Formes et réformes de la paternité à la fin du Moyen - Beck-Shop

publicité
Formes et réformes de la paternité à la fin du Moyen Âge et au début
de l’époque moderne
Bearbeitet von
Aude-Marie Certin
1. Auflage 2016. Buch. 237 S. Hardcover
ISBN 978 3 631 64640 3
Format (B x L): 14,8 x 21 cm
Gewicht: 420 g
Weitere Fachgebiete > Geschichte > Kultur- und Ideengeschichte > Sozialgeschichte,
Gender Studies
schnell und portofrei erhältlich bei
Die Online-Fachbuchhandlung beck-shop.de ist spezialisiert auf Fachbücher, insbesondere Recht, Steuern und Wirtschaft.
Im Sortiment finden Sie alle Medien (Bücher, Zeitschriften, CDs, eBooks, etc.) aller Verlage. Ergänzt wird das Programm
durch Services wie Neuerscheinungsdienst oder Zusammenstellungen von Büchern zu Sonderpreisen. Der Shop führt mehr
als 8 Millionen Produkte.
Pierre Monnet (Directeur de l’IFRA/SHS)
Avant-Propos
Mariage et droit à l’adoption pour les couples homosexuels, pratique des mères
porteuses, progrès de la procréation médicalement assistée, familles recomposées :
le vocabulaire social, législatif, médical, psychologique du couple et de la parenté enregistre depuis quelques décennies de profondes mutations au rythme des réformes,
des progrès et des bouleversements tant de la reconnaissance ou de la refonte du lien
social de parenté et d’alliance que des manières biologiques de donner naissance.
Loin de constater là un simple fait d’actualité, souvent instrumentalisé par le
temps court de la politique et du débat public toujours prompts à identifier de
prétendues « crises » de la famille ou de la masculinité, l’historien sait bien que les
faits de parenté expriment depuis toujours et dans la longue durée des processus
de construction fondamentale d’une société. En tant que tels, ces faits sont euxmêmes historiques et variables dans l’espace ainsi que les travaux des ethnologues
et des anthropologues l’ont montré depuis les travaux fondateurs, en France du
moins, de Claude Lévi-Strauss puis de Maurice Godelier.
Pour autant, les dictionnaires historiques, et plus généralement les dictionnaires
des sciences humaines et sociales en usage courant parmi les spécialistes, ne regorgent pas d’entrées séparées consacrées aux fonctions que peut occuper chacun
dans une famille, entre frère, sœur, père ou mère. Il est même aisé de constater, de ce
point de vue, que les instruments de travail dont disposent les juristes comportent,
aujourd’hui encore, davantage d’items familiaux et parentaux (car il importe pour
le juge, le notaire ou l’avocat de déterminer, sinon avec certitude, du moins avec
plausibilité juridique qui est le père ou la mère d’un enfant) que ceux dont se servent
les sciences sociales et humaines historiques. C’est essentiellement, on le sait, dans
le sillage des études consacrées à la famille et à la parenté dans les années 1970, en
parallèle d’ailleurs aux débuts d’une histoire des femmes introduisant à une histoire
du genre, que l’anthropologie de la parenté fait son entrée dans l’horizon thématique
et heuristique des historiens et singulièrement des médiévistes. Pour autant, et là
encore le fait est connu, cette nouvelle orientation de la recherche n’a pas fait disparaître, et a peut-être même réactivé dans un premier temps, un certain nombre de
« grands récits » sur le prétendu passage progressif et millénaire de la famille large à
la famille étroite, ou de la filiation agnatique à la filiation cognatique, ou des réseaux
horizontaux aux réseaux verticaux, mais encore sur l’inflexion patrilinéaire, sur la
lente émancipation féminine, sur la « découverte » de l’individu ou de l’enfance…
8
Pierre Monnet
Au total, ce n’est finalement qu’assez récemment que s’écrit une histoire complexe,
nuancée, documentée, des relations de consanguinité et d’alliance au sein d’une
société, celle du Moyen Âge pour faire bref, qui se caractérise par une promotion
et une valorisation parallèles de la parenté dite spirituelle à côté de la parenté dite
charnelle. Or, dans ce grand mouvement de correction et de rattrapage, force est
de constater que la notion de père, et avec elle celle de paternité, ont longtemps fait
figure de « parent pauvre » de l’historiographie, si l’on s’autorise ce jeu de mots.
