Substrats cérébraux du déclin de la mémoire épisodique

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Dossier
Rev Neuropsychol
2010 ; 2 (2) : 114-23
Substrats cérébraux du déclin
de la mémoire épisodique :
contrastes entre vieillissement
normal et maladie d’Alzheimer
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Brain substrates of episodic memory
decline: contrasts between normal
aging and Alzheimer’s disease
Grégoria Kalpouzos,
Francis Eustache,
Béatrice Desgranges
Inserm – EPHE – Université de
Caen/Basse-Normandie, Unité U923,
GIP Cyceron, CHU Côte de Nacre,
14033 Caen Cedex, France
<[email protected]>
Cet article insiste sur les différences qui opposent le
vieillissement et la maladie d’Alzheimer (MA), d’une
part sur le plan de la mémoire épisodique et, d’autre part, sur le plan cérébral. Les travaux
de neuropsychologie portant sur le vieillissement normal convergent vers le déclin de la
mémoire épisodique, les effets de l’âge se manifestant essentiellement dans les tâches de
rappel libre alors que les tâches de reconnaissance y sont peu sensibles. Ce profil est très
différent de ce qui est observé dans la MA où de multiples processus mnésiques sont affectés.
Les travaux d’imagerie cérébrale sont bien en accord avec les résultats des études cognitives.
L’hypothèse frontale est privilégiée au cours du vieillissement normal comme le soulignent les
études d’imagerie structurale et fonctionnelle. Les travaux qui se sont focalisés sur la région
hippocampique montrent des résultats plus controversés, liés en partie à la diversité des
méthodologies utilisées. Quoi qu’il en soit, là aussi, les résultats obtenus sont très différents
de ceux observés dans la MA. Les régions atteintes dans cette maladie (l’hippocampe sur le
plan structural, le gyrus cingulaire postérieur sur le plan fonctionnel) sont les mieux préservées
dans le vieillissement normal. Enfin, les études les plus récentes insistent sur la présence de
mécanismes compensatoires aussi bien dans le vieillissement normal que dans les maladies
neurodégénératives, mécanismes qui seraient essentiellement sous-tendus par des régions
frontales.
Résumé
Mots clés : vieillissement • maladie d’Alzheimer • mémoire • imagerie par résonance magnétique
tomographie par émission de positons • mécanismes compensatoires
•
Abstract
114
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
doi: 10.1684/nrp.2010.0067
Correspondance :
B. Desgranges
This article emphasizes the differences on episodic
memory changes and their neural substrates, between
normal aging and Alzheimer’s disease. While normal aging is mainly characterized by an
impairment of strategic processes, both at encoding and retrieval stages, Alzheimer’s
disease induces genuine episodic memory deficits, at all stages. Studies that have assessed regional brain deterioration show clear differences between normal and pathological
aging. Indeed, in healthy aging, the frontal cortex manifests the greatest deterioration,
both structurally and functionally, while the anterior hippocampus and (functionally)
the posterior cingulate cortex are the least affected. This pattern supports the developmental theory which postulates that the first regions to emerge phylogenetically and
ontogenetically are the most resistant to age effects and the last ones, the most vulnerable. Furthermore, it appears to mark the parting of the ways between normal aging
and Alzheimer’s disease, which is characterized by early and prominent deterioration
of both hippocampus and posterior cingulate cortex. In addition, cognitivo-metabolic
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correlations and activation studies have shown that episodic memory impairment in normal aging mainly results from prefrontal deterioration, a finding which clearly contrasts
with that found in Alzheimer’s disease where the hippocampus and the posterior cingulate gyrus play a key role. Finally, although the deterioration of different brain regions
seems to mediate episodic memory impairment, functional compensatory mechanisms
may take place within the prefrontal cortex in both normal and pathological aging.
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Key words: aging • Alzheimer’s disease • memory • magnetic resonance imaging • positron-emission
tomography • compensatory mechanisms
L
a mémoire épisodique, définie comme le système
mnésique permettant d’encoder et de récupérer des
événements personnels situés dans un contexte
spatio-temporel spécifique, est sensible aux effets de l’âge
et très perturbée dans la maladie d’Alzheimer (MA). Les travaux en neuropsychologie ont permis de montrer que certains processus, comme la récupération contrôlée, sont
atteints dans les deux populations, avec des différences
quantitatives, et surtout qu’il existe des différences qualitatives majeures. Des études récentes en neuro-imagerie ont
été déterminantes dans la distinction entre vieillissement
normal et MA : elles ont notamment montré un pattern
d’atteinte cérébrale morphologique et fonctionnelle bien
distinct, sous-tendant les performances diminuées lors
de tâches mnésiques. Le cerveau n’étant pas passif, des
processus neurocognitifs supplémentaires ou différents
semblent se mettre en place aussi bien dans le vieillissement normal que dans la MA afin de compenser le déficit.
