Étiopathogénie des variétés postérieures de la présentation

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Dossier
D ossier
Étiopathogénie des variétés postérieures
de la présentation céphalique du sommet
Etiopathogeny of persistent occiput posterior position
 J.P. Estrade, A. Agostini*
L
a persistance d’une variété postérieure (VP) lors de l’accouchement reste synonyme d’un dégagement difficile
et risqué. L’incidence de cette présentation lors du dégagement se situe aux alentours de 7,2 % chez les nullipares
et de 4 % chez les multipares. Les conséquences obstétricales sont majeures et associent : augmentation de la durée du
travail, utilisation des instruments d’extraction, recours à la
péridurale, complications périnéales, augmentation du taux
de césariennes. Aussi Ponkey (1) estime que seules 26 % des
nullipares et 57 % des multipares accoucheront normalement
lorsqu’il existe une persistance de VP.
PROBLÉMATIQUE
La problématique principale concerne les difficultés de diagnostic liées à hauteur de la présentation et à l’association fréquente d’une bosse séro-sanguine.
Les études réalisées par Akmal (2) et Hidar (3) montrent qu’il
existe une très bonne corrélation échographie-toucher vaginal
pour le diagnostic de présentation, l’erreur la plus fréquente
restant liée à la déflexion, avec une erreur de 180°.
La deuxième problématique est une difficulté nosographique
concernant la définition de la VP : en effet, celle-ci doit-elle être
considérée seulement par rapport à la position du dos fœtal,
ou à la position de la présentation au détroit supérieur ?
MÉCANIQUE OBSTÉTRICALE
Il est nécessaire de rappeler que 39 % des présentations au
détroit supérieur se font sur le mode postérieur (occipito-iliaque droit postérieur [OIDP] : 33 %, occipito-iliaque gauche postérieur [OIGP] : 6 %) ; dans 85 % des cas, une rotation spontanée
se réalise vers une variété antérieure lors du dégagement (1).
La persistance d’une VP est étroitement liée aux phénomènes
théoriques de rotation du mobile fœtal.
D’un point de vue anatomique, le sinus sacro-iliaque large
autorise une présentation plus importante, représentée par
l’occiput. Cette confrontation ne permet pas un appui postérieur suffisamment important pour entraîner une flexion, cela
d’autant plus que le rapport entre le rachis maternel et fœtal va
tendre vers la déflexion dans les VP.
* Service de gynécologie obstétrique (B. Blanc), hôpital de La Conception, 147, bd Baille,
13385 Marseille Cedex 05.
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D’un point de vue physiologique, il existe un rôle essentiel du
moteur utérin qui va permettre une meilleure confrontation, la
résultante étant une rotation qui, le plus souvent, va s’effectuer
durant la descente. Cette rotation s’effectue par un mouvement
de spirale et peut se réaliser selon quatre théories principales :
 La théorie du plan dorso-lombaire responsable d’une rotation haute par rotation solidaire de la tête et du tronc guidé
par l’épaule postérieure, qui glisse dans la gouttière lomboiliaque en bas en dehors et en avant, il existe alors une désolidarisation de la tête.
 La théorie périnéale responsable d’une rotation basse,
périnéale, suivant l’axe antéro-postérieur de la fente du
diaphragme périnéal.
 La théorie du cube de Jarrousse, qui fait appel à la descente
dans un cylindre à angle droit accompagné de contractions
utérines aboutissant à une rotation antérieure.
 La théorie des leviers, qui résulte des rapports entre l’axe de rotation (apophyse odontoïde de l’axis) et l’appui sur l’arc pubien.
Le phénomène de flexion conduit à une rotation antérieure
alors que la déflexion conduirait à une rotation postérieure.
Dans tous les cas, il semble bien que l’adage se vérifie : “seules
les têtes bien fléchies tournent vers l’avant”.
Il existe en réalité deux types de rotations. Les rotations antérieures sont les plus fréquentes, entre 72 à 87 % des cas (4), et
concernent les VP tournant en antérieur. Plus rarement, les
rotations postérieures des variétés antérieures, qui, selon les
séries évaluant la confrontation échographique-toucher vaginal, montrent un taux de rotation de 0,6 % pour Hidar (3), 2,6 %
pour Akmal (2), et 3,7 % pour Gardberg (5). Pour cet auteur, 67 %
des occipito-sacrées étaient en réalité des variétés antérieures.
La persistance d’une VP résulte donc essentiellement d’une
non-rotation : existence d’une déflexion, d’une hypotonie utérine, d’un rapport biométrique tête fœtale-bassin maternel
défavorable (prématurité, retard de croissance intra-utérin,
défaut d’appui). L’existence d’un passage en transverse entraîne
un appui symétrique sans flexion de la tête fœtale, et donc une
absence de rotation.
FACTEURS ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Il est difficile de mettre en évidence des facteurs épidémiologiques précis concernant la persistance de la VP du sommet.
D’un point de vue anatomique, il a été décrit des bassins particuliers favorables à ce type de présentation : bassins anthropoïdes et bassins androïdes.
La Lettre du Gynécologue - n° 334 - septembre 2008
Ponkey (1) retrouve statistiquement comme facteur de risque
la petite taille maternelle : 164,3 cm en occipito-pubien versus 163,6 cm en occipito-sacré (p = 0,03) et un âge supérieur
à 35 ans, notamment chez les multipares. Pour Le Ray (6), la
nulliparité serait un facteur de risque de VP avec un oddsratio (OR) de 1,45. Sizer (7) montre, à partir de 16 781 patientes, un taux croissant d’accouchements en occipito-sacré en
fonction du poids croissant de l’enfant, atteignant 17,6 % pour
les enfants de plus de 4 kg.
