Du rhumatisme chez les enfants? Est-ce possible? Dr méd. Traudel Saurenmann, clinique pédiatrique universitaire, Zurich Que mon interlocuteur soit médecin ou profane, lorsque je dis que je m’occupe de rhumatologie des enfants, sa réaction est en général l’étonnement: «Du rhumatisme chez les enfants? Mais c’est horrible!» s’exclame-t-il. Et pourtant, cela existe. Certes, les enfants atteints de rhumatisme ne trouvent pas cela amusant. Ce n’est toutefois pas, non plus, si terrible: aujourd’hui, nous sommes en mesure de traiter efficacement la plupart des cas. Environ un ou deux enfants sur mille souffrent d’une maladie rhumatismale chronique. Heureusement pour eux, elle ne s’accompagne d’aucun signe apparent. Le rhumatisme est, chez les enfants, à peu près trois fois plus fréquent que, par exemple, le cancer, mais, naturellement, beaucoup plus rare que l’asthme ou les affections allergiques. La maladie rhumatismale la plus répandue chez les enfants est l’arthrite idiopathique juvénile (AIJ). Il en existe cependant de nombreuses autres. Ce sont parfois des maladies que l’on rencontre aussi chez les adultes, sous la même forme ou sous une forme ana-logue. C’est le cas du lupus érythémateux systémique juvénile (LES juvénile), de la dermatomyosite juvénile, de la sclérose systémique, de la granulomatose de Wegener, de la maladie de Behçet, du syndrome de Takayasu. D’aucunes apparaissent presque uniquement chez les enfants, telles certaines formes d’inflammations vasculaires: par exemple, le syndrome de Kawasaki. Toutefois, même lorsque la genèse de la maladie repose sur un mécanisme identique chez l’enfant et chez l’adulte, ce qui est loin d’être toujours le cas, ses effets diffèrent toujours du fait, d’une part, que dans un organisme encore en développement, elle peut influer sur la croissance et le processus de maturation et parce que, d’autre part, le corps d’un enfant ne réagit pas à la médication de la même manière que l’organisme adulte. C’est pourquoi la rhumatologie des enfants constitue, en dépit de ses points communs avec la rhumatologie de l’adulte, un domaine à part. Il existe une recherche spécialisée dans les maladies rhumatismales des enfants et certains congrès sont consacrés uniquement à ces affections. En Suisse, toutes les cliniques pour enfants importantes offrent une consultation spéciale ne traitant que des maladies rhumatismales. L’arthrite idiopathique juvénile Je me concentrerai, dans ce qui suit, sur l’arthrite idiopathique juvénile, naguère connue sous le nom de «polyarthrite chronique de l’enfant» ou de «arthrite chronique juvénile». Cette dernière dé-nomination était en usage en Europe, alors qu’en Amérique, la même maladie était dite «arthrite rhumatoïde juvénile» («juvenile rheumatoid arthritis»). Ces définitions différentes entraînaient des complications: il était difficile, par exemple, de comparer les résultats des recherches effectuées sur les deux continents; aussi a-t-on décidé, dans les années 1990, d’unifier et la définition et le nom de la maladie: on s’est mis d’accord sur la désignation «arthrite idiopathique juvénile», qui se décompose ainsi: arthrite signifie «inflammation des articulations»; idiopathique indique que la cause de la maladie n’est pas connue; juvénile veut dire que le sujet n’avait pas 16 ans révolus lorsque la maladie est apparue. Par souci de simplification, nous abrégerons cette dénomination en AIJ. AIJ est une désignation générale. L’équivalent, en quelque sorte, d’un immeuble abritant un certain nombre d’appartements tous différents. En effet, la forme de la maladie varie d’un enfant à l’autre. En principe, il en existe 7 formes. La plus fréquente est l’AIJ oligo-articulaire. Elle survient généralement au cours de la petit enfance et frappe beaucoup plus souvent les filles que les garçons. Durant les six premiers mois de la maladie, seules 4 articulations, au maximum, sont enflammées; ce sont généralement les genoux, plus rarement les articulations de la cheville ou du poignet (en principe, n’importe quelle articulation peut être touchée; il est rare, en revanche, qu’au moins une des articulations précitées ne le soit pas). Chez beaucoup d’enfants atteints d’AIJ, le sang contient des anticorps antinucléaires; ils sont dits AAN positifs. Ce point revêt une importance particulière du fait que si c’est le cas, l’enfant court un risque fortement accru d’être frappé, en plus de l’arthrite, d’une inflammation des yeux. Tous les enfants souffrant d’AIJ devraient régulièrement être examinés par un ophtalmologue. En cas d’AIJ oligoarticulaire, ces contrôles doivent être particulièrement fréquents. On distingue deux sous-formes d’AIJ oligo-articulaire: chez environ 60 pour cent des enfants atteints d’AIJ, l’arthrite se limite, durant toute l’enfance, à quatre