Modifications de la mémoire épisodique
Le déclin lié à l’âge est inégal entre les différents soussystèmes mnésiques. La mémoire épisodique et la mémoire
de travail sont les plus atteintes, alors que la mémoire
procédurale, la mémoire sémantique et le système de
représentations perceptives (qui sous-tend les effets d’amorçage perceptifs) sont relativement préservés. Au sein de
la mémoire épisodique, les processus d’encodage, de
stockage et de récupération ne sont pas atteints de façon
uniforme. L’encodage opère des transformations de l’information provenant de stimulations externes ou encore résultant de traitements cognitifs et permet ainsi l’intégration des
données sous un format de représentation mentale. La récupération de l’information va dépendre de la nature du traitement de l’information à l’encodage. La manipulation du
traitement est l’un des facteurs qui a montré un effet intéressant dans le vieillissement. Craik et Lockhart [1] ont postulé
que « la persistance de la trace mnésique est fonction de la
profondeur de traitement, les niveaux de traitement profond
étant associés à des traces mnésiques plus élaborées, plus
résistantes dans le temps, et plus robustes ». Des différences
de performances en fonction de l’âge ont été observées à
des tâches qui requièrent des processus contrôlés ; une
hypothèse est que la diminution des ressources cognitives
accompagnant le vieillissement serait responsable du
déclin mnésique [2]. Ainsi, la diminution des performances
chez les sujets âgés peut être conçue comme le résultat
d’une incapacité à mettre spontanément en œuvre un traitement profond (sémantique par exemple) de l’information
lors de l’encodage. Cependant, lorsqu’un encodage sémantique profond est induit chez ces sujets, une amélioration,
voire même une normalisation des performances des sujets
âgés est observée. Un ensemble d’études a néanmoins
montré un effet délétère de l’âge sur la récupération d’informations encodées après un traitement profond. Ces études,
qui avaient inclus un groupe de sujets d’âge intermédiaire
ou dits « moyennement âgés », ont effectivement montré
des performances similaires de ces sujets comparées aux
scores des sujets jeunes, mais une diminution significative
des performances chez les sujets appartenant au groupe
le plus âgé [3, 4]. Par contraste, les performances de récupération des items encodés superficiellement (traitement
perceptif) diminuent dès l’âge intermédiaire (figure 1).
Les capacités de stockage des informations en mémoire,
peuvent être évaluées en calculant un taux d’oubli entre
deux sessions de récupération d’information. Lorsque le
délai est court, ce qui correspond à la situation habituelle
d’évaluation de la mémoire, la plupart des études n’ont pas
mis en évidence de différence de taux d’oubli en fonction de
l’âge [5]. En revanche, lorsque le délai dépasse plusieurs
heures, les informations sont oubliées plus rapidement
chez les sujets âgés que chez les sujets jeunes. La diminution
de l’efficacité des processus de consolidation chez les sujets
âgés pourrait provenir des modifications du sommeil, notamment de la réduction du sommeil lent profond, compte tenu
du rôle maintenant bien établi du sommeil dans la consolidation des informations épisodiques [6].
La récupération de l’information dépend largement des
conditions dans lesquelles elle se déroule. Ainsi, la diminution des capacités de rappel libre chez les sujets âgés sains
est nettement plus marquée que celle des capacités de
reconnaissance [7]. La récupération de l’information peut
mettre en jeu des processus de nature différente, et ceci
peut s’évaluer en questionnant le sujet sur l’impression
subjective qui accompagne ses réponses. Ainsi peuvent
être différenciées les réponses jugées « je me souviens »
(« remember », R) où le sujet se rappelle parfaitement
du contexte dans lequel l’item a été encodé (donc une
« recollection » de l’événement), et les réponses jugées
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Jeunes
Intermédiaires
Âgés
7
6
5
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4
3
2
1
0
Encodage
superficiel
Encodage
profond
Figure 1. Scores de rappel libre obtenus à la tâche de mémoire épisodique (ESR [35]) par des sujets sains jeunes, d’âge intermédiaire et âgés. Après encodage superficiel, les performances des sujets d’âge intermédiaire (> 40 ans) sont significativement diminuées par rapport aux sujets jeunes. Après encodage profond, tandis que les sujets d’âge intermédiaire obtiennent en moyenne la même performance que les sujets jeunes, les individus âgés (> 60 ans)
se rappellent significativement moins d’items (voir [4]).
« je sais » (« know », K) où le sujet sait (avec certitude) qu’il
a effectivement encodé cet item mais via un sentiment de
familiarité, sans recollection. La récupération fondée sur la
recollection diminue significativement avec l’âge, ce qui
n’est pas le cas pour la récupération fondée sur un sentiment de familiarité [8].
La comparaison des effets de l’âge et de la MA peut se
faire sur deux axes, un axe quantitatif et un axe qualitatif. En
effet, certains processus semblent être altérés dans les deux
cas, mais de façon plus importante dans la MA, telle la
récupération contrôlée, tandis que d’autres sont sélectivement atteints dans la MA, comme l’encodage [9]. De plus,
la sévérité du syndrome démentiel et l’altération d’autres
fonctions cognitives sont des facteurs qui contribuent à la
baisse des performances mnésiques dans la MA.
