LUDWIG VAN BEETHOVEN UN COMPOSITEUR « LIBRE » AU
SOMMET DE SON ART
IX Les amours inabouties
Introduction
Sur la couverture des partitions de BEETHOVEN sont souvent mentionnés des noms de
dédicataires qui constituent la seule trace de la personne à qui il a ainsi été rendu hommage.
Parmi eux des noms de femmes. Ont-elles aidé le compositeur débutant dans une ville
artistique la concurrence était vive ? L'ont-elles aimé ? On n'en sait trop rien. Que connaît-
on par exemple de cette comtesse Babette von KLEGEVICS destinataire de cette Sonate 4
pour le clavecin ou le piano-forte, titrée de surcroît « Grande Sonate » ? D'autres au contraire
ont occupé dans sa vie une place de choix de consolatrice ou d'inspiratrice.
Les deux dernières séances seront consacrées aux seules femmes, connaissances parfois
éphémères, mais qui, d'une manière ou d'une autre, ont été en rapport avec la production
artistique du compositeur.
Ludwig van BEETHOVEN a aimé les femmes, c'est indéniable. Mais s'il donne
l'impression de papillonner, c'est qu'il a été maintenu malg lui dans cet état de quête
perpétuelle de la femme aimée et aimante avec qui aurait aimé fonder un foyer. Cette femme
exista-t-elle ailleurs que sous les traits de son héroïne : la Léonore de son opéra Fidelio ?
Sans doute l'ambitieux BEETHOVEN, pris dans le tourbillon de la vie mondaine de
Vienne, visa-t-il trop haut ou opéra-t-il le mauvais choix.
Nous porterons notre regard sur les plus importantes de ses compagnes aimées achevant
lors de la prochaine séance, l'ultime séance de l'année sur ces deux femmes énigmatiques
qu'ont été « l'éternelle Bien-Aimée » et « la Bien-Aimée lointaine ».
Les principales compagnes du compositeur
La famille von BRUNSWICK
Installé à Vienne depuis sept ans, Ludwig van BEETHOVEN à présent âgé de 29 ans,
s'est taillé une envieuse réputation de pianiste talentueux, bénéficiant de surcroît d'un
exceptionnel don d'improvisateur. On s'intéresse beaucoup moins à ses compositions dont
l'étrangeté dérange et que la critique déconsidère avec une condescendance injustifiée.
En mai 1799 la comtesse Anna de BRUNSWICK effectue une démarche auprès de
BEETHOVEN pour lui demander d'enseigner le piano-forte à ses filles aînées.
Les BRUNSWICK appartiennent à une grande famille aux rameaux multiples. Celle
qui nous intéresse a pour chef de famille Anton von BRUNSWICK, marié à Anna von
SEEBERG et décédé en 1792. Sa veuve élève seule ses quatre enfants : Thérésa (17 ans),
Franz (15 ans), Joséphine (13 ans) et Charlotte (10 ans). Des précepteurs leur enseignent la
littérature, les langues et la musique. C'est une famille fortunée qui, outre leur demeure de
Vienne, possèdent un château près de Budapest et un autre en Slovaquie. On rattachera à cette
famille une cousine habitant Trieste et dont il sera question en temps voulu : Giulietta
GUICCIARDI venue un moment habiter Vienne.
Ce sont Thérésa et Joséphine qui sont présentées au « maître » afin de perfectionner
leur technique pianistique.
Josephine
1
von BRUNSWICK dite Pépi (1779-1821)
Josephine est âgée de 20 ans lorsqu'elle vient bénéficier des
conseils de BEETHOVEN. C'est la puînée des trois filles de Mme de
BRUNSWICK. Le maître et l'élève vivent bientôt une tendre idylle.
On a retrouvé dans les archives de Josephine quinze des lettres d'amour
qui lui ont été adressées par son professeur. Elle-même évoque en
retour lenthousiasme que lui procure cette relation.