articulations au maximum. On parle alors d’AIJ oligo-articulaire persistante; de tous les enfants atteints d’AIJ, c’est pour ceux de ce groupe que le pronostic est le meilleur. Chez les 40 pour cent de reste, d’autres articulations sont peu à peu impliquées: il s’agit alors d’une AIJ oligo-articulaire extensive. Parmi les diverses formes sous lesquelles se manifeste l’AIJ, la deuxième en importance est l’AIJ polyarticulaire à facteur rhumatoïde négatif. Là encore, les filles sont plus souvent que les garçons la cible de la maladie, qui peut s’installer dès la premiére enfance. Elle se reconnaît à ce que durant les 6 premiers mois de son évolution, 5 articulations ou plus sont touchées par l’arthrite. Dans la plupart des cas, il s’agit de grandes et de petites articulations et souvent on constate aussi une inflammation des gaines tendineuses. En outre, chez ces enfants également, l’analyse sanguine révèle fréquemment la présence d’AAN; ils sont, par conséquent, aussi exposés à des inflammations des yeux. Dans de nombreux cas, le taux sanguin de cellules inflammatoires est élevé; durant la phase de début et au cours des poussées de la maladie, une légère fièvre peut parfois accompagner les douleurs articulaires; l’enfant est fatigué, abattu. L’AIJ polyarticulaire à facteur rhumatoïde positif est la forme la plus rare de la maladie et constitue, en réalité, une variante particulièrement précoce de la polyarthrite rhumatoïde (PR) telle qu’elle apparaît chez l’adulte. Sa principale caractéristique est que plusieurs articulations, c’est-à-dire 5 ou plus, sont touchées et à l’analyse, on constate la présence de facteurs rhumatoïdes dans le sang. Comparativement aux autres formes d’AIJ, cette sous-forme a tendance à détruire les articulations particulièrement vite. L’AIJ systémique a longtemps été connue sous le nom de «maladie de Still». Elle constitue une forme particulière de polyarthrite, ne survenant que chez les enfants et impliquant, outre l’inflammation articulaire, des accès de forte fièvre et des atteintes organiques. Le taux de fréquence de la maladie est à peu près le même chez les garçons et les filles. L’AIJ systémique débute souvent avant que l’enfant ait atteint l’âge scolaire, mais elle peut se déclarer à n’importe quel stade de l’enfance. Sa caractéristique est la forte fièvre qu’elle provoque, avec des pointes de 40° C survenant volontiers chaque jour au même moment et se prolongeant durant quelques heures. Pour que le diagnostic de AIJ systémique puisse être envisagé, il faut que les accès de fièvre se soient répétés pendant au moins deux semaines. Durant ces accès, l’enfant se sent misérable, il est parfois secoué de frissons, ses membres sont douloureux et il a mal à la gorge. Le reste du temps, il n’a pas de fièvre et se sent presque bien. Chez la plupart de ces jeunes patients, on observe un exanthème de coloration rose pâle, qui devient nettement visible durant les accès de fièvre et dont la localisation peut très rapidement varier. Souvent, les ganglions lymphatiques enflent, le foie devient volumineux et l’on peut également constater de la splénomégalie. Il n’est pas rare que des atteintes péricardiques ou pleurales aient lieu, en général indolores, il est vrai, et que l’on ne découvre que par hasard. En cas d’inflammation particulièrement importante, une complication grave peut se produire, à savoir l’hémophagocytose ou syndrome d’activation macrophagique: les hémocytes et les tissus des viscères sont attaqués et détruits par les cellules inflammatoires. L’enfant doit parfois être soumis aux soins intensifs et si l’atteinte n’est pas découverte à temps, elle peut mettre sa vie en danger. Chez certains enfants, l’inflammation articulaire existe dès le début de la maladie, tandis que chez d’autres, il faut des semaines ou des mois, voire, dans les cas extrêmes, des années avant que l’apparition de l’arthrite ne vienne confirmer définitivement le diagnostic. Ce qui veut dire que le diagnostic précoce de l’AIJ systémique est souvent difficile à poser. Dans la plupart des cas, la maladie commence soudainement, par un accès de fièvre aigu accompagné de douleurs articulaires, de sorte qu’elle passe pour une maladie infectieuse et est soignée comme telle. Au commencement, les accès de fièvre peuvent aussi ne pas être caractéristiques et d’autres signes typiques, outre l’arthrite, peuvent également faire défaut. L’AIJ s’accompagnant d’une enthésite touche plus facilement les garçons que les filles et n’apparaît généralement pas avant l’âge scolaire. Les enfants qui en sont atteints présentent pour autre symptôme caractéristique, en plus de l’arthrite, qui n’intéresse généralement que quelques articulations, notamment celles des membres inférieurs, une inflammation douloureuse au niveau des insertions osseuses