Lésion isolée du ligament croisé antéroexterne : traitement

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Actualités en Médecine Physique
et de Réadaptation
P. Ribinik
F. Sailhan
ÉDITORIAL
Lésion isolée du ligament
croisé antéroexterne :
traitement conservateur
ou traitement chirurgical ?
Isolated anterior cruciate ligament tear:
conservative versus reconstructive treatment
La rupture du ligament croisé antérieur (LCA) est responsable de l’apparition
d’une instabilité du genou qui se manifeste par une gêne fonctionnelle pouvant
s’exprimer à l’occasion des activités sportives (en particulier de pivot) ou des
activités socioprofessionnelles, ou qui, au contraire, reste muette.
La prise en charge d’une rupture isolée du LCA a pour objectif premier la récupération de la stabilité du genou, quelle que soit la méthode thérapeutique choisie.
La prise en charge des patients ayant une rupture du LCA isolée par un traitement fonctionnel est connue depuis longtemps et a fait l’objet de nombreuses
études, dont les résultats varient selon les protocoles utilisés (1-3). Plusieurs
de ces études montrent que le traitement conservateur apporte des résultats équivalents à ceux du traitement chirurgical (par ligamentoplastie) sur le
plan fonctionnel (3). En revanche, le taux de lésions méniscales secondaires
nécessitant un geste chirurgical ainsi que le taux de patients chez qui le genou
reste instable (évalués par le test de Lachman, le KT-1000 et le pivot-shift test)
sont significativement plus élevés chez les patients non opérés (3). Church et
Keating (4), puis Brunet et al. (5), ont également montré que plus la prise en
charge est tardive, plus les lésions méniscales secondaires sont fréquentes.
Ce traitement reste indiqué dans certaines indications.
Par ailleurs, l’échec des sutures précoces du LCA rompu (6) a contribué à l’essor
de la ligamentoplastie. Strand et al. (7) ont montré que la suture directe du LCA
s’accompagnait d’un taux d’échec de plus de 50 % sur 15 ans de recul et avec
seulement 40 % de patients satisfaits.
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Enfin, la possibilité d’une cicatrisation spontanée du LCA rompu, confirmée par
IRM, a été rapportée (8-12). Néanmoins, ces rares études ne permettent pas
de tirer de conclusions, dans la mesure où elles rapportent très peu de cas, les
populations étudiées sont inhomogènes (non-sportifs, sportifs, athlètes, etc.),
les méthodes thérapeutiques sont toutes différentes, les LCA des groupes
étudiés étaient soit réellement rompus, soit seulement traumatisés mais
continus, et les résultats sont contradictoires.
Le traitement fonctionnel et le traitement chirurgical restent donc les 2 options
thérapeutiques reconnues de tous en tenant compte de nombreux critères.
En 2008, la Haute Autorité de santé a clarifié les critères encadrant la prise en
charge thérapeutique des ruptures du LCA (13). Elle a rappelé que l’intervention
chirurgicale à un stade précoce n’est pas une nécessité et qu’il est souhaitable
de différer la ligamentoplastie pour diminuer le risque de complications (raideur
et thrombose veineuse).
L’association d’une lésion méniscale en anse de seau luxée et d’une lésion
ostéochondrale mobile de gros volume peut justifier un traitement chirurgical précoce pour traiter simultanément la rupture ligamentaire et les lésions
associées.
En dehors de ces cas particuliers, un traitement fonctionnel doit être entrepris
en priorité devant une rupture récente du LCA.
Une reconstruction du LCA différée peut être décidée, en tenant compte de plusieurs critères bien définis. Les éléments suivants doivent être pris en compte :
l’âge du patient, le type et le niveau de ses activités sportives et professionnelles,
l’ancienneté de la lésion, l’importance de la laxité, la présence ou l’absence
de lésions associées, en particulier méniscales ou cartilagineuses, dont la
fréquence est corrélée à l’ancienneté de la lésion. Le maître symptôme reste
l’instabilité fonctionnelle persistante, qui peut emporter seule la décision.
Enfin, il est maintenant admis que les techniques chirurgicales sont choisies
“à la carte” pour s’adapter aux besoins des patients, en respectant des critères
techniques désormais bien connus. La préservation du capital méniscal est
devenue un principe incontournable.