Mais Mme von BRUNSWICK veille et œuvre à mettre un terme
à cette aventure sans espoir. Une von BRUNSWICK ne saurait
envisager un avenir auprès d'un roturier sans fortune, fût-il
compositeur de génie. Quelques mois plus tard, elle organise dans
l'urgence le mariage de sa fille. Le mari choisi : le comte Joseph DEYM est un homme
estimable. Il a malheureusement 27 ans de plus que sa future conjointe. Mais il est riche et
bénéficie d'une position sociale stable et enviable.
Malgl’ambiguïté de la situation, Josephine poursuit ses leçons de piano. C'est donc
désormais indirectement et par l'intermédiaire de ses compositions que son professeur
continuera de lui exprimer son amour.
MORCEAUX CHOISIS
LIED « An die Hoffnung (A l'espérance)
Le lied n'appartient pas aux formes privilégiées par l'auteur, plus à l'aise dans les
grandes formes instrumentales. Certains de ses lieder méritent cependant mieux que
cette indifférence dans laquelle on les rejette ordinairement.
Lœuvre entendue est la première version de cette pièce (il en existe deux). BEETHOVEN
a choisi une poésie de Christoph TIEDGEN, un auteur au succès éphémère, mais dont le
présent poème retouché - est évidemment adapté à la situation. Il délivre un message
qui ne peut plus être présenté directement.
ANDANTE FAVORI en fa mineur WoO 57
Bien que cet andante n'entre pas dans le catalogue des œuvres à opus, il s'agit d'une
œuvre tardive, contemporaine de la Sonate Waldstein. Son succès et ses exécutions
répétées dès sa publication justifient son qualificatif de « favori ».
L'auteur s'en tient à une construction classique adoptant la forme dite A B A dans
laquelle il apporte tout de même quelques innovations, scindant par exemple le volet B
une série de variations en deux parties distinctes.
Les grands éclats sont évités : l'Andante favori se présente plutôt comme une
confidence émue justifiée par la situation.
Josephine de BRUNSWICK perdra son conjoint en 1804. Sous la pression de la famille,
elle prendra ses distances vis-à-vis de BEETHOVEN, puis finira par l'éconduire car ses visites
qui ne sont pourtant que de pure courtoisie sont jugées trop assidues.
Un second mariage avec Christoph STACKELBERG un baron estonien volage et
souvent absent (il vit en Estonie avec sa maîtresse) ne lui apportera pas le bonheur escompté.
1
Les prénoms et les noms sont présentés dans la graphie allemande, sans accent
Après un retour furtif de Christoph au foyer conjugal en octobre 1812, Josephine déclare être
enceinte. Un grand mystère entourera la naissance de cette enfant qui vient au monde en avril
1813 et à qui on donne le prénom bizarre de Minona. Deux questions se posent. La fillette
était-elle prématurée sa mère était-elle déjà enceinte lors de la visite de son époux ? Et
dans cette hypothèse pourquoi le choix de cet étrange prénom dont des spécialistes
découvriront qu'il s'agit d'un mot anacyclique (qui peut se lire aussi de droite à gauche).
MINONA apparaît en effet comme l'acronyme de ANONIM. Anonim ! A-t-on voulu
signifier que le baron estonien n'était pas le père biologique ? Qui était alors ce père ?
BEETHOVEN dont on s'est plus à remarquer la ressemblance physique avec l'enfant ?
Giulietta GUICCIARDI (1782-1856)
La famille de Giulietta est originaire de Galicie, à la frontière
de la Pologne et de l'Ukraine, mais elle a émigpour s'établir à
Trieste. Giulietta est la cousine des enfant BRUNSWICK.
Elle ne sera que brièvement l'élève de BEETHOVEN, mais
suscitera en lui un bonheur sans pareil, au point qu'il finira par croire
un mariage possible. Giulietta et Ludwig n'appartiennent pas, hélas,
à la même classe sociale, de sorte que la demoiselle préférera à son
éphémère amoureux un compositeur certes médiocre et sans avenir
musical, un de ces aligneurs de notes comme il en existe beaucoup,
mais qui présentait cet avantage d'être titré (c'est un comte) et surtout
fortuné.
