de 1929 ", traduit chez Payot): son premier livre (1938) est un plaidoyer en faveur de la réglementation de l'économie.
Pendant la guerre, il a la responsabilité de l'Office des prix et du rationnement. Il fut ensuite professeur à Princeton, puis à
Harvard. Proche de Kennedy, ce dernier fit de lui son ambassadeur en Inde, parce que Galbraith avait été un des premiers
à enseigner l'économie du développement (dès 1951) . Dans un texte récent publié dans la revue " Afrique 2000 ", il
procède à une intéressante autocritique des thèses auxquelles il adhérait alors en matière de développement. Lors de sa
nomination comme ambassadeur, il était en train d'achever son livre majeur, " Le nouvel Etat industriel ". Il écrit
plaisamment à ce propos: " J'étais tracassé à l'idée que le monde était en train d'échanger un auteur irremplaçable contre
un diplomate de modèle bien plus répandu. " Irremplaçable ? Bien que peu modeste, Galbraith a raison: dans le monde
universitaire américain, il est un des rares à avoir clairement choisi son camp: celui de la social-démocratie. A 87 ans, il
vient de publier son trentième livre. Il y écrit: " Aucune mesure fondamentale pour atténuer la pauvreté ou améliorer les
conditions de vie (...) n'est possible sans action de l'Etat, même s'il existe des arguments (...) pour prouver le contraire. Ces
arguments ne visent pas à faire avancer les choses, mais à épargner aux actuels privilégiés mauvaise conscience et
désagréables dépenses. " Toujours une langue et une plume acérées, ce Galbraith.
On voit donc le lien étroit que Galbraith établit entre technologie, planification et manipulation. Le système industriel a besoin
de consommateurs soumis et, en échange, il peut continuer à mettre au point des objets ou des services de plus en plus
complexes: " Un esprit libre peut détester cette évolution. Mais c'est à la cause qu'il doit s'en prendre. Il ne doit pas demander
que l'avion à réaction, les centrales nucléaires, ni même l'automobile moderne à son échelle actuelle sortent de firmes qui
s'accommodent de prix fluctuants et d'une demande organisée. Il doit demander qu'on n'en produise pas. " Les firmes
décident, en fonction de leurs critères propres, de ce qu'il convient de produire.
Leurs critères? Comme toute organisation, la technostructure a pour finalité de " persévérer dans l'être ", c'est-à-dire de se
maintenir, de prospérer et de se développer. Elle y parvient au prix de deux conditions. La première consiste à assurer aux
actionnaires des revenus suffisants pour qu'ils ne soient pas tentés de reprendre le pouvoir. Il s'agit, au fond, d'acheter leur
passivité. Le profit n'est pas le but, mais le moyen grâce auquel l'entreprise se procure les fonds dont elle a besoin pour son
expansion et les revenus nécessaires pour dédommager le capital. Le vrai but du système industriel c'est le développement
de la technostructure: la possibilité, pour chacun de ses membres, de poursuivre une carrière avec des revenus, des
pouvoirs et une considération sociale accrus. C'est pourquoi la technostructure vise avant tout la croissance économique.
A côté de l'organisation industrielle, Galbraith souligne - dans La science économique et l'intérêt général (5) - qu'il existe un
ensemble beaucoup plus important d'entreprises, de taille petite ou modeste, soumises aux lois du marché. Elles ne
contrôlent pas leurs prix et dépendent d'une demande qu'elles ne maîtrisent pas. Dans l'ensemble, les revenus, les salaires
et le pouvoir de ces entreprises sont bien moindres. S'instaure ainsi une inégalité structurelle au sein du système productif.
Pis: la technostructure se soucie comme d'une guigne du sort de ceux qui, faute de compétences, de formation ou de
chance, ne parviennent pas à se faufiler au sein des organisations complexes qui dominent la société et la modèlent.
Dans une analyse plus récente (6), Galbraith avance que " notre économie a besoin de pauvres pour faire les travaux que
les mieux lotis ne font pas et qui, manifestement, leur paraîtraient désagréables ". Pour les nantis - les membres de la
technostructure, mais aussi les détenteurs du capital qui, s'ils n'ont plus le pouvoir, ont encore le patrimoine - quoi de plus
agréable que de se dire que l'on doit sa réussite à son intelligence ou à ses dons, et quoi de plus rassurant que d'attribuer la
pauvreté ou l'exclusion des autres à leurs propres tares?
Ce n'est pas la seule conséquence négative du système industriel. On déploie des trésors d'imagination pour vous
convaincre de changer votre voiture tandis que certains sont sans logis, que l'air devient irrespirable et que les écoles sont
démunies de moyens. Dans L'ère de l'opulence, Galbraith analyse longuement ce divorce choquant qui fait passer le
superflu avant le nécessaire. Il y voyait alors l'indice de la toute-puissance du système industriel. Dans ses derniers écrits, il
y voit davantage l'influence des groupes sociaux favorisés qui craignent comme la peste les impôts, puisqu'ils financent des
dépenses dont ils ne sont pas bénéficiaires ou pas les seuls. La seule exception à cette réticence à payer concerne les
dépenses militaires, puisqu'elles se traduisent par des commandes de joujoux technologiques toujours plus complexes que le
système industriel souhaite continuer à fabriquer.
Sans doute, cette analyse n'est-elle pas sans défaut. Galbraith prête à la technostructure - un concept qui, finalement, ne se
sera pas imposé - un pouvoir excessif. Les années 80 ont vu la revanche des propriétaires et des actionnaires: aux
Etats-Unis au moins, on ne compte plus les dirigeants salariés qui ont été remerciés ou délogés par des raiders pour n'avoir
pas réussi à maximiser les profits. Les consommateurs ne sont vraisemblablement pas aussi malléables et influençables que
notre auteur le pense, les firmes n'ont pas forcément cette capacité persuasive qu'il leur attribue. En mettant en avant le
souci de planification des grandes entreprises et l'effacement relatif du profit comme mobile dominant, Galbraith a conclu,
sans doute un peu vite, à une forme de " socialisme rampant ": " L'entreprise moderne n'est plus subordonnée au marché;
ceux qui la dirigent ne doivent plus leur autorité à la propriété privée. (...) Pour les tâches d'une grande complexité technique
le système industriel se confond avec l'Etat. " Là encore, la montée du libéralisme, l'effondrement du socialisme réel, la crise
des organisations publiques apportent un démenti à ces appréciations à l'emporte-pièce.
Tout cela, cependant, ne doit pas masquer l'essentiel: à savoir la dénonciation d'une science économique coupée du réel,
privilégiant des abstractions dont la finalité ultime est souvent de justifier ce qui existe et d'empêcher que le doute, la critique
Galbraith et la technostructure. par Denis CLERC - issu de n°135 Mars...
http://www.alternatives-economiques.fr/print_article2.php?lg=fr&id_p...
2 sur 3 14/09/2009 08:26