La question éthique de l`avortement

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La question éthique de lʼavortement
Louise Melançon
La question éthique reste toujours cruciale concernant les débuts de la vie
humaine, que ce soit dans le cas de lʼinterruption volontaire de grossesse, dans celui de
la procréation artificielle ou des interventions médicales sur lʼembryon ou le foetus,
suite à lʼavancement des technologies. Et si la question du respect de la vie humaine
demeure fondamentale, elle ne peut prendre sens et être applicable dans nos réalités
humaines complexes que si on tient compte du contexte dans lequel cette question
éthique se pose.
1.
Le premier élément contextuel est celui, très général, de nos «nouveaux
pouvoirs» sur la vie. Les questions se multiplient en même temps que se
développent nos savoirs et nos pratiques. Les problèmes au sujet de
lʼenvironnement témoignent aujourdʼhui de la nécessité dʼêtre responsables
dans nos actions et interventions. Nʼest-ce pas un signal à considérer quand il
sʼagit de nos interventions sur la vie humaine, et particulièrement sur son
commencement et son développement?
2.
Le deuxième élément concerne spécifiquement lʼinterruption volontaire de
grossesse; il sʼagit du fait incontournable du vouloir des femmes dans la
transmission de la vie humaine. Suite au mouvement des femmes au cours du
20e siècle, à lʼévolution de la conscience des femmes concernant leurs
conditions de vie, en particulier de leurs maternités, et de leurs luttes sociales et
politiques pour être reconnues comme des personnes à part entière, la question
éthique de lʼavortement ne peut plus être centrée uniquement, abstraitement
donc, sur le foetus: il sʼagit dʼune femme enceinte. Comment vouloir le respect
dʼune vie humaine qui commence sans inclure le respect de celle dont dépend
concrètement la venue au monde dʼun être humain?
La question éthique de lʼavortement
1.
Une éthique de la responsabilité, selon le philosophe Hans Jonas, devrait
fonder toutes nos décisions. Suite au développement de la science-technologie, il
propose une nouvelle éthique, en développant de nouvelles dimensions de la
responsabilité. Nos actions ne peuvent plus se situer seulement par rapport au présent,
mais par rapport à leurs conséquences sur un avenir. Aussi notre auteur reprend-il
lʼimpératif moral de Kant: «Agis de telle sorte que tu puisses également vouloir que ta
maxime devienne une loi universelle» (Le Principe Responsabilité, Cerf, 1990, p.30) et
le reformule ainsi: «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec
la permanence dʼune vie authentiquement humaine sur terre». De plus, lʼobjet de la
technique nʼest plus seulement la nature mais bien lʼhumain lui-même. On le voit dans
la capacité de prolonger la vie, de contrôler le comportement, et dans la manipulation
génétique. Cʼest ainsi quʼil y a nécessité dʼune nouvelle éthique.
Nous avons déjà une expérience de la responsabilité, cʼest-à-dire du fait de devoir
répondre de nos actions. Cʼest plutôt en référence à des actes passés. Et cʼest
davantage une responsabilité légale: une obligation venant de lʼextérieur (comme une
loi) qui sʼimpose à moi. Mais ce nʼest pas encore une expérience morale. Celle-ci vient
de la valeur impliquée dans telle action et qui sollicite mon choix libre. Cʼest lʼêtre
humain, cʼest lʼautre, cʼest la vie humaine. Un exemple? La conduite automobile; jʼai à
respecter la vitesse demandée par la loi mais plus encore la prudence est requise pour
protéger la vie des autres, et la mienne, qui peuvent être mises en péril. Le respect de
la vie humaine correspond à sa valeur: la vie humaine, même si précaire comme toute
vie, est habitée par sa «fin», sa finalité de devenir, de sʼaccomplir. Cʼest lʼobjet de ma
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responsabilité, et on peut parler alors de conscience personnelle. Cʼest aussi lʼobjet de
notre responsabilité comme «communauté humaine».
