Introduction
Les recherches qui suivent portent sur les rapports collectifs à lʼenvironnement
naturel, et plus précisément sur lʼapport des théories anthropologiques à leur compréhension
philosophique. Ce point de départ doit être conçu moins comme un simple thème que
comme un véritable problème, puisque ces relations ne forment pas une dimension de
lʼexistence collective qui va de soi, et quʼil suffirait de décrire fidèlement pour en saisir le
fonctionnement. On aurait tort, en effet, de céder à une représentation intuitive qui verrait une
asymétrie fondamentale entre dʼune part des rapports sociaux intégralement livrés à la
contingence historique et à la libre création de conventions, et de lʼautre lʼinscription de ces
relations sociales dans un environnement donné, avec ses caractéristiques et ses
contraintes propres – ou pire, qui verrait là deux mondes dont la rencontre nʼest
quʼaccessoire. Bien au contraire, les liens qui se nouent entre un groupe humain et son
milieu naturel affectent de lʼintérieur la façon dont il se construit, ainsi que lʼidée même que
lʼon se fait, dans ce groupe, de lʼappartenance à une telle entité. Et réciproquement, le
déploiement des activités humaines dans un milieu naturel participe pleinement dʼune
dynamique écologique dont elles sont des facteurs à part entière. Lʼhistoire de la nature et
celle des hommes sont donc intimement liées ; cela, nous le savons au moins depuis les
traités hippocratiques sur les climats, Alexandre von Humboldt en a livré plus tard un tableau
magistral, et des études plus récentes nous le rappellent encore1.
Mais si lʼintuition dʼune intimité entre les hommes, leur condition, le déploiement
historique de leurs actions, et lʼenvironnement, les lieux, les plantes et les animaux qui le
peuplent, est largement partagée par la tradition intellectuelle dont nous sommes les
héritiers, lʼanalyse de ses implications sociales et conceptuelles a sans doute tardé à livrer
tous ses enjeux. Ce décalage entre la description dʼun fait et la prise de conscience dʼun
1 Pour Hippocrate, voir le traité Airs, eaux, lieux, trad. P. Maréchaux, Paris, Payot, 1996, et notamment à partir du
paragraphe 12 la comparaison des peuples en fonction des climats ; pour Humboldt, voir Kosmos, Stuttgart,
Gottaʼscher Verlag, 1845-1862 ; actuellement, ce sont certainement les travaux de J. Diamond qui illustrent le
mieux pour un large public ce regard sur les sociétés humaines, en particulier De lʼinégalité parmi les hommes,
Paris, Gallimard, 2006.