Peu de travaux relatifs à la nature du traitement des
items à l’encodage ont été publiés dans la MA. Les quelques
résultats tendent à montrer, malgré une diminution globale
des performances de récupération, l’effet bénéfique – certes
faible mais significatif – d’un encodage profond sur un
encodage superficiel [10]. Cependant, les patients à un
stade avancé de la maladie ou présentant des troubles de
116
nature sémantique ne bénéficient pas d’un encodage profond. La MA se caractérise par une augmentation du taux
d’oubli avec le temps et par une altération des capacités
de reconnaissance [11]. De plus, que ce soit en rappel
libre ou en reconnaissance, les patients produisent un
nombre significatif d’erreurs, des intrusions et des fausses
reconnaissances [12]. Concernant enfin le mode de récupération, le nombre de réponses R des patients diminue par
rapport à des sujets âgés sains, et de surcroît, même lorsqu’ils estiment avoir eu accès au contexte d’encodage, ils
éprouvent des difficultés à justifier leurs réponses [13].
Altérations cérébrales structurales
et fonctionnelles au repos
dans le vieillissement normal
et dans la MA
Diagnostiquer au plus tôt la MA constitue l’une des priorités en matière de santé publique dans notre société, mais
cela implique de bien connaître l’évolution physiologique
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du vieillissement cérébral. De nos jours, un outil indispensable à la détection de modifications cérébrales est la
neuro-imagerie. Concernant le vieillissement normal, les
études d’imagerie morphologique et fonctionnelle (en
tomographie par émission de positons (TEP) après injection
de glucose marqué) montrent une atrophie corticale et un
hypométabolisme qui prédominent dans le cortex préfrontal
[14]. Ces altérations concernent aussi les cortex pariétal et
temporal. Les résultats concernant les autres régions cérébrales sont plus divergents. L’hippocampe a notamment
fait l’objet de nombreuses recherches, tant parce que
cette structure joue un rôle-clé dans le fonctionnement
de la mémoire épisodique que parce qu’elle est la cible
préférentielle des lésions de la MA. Cependant, certaines
études montrent une atrophie de cette région chez les
sujets sains âgés, tandis que d’autres concluent à sa relative préservation. Dans notre laboratoire, nous avons mené
une étude dont le but était de dresser un profil complet des
modifications structurales et métaboliques survenant au
cours du vieillissement normal, à savoir non seulement
les régions cérébrales les plus détériorées mais aussi les
mieux préservées (figure 2) [14]. Nous avons montré que
les régions les plus détériorées sur le plan morphologique
sont les cortex frontal et pariétal, ainsi que la partie caudale de l’hippocampe. Les régions les mieux préservées
sont la partie rostrale de l’hippocampe et le thalamus.
Ainsi, les divergences observées dans la littérature quant
à l’évolution avec l’âge du volume hippocampique pourraient s’expliquer au moins en partie par le fait que cette
structure ne se comporte pas de façon homogène.
Au niveau métabolique, les cortex frontal et pariétal
sont les plus sensibles aux effets de l’âge, tandis que les
régions hippocampiques sont préservées, ainsi que le
gyrus cingulaire postérieur. Au total, les modifications cérébrales suivent les axes phylo- et onto-génétiques : les
régions les plus altérées sont les dernières à être apparues
lors de l’évolution (le néocortex, et surtout les aires préfrontales), et les régions les plus résistantes aux effets de l’âge
Vieillissement normal
Maladie d'Alzheimer
Atrophie
Préservation structurale
Atrophie
Hypométabolisme
Préservation métabolique
Hypométabolisme
Figure 2. Profils d’altérations cérébrales dans le vieillissement normal et la maladie d’Alzheimer. Au cours du vieillissement normal (voir [14]), le cortex
frontal ainsi que le cortex pariétal sont les régions les plus détériorées sur le plan structural et fonctionnel au repos (bleu). En revanche, les régions qui
montrent une préservation relative (vert/jaune) sont l’hippocampe antérieur (structural) et le gyrus cingulaire postérieur (métabolisme). Dans la maladie
d’Alzheimer, les régions les plus détériorées (rouge/orange) sont les régions hippocampiques (structural) et le gyrus cingulaire postérieur (métabolisme).
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sont celles qui sont apparues en premier dans l’évolution
(les régions appartenant au système limbique), étayant
l’hypothèse développementale. Ceci n’est pas le cas dans
la MA, où le profil inverse est observé pour deux régions :
l’hippocampe (surtout sa partie antérieure, voir [15]) sur le
plan structural et le gyrus cingulaire postérieur au niveau
métabolique sont les structures les plus atteintes dans la
pathologie [16], alors qu’elles sont les mieux préservées
au cours du vieillissement normal (figure 2) [17].
