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L’Institut Montaigne a tenu à alimenter le débat public sur la fiscalité grâce à ce travail de
l’économiste Christian Saint-Etienne. Les positions exprimées dans ce travail sont celles de
son auteur et n’engagent pas l’Institut Montaigne qui produira prochainement ses propres
propositions pour une réforme fiscale d’ensemble.
Quelle réforme fiscale pour la France ?
Christian Saint-Etienne1
1 Christian Saint-Etienne est Professeur titulaire de la Chaire d’Economie industrielle au Conservatoire National
des Arts et Métiers. Il est Docteur d’Etat ès Sciences économiques et titulaire de deux masters en économie
(London School of Economics et Carnegie Mellon University). Il a travaillé au Fonds Monétaire International et
à l’OCDE. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages et rapports officiels pour lesquels il a obtenu sept prix
universitaires et académiques.
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Pourquoi proposer une réforme globale de la fiscalité aujourd’hui en France ?
Principaux points du rapport
La France subit une triple crise résultant de décisions politiques, économiques et sociales
prises au cours des trois dernières décennies :
- une crise des finances publiques, avec un niveau historiquement élevé de la
dépense publique (56% du PIB), - dont un tiers du PIB pour la seule protection
sociale -, et du déficit public structurel (6% du PIB),
- une crise de compétitivité fiscale, alors que les impôts frappant les facteurs mobiles
de production sont à un niveau double de ce qu’ils sont dans les pays européens qui
conduisent et « théorisent » la concurrence fiscale en Europe,
- une crise historique de notre système productif, qui connaît un effondrement
relatif depuis 1998 en Europe et dans le monde, mesurée par une chute d’un tiers de
nos parts de marché à l’export et par une désindustrialisation de grande ampleur.
Si l’on veut relever ces trois défis, il est essentiel que les décideurs politiques (Parlement,
Gouvernement et principaux partis de gouvernement) prennent conscience de trois priorités
fondamentales, dans un contexte marqué :
- par l’abandon de notre souveraineté monétaire et budgétaire (traités de l’Acte unique
et de Maastricht, Pacte de stabilité et de croissance et nouvelles contraintes de
compétitivité en préparation),
- par un déficit récurrent de notre balance courante qui traduit un excès permanent de
consommation interne sur la production,
- et par un déficit structurel de nos finances publiques conduisant à une dette massive
financée à 70% par des investisseurs étrangers.
Ces trois priorités fondamentales sont :
- le rétablissement du primat de la production sur la consommation,
- la réhabilitation de la taxation de la consommation et donc de la TVA, avec les
compensations adaptées pour les classes populaires,
- la prise en compte de ce que la concurrence fiscale qui est à l’œuvre dans l’Union
européenne est une menace directe et massive sur notre système productif et sur
notre système social, une menace infiniment plus immédiate que celle sultant de
la concurrence des pays à bas salaires. Comme tout porte à penser que la concurrence
fiscale, revendiquée par une majorité des pays membres et par la Commission
européenne depuis 1999 (lancement de l’euro alors que le traité de Maastricht refuse
l’harmonisation fiscale) et pratiquée par l’Allemagne depuis 2007, ne sera pas remise
en cause, ni même encadrée, à court ou moyen terme, il faut, nous y adapter au
prix, il est vrai, d’efforts considérables.
C’est dans ce contexte précis que je propose une réforme fiscale qui vise à :
- réduire réellement le déficit public en contrôlant la dépense et en augmentant les
impôts « pédagogiques » que sont la CSG et la TVA, car ils touchent tous les
citoyens tout en étant les moins nocifs économiquement (impôts à large base et faible
taux). Cette réduction du déficit se fait alors même que le coût du travail baisse
significativement grâce à la suppression de la cotisation sociale de 5,4% sur les
salaires, payée par les employeurs au bénéfice de la politique familiale, qui ne doit
plus être financée en économie ouverte par la taxation du travail,
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- redonner à la France sa compétitivité fiscale en supprimant l’ISF (et le bouclier
fiscal), remplacé par un Impôt sur le revenu de la fortune (IRF) inclus dans le taux
marginal de l’impôt sur le revenu, en réduisant l’IS à un couple 18%-26%, puis 15%-
23% (le taux réduit s’appliquant aux bénéfices mis en réserve), en réduisant le taux
marginal de l’IRPP à 30% (IRF inclus), et en créant un prélèvement libératoire
obligatoire (PLO) de 15% sur les revenus et plus-values de l’épargne (sauf sur les
investissements à long terme en actions qui sont exonérés du PLO).
