AFH_Revue_178 14/06/07 17:28 Page 16 Science et médecine Dossier médical Le conseil génétique : évaluer un risque personnel ou familial vis-à-vis de l’hémophilie par le Dr Patricia Aguilar-Martinez, conseil génétique, centre régional de traitement de l’hémophilie (CRTH) de Montpellier. Suis-je conductrice d’hémophilie ? Comment peut se transmettre la maladie à ma descendance ? Grâce à une meilleure connaissance des gènes et aux progrès techniques de la biologie moléculaire depuis quinze ans, le conseil génétique peut aujourd’hui répondre à ces questions de manière plus sûre et plus rapide. Transmission de l’hémophilie Qu’est-ce que le conseil génétique ? 1• Lire le témoignage paru dans la revue de décembre 2006 (n° 176), page 13. Le conseil génétique est une consultation généralement donnée par un médecin à un individu, un couple ou une famille pour les informer sur leur risque personnel ou celui de leur descendance vis-à-vis d’une maladie génétique. Il s’agit d’une consultation longue, voire dans certains cas d’une succession de consultations. En effet, pour obtenir la totalité des renseignements permettant de donner une réponse claire et adaptée, plusieurs étapes sont souvent nécessaires : interrogatoire, examen clinique, analyses biologiques, élaboration d’un arbre généalogique très précis, tests génétiques… L’information finale sera délivrée sous la forme d’une description détaillée de la maladie, de ses signes, de son évolution, des traitements possibles, du risque pour chaque individu d’en être porteur et du risque pour les autres membres de la famille. Cette dernière notion est importante, car, pour des raisons de secret médical, la législation, française n’autorise pas le médecin à contacter directement les apparentés d’un sujet atteint. Il est donc indispensable que la personne qui a reçu une information génétique transmette cette information aux autres membres de sa famille et les incite à consulter à leur tour*. * Conformément à l’avis n° 76 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). 16 Hémophilie 178 • Juin 2007 L’hémophilie est due à un déficit en facteur VIII (FVIII) ou en facteur IX (FIX), deux protéines de la cascade de la coagulation. Chacune de ces protéines est synthétisée grâce à un gène qui porte le même nom. Les gènes FVIII et FIX sont situés sur le chromosome X, qui est l’un des chromosomes sexuels. Dans le cas d’une hémophilie, l’un de ces gènes est porteur d’une anomalie (on dit « mutation ») qui l’empêche de fabriquer normalement le facteur de la coagulation correspondant. L’hémophilie se transmet selon le mode dit « récessif lié à l’X ». Dans ce mode de transmission, les hommes – qui sont « XY », et n’ont donc qu’un seul chromosome X – sont généralement malades : en effet, ils ne possèdent qu’un seul exemplaire du gène concerné et celui-ci est déficient. Les femmes ont, elles, deux chromosomes X (XX), dont l’un est fonctionnel et l’autre pas : elles sont appelées transmettrices ou conductrices. Très exceptionnellement cependant, une femme peut être hémophile1. A ce jour, on estime qu’il y a environ de 5 à 10 femmes hémophiles en France. Un dérèglement du phénomène appelé « inactivation de l’X » est le plus souvent en cause dans ces cas, conduisant à une inactivation préférentielle du chromosome X fonctionnel et empêchant ce dernier de compenser l’effet du chromosome porteur du gène déficient. Forme familiale ou sporadique ? Dans la plupart des cas, l’hémophilie survient dans une famille où existent plusieurs sujets porteurs : on parle de forme familiale. Mais parfois, on ne retrouve qu’un seul garçon hémophile dans toute la famille : c’est une forme dite 14/06/07 17:28 Page 17 dossier AFH_Revue_178 L’information sur les possibilités d’un diagnostic prénatal doit être donnée au couple, car la décision d’y avoir recours ou non revient conjointement aux deux futurs parents. Conductrices : ce qu’il faut savoir On peut être conductrice tout en ayant un taux normal de facteur VIII ou IX ou en ayant au contraire un taux très bas, sans que cela soit corrélé avec le degré de sévérité de l’hémophilie dans la famille. Ainsi, une minorité de conductrices d’hémophilie ont un taux de facteur VIII ou IX inférieur à 30 % et peuvent présenter des signes cliniques : bleus, règles abondantes ou hémorragiques… Il est conseillé à toute femme ayant un hémophile dans sa famille de consulter un centre de traitement de l’hémophilie ou une consultation de génétique pour évaluer son risque hémorragique personnel et les possibilités de transmission à sa descendance. Pour rappel, sont conductrices de façon certaine : les filles d’hommes hémophiles, les mères de plusieurs enfants hémophiles et les mères d’un enfant hémophile dans une