des tendons. Elle part le plus souvent du talon et en particulier du point d’insertion du tendon d’Achille, mais peut toucher de nombreuses insertions osseuses de tendons et de muscles. Cette forme d’AIJ s’apparente aux spondylarthropathies des adultes. Chez de nombreux enfants qui en sont atteints, on trouve un facteur héréditaire, l’antigène HLA-B27. Les cas s’accumulent souvent dans une même famille; la maladie frappe les garçons non seulement plus souvent, mais aussi plus gravement que les filles. Elle peut évoluer vers une spondylarthropathie avec atteintes des vertèbres thoraciques et lombaires, ainsi que des articulations sacro-iliaques. Il n’est pas possible de prévoir une telle évolution, mais elle est plus probable si l’on compte des cas de spondylarthropathie dans la famille de l’enfant. Les infections, et en particulier les entérites, peuvent favoriser l’apparition d’une AIJ associée à une enthésite. Les enfants qui sont affectés de cette forme d’AIJ risquent aussi une inflammation des yeux, mais celle-ci est, en général, très douloureuse et les yeux deviennent rouges, de sorte qu’elle ne peut guère passer inaperçue. Il est encore une autre forme d’AIJ: l'arthrite psoriasique juvénile, qui survient chez les enfants atteints de psoriasis. Le psoriasis est une affection de la peau, évoluant aussi par poussées, caractérisée par une éruption squameuse. L’arthrite apparaît parfois avant que les symptômes du psoriasis ne se soient manifestés. Un cas de psoriasis dans la parenté de l’enfant ou l’inflammation caractéristique des articulations peuvent constituer un indice permettant de soupçonner l’arthrite psoriasique juvénile. Le risque d’inflammation des yeux est aussi accru, chez les enfants frappés par cette affection, lorsqu’ils sont AAN positifs. Enfin, l’expression «AIJ diverses» regroupe tous les cas ne relevant d’aucune des formes décrites ici ou présentant des caractéristiques de deux formes différentes. Ceci permet, par exemple dans les études cliniques, une différenciation claire des diverses formes. Une lecture attentive de la description de ces diverses formes d’AIJ permet de constater que seul un pourcentage infime d’enfants, à savoir moins de 5 pour cent, présentent une arthrite correspondant à peu près à la polyarthrite rhumatoïde (PR) chez l’adulte. L’arthrite psoriasique juvénile et l’AIJ associée à une entésite ont, il est vrai, chacune leur pendant chez les adultes, mais l’évolution de la maladie est toute différente chez l’enfant de ce qu’elle est chez l’adulte. L’AIJ et la PR ne sont donc pas comparables. Ce point doit être souligné: en effet, j’entends régulièrement des parents de mes jeunes patients me dire que sitôt qu’ils parlent de l’arthrite de leur enfant, ils sont submergés de conseils bienveillants. Or les traitements et les régimes suivis par les polyarthritiques, ou les expériences qu’ils ont faites ne sont d’aucune utilité pour les enfants. Certains de ces traitements, et en particulier aussi certains régimes peuvent même leur être nuisibles, car leur organisme se trouve encore en phase de croissance et leurs organes n’ont pas encore atteint leur maturité. A quoi reconnaît-on qu’un enfant est atteint d’arthrite? Il importe tout d’abord de savoir que toute arthrite n’a pas, chez l’enfant, un caractère rhumatismal. Un nombre relativement élevé d’enfants ont, un jour ou l’autre, une arthrite passagère, disparaissant en quelques jours, à l’occasion d’une maladie infectieuse. Il s’agit d’une manifestation transitoire, de ce que l’on appelle une affection concomitante. La plus fréquente des arthrites de cette catégorie est la coxite transitoire, parfois dite «rhume de la hanche». Mais lorsqu’un enfant n’a qu’une seule hanche enflammée et que cette inflammation s’accompagne de fièvre, il est capital de penser à une éventuelle arthrite purulente laquelle nécessiterait un transfert immédiat à l’hôpital pour un traitement aux antibiotiques. Les autres formes d’arthrite étant relativement fréquentes chez les enfants, on ne parle d’AIJ que si l’inflammation articulaire se prolonge pendant 6 semaines et plus. Chez certains enfants, l’arthrite apparaît d’un coup: ils se réveillent un matin avec, par exemple, un genou enflé; souvent, ils ne tiennent qu’à peine sur la jambe atteinte et éprouvent de fortes douleurs. Dans ces cas, on multiplie les examens et généralement, on prélève aussi un peu de liquide de l’articulation malade, afin de l’analyser pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une arthrite purulente. Si, au bout de quelques jours, il est établi que l’inflammation ne présente pas de danger et qu’elle n’a pas été provoquée par une quelconque lésion ou toute autre cause non apparente, on instaure un traitement médicamenteux à effet antiphlogistique et analgésique. Pour