D’autres perturbations fonctionnelles ont été récemment mises en évidence dans le vieillissement normal et la
MA, en utilisant l’IRM fonctionnelle (IRMf) au repos. Cette
technique a permis de démontrer chez le sujet sain jeune
l’existence d’un réseau activé en continu lorsque ce dernier
n’est pas engagé dans une activité cognitive. Ce réseau,
dénommé réseau par défaut, comprend principalement
des régions médianes du cerveau, telles que les cortex
préfrontal médian, le gyrus cingulaire postérieur et antérieur, le précuneus, et, de façon moins systématique, le
lobe temporal interne. L’activité de ce réseau diminue
(déactivations) lorsque le sujet s’engage dans une tâche
cognitive. Les données actuelles suggèrent une perturbation
du réseau par défaut sur un axe antéro-postérieur dans le
vieillissement normal incluant les cortex préfrontal et pariétal médians, tandis que la MA serait plutôt caractérisée par
une perturbation fonctionnelle plus particulièrement localisée entre le lobe temporal interne (hippocampe) et le gyrus
cingulaire postérieur dans les premiers stades de la maladie,
cette perturbation s’étendant à l’ensemble des régions
constituant le réseau au fur et à mesure que la maladie
progresse [18].
Substrats cérébraux des troubles
de la mémoire épisodique
L’existence de modifications structurales et fonctionnelles
au repos accompagnant le vieillissement normal, d’une
part, et la diminution des performances de mémoire épisodique, d’autre part, conduisent naturellement à tenter
d’établir des liens entre ces deux phénomènes. Des études
réalisées en activation montrent que différentes régions sont
impliquées lors d’une tâche de mémoire en fonction de
l’âge. Une autre méthode, consistant à corréler des données
cérébrales et des scores mnésiques, permet de mettre en
évidence les régions dont l’atrophie ou le dysfonctionnement est responsable du déclin de la mémoire. Les résultats
obtenus dans les deux séries d’études ont permis de poser
des hypothèses explicatives de la diminution des capacités
en mémoire épisodique, mais aussi de suggérer des processus compensatoires.
Études en activation
Un nombre important d’études d’activation en TEP ou
en IRM fonctionnelle (IRMf) s’est focalisé sur les activations
du cortex frontal, lors de tâches de mémoire épisodique.
118
Ces travaux ont été décisifs dans la formulation du modèle
HERA (hemispheric encoding/retrieval asymmetry), qui
décrit une asymétrie hémisphérique des processus d’encodage et de récupération en mémoire épisodique au niveau
du cortex frontal [19] : le cortex frontal gauche s’active plus
que le droit lors de l’encodage, tandis que le cortex frontal
droit s’active davantage que le gauche lors de la récupération. Dans le vieillissement normal, plusieurs auteurs ont
montré que l’asymétrie du modèle HERA tend à s’atténuer
chez les sujets âgés, avec des activations frontales bilatérales, tant lors de l’encodage que de la récupération.
Ces résultats ont donné naissance au modèle HAROLD
(hemispheric asymmetry reduction in older adults) [20].
Deux explications ont été proposées quant à ce phénomène : l’hypothèse de la compensation et celle de la
dédifférenciation. Selon la première, ce phénomène de
bilatéralisation de l’activation frontale pourrait intervenir
dans le but de contrer le déclin neurocognitif lié à l’âge.
Elle implique que les performances des sujets qui présentent une activation bilatérale soient supérieures à celles
des sujets dont l’activation est unilatérale. Selon l’hypothèse de la dédifférenciation, cette réduction de l’asymétrie
refléterait des difficultés à recruter les mécanismes neurocognitifs spécifiques. Cabeza et al. [21] ont testé ces deux
hypothèses en comparant l’activité cérébrale de sujets jeunes, de sujets âgés présentant les mêmes performances que
les jeunes, et de sujets âgés présentant des scores inférieurs,
à une tâche de récupération de la source en mémoire épisodique. Chez les sujets jeunes, seul le cortex préfrontal
droit est activé, en accord avec le modèle HERA. Il en est
de même chez les sujets âgés qui ont eu de moins bonnes
performances. En revanche, chez les sujets âgés présentant
des performances similaires aux sujets jeunes, une activation frontale bilatérale a été observée. Ces résultats sont
donc en faveur de l’hypothèse de la compensation : l’activation frontale bilatérale refléterait une réorganisation
neurocognitive bénéfique. En réalité, les deux hypothèses
ne sont pas exclusives, dans la mesure où l’existence de
phénomènes compensatoires implique la nécessité de compenser et, par conséquent, l’existence de mécanismes
neurocognitifs déficitaires tels qu’une diminution de la spécificité de certains réseaux neuronaux. Ces réseaux moins
efficaces au cours du vieillissement pourraient se situer
dans les aires corticales postérieures, notamment le cortex
occipital, dont l’activité est souvent réduite chez les sujets
âgés. Davis et al. [22] ont par exemple montré que les adultes âgés ayant le moins d’activité occipito-temporale activaient davantage le cortex frontal, l’activité frontale étant
positivement corrélée aux performances cognitives, un
phénomène qu’ils ont dénommé PASA (Posterior-Anterior
Shift in Aging). Néanmoins, la bilatéralisation de l’activité
frontale n’est pas toujours associée à des processus de compensation efficaces. Ainsi, il a été montré que des sujets
âgés présentant un déclin en mémoire épisodique sur un
suivi longitudinal activaient de façon supplémentaire le
cortex frontal droit lors de l’encodage, ce qui n’était pas le
cas chez des sujets âgés qui présentaient des performances
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stables au cours du temps [23]. Néanmoins, au sein du
groupe déclinant, l’activité frontale était positivement
corrélée aux performances, en accord avec l’hypothèse de
compensation. Il est également important de noter qu’un
nombre non négligeable de travaux a montré qu’une
diminution de l’activation frontale chez des sujets âgés
était associée à une diminution de performance [24].