famille comptant déjà un hémophile connu. « sporadique » (voir le schéma de la transmission page19). Dans ce cas, on ne peut pas être sûr que la mère de l’hémophile est conductrice, c’est-à-dire porteuse dans ses gènes de l’anomalie moléculaire sur le FVIII ou le FIX. Il est possible en effet que l’anomalie soit survenue chez l’hémophile lui-même (mutation « de novo »). Pour le savoir, il faudra s’aider d’analyses génétiques. La consultation de génétique Les motifs de consultation de génétique pour une hémophilie sont divers, mais deux grandes questions dominent pour une jeune femme : celle de savoir si elle est conductrice, et, lorsque ce diagnostic a été posé avec certitude, la demande éventuelle d’un diagnostic prénatal. Ces deux questions sont souvent liées, mais pas toujours : cela dépend beaucoup du vécu personnel de la jeune femme, de l’existence de cas familiaux d’hémophilie et de leur lien de parenté avec elle. Souvent, lorsque l’hémophile est un parent éloigné, la demande est plus vague. Le diagnostic des conductrices Dans la majorité des cas, la jeune femme souhaite savoir si elle est ou non conductrice. Ce diagnostic est de difficulté variable. L’arbre généalogique peut suffire à rassurer une jeune femme en écartant le risque pour elle d’être conductrice d’une hémophilie familiale, par exemple lorsque l’hémophilie est clairement transmise dans la branche paternelle, le père de la jeune femme étant lui-même indemne. Lorsque l’hémophilie est présente dans la branche maternelle ou que le père est hémophile, et que le dosage des facteurs de la coagulation Pour plus d’informations, lire la revue de décembre 2006 (n° 176), pages 10 à 13. montre un taux abaissé, le diagnostic de conductrice peut aussi être aisément porté. Dans les autres cas, c’est souvent plus compliqué. On pourrait en effet s’attendre à ce que toutes les conductrices fabriquent environ 50 % du taux normal de FVIII ou de FIX. En fait, ce n’est pas toujours le cas : certaines conductrices peuvent avoir un taux normal de facteur ou, au contraire, un taux très bas (lire l’encadré). Il faut alors avoir recours à l’analyse moléculaire des gènes pour trancher. L’étude génétique dans l’hémophilie L’étude moléculaire des hémophilies a connu plusieurs bouleversements, liés d’une part à la découverte des inversions sur le gène FVIII et, d’autre part, aux progrès techniques dans le Hémophilie 178 • Juin 2007 17 AFH_Revue_178 14/06/07 17:28 Page 18 Science et médecine Dossier médical domaine du séquençage. Il y a quinze ans, le diagnostic génétique d’hémophilie A s’effectuait essentiellement par une méthode dite « indirecte » dont les conclusions ne pouvaient être certaines. En 2007, il est possible dans la majorité des cas d’identifier l’anomalie responsable sur le gène FVIII ou FIX, ce qui permet un diagnostic dit « direct » chez les conductrices. Il est important, avant d’entreprendre cette analyse, de disposer d’un dossier complet avec un arbre généalogique, des informations fiables sur le ou les hémophile(s) de la famille (gène atteint, sévérité de l’hémophilie, etc.). En effet, ces informations conditionnent le type d’analyse. Dans le cas d’une hémophilie A sévère (FVIII < 1 %), on cherchera en première intention une inversion de l’intron 22 (50 % des cas) ou de l’intron 1 (5 % des cas). Ces deux anomalies sont de gros réarrangements du gène FVIII qui le détruisent et le rendent impropre à la synthèse de facteur VIII. Il s’agit d’anomalies dites « récurrentes » : on les observe chez de nombreux hémophiles non apparentés car elles peuvent survenir « de novo ». Lorsque ces anomalies sont absentes chez un hémophile sévère, il faut rechercher une « mutation ponctuelle », c’est-àdire une anomalie de petite taille, qui nécessite une exploration laborieuse de tout le gène FVIII. De même, dans le cas d’une hémophilie modérée (2 % < FVIII > 5 %) ou mineure (6 % < FVIII < 30 %), la cause est habituellement une mutation ponctuelle. Les hémophilies B sont majoritairement dues à de petites mutations ou réarrangements, mais, ce gène étant plus petit que celui du FVIII, son étude est plus simple. Envisager une grossesse… Lorsque le diagnostic de conductrice d’hémophilie sévère est établi chez une jeune femme, celle-ci peut demander à faire pratiquer un diagnostic prénatal (DPN) lors d’une grossesse. Cependant, cette demande dans le cadre d’une hémophilie est relativement rare (pas plus de Quelques dates clés 18 1984 • Identification des gènes FVIII et FIX 1993 • Identification de l'inversion de l'intron 22 du gène FVII 2001 • Identification de l'inversion de l'intron 1 du gène FVIII • Diagnostic « de sexe fœtal sur sang maternel » Hémophilie 178 • Juin 2007 trois ou quatre par an dans un