieures de ce texte Raphaël Dalmasso, Dominique Goux, Samira Guenniff, Jean-Michel
Herbet, Catherine Mermilliod, Serge Volkoff ainsi que deux rapporteurs anonymes pour leurs suggestions et commentaires.
Nous remercions également les participants aux séminaires ou colloques où des versions antérieures de ce texte ont été
présentées : Séminaire Dares, juin 2009 ; Journées des économistes de la santé français (JESF), cembre 2009 ; Séminaire
INCA, décembre 2010.
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I. Introduction
L’objectif de cet article est d’étudier l’impact des aménagements des conditions de travail sur le
retour au travail des individus deux ans après le diagnostic d’un cancer. Il existe peu de travaux en
France permettant d’identifier l’effet du cancer sur le travail et l’emploi (Eichenbaum-Voline et al.
(2008), Malavolti et al. (2008), Barnay et al. (2014)). De surcroît aucune étude ne s’intéresse à
l’impact des aménagements des conditions de travail alors même que ceux-ci, du fait du maintien
dans l’emploi qu’ils rendent possible, permettraient de minimiser les coûts économiques et sociaux
impliqués par un retrait temporaire ou durable du marché du travail (Hoffman (2005)). Une telle
question paraît d’autant plus importante à étudier que les patients et les médecins s’accordent à
considérer que le travail est un élément majeur de la qualité de vie des personnes, quand elles
peuvent maintenir leur activité (Bloom et al. (2004), Dapueto et al. (2005), Engel et al. (2003),
Koyabashi et al. (2004) par exemple).
Dans l’ensemble des travaux recensés, nous n’avons repéré que très peu de recherches dédiées à
l’effet des aménagements de conditions de travail sur le retour au travail des personnes ayant fait
l’objet d’un diagnostic de cancer et souvent elles reposent sur des petits échantillons. Il existe des
travaux significatifs portant sur l’incapacité ou les restrictions d’activités disability ») et sur leur
impact sur l’insertion professionnelle. Ceux-ci sont ciblés sur les personnes affectées de maladies
chroniques sans mention spécifique et débouchant sur des limitations d’activité ou des handicaps
suscitant des dispositifs d’aménagement des conditions de travail ou de sortie temporaire de
l’emploi (par exemple, Burkhauser et al. (1995), évalué dans Burkhauser et al. (2012) et plus
particulièrement sur les plus âgées d’entre elles (pour la France, voir Barnay (2010), Behaghel et al.,
(2011), par exemple). Ainsi les travaux de Burkauser et al. (1995, 2012a,b) qui portent sur l’impact
des aménagements de conditions de travail considérés comme « raisonnables » selon la loi sur les
« Américains avec des handicaps » (Americans with Disabilities Act, 1990), i.e. des aménagements
portant sur les postes, le temps de travail, l’environnement de travail et le transport domicile-travail
etc., montrent que les individus avec une incapacité et bénéficiant d’un aménagement des conditions
de travail peuvent rester plus longtemps dans l’emploi que ceux n’en bénéficiant pas. Ces travaux
montrent également un effet lié aux compensations associées à l’assurance handicap en cas de
cessation de l’activité : plus les compensations sont élevées moins un aménagement sera adopté.
Les recherches françaises dédiées aux fins de vie active montrent que le rôle de la protection sociale
est crucial pour accompagner la sortie temporaire de l’emploi, voire la sortie définitive pour les plus
âgés en attendant que les droits à la retraite prennent le relais.
Or le cancer, ou plutôt l’ensemble des maladies que recouvre ce terme, mérite une investigation plus
précise concernant ses conséquences sur l’emploi : d’abord parce que l’incidence du cancer
augmente fortement depuis trente ans avec des effets encore mal connus sur l’emploi. Ensuite parce
que le cancer n’ouvre pas le droit en tant que tel à une reconnaissance administrative du handicap.
Ce sont les traitements et les séquelles éventuelles associées au cancer qui peuvent entraîner une
incapacité temporaire d’occuper un emploi, pouvant le cas échéant se transformer en une inaptitude
partielle ou totale à occuper ensuite un poste de travail. Les conséquences sur l’emploi ne relèvent
pas du champ des lois classiques sur le handicap ou sur l’incapacité liée à l’âge.