Selon certains auteurs, les mécanismes compensatoires
sous-tendus par le cortex frontal suppléeraient les défaillances de l’hippocampe chez les sujets âgés [25]. En fait, dans
le vieillissement normal, les modifications de l’activité des
régions du lobe temporal interne sont encore mal comprises, du fait de la relative complexité des phénomènes
(parfois divergents) observés. Dans une étude réalisée dans
le laboratoire [26], l’activité cérébrale de sujets jeunes et
âgés était mesurée lors d’une tâche d’encodage et de récupération en mémoire épisodique. Les sujets âgés montraient
des performances de récupération diminuées. Au sein de
chaque groupe, des corrélations ont été calculées entre le
débit sanguin cérébral mesuré pendant l’encodage et les
scores mnésiques recueillis ultérieurement, afin d’identifier
les régions cérébrales essentielles au fonctionnement de la
mémoire. Si, chez les sujets âgés, les corrélations concernaient en priorité le cortex frontal, en accord avec l’idée
de mécanismes compensatoires sous-tendus par cette
région, elles étaient également significatives avec l’activité
du lobe temporal interne, comme chez les sujets jeunes.
En revanche, certains auteurs ont mis en évidence une
altération de certains processus sous-tendus par l’hippocampe. Ainsi, les résultats de l’étude en IRMf de Daselaar
et al. [27] suggèrent que les sujets âgés s’appuient sur des
processus de familiarité, sous-tendus par le cortex rhinal,
pour compenser des processus défaillants de recollection,
sous-tendus par l’hippocampe (voir infra le paragraphe sur
la connectivité). L’étude de Morcom et al. [28] montre
également une diminution de l’activation hippocampique chez des sujets âgés, mais seulement chez ceux qui
obtiennent des performances inférieures à celles des jeunes.
À l’inverse, chez ceux qui ont de bonnes performances,
l’activation est équivalente à celle des jeunes. Dans
l’ensemble, les résultats de la littérature sur le vieillissement
normal montrent un fonctionnement relativement efficace
des régions du lobe temporal interne, ou des anomalies
d’ampleur modérée. À ce jour, une seule étude longitudinale
a été menée en activation en mémoire épisodique sur le vieillissement normal et, là encore, l’activité des régions du lobe
temporal interne, et plus particulièrement de l’hippocampe,
est apparue préservée sur une période de 9 ans [29].
Les données des études d’activation dans la MA sont
homogènes et convergent vers une diminution importante
de l’activité hippocampique tant lors de l’encodage que de
la récupération des informations en mémoire épisodique
[30]. Chez des patients MCI (mild cognitive impairment)
souffrant de troubles de la mémoire isolés et à risque
accru de développer une MA, l’activité de la région hippocampique semble au contraire augmentée, ce qui pourrait
témoigner de mécanismes compensatoires transitoires se
manifestant uniquement à un stade précoce [31].
Un deuxième résultat émerge des études d’activation dans
la maladie d’Alzheimer : l’augmentation des activations,
principalement dans le cortex frontal, supposées soustendre les mécanismes compensatoires [32]. Cette hypothèse a été confortée par les résultats de Rémy et al. montrant des corrélations significatives entre les activations
frontales et les performances mnésiques [33].
Au total, les résultats vont plutôt dans le sens d’un
moindre impact des effets de l’âge sur le lobe temporal
interne, mais d’un effet délétère marqué de la MA sur
cette région. De plus, des phénomènes de sur-activation
du cortex frontal dans le vieillissement normal et la MA
suggèrent que cette vaste et complexe région néocorticale
jouerait un rôle compensatoire. Il se peut cependant
que des régions différentes du cortex frontal sous-tendent
les mécanismes compensatoires dans le vieillissement
normal et dans la maladie d’Alzheimer, comme le suggère
la méta-analyse de Schwindt et Black [30]. Pour l’encodage comme pour la récupération, les sujets âgés sains
activeraient des aires frontales dorsales et rostrolatérales,
tandis que les patients MA recruteraient plutôt des aires
frontales dorso- et ventrolatérales. Selon ces auteurs,
l’augmentation de l’activité des régions frontales ventrolatérales caractériserait une réaction de compensation
relativement efficace directement liée à la diminution de
l’activité hippocampique.
