dens in dente - Dental Tribune International

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Iroots _ dens in dente
Cas clinique : stratégie
thérapeutique d’une dens in dente
Auteur _ Dr Julien Thomas & Dr Stéphane Simon, France
_Rappels anatomiques
Fig. 2
Fig. 1
Fig. 1_La dent 23 présente une
dyschromie et un découvrement
radiculaire. Sa pointe cuspidienne
est obturée par une
restauration composite.
Fig. 2_Radiographie
rétroalvéolaire préopératoire.
Figs. 3–6_Coupes Cone Beam –
CT permettant d’apprécier la position
de la dens in dente et sa nature
structurelle par rapport aux tissus
dentaires de la dent hôte.
_Introduction
La prise en charge endodontique d’une dent présentant une anomalie de formation embryologique est
perturbante pour le chirurgien-dentiste. La rareté et la
complexité impliquent une approche au cas par cas,
grâce à des connaissances anatomiques et embryologiques indispensables à la réalisation d’un bon diagnostic dans un premier temps, puis d’une gestion
opératoire adaptée dans un second.
Nous proposons dans la présentation de ce cas
clinique, le traitement d’une dent présentant une
invagination, aussi appelée dens in dente. La particularité de cette situation réside dans le fait que les
deux entités ont des structures particulièrement bien
discernables, permettant notamment de comprendre
l’étiologie de la pathologie qui a conduit la patiente
à consulter.
Fig. 3
14 I
Fig. 4
Le magazine
3_2015
Fig. 5
La dens in dente ou dens invaginatus est
une anomalie de développement embryonnaire de l’organe dentaire, causée par une
invagination de l’émail au sein de la papille
dentaire avant minéralisation. Elle demeure
rare et intéresse surtout les incisives et canines maxillaires. Sa prévalence rapportée
par les études est de 1,3 %,1 2,95 %2 voire
6,8 % ;3 l’incisive latérale maxillaire est concernée dans la majorité des cas. Oehlers en a
fait une classification dès 1957 :4 classification qui porte dorénavant son nom. Le type I
se décrit comme une invagination de l’émail
restant localisée dans la couronne dentaire
(cas le plus fréquent).1 Dans le type II, l’invagination
descend sous le niveau amélo-cémentaire (entraînant
une communication entre le tissu pulpaire et l’environnement oral). Dans le type III, cette invagination communique directement avec les tissus parodontaux, soit
au niveau latéral (IIIa), soit au niveau apical (IIIb).
_Présentation du cas clinique
La patiente, âgée de 37 ans et en bon état de santé
générale, consulte aux urgences dentaires suite à des
épisodes douloureux, de type allodynie mécanique,
présents depuis 2–3 ans sur la dent 23. Un traitement
antalgique et antibiotique lui est alors prescrit. Lors de
la consultation endodontique, quelques semaines plus
tard, la patiente ne souffre plus. L’examen clinique ne
révèle pas d’anomalies parodontales. Les tests de percussion et de palpation sont normaux, et la dent répond
positivement au test de sensibilité au froid. Les mêmes
Fig. 6
roots _ dens in dente
Fig. 7
résultats sont obtenus sur les dents voisines. La dent
présente une restauration au composite sur sa pointe
cuspidienne. La taille de la couronne est augmentée
dans le sens vestibulo-lingual et est symétrique à la canine contro-latérale sur le versant palatin. Les autres
dents du groupe incisivo-canin de la patiente, ne présentent pas d’anomalies embryologiques telles qu’une
invagination ou un sillon cingulaire plongeant du coté
palatin de la racine, sous la forme d’une gouttière plus
ou moins marquée (Fig. 1). On observe également une
dyschromie jaunâtre, ainsi qu’une récession tissulaire
marginale vestibulaire dévoilant la dentine radiculaire
sur 2 mm.
