Université de lausanne 
Faculté des Lettres - Section de philosophie 
Cours de philosophie générale 2008-2009 
Professeur : R. Célis 
Assistante : S. Burri 
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C'est en ce sens de l'effort sur soi, du travail de métamorphose qu'on peut qualifier Nietzsche de penseur 
de  la  volonté. En effet, Zarathoustra ne demande pas  l'aide  d'une  intervention extérieure.  Cette  attitude 
entraîne d'ailleurs paradoxalement une froideur. Mais cette froideur n'est pas dirigée vers les autres mais 
envers soi-même; il s'agit d'une sorte d'assombrissement intérieur. Le sentiment qu'éprouve le surhomme, 
Zarathoustra, est alors une nostalgie particulière; c'est la nostalgie du bonheur de ceux qui reçoivent. Dans 
«  le chant de nuit » une phrase résume cette nostalgie : «  Entre donner et recevoir il est une faille; et plus 
petite faille est la dernière qui se franchisse. » Ce qu'il faut entendre ici c'est que pour savoir recevoir, sans 
en vouloir à celui qui donne, il faut une certaine dose de courage. En effet, ce qui surgit souvent chez celui 
qui reçoit c'est la conscience d'une dette. Et ça, la conscience de la dette c'est, selon Nietzsche un poison 
au  sens  où  cela  engendre  une  certaine  rancune.  Toutefois,  selon  Nietzsche,  il  existe  aussi  un  grand 
bonheur à recevoir, lorsque l'on n'est pas dans une attitude commerçante. C'est donc un art, une vertu que 
de pouvoir recevoir. Cependant, lorsque l'on devient comme Zarathoustra, c'est-à-dire dans la solitude et 
la  souffrance,  on  n'est  plus  capable  de  recevoir  les  dons.  Cette  souffrance  est  corrélative  d'une  certaine 
cécité, d'une déception fondamentale. Nietzsche enseigne alors à ne pas attendre, à ne pas se disposer mais 
bien  plutôt  à  renoncer.  Toutefois  ce  renoncement  n'est  pas  sans  souffrance,  la  soif  qui  est  en  chaque 
homme est quelque chose de difficile à surmonter, à dépasser.  
 
  En analogie avec l'Evangile, Zarathoustra fait donc l'épreuve du désert. Il y a pour lui la tentation de 
la mélancolie au sens où le mélancolique est celui qui souffre de ne plus avoir de monde. Les textes qui 
suivent «  Le chant de nuit », «  Le voyageur » et «  De la vision et de l'énigme » sont autant de tentatives de 
réponse à cette difficulté. Zarathoustra dit : «  Et quelque destin encore que me vienne à présent, quelque 
expérience  vécue, —y seront  toujours  cheminement  et escalade de  montagnes; on  ne  vit à la  fit d'autre 
expérience encore que soi-même ». Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'il faut trouver son bonheur 
dans ce dépassement, dans cette escalade continuelle. Selon Nietzsche, il faut savoir à la fois se mépriser et 
s'aimer pour se surmonter. Lorsque Zarathoustra accomplit quelque chose, il n'en est pas satisfait et il faut 
sans cesse recommencer. C'est parce que le temps dans lequel nous vivons ne clôt jamais rien, on ne peut 
jamais affirmer que tout est accompli. Et l'idée de recommencement renvoie, une fois encore à la figure de 
l'enfanta  joueur,  celui  qui  recommence  sans  cesse.  Le  recommencement  implique  une  conception  du 
temps particulière. 
 
Le concept de temps 
 
 Lors  d'un  voyage  à  Sils  Maria,  en  Engadine,  Nietzsche  a  eu  la  vision,  la  saisie  de  ce  qu'il  appelle 
l'éternel retour. Qu'est-ce à dire ? Cette expérience est racontée dans le Zarathoustra sous la forme d'une 
porte, d'un portique. Le portique apparaît à Zarathoustra comme un instant décisif, le traverser est un acte 
décisif. Mais pourquoi ? Parce que lorsque l'on franchit un seuil, que l'on s'engage dans une direction, on 
peut  avoir  l'impression  que  l'on  décide  de  toute  sa  vie.  D'un  coup,  le  passé  devient  quelque  chose 
d'irrévocable, quelque  chose  auquel on ne  peut rien changer.  De plus, selon Nietzsche, ce passé n'a pas 
vraiment de fin. En effet, nous ne sommes  que la maillons d'une chaîne infinie des générations. Ce que 
nous  considérons  comme  irrévocable  appartient  à  la  fatalité  de  l'histoire  entendue  ici  au  sens  de  sa 
nécessité (de ce qui ne peut être autrement). L'image du portique présente alors, sous une forme figurative, 
ce moment où l'homme décide de quelque  chose de manière définitive. Alors, à ce moment, apparaît  la 
question de l'avenir. L'avenir peut-il apparaître comme quelque chose de différent ? Est-ce qu'il peut être 
transformé  ?L'idée de  boucle temporelle est  la plus  effrayante au sens où  tout serait à traverser, où  l'on 
serait en quelque sorte condamnés à la même mode continuelle. Toutefois Zarathoustra ne conçoit pas le 
temps ainsi. Pour concevoir le temps autrement, il s'agit de comprendre la donation du temps. Le temps se 
donne à chaque instant, il surgit et il faut alors percevoir que chaque moment est unique. Il faut percevoir 
qu'un instant peut se dilater en un instant intense. Un tel instant ne se répètera dès lors jamais. En ce sens