Corrélations cognitivo-métaboliques
et cognitivo-structurales
La méthode des corrélations entre scores cognitifs et
données cérébrales permet de mettre en évidence les
régions cérébrales dont l’atteinte sous-tend les diminutions
de performances. Au sein du laboratoire, nous avons
appliqué cette méthode à des sujets sains d’âges différents
[4], ainsi qu’à des patients MCI [34] en utilisant la tâche ESR
(encodage, stockage, récupération [35]). Cette tâche a permis de recueillir des scores de récupération après encodage
superficiel (traitement perceptif) et profond (traitement
sémantique) de mots. Nous avons montré que les substrats
cérébraux du déclin de la mémoire épisodique au cours du
vieillissement normal étaient très différents de ceux du
déclin des patients MCI, notamment dans la condition de
rappel libre après encodage profond. En effet, dans cette
condition, le déclin de la mémoire épisodique au cours du
vieillissement normal dépend principalement de l’intégrité
des cortex frontal et pariétal, alors que chez les patients
MCI, le déficit est lié au dysfonctionnement du gyrus cingulaire postérieur (figure 3). Cependant, nous avons noté,
chez les sujets âgés sains, une vulnérabilité de la partie postérieure des régions (para)hippocampiques pouvant être
responsable de déficits mnésiques spécifiques, liés à des
processus de nature perceptive, qui pourrait s’expliquer
par les connexions importantes qui lient ces structures
aux régions visuelles. Souhaitant également explorer les
substrats cérébraux de processus cognitifs préservés et/ou
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Corrélations cognitivo-métaboliques
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Sujets sains d'âge intermédiaire et âgés
Patients MCI
Figure 3. Résultats de corrélations entre les scores de rappel libre après encodage profond, obtenus à la tâche de mémoire épisodique ESR [35] et le métabolisme cérébral chez des sujets sains d’âge intermédiaire et âgés, et chez des patients MCI. Dans le vieillissement normal, la diminution des performances est liée au métabolisme du cortex préfrontal et des régions pariétales latérales (voir [4]). Chez les patients MCI, cette diminution est associée au
dysfonctionnement du gyrus cingulaire postérieur (voir [34]).
compensatoires, nous avons pu montrer, qu’au cours du
vieillissement normal, la partie antérieure des régions hippocampiques, les cortex frontal et pariétal étaient impliqués
dans ces phénomènes, mais jusqu’à un certain âge (60 ans).
Au-delà de 60 ans, ces processus semblent montrer une
moindre efficacité.
Le cortex pariétal suscite un intérêt grandissant concernant la mémoire épisodique. Les cortex frontal et pariétal
sont souvent activés conjointement lors de tâches de
mémoire épisodique, plus particulièrement lors de tâches
de récupération, et il a été montré que cette activation
mettait en jeu des processus attentionnels [36]. Le cortex
pariétal latéral serait donc impliqué dans les processus
attentionnels spécifiquement dirigés vers la mémoire
épisodique. Le modèle AtoM (Attention to Memory, [37])
postule que :
– le lobe pariétal supérieur sous-tendrait des processus
attentionnels « top-down », reflétant l’orientation de l’atten-
120
tion vers le monde extérieur afin de détecter des informations pertinentes en lien avec la tâche (lors d’une tâche de
reconnaissance par exemple) ;
– le lobe pariétal inférieur sous-tendrait les processus
attentionnels « bottom-up », où l’attention du sujet est capturée par une information extérieure qui sera reconnue si elle
correspond à la représentation mentale que le sujet en a.
Jusqu’à présent, peu d’études se sont intéressées à AtoM
dans le vieillissement normal et pathologique. Certaines
données laissent cependant penser que les processus attentionnels « top-down » seraient particulièrement atteints
dans le vieillissement normal [38], mais un déficit des
processus « bottom-up » existerait aussi [39]. Ainsi, nos
résultats peuvent être interprétés en termes de préservation
(chez les moins de 60 ans) et d’altération (chez les plus
âgés) de ce réseau fronto-pariétal sous-tendant les processus
attentionnels stratégiques lors de la récupération d’informations en mémoire épisodique.
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Ces données nous permettent de conclure que les substrats cérébraux du déclin de la mémoire épisodique au
cours du vieillissement normal et pathologique sont totalement différents. Dans le vieillissement normal, l’altération
du circuit attentionnel, ou exécutif, comprenant le cortex
frontal et la partie latérale du cortex pariétal, serait principalement responsable de la diminution des performances.
Dans la MA, c’est l’altération du circuit limbique, comprenant les régions hippocampiques et le gyrus cingulaire
postérieur, qui serait principalement responsable des troubles de la mémoire épisodique. Ceci a été montré non
seulement chez des patients MCI, mais aussi chez des
patients avec MA avérée à un stade peu sévère de la maladie [16, 40]. Cette conclusion est à nuancer, puisque nous
ne pouvons exclure ni des perturbations de nature purement mnésique dans le vieillissement normal (comme
nous l’avons montré avec l’atteinte de la partie postérieure
du gyrus parahippocampique), ni des perturbations frontopariétales, donc de nature exécutive, chez les patients MA,
le cortex pariétal étant une région très touchée sur le plan
métabolique dans cette pathologie.
Études de la connectivité fonctionnelle
et structurale
Dans les paragraphes précédents, nous avons rapporté les résultats de travaux ayant utilisé des données
volumétriques, métaboliques, et d’activation. Cependant,
un problème physiologique d’une autre nature peut être à
l’origine du déclin cognitif, celui de la connectivité entre
différentes régions cérébrales. Par connectivité on peut
signifier la connectivité fonctionnelle, ainsi que la connectivité structurale [41]. La connectivité fonctionnelle peut
être étudiée au repos (voir ci-dessus) ou à partir d’études
en activation, grâce à des méthodes d’analyse particulières.