CHU comme celui de Montpellier). Le diagnostic prénatal est une pratique médicale très réglementée en France. Il ne peut être envisagé que si l’enfant à naître présente un risque important d’être porteur d’une affection d’une « particulière gravité ». En pratique, il ne peut concerner que les hémophilies sévères. Comme nous l’avons évoqué, la demande est très dépendante du vécu familial de chaque conductrice, ainsi que de son conjoint. Certaines jeunes femmes viennent simplement s’informer et affirment d’emblée qu’elles ne souhaitent pas avoir recours au DPN. Dans tous les cas, il faut dialoguer longuement avec les couples, car parfois on se rend compte qu’une demande de DPN n’a d’autre but que le fait de « savoir », le couple n’ayant aucun souhait d’interrompre la grossesse en cas de diagnostic de garçon hémophile. Dans ce cas, il faut bien faire comprendre que le DPN n’a aucun intérêt s’il s’agit d’une simple « curiosité », et que, au contraire, il peut faire courir un risque inutile à la grossesse. Il sera simplement indispensable de prévoir un accouchement non traumatique en milieu spécialisé. Le diagnostic chez le petit garçon sera effectué après la naissance. Pour d’autres couples, la demande de DPN est en revanche immédiate et irréversible. Enfin, dans de très rares cas, l’incertitude du couple est impossible à dépasser avant le résultat du DPN lui-même. Le diagnostic prénatal (DPN) Comme le diagnostic de conductrice, le diagnostic prénatal a bénéficié ces dix dernières années des progrès dans la connaissance des gènes ainsi que d’améliorations des gestes et des techniques. Une meilleure information des conductrices et des médecins a également limité les cas de demande tardive de DPN. De manière idéale, la première consultation a lieu dès que la grossesse est confirmée chez une conductrice obligatoire connue chez laquelle l’anomalie moléculaire responsable a préalablement été identifiée. Il est alors possible de proposer la stratégie actuelle, très « allégée » par rapport à ce qui était pratiqué auparavant. Le progrès majeur dans ce domaine est venu de la possibilité depuis quelques années de réaliser un diagnostic de sexe fœtal sur une simple prise de sang maternel. Cette technique recherche dans le sang de la mère de l’ADN provenant du chromosome Y d’un éventuel garçon et permet d’identifier ainsi le sexe du fœtus. Si le fœtus est une fille, le DPN s’arrête à ce stade. Si c’est un garçon, il sera nécessaire d’avoir recours 14/06/07 17:28 Page 19 Forme sporadique (1 famille sur 3) à un prélèvement de « villosités choriales » (vers 11 semaines d’aménorrhée [SA]) ou éventuellement de liquide amniotique (entre 13 et 16 SA). La confirmation de l’hémophilie peut être obtenue dès la 12 e ou la 13 e semaine. L’utilisation de cette nouvelle stratégie a réduit de moitié le nombre de ponctions nécessaires et constitue donc une amélioration considérable. Le diagnostic pré-implantatoire (DPI) Pour certains couples qui ne souhaitent pas envisager de diagnostic prénatal pour des raisons éthiques ou religieuses, ou qui l’ont vécu douloureusement (plusieurs DPN avec enfant atteint en particulier), il existe une alternative, le diagnostic pré-implantatoire (DPI). Celui-ci est autorisé en France depuis 2000 et trois centres sont en mesure d’effectuer ce type de prouesse technologique : Paris, Strasbourg et Montpellier. C’est une démarche complexe et individuelle qui nécessite une forte implication de la part du laboratoire qui réalise l’analyse, car il devra mettre au point une méthode adaptée à chaque cas, mais également de la part du couple, puisque la stratégie est basée sur des méthodes de fécondation in vitro. Il faut savoir qu’un délai de dix-huit mois à trois ans est en moyenne nécessaire pour aboutir à une grossesse. Le DPI demeure donc, pour l’instant, une méthode réservée à des cas particuliers2. dossier AFH_Revue_178 Forme familiale (2 familles sur 3) Conclusion La pratique du conseil génétique de l’hémophilie a radicalement changé au cours des quinze dernières années, avec l’évolution des techniques de biologie moléculaire autorisant un diagnostic de conductrice fiable. Les progrès techniques ont également considérablement simplifié le diagnostic prénatal. Le diagnostic pré-implantatoire est une alternative au DPN, mais demeure une démarche lourde et encore peu répandue. 2• Sur le DPI, lire l’interview du Pr René Frydman dans le n° 168 (novembre 2004), pages 16-17. La commission « Femmes et hémophilie » de l’AFH accueille et informe toutes les femmes concernées de loin ou de près par l’hémophilie et la maladie de Willebrand. Contact : Murielle Pradines au 04.74.05.11.05 ou par e-mail : murielle.pr[email protected] Hémophilie 178 • Juin 2007 19