les parents, l’attente de 4 à 6 semaines avant de savoir si l’arthrite va disparaître d’elle-même ou si le diagnostic d’AIJ sera posé constitue une pénible épreuve de patience. En effet, aucune analyse sanguine ne permet de déterminer si l’enfant souffre de rhumatisme ou simplement d’une arthrite passagère. Chez d’autres enfants, l’AIJ débute sournoisement. Les parents constatent que leur enfant ne parvient plus, par exemple, à sortir seul de son lit le matin, qu’il refuse de courir ou que sa démarche est bizarre, raide. Ces symptômes disparaissent en quelques heures, après quoi l’enfant joue tout à fait normalement, court et saute, et ce n’est que le soir, ou après une longue marche, qu’il se remettra peut-être à boiter. La claudication n’est parfois pas très apparente, notamment lorsque les deux jambes sont atteintes d’arthrite. Souvent, il est difficile aux parents de discerner si leur enfant prend une allure étrange parce que chez lui, quelque chose ne va pas, ou s’il s’agit simplement d’une nouvelle petite manie passagère, ou que c’est par caprice qu’il demande à chaque instant d’être porté. Or l’arthrite est néanmoins plus facile à déceler, généralement, lorsqu’elle est localisée dans les jambes que lorsqu’elle frappe les articulations des bras, les mâchoires ou le rachis cervical. Les parents se demandent en général s’ils ont fait mal à leur jeune enfant par inadvertance, ou s’il est tombé sans qu’ils s’en aperçoivent. Les enfants plus grands pensent souvent, eux aussi, s’être blessés lorsqu’ils découvrent qu’ils ont une articulation enflammée et ce n’est qu’au bout d’un certain temps, en voyant que le gonflement ne diminue pas, ou en sentant que les douleurs augmentent, qu’ils en parlent à leurs parents. Le gonflement des articulations peut, dans certains cas, être si minime qu’il ne se remarque pas vraiment. Il peut alors arriver que les articulations s’ankylosent peu à peu sans que ni l’enfant, ni ses parents ne se rendent compte qu’il se passe quelque chose d’insolite. L’importance des douleurs et de l’enflure peut varier beaucoup d’un enfant à l’autre et il est faux de penser qu’une articulation très enflée est plus douloureuse que celle qui l’est à peine. Il est des enfants qui continuent à faire du sport et que rein n’arrête dans leurs activités physiques habituelles, en dépit de genoux très enflammés, alors que d’autres, que la douleur empêche de se tenir debout, ont des articulations si peu enflées qu’il faut y regarder de très près pour le voir. La chaleur excessive est un bon signe d’inflammation d’une articulation. En passant la main sur une articulation enflammée, on constate très souvent qu’elle dégage nettement plus de chaleur que l’articulation homologue non enflammée. La diminution de la mobilité des articulations est un autre signe fiable d’inflammation, en particulier lorsque la dernière phase de la flexion ou de l’extension est douloureuse. Il ne faut donc pas penser à du rhuma-tisme, chez un enfant, au moindre gonflement d’une articulation, à la moindre douleur articulaire ou à la moindre claudication. Si ces manifestations se pro-longent au-delà de 3 à 4 semaines, en revanche, ou lorsqu’une blessure légère subie en faisant du sport, n’est pas guérie au bout de 6 à 8 semaines, il faut se demander si l’on n’est pas en présence d’une AIJ. Le traitement de l’AIJ De l’importance de soigner l’AIJ Le traitement s’impose du seul fait, déjà, que l’arthrite des enfants est, dans la grande majorité des cas, douloureuse et réduit la mobilité des articulations. Il est vrai que beaucoup d’enfants ne se plaignent pas constamment d’avoir mal. Les enfants ont en effet une incroyable faculté d’adaptation et trouvent des moyens d’échapper à la douleur. Mais leurs boitillements, leurs mouvements d’esquive et leur mobilité articulaire réduite dénotent bien des douleurs. Souvent aussi, ils sont d’humeur maussade, pleurnichent davantage que d’ordinaire. Il s’agit donc d’agir sur la douleur, de manière à ce que les articulations retrouvent une fonction normale, que les jambes supportent à nouveau le poids du corps et que l’enfant ne s’habitue pas à de mauvaises positions et à des mouvements faussés. Mais même chez les enfants qui n’ont ni douleurs ni perte de mobilité articulaire, il est absolument indispensable de soigner l’arthrite, car si l’inflammation persiste pendant un certain temps, le cartilage est endommagé et prématurément usé. Or un tel dommage est irréversible, même si l’on parvient, par la suite, à faire disparaître complètement l’arthrite. Le cartilage articulaire recouvre l’os et le protège de sa couche élastique là où deux os entrent en contact et frottent l’un contre l’autre suivant les mouvements articulaires. Il s’use petit à petit au cours de la vie, selon l’activité corporelle et les