Concernant les effets de l’âge sur la connectivité fonctionnelle en mémoire épisodique, les sujets âgés utiliseraient
des stratégies neurocognitives différentes pour réaliser les
tâches, par rapport aux sujets jeunes, parfois de façon efficace, et parfois de façon inadaptée. Le fait d’utiliser des
stratégies différentes implique fortement l’idée de l’utilisation de réseaux neurofonctionnels parallèles. Daselaar et al.
[27] ont étudié les liens fonctionnels entre le néocortex et le
lobe temporal interne lors d’une tâche de récupération à
l’issue de laquelle les sujets âgés reconnaissaient mieux
les items par un sentiment de familiarité (réponse K) que
par recollection (réponse R). Par ailleurs, comme mentionné plus haut, ils ont montré aussi que les réponses K
dépendaient préférentiellement du cortex rhinal, tandis
que les réponses R dépendaient de l’hippocampe. De plus,
la connectivité entre le cortex rhinal et les structurales frontales était plus importante chez les sujets âgés que chez les
sujets jeunes, alors que la connectivité entre l’hippocampe
et une partie du cortex cingulaire postérieur (le cortex rétrosplénial) et les aires temporo-pariétales gauches était plus
importante chez les sujets jeunes que chez les sujets âgés.
Ainsi, un réseau, et non pas une région isolée, serait à l’ori-
gine d’un phénomène de compensation. Avec l’exemple
que nous avons pris, il est ainsi possible de conclure que
les processus neurocognitifs relatifs à la recollection étant
altérés dans le vieillissement, les sujets âgés engagent la
voie de la récupération en mémoire par la familiarité afin
de suppléer à ce déficit via le réseau cortex rhinal-cortex
frontal. Néanmoins, l’analyse de la connectivité fonctionnelle ne permet pas de conclure si l’engagement de réseaux
cérébraux différents est dû à un changement de stratégie
cognitive ou à l’impossibilité d’utiliser le réseau normalement engagé pour un traitement cognitif spécifique du fait
de son altération structurale.
Pour répondre à cette question, il existe une acquisition
structurale en IRM qui permet une analyse fine de l’intégrité
des fibres de substance blanche, l’IRM du tenseur de diffusion (diffusion tensor imaging [DTI]). Cette technique permet de mettre en évidence l’orientation spatiale principale
des faisceaux de fibres blanches (l’anisotropie), ainsi que le
degré de diffusion en chaque point du cerveau. L’augmentation de la diffusion de l’eau traduit la diminution du nombre de fibres et, dans une comparaison entre deux groupes,
une différence de diffusion peut signifier une démyélinisation des axones ou une perte axonale (donc des connexions
structurales affaiblies). Chez des sujets âgés sains, plusieurs
travaux ont montré une atteinte de la substance blanche des
lobes frontaux et de la région antérieure (le genou) du corps
calleux [42]. Persson et al. [23] ont montré des résultats très
intéressants à propos de l’impact de l’atteinte des fibres de
substance blanche sur la mémoire épisodique dans le vieillissement normal. La méthode d’analyse consistait à
corréler les indices d’anisotropie et de diffusion avec les
scores recueillis auprès des sujets. Conjointement, ils ont
également mesuré l’activité cérébrale des sujets lors de la
tâche d’intérêt en IRMf. Ils ont ainsi pu montrer que les
sujets âgés qui présentaient des scores de mémoire épisodique plus faibles avaient aussi une détérioration plus
importante du genou du corps calleux, et une activité plus
importante du cortex frontal. Au final, cette étude montre
bien les liens entre atteinte structurale et mise en place de
processus compensatoires fonctionnels (inefficaces dans
cette étude).
Par contraste, les études menées chez des patients MCI
ou Alzheimer ont montré des disconnexions au sein du système limbique. Récemment, Villain et al. [43] ont démontré
chez des patients MA que l’atrophie de l’hippocampe était
responsable de l’hypométabolisme du gyrus cingulaire postérieur via un phénomène d’altération des fibres de substance blanche du cingulum connectant directement les
deux régions cérébrales. D’autres études ont établi des
corrélations entre des mesures issues de données DTI et
des performances mnésiques. Par exemple, Fellgiebel
et al. [44] ont montré une corrélation significative entre les
coefficients d’anisotropie et de diffusion du cingulum et des
scores de mémoire épisodique, indiquant que cette disconnexion sous-tendrait en partie les troubles mnésiques chez
ces patients. Kalus et al. [45] ont utilisé la même méthodologie pour explorer la voie perforante qui relie le cortex
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entorhinal à l’hippocampe, région où se manifestent les
premières lésions de la MA. Ayant obtenu :
– une différence significative de l’indice d’anisotropie
entre les sujets sains et les patients MCI ;
– une corrélation significative entre l’indice d’anisotropie de ce faisceau et les scores mnésiques, les auteurs
concluent que la dégradation précoce de cette principale voie d’entrée dans le système limbique serait en
grande partie responsable des troubles précoces de la
mémoire.
