Que peut apporter la sociologie a la recherche en soins infirmiers ? Didier LECORDIER1 A partir d’une recherche sur une population atteinte d’insuffisance cardiaque chronique et réalisée par un infirmier, nous soulignons les apports de la sociologie qui ont permis ce travail. Puis de cette expérience, nous formulons les questions épistémologiques et méthodologiques qui nous semblent porteuses d’enjeux pour développer la recherche dans le champ des soins. Les patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique sont-ils plus compétents pour gérer quotidiennement leur maladie après avoir bénéficié d’un programme d’éducation thérapeutique ? Répondre à la question nécessite, une problématique construite sur des observations de patients et des concepts plus théoriques issus des sciences médicales (insuffisance cardiaque, clinique, régime hyposodé, traitement…) et sociales (représentations sociales, compétences, habitudes de vie…). Pour réaliser cette recherche, nous avons choisi de comparer qualitativement deux groupes de patients (l’un bénéficiant d’un programme d’éducation thérapeutique et pas l’autre) à partir d’entretiens semidirectifs. La méthodologie, basée sur l’analyse de contenu des discours, a mis en évidence les connaissances des patients (maladie, traitement, recommandations sur « l’hygiène de vie »…) et leurs capacités à changer d’habitudes de vie. Cette première étude descriptive a permis de classer les patients dans des groupes typiques et de révéler que les quatre premiers patients, classés plus « compétents » sur des critères médicaux, étaient issus du secteur rural. Une recherche compréhensive est venue compléter cette étude exploratoire avec l’hypothèse suivante : la culture du corps développée au cours de la vie professionnelle influence la manière de vivre avec une insuffisance cardiaque chronique. Nous avons donc approfondi notre comparaison entre deux groupes d’hommes, ayant bénéficié du programme d’éducation thérapeutique, dont la variable principale fut leur ancienne profession : le premier composé d’agriculteurs ou d’artisans en milieu rural, le deuxième d’hommes chargés de clientèle en milieu urbain. Les résultats ont montré des différences de représentations sociales de la maladie et d’adaptation aux limites corporelles selon l’usage du corps pendant l’exercice du métier (un outil de travail ou une représentation de soi auprès d’un public), selon les habitudes liées à l’activité physique (chasse, pêche, bricolage, jardinage, sport, lecture…), selon les habitudes liées à l’alimentation (cuisine familiale à partir des produits du jardin, plats cuisinés..), selon l’impact des ces habitudes de vie ou la valorisation des connaissances médicales sur la vie sociale (vie de quartier ou du village, évènements familiaux, ancien réseau professionnel…)… Bien que les différences de réactions face à la maladie soient importantes entre les deux groupes, une logique leur semble commune: ces patients paraissent accepter un niveau de contraintes, issu des limites corporelles et des recommandations soignantes, d'une manière proportionnelle aux bénéfices attendus (peut-être davantage qu’aux risques perçus). De même une « règle » (ou microthéorie) semble s’appliquer à cette population spécifique : face aux exigences des recommandations sanitaires (observance du traitement, diminution de l’activité physique, régime hyposodé), le patient recherche le meilleur rendement du corps (au sens de son usage décrit par Marcel Mauss) au bénéfice de son capital social et de son capital culturel que peut générer ce rapport à la maladie (conserver le maximum d'habitudes culturelles, garder ses relations, développer une reconnaissance sociale...). Un travail réflexif, à partir de cette expérience de recherche qualitative infirmière, met en évidence des repères méthodologiques et conceptuels de la sociologie très utiles à la démarche scientifique des soignants. La méthode est différente selon que l’on cherche à : comprendre les styles de vie, les rites et coutumes liées aux règles ou normes culturelles (ethnographie) ; décrire le plus fidèlement l’expérience humaine à la recherche des significations du langage (phénoménologie) ou encore permettre une construction de théorie de phénomènes complexes, de processus (théorie ancrée). Mais toutes ont pour finalité de mieux soigner en comprenant les réactions des patients dans des contextes de soins. Les enjeux semblent important à : 1 Cadre de santé, C.H.U. de Nantes. Soutenir des démarches inductives chez les infirmières peu formées à la méthodologie. Apporter la connaissance des concepts empruntés aux SHS utiles pour interroger et comprendre les phénomènes se révélant dans les pratiques soignantes. Développer la recherche de sens des comportements de santé par des choix éclairés de méthodes.