ORL Revue Marocaine du Cancer 2010 ; 5 : 13-16 Fait Clinique CARCINOME EPIDERMOIDE DE L’OREILLE MOYENNE (A PROPOS D’UNE FORME PARTICULIEREMENT AGRESSIVE) S. ROUADI, I. LALYA, R. ABADAA, A. BENZAOUIA, M. MAHTAR, M. ROUBAL, A. JANAH, M. ESSAADI, M.F. KADIRI Service d’ORL et de Chirurgie Cervico-Faciale, Hôpital 20 Août, Casablanca, Maroc RESUME ABSTRACT Le carcinome épidermoïde de l’oreille moyenne et du conduit auditif externe est une entité extrêmement rare, on en dénombre uniquement un cas parmi 4000 à 5000 pathologies de l’oreille. Les symptômes simulent bien ceux d’une pathologie chronique de l’oreille moyenne, d’où le retard diagnostique souvent remarqué dans la prise en charge de ces tumeurs. Nous rapportons une forme particulièrement agressive de carcinome de l’oreille moyenne colligée au service d’ORL et de Chirurgie Cervico-Faciale de l’Hôpital 20 Août de Casablanca, afin de préciser le rôle de l’imagerie dans le diagnostic ainsi que le rôle de la chirurgie et puis celui de la radiothérapie dans l’arsenal thérapeutique. MIDDLE EAR EPIDERMOID CARCINOMA (AN AGRESSIVE FORM REPORT) Carcinoma of the middle ear and external auditory canal is an extremely rare disease occuring only once in 4000-5000 cases of ear disease. Its symptoms and signs are similar to those of chronic otitis, because of these factors, early diagnosis is rarely possible. We report one case of carcinoma of the middle ear to examinate the role of imaging in the diagnosis, surgery and radiotherapy in the treatment. Key words : carcinoma of the middle ear, surgery, radiotherapy Mots clés : carcinome de l’oreille moyenne, chirurgie, radiothérapie Correspondance : Dr. I. LALYA. Service d’ORL et de Chirurgie Cervico-Faciale, Hôpital 20 Août, Casablanca, Maroc. Email : [email protected] INTRODUCTION prélèvements biopsiques qui ont confirmé sa nature cholestéatomateuse. Les suites opératoires de la deuxième intervention ont été marquées par l’installation de céphalées, de déséquilibre avec apparition d’une tuméfaction cervicale homolatérale et d’une paralysie faciale. L’examen clinique a mis en évidence un patient en mauvais état général, présentant une paralysie faciale grade III, une otorrhée fétide avec mastoïdite rénitente non extériorisée et une tuméfaction cervicale abcédée de 5 cm de diamètre, fixée sur le sternocléido-mastoïdien. La tomodensitométrie avec injection de produit de contraste a objectivé une destruction de tout le rocher avec lyse de la paroi postérieure de la mastoïde (fig. 1) et large communication avec la fosse cérébrale moyenne et postérieure. La lyse s’étendait jusqu’à l’os occipital et la première vertèbre cervicale (fig. 2). L’abcès cervical, mis en évidence cliniquement, comprimait la veine jugulaire interne (fig. 3 et 4) qui était trombosée. L’audiogramme a montré une cophose droite. Le patient a été mis sous triple antibiothérapie intraveineuse (amoxicilline-acide clavulanique, gentamycine, métronidazole) puis a subi une mastoidectomie élargie à but diagnostique et thérapeutique. Une large incision mastoïdienne Le carcinome épidermoïde de l’oreille moyenne est une entité rare ayant une incidence de 6/100.000 [1], il représente moins de 0,2% des cancers de la tête et du cou. Le diagnostic est très souvent tardif vu le tableau clinique similaire à celui d’une otite moyenne chronique avec otorrhée, douleur et otorragie. L’atteinte des paires crâniennes survient à un stade tardif de l’affection. La classification de ces tumeurs se base sur la radiologie et le constat peropératoire, vu l’inaccessibilité de l’os temporal à une évaluation clinique. Le traitement repose essentiellement sur la chirurgie et la radiothérapie adjuvante avec un pronostic qui dépend du stade de la maladie. OBSERVATION Histoire de Monsieur A.Z., âgé de 60 