prédispositions de chaque être humain. La destruction de la couche cartilagineuse entraîne l’arthrose, qui est très douloureuse. Elle est la principale cause d’interventions chirurgicales visant à poser une prothèse articulaire. Chez un enfant dont l’arthrite n’a pas été soignée, l’arthrose peut atteindre très tôt, parfois dès l’adolescence ou le début de l’âge adulte, un degré tel qu’une prothèse articulaire devient indispensable. Une arthrite tenace peut en outre causer des troubles de la croissance. Le plus souvent, elle accélère la croissance ou la maturation de l’os dans les zones de croissance voisines de l’articulation enflammée. Des modifications de la tension et de la charge musculaires, produites, par exemple, par la claudication, peuvent donner lieu à une croissance asymétrique conduisant à des distorsions articulaires. Celles-ci peuvent à leur tour influer sur les articulations voisines ou sur la colonne vertébrale et entraîner également des distorsions dans des articulations exemptes d’inflammation. Parfois aussi, la croissance s’arrête prématurément en raison de l’accélération du processus de maturation des os, en cas d’inflammation articulaire, ou subit un retard général, si une très forte inflammation affecte l’ensemble du corps. Compte tenu de ces divers troubles possibles, il convient de traiter l’arthrite, chez les enfants, même lorsqu’ils ne ressentent que peu de douleurs. Afin d’éviter des dommages ultérieurs et pour que l’enfant puisse croître et se développer normalement, il faut soigner l’AIJ avec vigilance, de manière à ce que plus aucune trace d’arthrite n’apparaisse, même au cours d’un examen approfondi. Cette disparition totale de tout signe de la maladie s’appelle une rémission. Naturellement, les parents sont effrayés à l’idée que leur enfant devra prendre des médicaments pendant longtemps, peutêtre durant des mois et des années. Beaucoup craignent davantage les effets secondaires de ces médicaments que les dégâts provoqués par l’arthrite. Cependant on a acquis, dans le monde entier, une telle expérience de ce genre de traitements que l’on sait exactement quels sont les produits les plus indiqués et les doses optimales pour les enfants, avec quels effets secondaires il faut, le cas échéant, compter et comment s’en apercevoir à temps. Dans l’ensemble, la plupart des médicaments que nous prescrivons sont mieux supportés par les enfants que par les adultes. Comme, en rhumatologie, nous attachons une importance particulière à la sécurité lorsqu’il s’agit d’administrer un médicament à des enfants, les nouveaux produits sont introduits moins rapidement sur le marché en rhumatologie des enfants qu’en rhumatologie des adultes. D’ailleurs, les médicaments sont toujours testés en premier lieu chez les adultes. En même temps, nous nous efforçons, par le biais de congrès et grâce à la collaboration et aux échanges internationaux, de nous tenir constamment au courant des dernières innovations, dont nous pouvons ainsi faire bénéficier nos patients dans les plus brefs délais. C’est à cette fin, notamment, que nous participons régulièrement à des études concernant les nouveaux produits pharmaceutiques. Qu’en est-il des médecines alternatives? Les parents de nos jeunes patients nous demandent souvent s’il n’est pas possible de soigner une AIJ par des méthodes relevant de la médecine alternative. Je leur donne toujours la même réponse: je ne connais aucune étude concernant la manière dont les enfants arthritiques réagissent aux méthodes de traitement de la médecine alternative, à un régime particulier ou aux compléments alimentaires. Les rares travaux cliniques effectués dans ce domaine portent tous sur des patients adultes. Demandez à votre pra-ticien utilisant ces méthodes combien d’enfants atteints d’arthrite il a eu l’occasion de traiter. En général, il n’y a aucune objection à faire au fait de recourir à certaines méthodes de la médecine alternative en tant que traitement complémentaire, servant de thérapeutique d’appoint. Mais je déconseille toujours de les substituer à celles de la médecine académique. Les cas dans lesquels elles parviennent à elles seules à faire disparaître l’arthrite sont des plus rares. Ajourner un traitement conventionnel pour essayer tout d’abord une méthode procédant d’une médecine alternative augmente le risque de séquelles dans les articulations enflammées. Quant aux régimes, ils devraient, en principe, lorsqu’on a affaire à des enfants, être suivis sous le contrôle d’un diététicien, si l’on veut être sûr qu’ils contiennent toutes les substances nécessaires à la croissance et au développement de ceux-ci. Il a été prouvé que chez l’adulte, des doses élevées d’acides gras oméga 3, ainsi que de vitamines E et C, pouvaient avoir un effet anti-inflammatoire. On trouve des acides