L'idylle aura duré le temps d'un échange de présents. Elle lui offrira un portrait miniature
d'elle, qu'il conservera précieusement jusqu'à sa mort ; il écrira pour elle deux Rondos pour
le piano-forte. Mais au moment de les lui remettre, il substituera à l'un d'eux la célèbre Sonate
n° 14 en ut # mineur, dite « quasi una fantasia », affublée par l'éditeur du sous-titre « Clair
de lune » (cf. compte-rendu n° 2).
Vers le XIIIe siècle naît une forme littéraire appelée rondeau, récitée, parfois chantée.
Elle se caractérise par la reprise de certains vers, comme le montre cet exemple
Or est Baiars en la pasture, hure !
Des deus piés defferrés. (Bis)
Il porte souëf l'ambleüre. [Il porte doucement l'amble]
Or est baiars en la pasture.
Avoir li ferai couverture, Hure !
Au repairier des prés. (Bis)
Or est Baiars en la pasture, hure !
Des deus piés defferrés. (Bis)
Adam de la halle
Les compositeurs, quant à eux, mettront au point une forme musicale vocale ou plus
souvent encore instrumentale fondée sur ce principe de la répétition. Dans le cas, plus fréquent,
un refrain alterne avec trois couplets ou plus. Ces pièces seront désignées du nom de
« rondo (s) », l'orthographe « rondeau » étant plutôt réservée aux écrits littéraires. La
construction en rondo est fréquente dans la musique folklorique. Ce sera aussi la forme
fréquemment adoptée pour le mouvement final des œuvres orchestrales et de la musique de
chambre.
MORCEAUX CHOISIS
RONDO en sol majeur op 51 1
Indépendamment des rondos qui concluent certaines sonates, BEETHOVEN en a
composé cinq isolés qui lui permettent d'user de plus de liberté dans la construction.
Cette liberté se retrouve ici par exemple dans le thème servant de refrain et dans le fait
que les couplets, très diversifiés contrastent par leur texture avec ledit refrain.
RONDO « Colère pour un Groschen perdu »
Ce rondeau, le plus original et le plus réussi des cinq (écrit à part, il ne figure d'ailleurs
pas dans l'album constitué avec les quatre autres) nous montre un BEETHOVEN
inhabituel. On est loin de l'humeur enjouée, de la fraîcheur ou de la grâce qui se dégagent
des quatre autres Rondos. Sous les dehors d'un colère feinte, l'auteur montre qu'il sait
aussi manier l'humour.
N-B : le Groschen est une monnaie allemande ancienne de faible valeur. Il fait penser au sou français
qui équivalaient à quelques centimes. Ce mot « sou » a d’ailleurs été souvent substitpar les éditeurs
à Groschen, d'où le titre fréquent Colère pour un sou perdu ».
Comtesse Theresa von BRUNSWICK (1775-1861)
Theresa est la fille aînée du comte Anton von BRUNSWICK et
de la baronne Anna von SEEBERG. On la prétend moins séduisante
que sa sœur puînée.
Elle s'est principalement consacrée aux œuvres sociales et passe
pour avoir créé les écoles maternelles en Hongrie.
C'est en 1799 que son chemin croise celui de BEETHOVEN
dont elle se rapproche en suivant des cours de perfectionnement pour
le piano en même temps que sa sœur.
Tenu à l'écart de Josephine par Mme von BRUNSWICK, qui
exerce une étroite surveillance sur sa fille, rejeté par sa cousine
Giulietta, plus éblouie par la fortune que le génie, BEETHOVEN finit par découvrir que
Theresa ne manque ni de qualités ni de charme. Ils se fréquenteront donc intimement et leur
relation durera deux ans, de 1806 à 1808. Les raisons de leur éloignement restent obscures.