- reconstruire le système productif grâce à la baisse de l’IS et du taux marginal de
l’IRPP, à la baisse du coût du travail et à la fiscalité favorable aux investissements en
actions, toutes mesures qui devront s’inscrire dans une politique globale favorisant
l’essor des PME qui sont seules à même de nous donner les trois millions d’emplois
productifs qui nous manquent.
Dans le système que je propose, non seulement le taux marginal augmente, mais le taux
moyen progresse à tous les niveaux de revenu. La CSG s’applique à tous les revenus et plus-values, y
compris sur tous les investissements en actions. L’exonération du PLO sur les seuls investissements en
actions à long terme compense le risque pris.
Cette réforme conduit à une « fiscalité de croissance » qui est aussi plus équitable car toutes
les niches sont supprimées, sauf celles favorisant le développement de l’emploi par la reconstruction
du système productif. Le sous-emploi est l’inégalité la plus insupportable, qu’il faut éradiquer. En
outre, l’impact de la hausse de la TVA sur les bas salaires est compensé par une hausse de la Prime
pour l’emploi (PPE) de moitié, la nouvelle PPE étant mensualisée.
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En France, aujourd’hui, les impôts sont beaucoup plus lourds que dans les autres pays
européens alors que notre économie stagne. Non seulement la dépense publique est très
élevée2, dépassant de plus de sept points du revenu national la moyenne des autres pays
européens, mais cette dépense alimente une hausse continue des prestations sociales plutôt
qu’elle ne prépare l’avenir de la nation. De plus, les impôts sont mal conçus et découragent la
prise de risque entrepreneurial et l’investissement. Ils font fuir les talents individuels et
rendent l’action collective impuissante.
1 - Fiscalité, équité, concurrence fiscale
Trois principes généraux fondent les systèmes de fiscalité performants :
- la fiscalité sert à financer les dépenses publiques, sous réserve que ces
dernières soient utiles et justes,
- la fiscalité doit encourager l’activité économique, l’innovation et la prise de
risque entrepreneurial qui sont le fondement du progrès social,
- la fiscalité doit prendre en compte les capacités contributives des citoyens
et la nature des bénéficiaires des dépenses publiques afin d’être équitable.
Ces trois principes ne forment pas seulement une ‘Table de la loi’ d’une fiscalité utile
et cohérente. Ils sont un des fondements essentiels d’une république juste et forte dans
laquelle impôt et liberté sont fortement liés.
Il y a souvent une confusion qui vicie le débat fiscal : pour beaucoup, et notamment en
France, la fiscalité doit d’abord servir à punir tel ou tel groupe social, en fonction de ce qu’il
est ou de ce qu’il représente et particulièrement les « riches ». Aucun système économique
et social ne peut fonctionner sur ce fondement d’envie, de haine et de revanche. La fiscalité
n’est pas l’instrument d’une catharsis sociopolitique. Elle ne peut servir qu’à financer des
dépenses publiques nécessaires à l’accomplissement individuel des citoyens et à
l’accomplissement collectif de la nation, en liant efficacité et équité de façon à favoriser le
développement de l’activité économique génératrice d’emploi.
Concevoir un système fiscal en ignorant, d’une part, la globalisation, la concurrence
fiscale intra-européenne, la crise de la zone euro et l’importance de l’innovation
entrepreneuriale, et, d’autre part, les trois principes généraux de la fiscalité, c’est non
seulement tricher avec le réel, mais, plus encore, trahir les intérêts du pays.
L’économie entrepreneuriale de la connaissance
Depuis le milieu des années 1980, l’économie des pays avancés est fondée sur
l’innovation. La prospérité des territoires et des pays est fortement conditionnée par l’essor de
cette économie entrepreneuriale de la connaissance, ou économie de l’innovation, qui est un
écosystème socio-économique favorisant, notamment par l’action d’intermédiaires spécialisés
2 En 2011, selon la Commission européenne, la dépense publique en pourcentage du PIB atteint 56% en
France, 51,5% en Suède, 50,5% aux Pays-Bas, 50% du PIB en Italie, 49,5% au Royaume-Uni, et seulement
45,5% en Allemagne et 43,5% en Espagne. Le poids de la dépense publique en France est de très loin le plus
élevé de la zone euro et dépasse la moyenne de la zone euro hors France de plus de 7 points de PIB. Surtout, la
France est le seul grand pays de la zone euro à ne pas réduire le poids de sa dépense publique de 2009 à 2011,
alors que ce poids (en % du PIB) baisse de 2 points en Allemagne, en Italie ou en Espagne.