L’enquête que nous utilisons dans cette étude est une enquête réalisée en 2004 auprès des individus
ayant eu un diagnostic de cancer en 2002. Ainsi, dans le cas français, en 2002, c’est-à-dire l’année où
les individus ont reçu leur diagnostic de cancer et ont subi leurs traitements médicaux, , les
dispositions qui s’appliquaient au retour au travail après une longue maladie sont les suivantes :
après un arrêt maladie de 21 jours ou plus, le travailleur doit effectuer une visite de reprise auprès
du médecin du travail (éventuellement auprès du médecin conseil de la sécurité sociale pour les
fonctionnaires ou assimilés), selon les termes de l’article R 241-51 du code du travail. En général c’est
3
l’employeur qui saisit le médecin du travail. Lors de cette visite, ce dernier rend un avis d’aptitude au
poste ou d’inaptitude partielle ou totale. L’avis est éventuellement assorti de demandes
d’aménagements des conditions de travail (reclassement, horaires etc.).
2
Ainsi l’aménagement du
poste de travail incombe à l’entreprise ou à l’institution d’accueil du salarié suite à l’avis du decin
du travail ou du médecin conseil de la sécurité sociale et n’incombe pas principalement au salarié,
lequel peut néanmoins faire état de souhaits plus ou moins pris en compte par l’institution de
travail
3
. La décision d’aménagement des conditions de travail précède donc le retour au travail des
individus.
Dans le cadre du cancer, l’étude de l’impact des aménagements des conditions de travail sur le
retour au travail des individus se heurte ainsi potentiellement à plusieurs difficultés. L’une d’elles est
relative au fait que le bénéfice de tels aménagements peut être soit corrélé à la sévérité de la
maladie soit aux séquelles des traitements, lesquelles ne reflètent pas toujours la sévérité de la
maladie, mais plutôt le type de cancer. Le bénéfice d’aménagements doit ainsi être relié aux types de
cancers ainsi qu’à la sévérité du diagnostic établi lorsque cela est possible.
Une autre difficulté est que les aménagements peuvent être perçus comme stigmatisants par les
individus qui en bénéficient (Hoffman (1991)). Certains individus, par peur d’être stigmatisés,
peuvent ainsi minorer leur besoin de tels aménagements alors même que les séquelles des
traitements les rendraient nécessaires au moins à court terme. Toutefois, dans la mesure les
aménagements sont principalement proposés par le médecin du travail, on peut imaginer que l’effet
de minoration par rapport aux besoins réels des patients est relativement contrôlé.
Etant donné les séquelles entraînées par les traitements de la maladie, le retour à l’emploi peut être
rendu difficile pour les individus atteints de cancers. Dans cet article, nous souhaitons étudier
l’impact éventuel des aménagements des conditions de travail sur le retour au travail des patients
ayant eu un diagnostic de cancer deux ans plus tôt. Nous évaluons également l’impact de ces
aménagements sur leur état de santé perçu, la variation déclarée du revenu du ménage et sur la
pénalisation perçue impliquée par la maladie dans la sphère professionnelle. Peu de travaux existent
sur ce thème en dehors de celui plus général du handicap ou de l’accroissement des limitations liées
à l’âge, comme nous l’avons vu. Or la problématique du retour au travail après un cancer n’a que peu
à voir avec la question de la prise en charge de l’incapacité liée à l’âge et des aménagements de
conditions de travail qu’elle induit ; de même elle n’a que peu à voir avec le handicap notamment
2
L’inaptitude au poste implique une obligation de reclassement de la part de l’employeur. Pour les inaptitudes partielles,
des aménagements liés au temps de travail ou aux horaires sont demandés. Cass. Soc. 12 mars 1987, n°84-43.003. Voir
Lamy social (2002), rubrique 1037.
3
Si l’employeur ne demande pas cette visite de reprise, le salarié peut solliciter lui-même la visite de reprise et si
l’employeur n’accède pas à la demande du salarié, ce refus s’interprète comme un licenciement de fait dont il doit assumer
la responsabilité. « L'employeur qui rompt le contrat de travail sans rechercher les possibilités de mettre en œuvre les
propositions du médecin du travail prend la responsabilité de la rupture. Cette rupture s'analyse comme un licenciement
(Cass. soc., 1
er
avr. 1992, n
o
88-45.677, Dr. soc. 1992, p. 477). L'employeur ne peut sommer le salarié de reprendre son
travail sans lui proposer des modifications conformes aux avis médicaux ; et le refus du salarié de reprendre son travail ne
peut s'analyser en une démission (Cass. soc., 10 oct. 1995, n
o
92-41.426). En outre, la méconnaissance des obligations de
l'article L. 241-10-1 du Code du travail ôte au licenciement toute cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 24 mars 1988, n
o
86-
40.829, Bull. civ. V, p. 133 ; voir encore Cass. soc., 24 janv. 1991, n
o
89-40.179 ; Cass. soc., 8 juill. 1992, n
o
88-45.802). Pour
que l'employeur soit considéré avoir rempli son obligation de reclassement, encore faut-il que la proposition faite au salarié
soit précise et consistante. Par exemple, tel n'est pas le cas lorsque, dans le cas d’un salarié déclaré inapte au poste de
conducteur d'autocar et dont le permis de conduire « transport en commun » a été annulé par la préfecture pour raison
médicale, l'employeur adresse au salarié une proposition imprécise de reclassement, ne lui offrant qu'un travail à temps
très partiel (emploi administratif de trois heures par jour avec maintien du taux horaire et de l'ancienneté acquise) et ne lui
donnant aucune indication sur la structure de l'effectif, la nature des postes existant dans l'entreprise ainsi que sur les
possibilités de mutations ou de transformations de postes de travail. L'employeur a donc manqué à son obligation de
reclassement et le licenciement du salarié à la suite du refus par celui-ci du poste proposé dans de telles conditions est en
conséquence sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 6 févr. 2001, n
o
98-43.272, Bull. civ. V, n
o
40, p. 30) » Voir Lamy Social.