Enfin, l’étude du corps calleux en lien avec les activations cérébrales est extrêmement importante dans la compréhension du déclin cognitif ainsi que des phénomènes
compensatoires liés à l’âge et à la maladie. Ce grand
faisceau connectant les deux hémisphères pourrait en effet
jouer un rôle dans le phénomène de bilatéralisation
observé dans le vieillissement normal, non seulement
dans les processus mnésiques mais aussi dans un vaste
ensemble de mécanismes neurocognitifs. Une revue
récente de la littérature à ce sujet suggère que dans le vieillissement normal, malgré l’altération anatomique du corps
calleux, ce dernier permettrait tout de même de faciliter le
transfert de l’information entre les deux hémisphères et de
recruter les régions controlatérales [46]. Dans certains cas,
l’augmentation de la coopération interhémisphérique pourrait aussi résulter d’une diminution de l’action inhibitrice du
corps calleux, action normalement exercée pour optimiser
le fonctionnement des processus cognitifs latéralisés.
L’atteinte calleuse serait alors associée à une moindre latéralisation. En revanche, dans la maladie d’Alzheimer
les compensations fonctionnelles seraient plutôt intrahémisphériques qu’interhémisphériques. Cette hypothèse
intéressante mérite d’être explorée de façon plus systématique ; elle suggère aussi l’importance des investigations
multimodales encore peu nombreuses à ce jour, comme
le couplage DTI-IRMf, par exemple.
Conclusion
À ce jour, d’importantes différences sur les plans cognitif et cérébral permettent de distinguer le vieillissement
normal du vieillissement pathologique. Le vieillissement
normal se caractérise par une atteinte préférentielle du
cortex fronto-pariétal, tandis que la MA touche en priorité
les régions du système limbique. Ces modifications soustendent un déficit en mémoire épisodique au sein des
deux populations, mais les processus atteints ne sont pas
les mêmes. Chez les sujets âgés sains, l’altération du
néocortex induit un dysfonctionnement de nature stratégique, exécutive, qui serait responsable du déclin de la
mémoire épisodique, tandis que l’altération du système limbique dans la MA sous-tend un dysfonctionnement authentique de la mémoire. Cependant, l’altération de processus
122
mnésiques chez les sujets âgés sains, sous-tendus par les
régions hippocampiques, n’est pas exclue. De même, on
ne peut exclure des déficits de nature exécutive supplémentaires dans la MA, sous-tendus par un dysfonctionnement
de la boucle fronto-pariétale. En résumé, les études les
plus récentes en neuro-imagerie montrent bien tout l’intérêt
d’utiliser plusieurs techniques d’imagerie cérébrale permettant de mieux cerner la complexité des processus cognitifs
qui dépendent de vastes réseaux cérébraux et de mieux
appréhender la nature des dysfonctionnements qui
accompagnent le vieillissement normal et pathologique.
Un nombre croissant de travaux s’intéresse aux processus préservés et compensatoires aussi bien dans le vieillissement normal que pathologique. De nombreux modèles
ont récemment été proposés afin de rendre compte des
capacités plastiques du cerveau à recruter des réseaux alternatifs efficaces lorsque ceux qui sont normalement dévolus
à la fonction ne le sont plus. Cette capacité a été nommée
« scaffolding » (littéralement, échafaudage), et le modèle
le plus récent est « Scaffolding Theory of Aging and
Cognition » (ou STAC, [47]) qui donne une vue très dynamique des phénomènes compensatoires dans le vieillissement (voir aussi [48]). En plus de fournir des interprétations
aux modifications neurocognitives observées dans le vieillissement, ce modèle intègre également la notion de
« réserve cognitive » sur laquelle nous allons conclure.
Cette notion de réserve cognitive devra être davantage
prise en compte dans les années à venir. Ce concept a
émergé à partir de l’observation de l’absence de lien direct
entre le degré d’atteinte cérébrale et la manifestation
clinique de cette atteinte dans plusieurs pathologies.
L’idée est que la variabilité qui existe naturellement d’un
individu à un autre dans la réserve cognitive se traduit par
une susceptibilité différentielle des facteurs qui sont responsables du niveau de performance. Une réserve cognitive
élevée chez les sujets âgés pourrait être à la base des capacités à engager des processus de compensation neurocognitifs, mais des études supplémentaires sont nécessaires afin
de préciser l’impact de la réserve sur le fonctionnement
neurocognitif dans le vieillissement normal mais aussi
pathologique [49, 50]. À ce jour, la plupart des travaux
ont utilisé le niveau d’éducation comme mesure de la
réserve cognitive, ce qui est insuffisant pour mesurer un
phénomène aussi complexe. Des facteurs comme les activités intellectuelles, de loisir, les interactions sociales et
l’exercice physique semblent avoir un impact dans cette
réserve et devront être considérés systématiquement dans
les études futures.
■
Conflit d’intérêts
Aucun.
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