En revanche, bien que stabilisant le genou, la ligamentoplastie n’a pas de rôle
protecteur contre l’apparition des lésions arthrosiques. Il a été montré que le
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risque de développer une gonarthrose secondaire après rupture du LCA existe,
que le patient ait bénéficié ou non d’une ligamentoplastie (3, 14). Aucune étude
à ce jour n’a montré que la reconstruction chirurgicale du LCA permettait de
réduire ce risque évolutif (14). Très récemment, Nordenvall et al. (15) ont analysé
le devenir arthrosique de 64 614 patients du registre national suédois ayant eu une
lésion du LCA entre 1987 et 2009 (traitement fonctionnel ou chirurgical). Ils n’ont
pas mis en évidence de différence significative entre les 2 groupes concernant
le risque d’apparition d’une gonarthrose à 5 ans. Sur 10 ans de recul et plus, le
risque arthrogène chez les patients opérés est soit le même (16), soit significativement plus important que chez les patients non opérés (15). Il faudrait pouvoir
comparer cette évolution dégénérative avec celle d’une population de genoux
normaux, et c’est bien une des difficultés de cette problématique importante.
Ainsi, face à une littérature abondante, avec des résultats de séries de qualité
très inégale, il est utile de proposer une mise à jour de la question du traitement de la rupture du LCA isolé.
Si les grandes lignes de la prise en charge n’ont pas changé, il est légitime de
s’interroger sur la place respective des différents traitements dont nous disposons. Quels sont les arguments à prendre en compte en faveur d’un traitement conservateur ou d’un traitement chirurgical ? Quelles sont les limites du
traitement fonctionnel (jeune âge, fort niveau d’activité, projet sportif, adhésion
du patient) et du traitement chirurgical (patient plus âgé, qualité du traitement
fonctionnel) ? Quels sont les protocoles de rééducation les mieux adaptés, quel
est le niveau d’implication nécessaire des patients pour quel résultat ? Quelle
technique chirurgicale favoriser et pour quels patients ? Quels seront la durée
du traitement, l’évolution à long terme et le niveau de reprise du sport après
un traitement fonctionnel ou chirurgical ?
Ce dossier thématique est destiné à vous apporter des éléments de réponse et
à vous aider dans la prise en charge de vos patients au quotidien.
F. Sailhan*, P. Ribinik**
* Chirurgien orthopédiste ; service de chirurgie orthopédique et traumatologique, hôpital Cochin ;
espace médical Vauban ; clinique Arago, Paris.
** Médecin de médecine physique et de réadaptation ; service de médecine physique et de réadaptation,
centre hospitalier de Gonesse.
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Part I: the long-term functional disability in athleti-
43es ENTRETIENS de MÉDECINE PHYSIQUE
et de RÉADAPTATION
Montpellier, Palais des congrès – Le Corrum
LES COLLOQUES
Mercredi 4 mars
Jeudi 5 mars
Vendredi 6 mars
• Contention et mesures
• La peau en médecine du sport :
de restriction de mobilité en MPR
• Toxine botulique et douleur
• Pratiques ambulatoires
en MPR : quel avenir
et quelles perspectives ?
• Déformations du rachis de l’adulte
et rééducation
une interface aux intérêts
multiples
• Gestes techniques
en neuro-orthopédie
• Prise en charge de groupe en MPR
• Actualités sur les orthèses
du membre inférieur
• Pathologies professionnelles
et surpoids
• La fibromyalgie
• La cognition spatiale
• Thérapies manuelles
et médecine du sport :
le pied et la cheville
• Les plantalgies
Possibilité de valider un progamme de DPC à l’occasion des EMPR 2015
Organisation : Christian Hérisson – Vincent Brun – Isabelle Laffont – Arnaud Dupeyron – Jacques Pélissier
Association Entretiens de Rééducation et de Réadaptation Fonctionnelles
Renseignements – secrétariat administratif :
ERRF – Le Dauphiné – Résidence des Facultés
201, av. de la Justice-de-Castelnau, 34090 Montpellier
Tél. : 04 67 04 30 02 – Fax : 04 67 04 30 03
E-mail : [email protected]
Site internet : www.empr.fr
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