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que l’on nomme aussi facilitateurs, les interactions entre entrepreneurs, capitaux-risqueurs et
investisseurs, chercheurs, développeurs, ingénieurs de production et opérateurs de production
afin de développer en permanence de nouveaux produits et services aptes à répondre à une
demande solvable dans un univers concurrentiel. Les facilitateurs sont souvent d’anciens
chercheurs qui connaissent bien les équipes de recherche et leurs travaux en cours et qui
peuvent faire le lien entre les chercheurs et les entrepreneurs.
Cette économie entrepreneuriale est le ferment de la croissance future de la
productivité intensive et surtout le principal facteur d’explication des écarts de taux de
croissance entre pays. Les pays qui ne sauront pas favoriser l’essor des nanotechnologies,
biotechnologies, technologies de l’Information et de la communication et technologies
cognitives dans le cadre d’une économie entrepreneuriale cesseront d’être dans la course de
hiérarchisation des économies en termes de valeur ajoutée et d’attractivité.
La France a besoin de relancer sa croissance et de créer trois millions d’emplois
marchands pour faire face à ses charges futures et réduire le chômage. Que faut-il attendre des
entreprises pour relever ce défi ? On peut considérer, en laissant de côté les 120 entreprises
françaises les plus internationalisées, qui ont une meilleure rentabilité que les autres
françaises, que 999/1000 des entreprises françaises avaient, en 2006-2008, une rentabilité
globale, en prenant en compte le taux de marge et le rendement net, inférieure d’un tiers à
celle de leurs concurrentes anglaises et italiennes et de moitié par rapport aux allemandes
(source : Eurostat). Il faut bien comprendre que c’est la raison principale de l’excellence
compétitive allemande par rapport à la faiblesse des performances économiques françaises.
L’écart de rentabilité s’est plutôt creusé depuis. Il est donc essentiel de contribuer à une forte
hausse de la rentabilité productive en France, au renforcement des fonds propres des PME et à
l’encouragement de l’épargne longue en actions.
La concurrence fiscale en Europe
L’Union européenne a fait de la concurrence fiscale et sociale un élément essentiel de sa
politique. Les pays d’Europe centrale ont adopté des taux de fiscalité très faibles sur le capital
et les entreprises pour favoriser le déplacement de valeur ajoutée des pays développés de
l’Ouest européen vers leurs territoires. L’Allemagne leur a emboîté le pas en 2007 en
augmentant son taux de taxe à la valeur ajoutée (TVA) de 16% à 19% afin de réduire son taux
d’impôt sur les sociétés (IS) de 38,7% à 29,8% (taxe locale incluse) et d’abaisser les
cotisations chômage de 6,5% à 4,2%, pour augmenter sa compétitivité et y réduire le coût du
travail. Depuis 2008, la France a le taux d’IS le plus élevé de l’Union européenne : 34,4%
contre un taux actuel de 23,2% en moyenne dans l’Union européenne qui devrait évoluer vers
une plage de taux allant de 15% à 23% en 2013 selon les annonces faites par les
gouvernements européens au cours des derniers mois. Si les taux effectifs sont plus faibles
pour les entreprises internationalisées, les Petites et Moyennes Entreprises (PME), de loin les
plus à même de créer de l’emploi en France, sont effectivement taxées au taux confiscatoire
de 34,4%, au-delà du taux de 15% sur les 38 120 premiers euros de bénéfice pour les Très
Petites Entreprises (TPE)3.
3 Le taux standard d’impôt sur les sociétés était, en 2010, de 34,4% en France, de 31,4% en Italie, de 29,8% en
Allemagne, de 28% au Royaume-Uni, de 26,3% en Suède, de 25% au Danemark, de 19% en Pologne et de
12,5% en Irlande. Le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé, en octobre 2010, son intention d’abaisser son
taux d’IS à 24% d’ici 2014. La Finlande projette également d’abaisser son taux d’IS de 26% à 22%.
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