(2002), rubrique 1080.
4
lorsque celui-ci est acquis avant l’entrée sur le marché du travail et affecte les investissements en
capital humain. Peu de travaux existent sur ce thème des aménagements des conditions de travail à
destination des patients cancéreux car jusqu’il y a peu, cette question n’était pas une question en soi
pour la raison suivante. Une minorité de jeunes actifs étaient concernés car le cancer étant une
maladie liée à l’âge
4
, elle ne permettait pas un maintien prolongé dans l’emploi. Avec l’accroissement
des diagnostics précoces et des taux de survie suite à un cancer, de plus en plus d’actifs encore
jeunes sont aujourd’hui concernés par le cancer.
De manière à isoler l’impact d’un aménagement des conditions de travail de l’influence des autres
caractéristiques individuelles sur le retour au travail des individus affectés d’un cancer, nous utilisons
deux groupes d’individus semblables, l’un des groupes ayant bénéficié d’un aménagement et l’autre
non. Nous sommes ainsi en mesure d’étudier l’effet du bénéfice d’un aménagement des conditions
de travail sur le retour au travail. Nous nous intéressons également à son effet sur l’état de santé, les
revenus et le sentiment de pénalisation associés à la maladie.
Nous utilisons les données de l’enquête Drees-Inserm « La vie deux ans après le diagnostic de
cancer » réalisée en 2004 auprès de 4270 individus. Cette enquête comprend des informations sur
les conditions de vie (emploi, qualités de vie, revenus) et sur l’état de santé avec des mesures aussi
bien objectives (type de maladie et de traitements subis) que subjectives ou auto-évaluées, pour des
individus ayant eu un diagnostic de cancer en 2002. L’étude de l’impact des aménagements des
conditions de travail sur le retour au travail implique de travailler sur les personnes en emploi au
moment du diagnostic. Nous utilisons deux méthodes d’estimation. La première méthode est une
variante de l'approche de Rubin (1973) : l'appariement exact sur les variables qualitatives et
l'appariement au plus proche voisin sur les variables quantitatives. Il existe deux variables continues
dans notre étude : l'âge et un indice de pronostic de survie à 5 ans calculé par des épidémiologistes
au moment du diagnostic du cancer sur la base du dossier médical, de sorte que notre méthode
d'appariement consiste à prendre comme point de comparaison une personne dont toutes les
variables qualitatives sont identiques et dont l'âge et l’indice de pronostic sont les plus proches.
Cette première méthode consiste in fine à réaliser la différence des performances moyennes entre
les individus traités et les individus non traités qui leur correspondent (ou « jumeaux statistiques »).
La seconde méthode est celle du score de propension (Rosenbaum et Rubin, 1983), qui consiste à
apparier les individus selon leur probabilité d’obtenir un aménagement. Si deux individus ont la
même probabilité d’obtenir un aménagement, que l’un l’a obtenu et l’autre non, alors tout se passe
comme si l’aménagement était attribué au hasard entre ces deux individus. En comparant les
personnes de probabilité identique on se retrouve dans une situation similaire à celle des données
expérimentales (Rubin, 1997).
Nous trouvons que l'obtention d'un aménagement augmente fortement la probabilité de retour au
travail et améliore l'état de santé auto-évalué. Ceci va de pair pour les hommes, avec un sentiment
de pénalisation au travail et une baisse des revenus du ménage causée par la maladie. Pour les
femmes, la même conclusion s'applique lors d'un aménagement du poste de travail.
L’article est organisé comme suit : la section II résume les résultats de la littérature économique. La
troisième section présente les données utilisées. La méthodologie est présentée dans la quatrième
section. Les résultats sont présentés dans la section V et mènent à la conclusion.
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Les cancers des enfants ont leurs propriétés propres. En dehors de ces cancers, l’épidémiologie montre que l’incidence
des cancers augmente avec le vieillissement.
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