L’utilisation de fortes doses d’ocytocine est liée de façon statistiquement significative à la présence d’une occipito-sacrée,
ainsi que le dépassement de terme.
Hidar (3) retrouve un taux significativement élevé de placentas antérieurs chez les patientes accouchant en occipito-sacré :
43,3 % versus 28,7 % (p = 0,005). Il note, par ailleurs, un taux
significativement très élevé de dos postérieurs : 41,8 % versus
0 % (p = 0,001). Même si le lien placenta antérieur-dos postérieur semble évident, il est cependant difficile à mettre en
évidence dans une étude épidémiologique.
Gardberg (8) montre qu’il existe chez certaines patientes des
positions occipito-sacrées récidivantes, et Ponkey (1) retrouve
de façon significativement plus importante la présence d’un utérus cicatriciel chez les patientes présentant une occipito-sacrée.
Les études américaines (1, 9) montrent que le facteur ethnique (population afro-américaine) est statistiquement corrélé
à la présence d’une occipito-sacrée. Dans ces études, la présence d’une occipito-sacrée protégerait contre la dystocie des
épaules, mais lorsque celle-ci survient, elle est d’un pronostic
plus défavorable, avec une augmentation du taux de lésions du
plexus brachial.
La responsabilité de l’anesthésie locorégionale (ALR) est fortement débattue, car il est difficile de déterminer sa place réelle,
en tant que facteur de risque ou en tant que simple nécessité
devant la présence de douleurs lombaires fréquemment décrites chez ces patientes.
Il est admis que l’ALR diminue l’activité utérine et la tonicité
périnéale, qui peuvent être mécaniquement responsables
d’une persistance d’une VP. Peuvent également intervenir la
dose d’anesthésiques locaux et le niveau de la présentation
lors de la pose de l’ALR.
Une étude française dirigée par Le Ray (6) apporte certaines
réponses, à partir de l’observation de 398 patientes, dont
200 patientes incluses qui étaient en VP. L’ALR était posée
à 5 cm de dilatation maximale. Parmi les facteurs de risque
retrouvés dans la littérature, que sont la nulliparité, la macrosomie, le déclenchement et la mise en place de l’ALR à faible
niveau de dilatation, seul le niveau de présentation “céphalique haute” était responsable de façon significative (OR = 2,49)
d’une persistance de VP.
Concernant le rôle du relâchement périnéal dû à l’ALR, Lieberman (10) montre de façon significative que l’ALR diminue
le taux de rotation antérieure et cela lors des trois étapes du
travail. En début de travail, la VP était de 23,4 % avec ALR versus 26 % sans, 4 heures après de 24,9 % avec ALR versus 28,3 %
sans, puis lors du dégagement, dégagement en occipito-sacré
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de 12,9 % avec ALR contre 3,3 % sans (OR = 4). Pour mémoire,
Hidar (3) retrouvait seulement 0,6 % de rotations postérieures
sans ALR.
Le rôle de la rupture artificielle des membranes précoce
a largement été étudié par Cheng (11), à partir d’une étude
rétrospective de 30 839 patientes, qui montre un taux significativement plus élevé de VP lors d’une rupture artificielle de
la poche des eaux. Cela souligne le rôle facilitateur de la présence de liquide amniotique dans le phénomène de rotation.
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CONCLUSION
L’étiopathogénie des VP est loin d’être établie, et seules quelques
hypothèses peuvent être formulées. L’idée principale est qu’une
VP reste la conséquence d’une non-rotation antérieure. Cette
donnée est retrouvée lors d’études prospectives observationnelles, il existe en effet un très faible taux de rotation postérieure
pour les variétés antérieures vérifiées par échographie.
Plusieurs facteurs épidémiologiques influencent la non-rotation sans pour autant totalement expliquer ce phénomène,
l’association de deux ou plusieurs éléments restant la plus
vraisemblable. La confrontation materno-fœtale laisse peu de
solutions au praticien pour favoriser la rotation. Seule la gestion de la rupture des membranes, de l’ALR et des postures de
la parturiente peut favoriser cette rotation.
■
Références bibliographiques
1. Ponkey SE, Cohen AP, Heffner LJ, Lieberman E. Persistent fetal occiput posterior position: obstetric outcomes. Obstet Gynecol 2003;101:915-20.
2. Akmal S, Kametas N, Tsoi E, Hargreaves C, Nicolaides KH. Comparison of
transvaginal digital examination with intrapartum sonography to determine
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3. Hidar S, Choukou A, Jerbi M, Chaieb A, Bibi M, Khairi H. Clinical and sonographic diagnosis of occiput posterior position: a prospective study of 350 deliveries. Gynecol Obstet Fertil 2006;34:484-8.
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5. Gardberg M, Laakkonen E, Salevaara M. Intrapartum sonography and
persistent occiput posterior position: a study of 408 deliveries. Obstet Gynecol
1998;91:746-9.
6. Le Ray C, Carayol M, Jaquemin S, Mignon A, Cabrol D, Goffinet F. Is epidural analgesia a risk factor for occiput posterior or transverse positions during
labour? Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2005;123:22-6.
7. Sizer AR, Nirmal DM. Occipitoposterior position : associated factors and obstetric outcome in nulliparas. Obstet Gynecol 2000;96:749-52.
8. Gardberg M, Stenwall O, Laakkonen E. Recurrent persistent occipito-posterior position in subsequent deliveries. BJOG 2004;111:170-1.
9. Shaffer BL, Cheng YW, Vargas JE, Laros RK, JR., Caughey AB. Manual rotation of the fetal occiput: predictors of success and delivery. Am J Obstet Gynecol
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persistent occiput posterior position: a retrospective cohort study from 1976 to
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