Sur la radiographie panoramique, prise le jour de sa
consultation aux urgences, on remarque la présence
d’une lésion radio-claire arrondie, centimétrique, aux
contours bien délimités, intéressant la paroi radiculaire
externe mésiale du tiers apical de la racine de 23. Le cliché rétroalvéolaire (Fig. 2) confirme les caractéristiques
de la lésion et nous permet de remarquer une anatomie
dentaire complexe sur cette dent aux dimensions exagérées, et mêlant des structures amélaires et dentinaires
au sein de son endodonte. Un examen CBCT (Figs. 3–6)
est réalisé et permet de localiser précisément la position
de cette invagination, ainsi que ses rapports avec la dent
hôte. On y distingue la dens in dente constituée d’émail,
localisée en disto-vestibulaire dans sa partie coronaire,
refoulant en disto-palatin la pulpe dentaire sous forme
d’un « C » en coupe axiale. Puis, dans le tiers radiculaire médian, la radio-opacité amélaire disparaît, et les
constituants dentinaires de la dens in dente se recentrent au milieu du canal pulpaire, pour nous permettre
d’apprécier son entité, totalement indépendante des
parois du canal radiculaire).5 La voie de sortie de l’invagination est difficile à identifier contrairement à la sortie du canal pulpaire dans la région apicale, légèrement
décalée en distal. À l’aide de ces éléments, le diagnostic
de parodontite périradiculaire chronique d’origine endodontique est posé. Dans ce cas particulier la pulpe est
cependant vivante et l’irritant microbien ne provient pas
du canal pulpaire mais du conduit de l’invagination de
l’émail. Le traitement « endodontique » est alors planifié.
Fig. 8
Fig. 10
Fig. 9
_Stratégie thérapeutique
Les objectifs thérapeutiques sont la suppression
de l’irritant microbien localisé dans l’invagination, tout
en essayant de garder la pulpe dentaire vivante, ce qui
s’annonce difficile compte tenu de la grande proximité
radiologique entre ces deux entités. Après anesthésie
locale et pose du champ opératoire, la restauration
cuspidienne au composite est déposée et nous permet
de mettre en évidence ce qui semble être une lésion de
teinte brunâtre. Son examen sous microscope nous
permet de discerner une forme de trèfle à trois feuilles,
davantage caractéristique d’une formation embryologique que carieuse. Son exploration par une lime de
faible diamètre (K06) prouve l’existence d’une voie de
communication entre le milieu extérieur et la dent
(Fig. 7). On peut supposer que le praticien précédent a
interprété la lésion brunâtre à tort, comme étant carieuse, et l’a traitée comme telle, pour l’obturer ensuite
par une restauration au composite.
La cavité d’accès déportée en mésio-vestibulaire est
donc réalisée au-dessus de la dent invaginée, à partir de
la voie d’entrée précédemment matérialisée. Elle nous
permet alors de visualiser l’intérieur de cette dens in
dente, bordée d’un tissu minéralisé blanchâtre très résistant, caractéristique du tissu amélaire. L’aménagement de cette cavité entraîne l’effraction du canal
I
Fig. 7_Vue clinique après dépose
de la restauration composite
et mise en évidence de la voie
d’entrée embryologique.
Fig. 8_Effraction du canal pulpaire
localisé en position palatine.
Fig. 9_Radiographie rétroalvéolaire
avec les limes en place dans le canal
pulpaire et dans le canal
de la dens in dente.
Fig. 10_Retrait de la dens in dente
grâce aux inserts ultrasonores.
Fig. 11_Matérialisation du conduit de
la dens in dente grâce à une lime K.
Fig. 12_Radiographie rétroalvéolaire
matérialisant grâce à la lime
en place, la voie de sortie
supplémentaire
en regard de la lésion.
Fig. 12
Fig. 11
Le magazine
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Iroots _ dens in dente
Fig. 13
Fig. 14
Fig. 13_Cavité d’accès
après mise en forme.
Fig. 14_Radiographie rétroalvéolaire
après la phase d’obturation
de descente.
Fig. 15_Cavité d’accès après
la phase d’obturation de descente
à l’aide de gutta percha.
Fig. 16_Radiographie
rétroalvéolaire postopératoire.
