CAS CLINIQUE Mots-clés Carcinome indifférencié – Carcinome primitif – Traitement Keywords Undifferentiated carcinoma – Primary carcinoma – Treatment Carcinome indifférencié du conduit auditif externe et de l’oreille moyenne Undifferentiated carcinoma of the external auditory canal and middle ear A. El Boukhari*, M. Touati*, M. Akhiri*, A. Aljalil*, N. Touihem*, A. Abrouq*, M. Oukabli** L es carcinomes du conduit auditif externe (CAE) et de l’oreille moyenne sont rares. Ils représentent moins de 1 % des tumeurs malignes de la tête et du cou (1). Leur incidence varie de 1 à 6 cas par million d’habitants par an (1, 2). Plus de la moitié des carcinomes du CAE sont des carcinomes épidermoïdes (1, 3). Les symptômes cliniques non spécifiques et hétérogènes sont souvent responsables d’un diagnostic tardif. Les stades avancés de ces tumeurs, où les métastases sont fréquentes, compliquent l’attitude thérapeutique, qui n’est pas encore bien codifiée. le CAE gauche et l’oreille moyenne, avec lyse du mur de la logette, de la chaîne ossiculaire, du tegmen tympani et de la paroi interne de la caisse (figure 3). L’échographie cervicale et abdominale a montré des adénopathies cervicales bilatérales et parotidiennes gauches avec des nodules hépatiques, et la scintigraphie osseuse a découvert des foyers métastatiques au niveau des côtes, du sternum et des vertèbres. La tumeur a été classée en stade IV (T4N1M1) selon la classification de Pittsburgh. Un traitement à visée palliative a été proposé. Le patient est décédé juste avant de commencer sa chimiothérapie. O b s e r v a t i o n Il s’agit d’un patient âgé de 74 ans dont le premier symptôme, apparu 5 mois plus tôt, a été une otorrhée chronique purulente de moyenne abondance. À cette otorrhée se sont associées progressivement une otalgie intense et une paralysie faciale homolatérales. Par ailleurs, le patient se plaignait d’une hypo­a cousie gauche qui s’est aggravée au fil des mois. À l’examen, une masse rouge, violacée, couverte de sécrétions purulentes, spontanément douloureuse, a été retrouvée comblant le conduit auditif externe gauche jusqu’à la conque (figure 1). Le patient présentait en outre une hypoacousie gauche, profonde, mixte avec des acouphènes mais sans vertiges. Le reste de l’examen ORL a retrouvé des adénopathies cervicales gauches sous les muscles digastriques. Une biopsie profonde a été réalisée en pleine masse tumorale. L’examen anatomopathologique a permis de poser le diagnostic de carcinome indifférencié (figure 2). La réalisation d’un scanner en bilan d’extension a révélé un processus tissulaire comblant * Service ORL, hôpital militaire d’instruction Mohammed-V de Rabat, Maroc. ** Service d’anatomopathologie, hôpital militaire d’instruction Mohamed-V de Rabat, Maroc. ▲ Figure 2. Carcinome indifférencié du conduit auditif externe et de l’oreille moyenne gauche (HE × 200). ▲ Figure 1. Tumeur maligne du conduit auditif externe gauche. ▶ Figure 3. Scanner en coupe coronale passant par le rocher, montrant une tumeur agressive du conduit auditif externe et de l’oreille moyenne gauche. 24 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 322 - juillet-août-septembre 2010 CAS CLINIQUE D i s c u s s i o n Les tumeurs malignes du CAE et de l’oreille moyenne sont rares. Du fait de leur symptomatologie initiale similaire à celle des autres affections bénignes de l’oreille, elles sont fréquemment diagnostiquées à un stade tardif (3). Il existe une large variété de types histologiques : les carcinomes sont les formes anatomo­ pathologiques les plus fréquentes (3) ; le carcinome épidermoïde en représente plus de 50 % (1, 4), et le carcinome indifférencié est très exceptionnel. Généralement, ces carcinomes surviennent à partir de 50 ans, et le plus souvent chez les hommes dans la plupart des séries publiées (3). Le diagnostic est évoqué cliniquement devant une masse tumorale suspecte dans le CAE, douloureuse, ulcérée ou bourgeonnante, à laquelle peut s’associer une otorrhée purulente et une parésie ou une paralysie faciale. La biopsie confirme le diagnostic histologique. Elle doit être réalisée en profondeur de la masse. Le bilan radiologique est réalisé dans le cadre du bilan d’extension ; il fait appel à l’échographie, au scanner et à l’IRM. Il fournit des renseignements concernant le siège, le volume et l’extension de la tumeur et recherche des métastases locorégionales et à distance (2, 5). Plusieurs classifications sont utilisées (6), bien qu’aucune n’ait été acceptée par l’UICC. La classification de Pittsburgh est la plus couramment admise et présente un intérêt pronostique (2, 5). La physiopathologie des carcinomes du CAE et de l’oreille moyenne demeure malconnue. Leurs facteurs étiologiques pourraient être l’exposition aux rayons X et aux rayons