gras oméga 3 dans le poisson de mer, mais si l’on ne désire pas manger tous les jours du poisson, on peut aussi recourir aux gélules: les grands distributeurs tels que Migros ou Spar vendent, outre des préparations vitaminées, des gélules d’huile de poisson contenant des quantités contrôlées d’acides gras oméga 3. Ces compléments alimentaires assurant un certain apport en acides gras oméga 3 et éventuellement en vitamines E et C peuvent être recommandés en tant qu’adjuvants. Médicaments utilisés dans le traitement de l’AIJ Le premier groupe de médicaments auxquels on recourt, sitôt posé le diagnostic d’AIJ, est celui des antirhumatismaux non stéroïdiens (ARNS). Il comprend l’aspirine, le Voltarène, le Proxène, le Brufen, l’Indocid et bien d’autres produits encore. L’aspirine a été considérée des années durant comme un médicament de premier choix pour combattre le rhumatisme des enfants, mais elle n’est désormais plus guère utilisée à cette fin, à cause de ses effets secondaires trop fréquents. Tous les autres médicaments énumérés sont administrés à des enfants; la plupart peuvent être obtenus sous forme de gouttes ou de sirop pour enfants. Pour les parents, il est important de savoir que la dose que nous prescrivons pour arrêter l’inflammation chez un enfant atteint de rhumatisme est généralement plus élevée que celle qui est recommandée sur la notice de conditionnement. Il est essentiel que la posologie soit suffisamment élevée, faute de quoi l’effet est simplement analgésique, mais non antiphlogistique. Les parents qui hésitent et s’inquiètent de certaines contradictions concernant la posologie ont avantage à reprendre contact avec le rhumatologue qui suit leur enfant, plutôt que de réduire les doses de leur propre initiative. Si l’arthrite, grâce au médicament, disparaît entièrement, on réduira les doses et vérifiera qu’elle ne réapparaîsse pas. Dans la grande majorité des cas, les produits de cette classe de médicaments améliorent la situation mais ne donnent pas entièrement satisfaction. Au bout de 1 à 2 mois de traitement aux ARNS, et même plus tôt si l’enfant présente une arthrite particulièrement forte ou d’une durée déjà prolongée, il faudra se décider à prendre d’autres mesures. Si une seule ou peu d’articulations sont touchées, on peut injecter des stéroïdes directement dans l’articulation enflammée. On utilisera un produit à base de cortisone. L’effet local ainsi obtenu sera considérable tout en évitant les effets secondaires bien connus, et toujours redoutés, des comprimés de cortisone. L’effet est très rapide. Les parents déclarent en général que l’enfant se portait sensiblement mieux dès le lendemain du traitement. Suivant l’articulation en cause, l’injection agit pour une durée de 4 à 6 mois; elle devra peut-être, ce délai écoulé, être renouvelée. Chez un grand nombre d’enfants traités par ce moyen, l’arthrite ne réapparaît pas durant une période nettement plus longue, parfois durant plusieurs années. Une étude, réalisée avec des patients adultes, ayant démontré que l’effet d’une injection de stéroïdes durait plus longtemps si l’articulation enflammée était immobilisée après l’injection, nous recommandons aux parents de laisser le bandage en place durant 24 heures et d’éviter autant que possible toute activité corporelle de l’enfant pendant ce même temps. Lorsqu’un grand nombre d’articulations sont enflammées, c’est-à-dire plus de quatre, comme c’est généralement le cas, on choisit de recourir à un traitement au Methotrexat. C’est le produit le plus utilisé, dans le monde entier, en tant que médicament dit «de base» dans le traitement de l’AIJ. Il est connu depuis plusieurs décennies – et a été administré en oncologie à des doses 100 fois supérieures à celles que nous utilisons pour le traitement de l’arthrite. On sait donc très exactement à quels effets secondaires éventuels il faut s’attendre. Dans la grande majorité des cas, le Methotrexat a une action remarquable sur l’arthrite et chez 60 à 75 pour cent des enfants traités par ce moyen, il permet, administré en tant que médication unique, de faire disparaître complètement tous les symptômes de la maladie. Une seule dose hebdomadaire suffit. L’administration simultanée d’une vitamine, à savoir l’acide folique, permet d’atténuer les effets secondaires, dont les plus fréquents que ressentent les enfants sont de légères nausées ou un peu d’anorexie, généralement le jour suivant l’administration du médicament. Ils se manifestent dans environ un tiers des cas et doivent absolument être pris au sérieux et combattus par les parents de l’enfant et par son médecin traitant, car les nausées ont tendance à augmenter avec le temps. D’autres effets secondaires possibles du Methotrexat concernent l’hématopoïèse et le foie. C’est pourquoi, durant le traitement, un