Fig. 15
pulpaire, provoquant alors un saignement confirmant
la persistance de la vitalité pulpaire, identifiée au moment du diagnostic (Fig. 8). L’exploration à l’aide d’une
lime # 08 nous amène jusqu’à sa sortie foraminale,
confirmée par le localisateur électronique d’apex et par
la radiographie lime en place. Dans un contexte morphologique complexe, et afin de sécuriser le canal pour
ne pas qu’il soit par la suite obstrué par les débris créés
par les différents systèmes d’instrumentation, celui-ci
est mis en forme par un système de rotation continue.
Le canal de la dens in dente est alors négocié jusqu’à
une voie de sortie située apicalement (Fig. 9). L’utilisation des inserts ultrasonores à puissance modérée et
sous spray d’eau abondant, nous permet d’isoler l’invagination et de l’éliminer (Fig. 10).6, 7 L’analyse sous
microscope de la dens in dente extraite confirme sa
structure avec une voie de communication centrale
longitudinale (Fig. 11). Une autre voie de sortie moins
apicale et située mésialement est découverte, et mise en
forme avec l’autre voie de sortie de la dens in dente (Fig.
12). L’analyse de la cavité mise en forme nous permet de
constater des changements de teinte dentinaire, avec
une teinte plus claire pour les sorties de l’invagination,
comparée à la sortie du canal pulpaire (Fig. 13). Une
activation mécanique finale des solutions d’irrigations
d’EDTA à 17 % puis d’hypochlorite de sodium à 2,5 % est
réalisée grâce aux ultrasons, en veillant à ne pas toucher
les parois radiculaires pour profiter au mieux de l’effet
acoustique. Puis une médication intracanalaire à base
d’hydroxyde de calcium est mise en place, afin d’optimiser la désinfection des zones de l’endodonte complexes,
auxquelles l’instrumentation n’a pas pu accéder.
Lors de la séance suivante, l’hydroxyde de calcium
résiduel est éliminé puis le même protocole d’activation
des solutions d’irrigation est répété. L’obturation est
réalisée par la technique de Schilder au niveau des trois
voies de sortie, et la remontée séquentielle est réalisée
par injection de gutta chaude, en respectant des paliers
réguliers, pour contrôler la rétraction de la gutta percha
et pouvoir exercer des forces latérales suffisantes qui
n’auront pu être induites durant la phase de descente,
compte tenue de la configuration de canal large avec
plusieurs sorties (Figs. 14–16). La cavité d’accès est
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Le magazine
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Fig. 16
ensuite obturée à l’aide d’un Cavit® (ESPE, France) et
recouverte de ciment verre ionomère.
_Suivis
Trois mois après le traitement, la patiente n’a plus
de douleur. L’examen clinique ne relève rien d’anormal,
que ce soit au niveau des tests diagnostiques dentaires
ou parodontaux. L’obturation provisoire au ciment verre
ionomère est toujours présente mais n’est pas gênante
pour la patiente, aussi bien au plan fonctionnel qu’esthétique. Elle a convenu avec son praticien traitant de
réaliser une facette pour rétablir la morphologie et la
teinte coronaire, en masquant la récession gingivale
vestibulaire. D’un point de vue radiographique, il est à
ce stade trop tôt pour se prononcer sur l’évolution de
la guérison ; la patiente sera revue à intervalles réguliers
espacés de 6 mois environ, afin de suivre l’évolution de
la cicatrisation osseuse._
_les auteurs
Le magazine
Dr Julien Thomas
Diplôme universitaire européen
d’endodontologie, université
Paris Diderot, (Paris 7).
AHU Hôpital de la
Pitié-Salpétrière, Paris 7.
Exercice limité
à l’endodontie, Paris.
[email protected]
Dr Stéphane Simon
MCU PH en sciences
biologiques et endodontie,
université Paris Diderot, (Paris 7).
Responsable du diplôme
universitaire européen
d’endodontologie (université
Paris Diderot, Paris 7)
Laboratoire INSERM UMR 872, Equipe 5
www.due-garanciere.fr
[email protected]
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