la vie humaine et certainement dans les soins de
santé, non deux aspects séparés, comme je le
pensais en commençant à réfléchir sur le sujet,
mais profondément indissociables. Commen-
çons par essayer de dire la vérité : notre profes-
sion tente de le faire en se fondant sur la
science, et l’étude sérieuse des données scien-
tifiques médicales est absolument essentielle
pour nous tous, mais ce n’est pas suffisant. Il y
a beaucoup plus dans la pratique de la médecine
que la science sur laquelle elle prétend être fon-
dée. En essayant de dire la vérité, nous avons
besoin de connaître les inconvénients de la mé-
decine scientifique à côté de ses avantages po-
tentiels – sa prétention à la connaissance qui ne
résiste pas à l’examen, l’exclusion d’autres sour-
ces importantes de connaissances, et sa corrup-
tion insidieuse par des conflits d’intérêts et pren-
dre les désirs pour des réalités.
Les gens se trouvent plus ou moins lésés quand
ils sont considérés comme objet et dépersonna-
lisés. En médecine, on y arrive par une combinai-
son toxique – sur une macro-échelle par l’utilita-
risme de la santé publique au nom de la justice,
sur une micro-échelle par les impératifs de la
science biomédicale. Tout ce que nous avons
pour contrer ces méfaits est la force des relations
humaines et la capacité qu’elles ont à réaffirmer
la subjectivité de la personne individuelle.
Le normal et le pathologique...
Le principal moteur du sur diagnostic est l’indus-
trie de la technologie médicale qui rend capable
les professionnels de santé d’investiguer de plus
en plus minutieusement et de mesurer et assi-
gner des normes à un nombre croissant de para-
mètres biométriques. Ces normes sont presque
toujours distribuées le long d’un continuum,
l’anormalité étant corrélée avec des symptômes
et des souffrances qui peuvent être améliorés ou
même guéris par un traitement médical. Jusque-
là, tout va bien... Le problème est qu’une nou-
velle combinaison toxique, cette fois d’intérêt
particulier et de bonnes intentions, produit une
pression continue pour élargir le champ de l’anor-
mal, déplaçant le point de démarcation plus loin
dans ce qui était considéré jusqu’alors comme
normal. Ceci est encouragé par la croyance enra-
cinée dans de vieux adages tels que « mieux vaut
prévenir que guérir », dictons si intégrés dès le
plus jeune âge qu’ils ont une aura mythologique
de vérité, et que nous avons négligé l’impératif
de Karl Popper d’investiguer en quoi ils peuvent
être faux !
Dans notre enthousiasme, nous avons oublié un
document essentiel publié par l’OMS en anglais
en 1968 et en français en 1970 [4]. Dans ce livre,
Wilson et Jungner écrivaient : « l’idée centrale de
la détection et du traitement précoce de la mala-
die est essentiellement simple. Cependant, la
voie de la réussite, d’une part, conduisant à traiter
ceux dont la maladie n’était pas détectée aupara-
vant, d’autre part, évitant de nuire à ceux qui n’ont
pas besoin de traitement, est loin d’être simple
bien qu’elle puisse apparaître parfois trompeuse-
ment facile ». Je pense qu’il a fallu toute ma car-
rière pour commencer à comprendre ce mes-
sage. Sa vérité a été de plus en plus démontrée
durant les 4 décennies passées et pourtant, nous
tombons toujours dans les mêmes pièges. Il me
semble que nous en avons négligé les 10 princi-
pes, mais peut-être plus particulièrement les 7 et
9(encadré 1). C’est le cas au Royaume-Uni du
dépistage mammographique et du diagnostic de
plus en plus précoce de la démence alors que ne
savons même pas identifier la petite proportion
de ceux qui ont un déficit cognitif léger qui pro-
gressera vers la démence et que nous ne dispo-
sons pas des moyens suffisants pour prendre en
charge ceux que nous avons déjà diagnostiqués,
à coup sûr les plus sévèrement affectés !
En poursuivant la « vérité » – supposée évi-
dence indiscutable – que la prévention est meil-
leure que le soin, nous avons, pour la première
fois de notre histoire, séparé nos notions de
maladie de l’expérience humaine de la souf-
france et avons créé une épidémie de maladies
sans symptômes, définies seulement par des
biométries aberrantes.
389novembre 2014MÉDECINE
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