Cours Poncet – Philosophie – M. Cieniewicz
Que des martyrs prouvent quelque chose quant à la vérité d'une cause, cela est si peu vrai
que je veux montrer qu'aucun martyr n'eut jamais le moindre rapport avec la vérité. Dans la façon
qu'a un martyr de jeter sa certitude à la face de l'univers s'exprime un si bas degré d'honnêteté
intellectuelle, une telle fermeture d'esprit devant la question de la vérité, que cela ne vaut jamais la
peine qu'on le réfute. La vérité n'est pas une chose que l'un posséderait et l'autre non [...]. Plus on
s'avance dans les choses de l'esprit, et plus la modestie, l'absence de prétentions sur ce point
deviennent grandes : être compétent dans trois ou quatre domaines, avouer pour le reste son
ignorance...
Les martyrs furent un grand malheur dans l'histoire : ils séduisirent. Déduire qu'une cause
pour laquelle un homme accepte la mort doit bien avoir quelque chose pour elle – cette logique fut
un frein inouï pour l'examen, l'esprit critique, la prudence intellectuelle. Les martyrs ont porté
atteinte à la vérité. Il suffit encore aujourd'hui d'une certaine cruauté dans la persécution pour
donner à une secte sans aucun intérêt une bonne réputation. Comment ? Que l'on donne sa vie pour
une cause, cela change-t-il quelque chose à sa valeur ? Ce fut précisément l'universelle stupidité
historique de tous les persécuteurs qui donnèrent à la cause adverse l'apparence de la dignité.
Friedrich NIETZSCHE, L'Antéchrist, 1896.
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