Le père médiéval avait, en effet, été longtemps habillé des pâles vêtements d’un
Joseph en retrait, père putatif ou presque hasardeux, écrasé entre la Vierge d’un
côté et Dieu le Père de l’autre. Fort heureusement, des études récentes sont venues
décloisonner le regard et jeter une lumière nouvelle sur ce portrait, entre celles
de Jérôme Baschet sur le sein du père en 2000, de Paul Payan sur Joseph en 2006
ou de Didier Lett sur les hommes et les femmes en 2013, pour ne citer que la bibliographie française sur ce sujet. D’une certaine manière, cette « réhabilitation »
paternelle contribuait aussi à rééquilibrer une histoire du genre écrite d’abord à
l’ombre d’une histoire des femmes. S’est alors peu à peu dévoilée l’image d’un
père médiéval qui, certes, ne peut pas tout, à la différence du père romain qui par
l’adoption « engendre » volontairement et à volonté un autre enfant sur lequel il
exerce quasiment un droit de vie et de mort (Jean-Baptiste Bonnard, Le complexe
de Zeus, 2004) ; qui, certes, se retrouve bridé par les lois de l’Ecclesia définissant
bon gré mal gré le père charnel comme géniteur au sein du mariage chrétien devenu sacrement, monogame et en théorie indissoluble ; mais un père tout de même
présent, reconnu par le droit et la pratique, pourvu des droits et des devoirs de la
patria potestas, associé dans les prières et les dévotions, les images et les écritures,
investi de rôles et de fonctions variés entre modèle, éducateur, nourricier, gestionnaire, entrepreneur, porteur de la mémoire ou de l’identité familiale...
C’est tout le champ de cette enquête encore neuve que laboure le présent volume qui rassemble les actes d’une rencontre internationale organisée par son
éditrice à l’Institut Français d’Histoire en Allemagne de Francfort et avec le soutien
de l’Université Franco-Allemande le 28 juin 2013.
L’intérêt de la tenue de cette rencontre, et donc de sa publication, est double. Il
tient à sa forme d’une part et à son sujet de l’autre. Du point de vue formel en effet,
cette manifestation est le résultat et le reflet d’une ligne scientifique qui a toujours
conduit l’Institut Français d’Histoire en Allemagne, un centre de recherche établi au
sein de l’université de Francfort depuis 2009 au service des échanges entre les historiens français et allemands, à privilégier la formation des jeunes chercheurs dans un
environnement bilingue, binational et biculturel. Dans ce cadre, il revient habituellement à l’un des doctorants bénéficiant d’une aide à la mobilité internationale au
Avant-Propos
9
sein du centre d’organiser une rencontre avec d’autres doctorants et post-doctorants
originaires essentiellement de France et d’Allemagne mais aussi d’autres pays, autour
d’un sujet actuel ou émergent. Ce fut bien le cas de la paternité, un thème auquel
l’éditrice du présent recueil, Aude-Marie Certin, a consacré une thèse portant sur
les pères-écrivains des villes moyennes et méridionales de l’Allemagne tardo-médiévale, soutenue sous la direction conjointe de Pierre Monnet et Jean-Claude Schmitt
à l’EHESS le 17 mai 2014. Les résultats de ce mémoire de doctorat, tout comme ceux
des autres chercheurs rassemblés à Francfort et dont les communications sont ici
publiées, prouvent s’il était besoin l’utilité et la fonction de centres de recherche à
l’étranger consacrés à la formation d’une nouvelle génération de chercheurs aptes à
poursuivre le dialogue scientifique entamé depuis des décennies entre les historiens
français, allemands et de plus en plus issus d’autres pays européens. Mais ces acquis
et ces échanges, comme en témoigne le présent ouvrage, prouvent aussi la pertinence
d’une thématique placée, la table des matières l’indique assez, à la rencontre des
espaces français, germanique, suisse et italien ; au chevauchement des chronologies
entre fin du Moyen Âge et première modernité ; au contact des disciplines et des
méthodes entre histoire juridique, économique, politique, religieuse et anthropologie de la parenté ou des images ; au croisement des échelles sociales entre milieux
urbains, universitaires, artisanaux, princiers, monastiques ; au carrefour enfin de
supports documentaires normatifs, narratifs, iconographiques.
Ce faisceau de questions et de sources confirme avec éclat le postulat de départ
de cette rencontre : le système de parenté, et plus précisément ici le régime de
paternité, occupe une place importante dans la (re)production et la (re)présentation de l’ordre social dans l’Europe médiévale puis moderne. Il semble acquis,
en effet, que nous avons affaire dans la société médiévale à une conception de la
paternité très complexe, mouvante, qui relativise par sa diversité, mais peut-être
surtout par la sophistication de sa représentation et de sa définition, les images
passéistes et fixistes d’un père indissociablement biologique et chef de famille.