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, consultant pour une otorrhée purulente droite évoluant depuis un an. Le patient a été opéré à deux reprises pour otite moyenne chronique avec 13 Carcinome épidermoïde de l’oreille moyenne (à propos d’une forme particulièrement agressive) S. ROUADI et coll. étendue en cervical a permis de découvrir un séquestre osseux au sein de débris épidermiques diffus avec tissus de granulation, empyème sous-dural, thrombose diffuse du sinus latéral, communication avec l’oreille interne au niveau du vestibule et une troisième portion du facial dénudée entièrement prise dans le granulome. Devant cet aspect atypique, une exérèse large a été entreprise avec étude histologique. Les suites postopératoires ont été marquées par l’installation d’un sepsis grave à J3 avec fièvre à 40°C, frissons et troubles de conscience. Les hémocultures sont revenues négatives et la TDM cérébrale n’a pas objectivé d’abcès intracrânien expliquant le sepsis. Le patient est décédé à j4 post-opératoire par choc septique. L’étude histologique a finalement conclu à un carcinome épidermoïde bien différencié et infiltrant de l’oreille moyenne. Fig. 1. TDM du rocher en coupe axiale : ostéolyse et communication avec la fosse cérébrale postérieure Fig. 2. TDM en coupe coronale : extension du processus vers C1 Fig. 3. TDM cervicale : extension de la masse au niveau cervical Fig. 4. TDM en coupe sagittale montrant la compression de la veine jugulaire interne 14 Revue Marocaine du Cancer 2010 ; 5 : 13-16 DISCUSSION carcinome adénoïde kystique et de l’adénocarinome. Sont également retrouvés les rhabdomyosarcomes, les carcinomes mucoépidermoïdes et les lymphomes [7]. Le cancer de l’oreille moyenne est une entité très rare qui représente 1/4000-5000 cas de toutes les pathologies de l’oreille [1]. Son incidence annuelle est moins de 6/1 million d’habitants [2]. Il s’agit d’une affection du sujet âgé ayant un âge moyen de survenue de plus de 60 ans [3, 4, 5, 6], avec une prédominance masculine [7]. Le principal facteur de risque serait l’infection chronique de l’oreille moyenne intéressant jusqu’à 61,5% des patients atteints [5]. Notre patient était âgé de 50 ans et était suivi pour otite chronique cholestéatomateuse. Tableau II. Classification de Stell [10] Les symptômes sont identiques à ceux de l’otite moyenne chronique, ce qui explique le retard diagnostique fréquent dans ces tumeurs (tableau I). Les principaux signes d’alarme sont la douleur importante, l’otorragie et la paralysie faciale [7]. Des signes atypiques ont été rapportés par d’autres séries tels que : le trismus, l’atteinte trigéminale, les vertiges et le torticolis [7]. L’ostoscopie peut parfois montrer une extériorisation de la tumeur par le conduit auditif externe sous forme de polype inflammatoire ou de tissus granulomateux nécrosé. Otorrhée Otalgie Vertiges Surdité Otorragie Paralysie faciale Korzeniowski [8] 79% 58% 17% 55% 10% - Yin [2] 42% 24% - 2% 16% 4% Hahn [1] 78% 63% 11% 48% 26% 29% Notre patient oui non non oui non oui Tumeur limitée au site d’origine sans paralysie faciale ni destruction osseuse à la radiologie T2 Tumeur dépassant le site d’origine avec paralysie faciale ou destruction osseuse sans dépasser l’organe d’origine T3 Extension clinique ou radiologique aux structures de voisinage (dure-mère, articulation temporo-mandibulaire, base du crâne, parotide…) Tx Pas assez de données pour permettre une classification, incluent les patients déjà traités dans une autre structure N0 Pas d’ADP locorégionale N1 Présence d’ADP locorégionale M0 Pas de métastases M1 Métastases à distance Le traitement repose sur la chirurgie et la radiothérapie. L’étendue de la résection chirurgicale dépend du stade de la tumeur. Ainsi pour les T1, une mastoïdectomie