BEETHOVEN, à l'époque de leur séparation, sombre dans un profond désarroi aggravé
encore par sa surdité croissante. La grande amitié qu'il continue d'éprouver pout Theresa
s'exprime dans la Sonate 24 en fa # majeur dite « A Thérèse », une œuvre pleine de poésie
et de tendresse affectueuses.
MORCEAUX CHOISIS
SONATE n° 24 en fa # majeur « A Thérèse » op. 78
Jugée « insipide » par Vincent d'INDY, cette petite sonate souffre évidemment de sa
proximité avec les grands monuments que sont la Sonate « Appassionata », les derniers
concertos pour piano, le Concerto pour violon et les Symphonies 5 et 6. Elle n'en reste
pas moins une œuvre pleine de poésie et de tendresse affectueuse, qui occupe une place
de choix dans les récitals de piano.
Elle ne comporte que deux mouvements, le mouvement lent ayant été volontairement
omis. Le final retrouve un peu le côté espiègle qui caractérisait le rondo du « Groschen
perdu ».
Therese MALFATTI (1792-1851)
Vers 1810, BEETHOVEN s’éprend de Thérèse MALFATTI,
fille d'un riche négociant viennois, qui acquerra un vaste domaine
et se fera anoblir. Jacob Friedrich MALFATTI en profite pour
changer son nom en celui de von ROHRENBACH ZU DEZZA aux
consonances plus germaniques. Il a deux filles : Anna et Thérèse.
Anna épousera Ignaz von GLEICHENBACH, cet ami à qui
BEETHOVEN dicacera deux de ses sonates pour violoncelle et
piano. Thérèse, quant à elle, s'est éprise de notre compositeur et
entretient avec lui une relation amoureuse a l'origine d'un abondant
échange de correspondance. C'est probablement à elle qu'était
destinée cette 5e Bagatelle intitulée « Für Elise », que des éditeurs peu soucieux des
contresens ont traduit par « Lettre à Élise ».
Comment est-on passé de Thérèse à Élise ? Des exégètes ont invoqué la discrétion qui
appelait le choix d'un pseudonyme ou encore une substitution de prénom par amour, Élise
passant pour plus doux à prononcer que Thérèse. D'autres préfèrent s'en tenir à une faute de
lecture de l'éditeur consécutive à une écriture à demi effacée (BEETHOVEN, difficilement
lisible parfois pratiquait en outre l'écriture gothique dont les tracés peuvent prêter à confusion).
MORCEAUX CHOISIS
FÜR ELISE « Pour Élise »
Cette œuvre ne fait pas partie des 24 « Bagatelles » regroupées en trois recueils. Elle
n'en présente pas moins les mêmes caractéristiques.
Le terme de « bagatelle » ne doit pas abuser. Il ne s'agit en aucune façon de petites
compositions mineures, de petits « riens », mais d’œuvres échappant aux contraintes de
construction auxquelles sont soumises les formes habituelles.
L'auteur, libéré, peut ainsi, laisser libre cours à sa fantaisie. Cette « Bagatelle » qui n'a
décidément rien à voir avec une « lettre » pourrait s'apparenter à un rondo, très libre de
construction, s'articulant autour d'un thème semblant dégager un soupçon de nostalgie.
D'une écriture simple nullement incompatible avec une certaine profondeur elle a été
« exécutée » dans tous les sens du terme par des générations de pianistes en herbe.
Amalie SEBALD (1787-1846)
En 1812, BEETHOVEN croise à Teplice Amalie SEBALD, une cantatrice de Berlin
venue prendre les eaux, accompagnée de sa mère. Une grande affection se développe entre
eux. Amalie fait preuve d'un rare dévouement, se proposant spontanément de soigner le
compositeur qui vient de tomber malade. Son caractère enjoué semble avoir exercé sur
BEETHOVEN la plus heureuse impression. Ainsi s'expliquerait le caractère riant de la
Symphonie n° 8 composée à cette époque.
On ignore s'il s'agissait d'amour ou d'amitié, comme on ignore les conditions de la
séparation.
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