La légitimation d’enfants non biologiques (substitut médiéval à l’adoption juridique romaine), mais aussi les remariages sont chose courante ou permise, dans
une société qui place cependant l’alliance en parallèle voire en concurrence avec
d’autres formes d’association et d’union par la confrérie, la commune, le serment,
l’université ou l’hommage, investies chacune des mêmes valeurs et reposant sur
les mêmes schèmes d’amour et d’amitié ; une société qui interdit progressivement
la polygamie, le concubinat, la séparation, qui péjore l’adoption, qui introduit une
correction et une régulation de l’alliance par les prohibitions graduelles de mariage
(non exclusives d’une endogamie sociale), qui promeut et valorise pour certains
le célibat et le veuvage. Or, c’est cette même société qui, en pratique et en théorie,
10
Pierre Monnet
aligne idéologiquement la parenté naturelle sur la parenté spirituelle et pense les
relations entre les personnes divines de la Trinité, entre les hommes et Dieu et
entre les laïcs et les clercs, en jouant du registre de l’alliance et de la famille. Tout
cela est canonisé en quelque sorte par la glose extraite des pères de l’Église et par
la répétition quotidienne du pater noster, à la fois parole et objet, celui que tient
sans doute dans ses mains le père de Dürer représenté sur le portrait placé avec
bonheur en couverture du programme de la rencontre de 2013. Ce portrait date de
1490, l’année où dans son journal Dürer écrit que c’est à partir de là que « mon père
me fit voyager ». C’est bien sur ce vaste fond d’un système d’alliance et de parenté
autrement valorisé, concurrencé et polarisé pendant le Moyen Âge occidental que
se déploie la paternité, dont la signification par ailleurs s’insère dans une discussion
encore en cours sur la forme dominante de la filiation, cognatique ou agnatique,
et au cœur de débats tantôt conjoints tantôt disjoints portant sur l’articulation,
flottante ou au contraire contrainte, entre filiation, alliance et transmission.
Précisément, là comme ailleurs, c’est la relation entre la paternité biologique et la
reconnaissance du lien père-fils par le droit et par la communauté, et donc les droits
et les devoirs que cette reconnaissance entraîne, qui constituent un ensemble de
problèmes dont l’historicité et la comparabilité interrogent et intéressent l’historien
du social et du culturel. À la variation et à la variété de ces relations correspond une
diversité des représentations, entre un père protecteur, géniteur, nourricier, transmetteur, éducateur…, autant d’images et de représentations qui doivent se lire au
Moyen Âge à la mesure d’une société dans laquelle des relations de parenté, et donc
aussi de paternité, ne reposent pas, ou ne reposent pas seulement sur la naissance
et le mariage ; dans laquelle la légitimation des modes de domination matérielle ou
symbolique semble prioritairement passer par la mobilisation de référents empruntés à la parenté ; et dans laquelle enfin le culte des morts et, au-delà, l’entretien du
social en tant que social ne relèvent ni prioritairement ni exclusivement de la famille
mais appartiennent à un ordre structuré par l’ecclesia qui englobe et surplombe la famille. Si la parenté spirituelle et la parenté charnelle représentent deux modes et deux
types différents d’une même constitution des groupes et des liens sociaux, alors il en
va de même de la paternité, qui permet de comprendre les changements de statut
non seulement d’un individu, mais aussi de la place de cet individu dans un groupe.
C’est bien pourquoi les contributions ici rassemblées peuvent se lire à travers
trois problèmes. Le premier est celui de la terminologie : terminologie médiévale
d’abord (comment s’appelle et appelle-t-on alors un père ?), mais aussi terminologie actuelle de la recherche, ainsi que l’introduction et plusieurs communications
l’ont fait remarquer, la mise en relation ou à distance de l’une et de l’autre étant
fort heureusement érigée en indice heuristique. Le deuxième problème est celui
Avant-Propos
11
des pratiques effectives, tant il est vrai que la paternité est ici placée au cœur de
la filiation, de l’alliance et des stratégies de reproduction ou de transmission qui
en découlent. Le troisième problème est celui du passage d’un régime paternel à
un autre dans un certain nombre de régions ou de configurations politiques et
socio-culturelles privilégiant le laboratoire urbain.
Cette pluralité de problèmes et la concentration sur le terrain citadin confèrent
indéniablement au présent recueil son originalité. En premier lieu, puisque la parenté, pas davantage que la paternité, ne saurait se réduire à la famille, mais se décompose en fonctions, en relations, en constructions qui interagissent elles-mêmes
sur l’identité et l’identification de chacun, il n’existe pas de sources spécifiques de la
parenté. De la sorte, et c’est bien ce que signifie la documentation composite évoquée au fil des différentes contributions, « tout fait ventre » en la matière, et cela pas
seulement par « appétit » d’historien, mais parce que les relations de parenté et de
paternité au Moyen Âge servent aussi à penser d’autres formes de relation sociale,
ce qui impose donc au médiéviste de devoir recourir à des sources diverses puisqu’il
s’agit bien de considérer comme parenté tout ce que la société médiévale conçoit
comme telle, ce qui dépasse on s’en doute le simple cadre biologique, familial et
juridique. En cela, le présent livre s’inscrit bien dans une histoire anthropologique
actuelle de la parenté qui définit celle-ci comme un système de relations dont la
logique et la représentation ne sont pas avant tout biologiques. Bien entendu, ces
relations le sont aussi et malgré tout, et bien des pères ici présentés étaient pour
la plupart déclarés, réputés, revendiqués comme fils et pères « de ». Mais cette
appartenance n’est pas ici un enfermement, elle détache au contraire une figure
paternelle placée à la croisée de la consanguinité, c’est-à-dire de la reconnaissance
sociale d’un lien de parenté par une descendance ou un ancêtre commun, et de
l’affinité, le père travaillant à la fois l’ancestralité et l’alliance autant que la filiation.
