Julien Lambinet, Université de Fribourg
Proséminaire de théologie fondamentale, Semestre d’automne 2015
ainsi conservé ? « Le problème central de l’herméneutique biblique est moins de savoir
comment reconstruire aussi fidèlement que possible la pensée des rédacteurs de la Bible, mais
de savoir comment son message peut être traduit dans les langues d’autres cultures, comportant
de tout autres horizons d’attente. Cela exige que le texte soit relu dans des situations historiques
et culturelles nouvelles, non prévues par les rédacteurs initiaux »
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La solution donnée par les Pères à cette situation textuelle complexe sera celle d’une
multiplication du sens, résultant d’une multiplication des perspectives ou des approches faites
de l’Ecriture sainte. On connait la fameuse théorie des quatre sens de l’Ecriture, dont les
premiers germes sont donnés dans l’antiquité déjà, notamment chez Origène. On distingue en
général un sens historique, littéral (descriptif des événements relatés), un sens allégorique
(spirituel, qui concerne le cœur du message et le sens véritable contenu dans la lettre ; ce qu’il
faut croire), un sens tropologique, tourné vers l’action (un sens moral, donnant des prescriptions
pour la pratique quotidienne ; comment en quelque sorte mener sa vie sur le plan pratique en
bon chrétien), et un sens anagogique, qui évoque ce que l’on peut espérer du message.
Mais il apparait également, autant chez Origène que chez Basile de Césarée ou Grégoire
de Nysse, autant chez saint Bernard que chez saint Augustin, que l’exégèse des Pères se présente
comme une prise de conscience fondamentale du rôle d’édification joué par l’interprétation de
la Bible, et par là du rôle d’actualisation et de continuation de la Révélation que constitue
l’interprétation même. Lorsque l’interprète se projette ainsi dans l’interprétation de la
Révélation, lorsqu’il reconnaît le cheminement de son âme décrit allégoriquement dans le texte,
il prend conscience de sa propre participation à la Révélation divine. Lorsqu’Origène par
exemple, fait appel aux réseaux de réminiscences et de correspondances dans son interprétation
allégorique de la Bible, il invoque tout un monde spirituel, un monde du texte en sa globalité,
qui permet au lecteur interprète d’identifier son monde symbolique à celui du texte. Cette
méthode exégétique n’a d’autre but que de dégager une correspondance intime perdurant, au-
delà des temps et des cultures, entre l’histoire du texte et l’histoire de son interprète. Au
contraire de l’exégèse historico-critique moderne, dont le présupposé fondamental n’est autre
finalement que celui d’une abstraction fondamentale du lecteur dans le but de rejoindre
l’objectivité d’un texte originaire, ou un sens littéral débarrassé de toute projection
interprétative, la lecture des Pères tend à une réappropriation où la lecture a moins pour but
d’expliquer que de laisser le texte éclairer l’existence et le monde du lecteur. Avec les mots
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J. G
REISCH
, Le buisson ardent et les lumières de la raison, t. III, Cerf, Paris, 2004, p. 39.