prélèvement de sang aux fins de contrôles est nécessaire environ toutes les 6 semaines. Il est néanmoins très rare que le traitement doive être interrompu en raison de mauvais résultats des analyses sanguines. Un désavantage du Methotrexat est que toutes les personnes ne l’assimilent pas aussi bien les unes que les autres. Il arrive par conséquent qu’il agisse moins bien lorsqu’il est administré par voie orale plutôt que par voie parentérale. Il n’est malheureusement pas possible de savoir quels patients ne sont pas à même de l’assimiler de façon satisfaisante s’il leur est administré sous forme de comprimés. Du fait que l’action du médicament n’apparaît qu’au bout d’un très long délai, en général de 2 à 3 mois, il est parfois indispensable, en cas d’arthrite sévère, ou lorsqu’on souhaite obtenir un effet rapide, de commencer par administrer le Methotrexat en injections sous-cutanées, comme l’insuline chez les diabétiques. Les parents des enfants soignés de cette manière et aussi ces enfants eux-mêmes peuvent apprendre à faire ces injections, ce qui évite de devoir se rendre chaque semaine chez le médecin. Normalement, le Methotrexat déploie son plein effet au bout de 6 mois de traitement. On s’efforce de ne donner que le plus rarement possible des comprimés de cortisone à des enfants et s’il faut s’y résoudre, on veille à écourter le plus possible le traitement. Grâce aux nombreux médi-caments efficaces dont on dispose aujourd’hui, nous ne sommes qu’exceptionnellement obligés d’utiliser ce moyen, par exemple pour des enfants chez qui l’arthrite est particulièrement active, en cas d’AIJ systémique ou lors de forte fièvre. Les effets secondaires de la cortisone sont des retards de croissance, des troubles de la calcification des os, un accroissement de l’appétit provoquant une augmentation pondérale, ainsi que des joues rondes et rouges, et une augmentation de la tension artérielle. Les effets secondaires disparaissent lorsqu’on arrête le traitement. La cortisone constitue, il faut le dire, une thérapeutique très efficace et rapide pour les cas où l’inflammation menace de causer de gros dégâts. Pour les enfants chez qui le Methotrexat n’a pas permis d’enrayer complètement l’arthrite, il convient de le combiner soit à un autre médicament de base, soit à l’un des nouveaux médicaments biologiques tels l’Enbrel® ou le Remicade®, qui sont des inhibiteurs du TNFa. Depuis l’introduction de ces produits, voici environ 8 ans, pour le traitement de l’arthrite chez les enfants, il est extrêmement rare de rencontrer un cas dans lequel l’AIJ ne peut pas être entièrement contrôlée. Pronostic de l’AIJ Le pronostic de l’AIJ varie d’un enfant à l’autre et d’une forme de la maladie à une autre. Les enfants qui présentent une AIJ oligo-articulaire sont ceux pour qui il est, dans l’ensemble, le meilleur en ce qui concerne les articulations, mais il ne les met pas à l’abri d’une inflammation des yeux, sur laquelle je reviendrai plus loin. De façon générale, on peut dire que plus il y a d’articulations touchées et plus l’inflammation se prolonge, plus le risque de voir se produire des dégâts articulaires est grand. Il est des enfants chez qui l’arthrite constitue un épisode de quelques mois, voire de 1 à 2 ans, puis disparaît pour plusieurs années sans laisser de traces. Chez d’autres, les épisodes se succèdent, plus ou moins longs, les douleurs disparaissant totalement dans l’intervalle. Un troisième groupe ne connaît jamais aucun intervalle sans douleurs: ces enfants doivent prendre constamment des médicaments, afin que l’arthrite ne se ravive pas. C’est pourquoi il est impossible, au début d’un traitement, d’en prévoir la durée. Mais comme on sait que dans bien des cas l’arthrite disparaît, on essaie toujours, une fois que tous les symptômes de la maladie ont disparu, d’arrêter le traitement, afin de savoir s’il est toujours nécessaire. L’administration de Methotrexat interrompue, le risque de voir réap-paraître l’arthrite au bout de quelques mois est d’environ 50 pour cent. De récentes études effectuées sur une longue durée nous ont appris que parvenus à l’âge adulte, environ 60 pour cent des patients souffrent toujours de douleurs arthritiques. Il faut savoir aussi que chez un même patient, l’arthrite n’est jamais deux jours de suite pareille. Il y a toujours de bons et de mauvais jours, sauf rémission complète de la maladie. Lorsqu’on soigne un enfant atteint d’AIJ, le but est de faire disparaître entièrement l’arthrite. C’est en effet le seul moyen de s’assurer qu’il n’y aura pas de dégâts articulaires et que l’enfant pourra grandir et se développer normalement. L’uvéite L’uvéite est une inflammation de la partie interne de l’oeil. On en distingue plusieurs formes, sur lesquelles je ne m’attarderai pas ici. A l’instar de