En second lieu, l’observatoire urbain majoritairement exploré dans ce recueil
installe conséquemment la réflexion au cœur d’une autre histoire, celle des villes
au sein desquelles se déploie un portrait social de groupe avec et par les pères. Or,
la ville présente ceci de spécifique, qu’elle s’inscrit certes dans une société globale
au sein de laquelle, du moins pour le Moyen Âge, l’Ecclesia a promu à côté de la
parenté charnelle la parenté spirituelle sous des formes pures ou diluées (parrainage, profession, lien conventuel, consécration, lien paroissial…), mais la cité ne
se situe pas, ou du moins pour se définir ne revendique pas de se situer au cœur de
la production de ce double système, et constitue par conséquent potentiellement
un lieu, sinon neutre du moins affranchi, de réarticulation, voire de mise à distance critique de cette dualité. À cet égard, le dispositif d’une « religion civique »
promue ici et là par les pères des cités allemandes, suisses, italiennes ici évoquées,
12
Pierre Monnet
et qui permettent en quelque sorte aux pères des institutions urbaines de se faire
pères matériels et moraux des établissements ecclésiastiques par le biais des curatèles, fondations etc., pourrait bien être institué en un processus et une façon de
réarticuler paternité charnelle et paternité spirituelle. La ville, en effet, ne change
pas le système fondamental de parenté, pas plus qu’elle ne parvient à bousculer les
prohibitions fortes qui pèsent sur l’alliance par mariage ou bien les dévalorisations
dominantes qui leur sont liées (celle du concubinage par exemple, de l’illégitimité,
de la séparation ou de l’adoption) ou bien encore les valorisations hautes (veuvage, célibat), mais elle joue peut-être à sa manière sur les frontières et l’articulation entre parenté charnelle et parenté spirituelle... À la variation et à la variété de
ces relations correspond de fait une diversité de représentations paternelles, ainsi
qu’elles affleurent au fil des pages qu’on va lire. Souvent on rencontre un père, des
pères, à la fois objets et acteurs d’une stratégie multiple de pouvoir et de richesse
en ville. Celui-ci doit en effet contrôler le mariage hors du groupe consanguin et
donc exercer des stratégies de cohésion forte du groupe auquel il appartient, et cela
à travers des institutions, qui peuvent être celles du Conseil mais aussi du métier,
lequel infléchit par le droit, la pratique, la coutume, le contrôle réciproque les dispositions, certes marginales mais de ce fait très révélatrices, de la reconnaissance,
de la tutelle, du mariage, des fiançailles, de la succession et de la transmission des
biens matériels et symboliques, au cœur desquelles se situe un père érigé en double
indice urbain d’appartenance : père de famille et père de la cité. En ce sens, la ville
devient ici un lieu privilégié d’observation d’une pratique qui, certes, mobilise la
parenté (en l’occurrence les pères) et est donc d’une certaine manière « parentale »,
mais se révèle aussi une pratique sociale visant à reproduire un ordre qui combine
à la fois le parental et le social. Le père exerce donc à cet instant des fonctions qui
seront ensuite et plus tard assurées par d’autres institutions, suivant un moment
de « transfert » qui peut également constituer l’un des sens attribués à la notion
de « réforme » et de « réformation » culturelles et confessionnelles. Avoir choisi
le terrain urbain a indéniablement permis, la lecture de ce recueil le confirme, de
situer le vocabulaire et le système de la paternité au croisement de trois champs :
celui d’une parenté telle que définie et fonctionnant aux XIVe, XVe et XVIe siècles,
celui de la narrativité des pères qui s’écrivent et se décrivent, celui enfin de la société
urbaine qui recompose pour partie cette taxinomie et ce schéma.
Voilà donc toute la richesse des postulats, et donc nécessairement des débats,
mais aussi des cas qui avait guidé la constitution du programme de cette rencontre,
et à laquelle le présent recueil rend aujourd’hui majestueusement justice.
Francfort, le 2 juin 2014
Téléchargement