10 neurologie.com |vol. 1 n°1 |mars 2009
vecteur. Cette mutation est une des explications possibles de
l’extension très rapide de cette épidémie.
Sensible à la chaleur et à la dessication, la dissémination du
virus est intimement liée à la pérennité de son vecteur
principal, le moustique du genre
Aedes
(
Aedes albopictus
sur
l’Île de La Réunion et
Aedes aegypti
en Inde). Initialement
selvatique, le moustique s’avère être remarquablement adapté
au milieu humain et urbanisé, et même à des climats plus
tempérés. Par ailleurs, les œufs sont très résistants et peuvent
rester en latence avant d’éclore à la prochaine saison des
pluies. On retrouve les œufs et les larves aussi bien dans des
gîtes naturels (souches d’arbres, trous, petits plans d’eau,
feuillages…) qu’artificiels (vieux pneus, pots de fleurs…), et cela
explique parfaitement la difficulté des campagnes de
démoustication. De plus, les
Aedes
femelles piquant en début
et en fin de journée, l’utilisation de moustiquaires s’avère être
d’une efficacité limitée.
Le réservoir sauvage du virus est principalement représenté
par les singes et les rongeurs, mais d’autres espèces peuvent
être infectées, notamment l’homme. Ce dernier devient le
principal réservoir en période épidémique.
PRÉSENTATION CLINIQUE ET MANIFESTATIONS
NEUROLOGIQUES
Rappel sur la forme clinique habituelle de l’infection
Après une incubation silencieuse variant de deux à sept jours,
le diagnostic clinique est rapidement évoqué en contexte
épidémique devant la survenue brutale d’une fièvre pouvant
atteindre 40°C et de signes généraux, associés à des arthralgies
diffuses prédominant sur les extrémités des membres (poignets,
mains, chevilles et pieds). L’intensité des douleurs est une
caractéristique de la maladie; en Swahili, « Chikungunya »
signifie « marcher courbé » [2-5].
La phase aiguë dure cinq à dix jours, avec parfois d’autres signes
associés: céphalées, rachialgies, éruption maculo-papuleuse et
prurigineuse, œdème de la face et des extrémités, purpura et
gingivorragies minimes (surtout chez l’enfant). L’évolution est
généralement spontanément favorable en une dizaine de jours,
à l’exception des atteintes articulaires qui peuvent persister
de façon invalidante quatre mois à cinq ans. Il s’agit de la phase
chronique. À noter que les enfants sont généralement épargnés
par l’atteinte arthritique chronique [4, 7].
Manifestations neurologiques chez l’adulte
Du fait du caractère émergent de l’infection à Chikungunya,
les outils de recueil des données ont été mis en place avec un
certain décalage par rapport au début de l’épidémie et la
description de certaines manifestations est donc incomplète
à ce jour. De très rares cas d’infection à Chikungunya
compliqués de manifestations neurologiques ont été décrits
dans la littérature à type de méningo-encéphalite en Inde lors
des épidémies de 1965 et de 2006. Pendant l’épidémie à La
Réunion, des complications neurologiques aussi bien centrales
que périphériques ont été recensées. Elles sont à type de :
– méningo-myélo-encéphalite [6] diagnostiquée dans cinq cas
sur la positivité de la RT-PCR ou la présence d’IgM anti-
Chikungunya dans le LCR, et par élimination des autres
étiologies. Le LCR retrouvait un tableau de méningite virale
à liquide clair, lymphocytaire, modérément hyperprotéino-
rachique et normoglycorachique. Il a été rapporté huit
autres cas, mais la certitude du diagnostic n’est pas
documentée dans ces observations ;
– polyradiculonévrite ou syndrome de Guillain-Barré (trois
cas) dont certains ayant nécessité une assistance ventilatoire ;
– atteinte neuro-ophtalmique à type de trouble de
l’accomodation avec baisse de l’acuité visuelle et diplopie par
para-lysie des nerfs oculo-moteurs. Il n’a jamais été décrit de
névrite optique rétrobulbaire. Les autres manifestations
oculaires sont des atteintes muqueuses, uvéites ou sclérites.
L’évolution a été défavorable conduisant au décès pour 4 des
13 cas de myélo-méningo-encéphalite, tandis que la
récupération a été totale pour les 9 autres. Les patients
souffrant d’un syndrome Guillain- Barré ont, pour leur part,
récupéré de façon satisfaisante.
Manifestations neurologiques chez l’enfant
Les complications neurologiques chez l’enfant sont également
parmi les plus graves, notamment dans les infections acquises
par transmission materno-fœtale.
–
Encéphalite de l’enfant qui a été fatale dans le seul cas décrit
à La Réunion. Les rares cas décrits montrent une mortalité
élevée ou des séquelles neurologiques plus ou moins
importantes [7].
–
Méningo-encéphalite néonatale par infection materno-
fœtale confirmée par RT-PCR ou sérologie : elle réalise une
encéphalopathie avec crises convulsives, compliquée dans
certains cas d’état de choc et de coagulation intravasculaire
disséminée. Des séquelles sont possibles et d’importantes
lésions sont visualisées en IRM.
Il faut noter que 90% des infections de la mère pendant la
grossesse sont sans conséquence apparente pour l’enfant. Le
risque le plus important se situe dans le cadre d’un accouchement
en période de virémie chez la mère où une étude a montré une
transmission dans 50% des cas: parmi les enfants infectés, 10%
ont développé une méningo-encéphalite néonatale [8].
ÉLÉMENTS DU DIAGNOSTIC
Diagnostic virologique
Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence du virus
par culture, par la détection du génome viral amplifié par
RT-PCR, ou par des arguments sérologiques.
L’isolement du virus à partir du sang du malade n’a pas
d’intérêt en période épidémique confirmée, mais plutôt dans
les cas d’épidémie débutante pour confirmation et
caractérisation de la souche. Il se fait par culture après
inoculation de souriceaux nouveau-nés ou de cellules de
moustiques (Vero, C6/36).
L’amplification génique par RT-PCR sur le plasma des malades
est utile en phase initiale virémique (0-7 j). À noter qu’une
technique récente permet la caractérisation du virus, la
quantification de la virémie et l’analyse génétique de la
souche par cette approche de biologie moléculaire.
La recherche d’anticorps spécifiques de classe IgM est possible
dès le 5ejour après l’apparition des symptômes et marque
l’infection virale évolutive. Ils persistent durant plusieurs
semaines à plusieurs mois.
Jusqu’à la survenue de l’épidémie réunionnaise, ces
techniques de diagnostic n’étaient réalisées que dans les
laboratoires des centres nationaux de référence des
arboviroses (Lyon, Marseille et Cayenne).