avec résection en monobloc de la tumeur est suffisante [4]. Les tumeurs T2 nécessitent une résection partielle de l’os temporal permettant le contrôle des marges tumorales [1, 11], parfois on peut recourir à une pétrectomie totale dans les tumeurs très étendues. Le traitement chirurgical des T3 est généralement précédé d’une radiothérapie de réduction tumorale [12, 13]. Le traitement de tous les stades tumoraux doit être complété par une radiothérapie adjuvante [1]. Tableau I. Comparaison des différents signes cliniques dans les séries de la littérature et chez notre patient Série T1 Les complications secondaires à la chirurgie sont essentiellement : les abcès cérébraux, les méningites et les atrophies du nerf optique [1]. Le pronostic dépend de l’extension tumorale et du traitement reçu. Ainsi, il est optimal pour les patients traités par chirurgie associée à une radiothérapie adjuvante avec une survie à 5 ans entre 25% et 61% [4, 6, 13, 14] en comparaison avec une radiothérapie seule avec une survie à 5 ans entre 11% et 31% [13, 15] (tableau III). Les marges tumorales positives constituent un facteur de mauvais pronostic. Les récidives tumorales ainsi que la survenue de métastases sont considérées comme un échec thérapeutique avec une survie très diminuée. Les cancers de l’oreille moyenne se manifestent sur la TDM sous forme de processus occupant mal limité, infiltrant, prenant le produit de contraste de manière hétérogène. Le processus est responsable également d’infiltration des parties molles adjacentes [9]. La TDM permet de préciser l’aspect des lésions osseuses sous formes de lyse de la mastoïde, du conduit auditif externe et des parois de la caisse, identifie l’extension vers le canal carotidien, le golf jugulaire, la fosse infra-temporale et le rhinopharynx. Cependant, elle ne permet pas de faire la différence entre un envahissement tumoral, un remaniement inflammatoire et un simple comblement liquidien [9]. L’IRM est l’examen de choix pour préciser l’extension aux parties molles (muscle, peau et cartilage) et la présence d’adénopathies temporales ou intraparotidiennes, ainsi que les rapports de la tumeur avec le nerf facial [9]. Tableau III. Comparaison de la survie à 5 ans dans les différentes séries de la littérature et selon la modalité de traitement Série Hahn [1] Chirurgie seule Association chirurgie-radiothérapie Radiothérapie seule 14% 50% 0% Sinha [16] - 40% 14% Ogawa [17] - 65% 38% 50% 55% 51% - 37% - La classification TNM se base essentiellement sur la radiologie et sur le constat peropératoire ; la clinique a peu d’importance vu l’inaccessibilité de l’os temporal à l’examen clinique. Ainsi, la classification de Stell [10] est la plus utilisée pour les tumeurs de l’oreille moyenne (tableau II). CONCLUSION Le type histologique le plus prédominant dans les cancers de l’oreille moyenne est le carcinome épidermoïde comme il était le cas pour notre patient avec une fréquence atteignant 81% dans certaines séries de la littérature [1, 7], suivi du Les cancers de l’oreille moyenne sont une affection rare qui touche surtout les sujets âgés de sexe masculin. Ses signes cliniques ne sont pas spécifiques, ce qui constitue une source Yin [2] Wang [18] 15 Carcinome épidermoïde de l’oreille moyenne (à propos d’une forme particulièrement agressive) 9. de retard diagnostique. Le traitement consiste en une chirurgie radicale suivie d’une radiothérapie avec un pronostic qui dépend du stade et du respect des marges tumorales. 11. Helms J. Surgery for tumors of the middle ear and the lateral skull base. In : Naumann HH, Helms J, Heberhold C Eds. New York : 1996 : 159-205. Hahn SS, Kim JA, Goodchild N, Constable WC. Carcinoma of the middle ear and external auditory canal. 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