ultraviolets, les antécédents d’otites moyennes chroniques suppurées à répétition aux germes producteurs de carcinogènes (Aspergillus et Pseudomonas), le cholestéatome et l’usage des désinfectants chlorés (2, 4). Le carcinome épidermoïde du CAE a un mauvais pronostic : le taux de survie à 5 ans varie de 35 à 63 % selon que les berges de résection sont atteintes ou non et en fonction des séries publiées (4, 7). Les facteurs de mauvais pronostic sont le stade T4, le caractère indifférencié ou peu différencié du carcinome, la présence d’une paralysie faciale, l’envahissement de la dure-mère et les métastases à distance (2, 3). Les stratégies thérapeutiques des carcinomes du CAE et de l’oreille sont très variables d’une équipe à l’autre, car les classifications et les types de traitement préconisés sont très hétérogènes (6, 7). Les modalités thérapeutiques à visée curative des tumeurs primitives sont la chirurgie, la radiothérapie ou une combinaison des deux. La chimiothérapie est proposée essentiellement à visée palliative. Les récidives locales sont traitées préférentiellement par curiethérapie (6). En ce qui concerne la chirurgie, la plupart des auteurs s’accordent sur le fait que la résection large en bloc de la tumeur avec des marges chirurgicales saines est le traitement optimal (7, 8). Suivant le stade d’extension tumorale, l’exérèse peut consister en une petrectomie externe (stade T1, T2), subtotale (stade T3) ou totale (stade T4) [2, 6]. L’efficacité de la radiothérapie postopératoire dans le contrôle des tumeurs avec des lésions résiduelles aux berges de résection est largement prouvée. Elle est parfois exclusivement utilisée dans les tumeurs précoces limitées au CAE, mais le plus souvent elle fait suite à la chirurgie pour les stades T2, T3 et T4 (9). Les doses d’irradiation varient suivant l’existence ou non d’une atteinte des berges de résection : une dose de 54 à 60 Gy est délivrée en cas de résection radicale ; si les marges sont envahies, l’irradiation est faite à une dose de 66 Gy ou plus (7). La curie­ thérapie permet de contrôler une tumeur localement évoluée ou récidivante, tout en évitant les complications de la radiothérapie externe (6, 7). L’association chimiothérapie et radiothérapie a été récemment essayée par certains auteurs dans le but d’obtenir des marges chirurgicales saines (7). La chimiothérapie exclusive est indiquée à visée palliative pour les stades avancés de la tumeur (T4) et en cas de métastases à distance. L’association 5-FU et cisplatine semble être le protocole le plus adapté au carcinome du CAE (2). C o n c l u s i o n Les carcinomes indifférenciés du CAE sont extrêmement rares, souvent diagnostiqués à un stade tardif où la tumeur a déjà envahi simultanément le CAE et l’oreille moyenne. L’évolution rapide et les métastases précoces et à distance en font une tumeur de très mauvais pronostic. Le traitement est difficile et doit être agressif. Il fait appel à la chirurgie suivie de la radiothérapie. La chimiothérapie ne peut être utilisée qu’à visée palliative au stade métastatique. ■ Références bibliographiques 1. Magliulo G, Fusconi M, Pulice G. Mucoepidermoid carcinoma of the external auditory canal – case report. Am J Otolaryngol 2003;24:274-7. 2. Schmerber S, Righini Ch, Soriano E et al. Résultats des traitements des tumeurs malignes du conduit auditif externe. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord) 2005;126:165-70. 3. Lobo D, Llorente JL, Suárez C. Squamous cell carcinoma of the external auditory canal. Skull base 2008;18:167-72. 4. Thevarajah S, Carew J, Selesnick SH et al. Bilateral squamous cell carcinoma of the external auditory canal. Otolaryngol Head Neck Surg 2005;132:960-2. 5. Gillespie MB, Francis HW, Chee N, Eisele DW. Squamous cell carcinoma of the temporal bone: a radiographic-pathologic correlation. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2001;127:803-7. 6. Pfreundner L, Schwager K, Willner J et al. Carcinoma of the external auditory canal and middle ear. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1999;44:777-88. 7. Ogawa K, Nakamura K, Hatano K. Treatment and prognosis of squamous cell carcinoma of the external auditory canal and middle ear: a multi institutional retrospective review of 87 patients. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2007;68:1326-34. 8. Madsen AR, Gundgaard MG, Hoff CM et al. Cancer of the external auditory canal and middle ear in Denmark from 1992 to 2001. Head Neck 2008;30:1332-8. 9. Pemberton LS, Swindell R, Sykes AJ. Primary radical radiotherapy for squamous cell carcinoma of the middle ear and external auditory canal – an historical series. Clin Oncol (R Coll Radiol) 2006;18:390-4. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 322 - juillet-août-septembre 2010 | 25