l’arthrite, l’uvéite des enfants présente quelques particularités comparativement à celle des adultes. Elle est rare chez les enfants et quelque 60 pour cent de ceux qui en sont atteints souffrent d’AIJ. Inversement, environ 15 pour cent des enfants frappés d’AIJ développent une uvéite. Le risque d’en contracter une varie suivant la for-me d’AIJ. Il est pratiquement nul en cas d’AIJ systémique ou d’AIJ polyarticulaire à facteur rhumatoïde positif. En revanche, les enfants atteints d’AIJ oligo-articulaire, ceux qui sont AAN positifs (cf. précédemment), ceux qui présentent une AIJ précoce et ceux qui en sont à leurs 4 premières années d’arthrite sont très fortement exposés à être frappés d’uvéite. Le principal problème est que l’inflammation de l’œil débute de façon si insidieuse que ni l’enfant ni ses parents ne s’en aperçoivent. Seul l’ophtalmologue peut découvrir, à l’aide de sa lampe oculaire, les cellules inflammatoires ou les protéines en suspension dans l’humeur aqueuse. C’est pourquoi tous les enfants atteints d’AIJ doivent être régulièrement examinés par un ophtalmologue, et à plus forte raison lorsque le risque d’uvéite est particulièrement marqué. Parfois, l’uvéite se manifeste même avant l’arthrite. Il arrive aussi que les premières complications liées à l’inflammation de l’œil passent tout d’abord inaperçues. Une inflammation prolongée peut entraîner des adhérences entre l’iris et le cristallin; la pupille n’est plus alors parfaitement ronde. Si l’inflammation progresse, elle peut provoquer une cataracte, voire un glaucome, nécessitant une intervention chirurgicale, et dans les cas grave, l’acuité visuelle est parfois compromise, la perte visuelle pouvant aller jusqu’à la cécité. Pour que ces complications puissent être évitées, il faut que l’inflammation de l’œil soit décelée le plus tôt possible et méticuleusement soignée. En général, l’ophtalmologue prescrit tout d’abord divers collyres et pommades; parfois, des injections dans la région de l’œil sont nécessaires. Si le traitement local ne suffit pas, on recourt à des médicaments destinés à être véhiculés jusqu’à l’œil par le sang. Un traitement de ce genre devrait de préférence être confié à un ophtalmologue spécialisé dans le traitement des affections oculaires inflammatoires, qui travaillera en collaboration avec un pédiatre, si possible spécialiste, lui, en rhumatologie des enfants. L’inflammation des yeux nécessite parfois l’administration de cortisone, sous forme de comprimés, l’action antiphlogistique devant être obtenue dans le plus bref délai. On prescrira simultanément des médicaments à action plus lente, pour pouvoir renoncer le plus vite possible à la cortisone. Depuis quelques années, on opte généralement pour le Methotrexat ou le Sandimmun. Dans certains cas d’inflammation légère, le traitement local suffit. Dans d’autres, l’uvéite est beaucoup plus difficile à traiter que l’arthrite. Ces dernières années, on a pris l’habitude de soigner les uvéites particulièrement sévères au moyen d’inhibiteurs du TNFa tels l’Enbrel® et le Re-micade®. Souvent, en effet, on a obtenu ainsi d’excellents résultats, surtout au moyen du Remicade®, de sorte que beaucoup d’enfants présentant des uvéites graves sont désormais traités par ce moyen. Il en va de l’uvéite comme de l’arthrite: il est important de ne pas se contenter d’une réduction partielle de l’inflammation. Dans l’œil comme dans les articulations, une inflammation qui couve entraîne tôt ou tard des complications irrémédiables. J’espère avoir réussi à vous donner un aperçu du domaine passionnant et varié que constitue la rhumatologie des enfants. Au cours de toutes les années déjà passées à m’occuper d’enfants atteints de rhumatisme, j’ai pu me rendre compte que la classification des diverses formes d’AIJ était très utile; mais, en dépit de tout, l’arthrite de chaque enfant diffère de celles des autres et la maladie varie aussi d’une famille à l’autre; elle varie même, chez un même sujet suivant l’âge de celui-ci et la période de sa vie qu’il traverse. Les nouveaux médicaments et l’intensification de la collaboration internationale en matière de recherche ont fondamentalement transformé, au cours de ces dernières années, le pronostic des maladies rhumatismales des enfants: nous ne sommes plus aux prises avec des handicaps divers, mais grâce à des médicaments mis aux points avec subtilité, nous bâillonnons la maladie et l’empêchons de causer des dégâts. Il faudra toutefois encore beaucoup de travail jusqu’à ce que tout le monde sache que les maladies rhumatismales frappent aussi les enfants, mais que l’on parvient à bien les soigner et qu’il faut absolument les soigner. Oui, le rhumatisme existe bel et bien chez les enfants. Et ce n’est pas un jeu d’enfant, mais ce n’est pas non plus si terrifiant.