2. Au sujet de lʼavortement, est-ce une réflexion qui fait sens? Dans les débats actuels
portant sur la bioéthique, la question du «statut du foetus» est centrale, et il y a
danger de reporter cette discussion sur la réalité de lʼinterruption volontaire de
grossesse. Même si on ne peut oublier lʼimportance du statut du foetus humain, je
considère que lʼaccès des femmes à lʼIVG sʼappuie sur une autre réalité, celle dʼune
femme enceinte, et qui, pour diverses raisons, veut interrompre sa grossesse. Ne
traiter que du statut du foetus quand il est question de lʼavortement, comme le font
en général les mouvements pro-vie, mʼapparaît complètement abstrait. La réalité des
femmes devant une grossesse non prévue ou désirée est celle de SUJETS par
rapport à la maîtrise de leurs fécondités. Grâce au développement des moyens de
contraception, et lʼarrivée de la pilule fut exemplaire, les femmes ont maintenant la
possibilité dʼavoir des enfants quand elles le veulent, avec un conjoint ou pas. Elles
sont dans de nouvelles conditions pour exercer leur responsabilité par rapport à la
transmission de la vie. Elles ont un pouvoir quʼelles nʼavaient pas avant. En plus,
grâce au mouvement des femmes, elles ont des droits, elles ne sont plus
considérées comme des mineures. Grâce à des luttes constantes et vigoureuses,
elles ont obtenu lʼaccès à lʼIVG, dans un cadre médicalisé. Elles nʼont plus à risquer
leur vie en choisissant un avortement clandestin. Mais on pourrait dire quʼelles ont à
vivre une expérience morale plus exigeante. Elles ont à répondre, dans leur
conscience, de la manière dont elles exercent leur pouvoir en ce qui concerne cette
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vie humaine qui commence, avec laquelle elles sont dans une relation tout à fait
unique: cette vie humaine commençante est dans leur corps. Il nʼy a pas de situation
analogue. La femme enceinte est un être humain en chemin dʼaccomplissement. Et
son désir de ne pas avoir dʼenfant, à tel moment de son existence, peut être
confronté à un échec de la contraception. Elle seule peut évaluer alors sa décision de
poursuivre ou non une grossesse. Ce qui nʼexclut pas de se donner tout lʼéclairage
quʼil faut pour justement prendre une décision avec laquelle elle sera en profond
accord. Est-il raisonnable de parler dʼune situation de conflits de droits, puisque la vie
du foetus est aussi habitée par une finalité dʼaccomplissement, mais sur le mode de
lʼà-venir puisque le développement biologique nʼest pas complété. Si jusquʼà présent,
on a défini les droits de lʼenfant seulement à partir de la naissance, cela ne veut pas
dire que le foetus humain nʼa pas de valeur, mais avant sa naissance il dépend de sa
mère qui le nourrit, qui supporte son développement. Cʼest à elle de répondre ,
dʼexercer sa responsabilité, selon ses capacités, dans cet événement qui nʼest pas
«rien», qui a une gravité certaine, qui requiert de la réflexion et du courage.Et la
majorité des femmes qui se présentent pour une IVG le vivent ainsi.
3. Mais dans la situation complexe de lʼavortement, la responsabilité nʼappartient pas
seulement à la femme enceinte. Cʼest une responsabilité partagée. Lʼéthique ne peut
rester théorique, ni individuelle. Elle doit accompagner la politique de la santé, être
appliquée aux circonstances concrètes de lʼaménagement réglementaire, et de la
pratique de lʼIVG. Quand il est question dʼaccès à lʼavortement, et dʼaccès libre et
gratuit, selon une politique sociale des soins de santé, comme au Québec, on se
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trouve devant une organisation qui fait appel à des pratiques médicales, dans des
hôpitaux ou des cliniques, à lʼengagement de médecins ou de personnel médical. Et
bien évidemment, on parle de coûts, de budgets, de finances publiques. Les débats
récents (2006, jugement de la Cour supérieure, et loi 34, 2009) nous ont mis en face
de ces problèmes. On parle de système à deux vitesses qui existerait dans les faits...
Les cliniques privées ou publiques pour les IVG manquent de fonds (Clinique à
Sherbrooke, Dr Jacot). Mais sans décision politique...Où est la responsabilité
politique? Assurer des services adéquats à toutes les femmes qui viennent
demander une IVG, cʼest la responsabilité du gouvernement. Certes, les groupes de
femmes doivent rester aux aguets pour protéger ce qui a été acquis, au moment où
la mobilisation des femmes nʼest pas facile, et où les mouvements conservateurs ou
intégristes semblent toujours prêts. ( Guénette, Carrier...) De même que la
démocratie nʼest jamais acquise, les droits des femmes non plus... Notre
responsabilité comme femmes serait encore dans le combat...
Par contre, dʼautres se demandent: Y a-t-il trop dʼavortements? Les chiffres ne sont
pas faciles à suivre pour avoir une vue précise de la réalité. ( multiples enquêtes...)
Mais il semble, selon les études, quʼavec les jeunes, les adolescentes surtout, il y a un
problème par rapport à la contraception. Il y a un travail dʼéducation à faire, sans aucun
doute... Cela demande des fonds pour améliorer les services. Comment éduquer ces
jeunes à la responsabilité ? à la prise en charge de leur vie sexuelle, et de leur
fécondité? à la bonne utilisation des méthodes de planification des naissances? et dans
le cas dʼune décision dʼavortement à le faire le plus rapidement possible.
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