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Deux autres modèles
La théorie classique n'est cependant pas un fait établi. Deux autres hypothèses plus récentes ferraillent
contre elle. Selon la première, baptisée «multiple trace theory», chaque fois qu'un souvenir refait
surface, il est réencodé, ce qui nécessite l'intervention de l'hippocampe. D'après cette
théorie, cette structure cérébrale resterait nécessaire au rappel des souvenirs même les plus anciens.
Néanmoins, une question vient immédiatement à l'esprit par référence au cas de H.M., notamment :
pourquoi ce patient a-t-il conservé le souvenir des épisodes s'étant déroulés plusieurs années avant
la résection de ses hippocampes si ces derniers sont mis à contribution dans tous les phénomènes de
remémoration, récents ou anciens ? Selon Pierre Maquet, on pourrait postuler que H.M. a utilisé des stratégies
de récupération différentes (alternatives) de celles employées par un individu normal.
Il y a peu, Richard Morris, de l'Université d'Edimbourg, a proposé un troisième modèle : la
«théorie des schèmes». Le neuroscientifique britannique part de l'observation suivante : si le cerveau
n'est pas préparé à acquérir un certain type d'informations, il éprouve de grandes difficultés à
les consolider. Ainsi, un économiste qui assiste à la conférence d'un astrophysicien, sans être initié au
sujet, comprendra éventuellement les propos de l'orateur, mais quittera la salle en n'ayant déjà
pratiquement plus aucun souvenir de ce qui a été dit. Et le lendemain, ce sera pire encore. A l'inverse,
dit Richard Morris, un spécialiste encodera directement dans son cortex la moindre information nouvelle, et
ce sans passage par l'hippocampe.
En d'autres termes, il existerait dans le cortex de l'expert des traces mnésiques préalables
qui se modifieraient très légèrement pour tenir compte de l'élément supplémentaire à prendre en
considération. Le système hippocampo-cortical ne devrait être engagé que vis-à-vis d'éléments inédits,
donc étrangers à la structure mentale du sujet. Dans ce cas, la consolidation du souvenir se réaliserait selon
la théorie classique.
Passage de témoin
Dans le cadre de leurs recherches, les neuroscientifiques du CRC de l'Université de Liège se sont
appuyés sur la théorie classique, la mieux étayée à l'heure actuelle. Leur hypothèse : les réactivations
spontanées de l'hippocampe et, par ricochet, des cortex où sont encodés les divers éléments constitutifs
d'un souvenir déclaratif s'opéreraient préférentiellement durant le sommeil et auraient pour
conséquence une réorganisation à long terme de la trace mnésique dans les réseaux corticaux.
Sur le plan expérimental, l'équipe de Pierre Maquet constitua deux groupes de volontaires après
qu'ils se furent pliés à un apprentissage consistant à mémoriser nonante paires de mots faciles à imager.
Au sein d'une paire, les mots ressortissaient au même champ sémantique, tels «tracteur» et «volant»,
mais n'étaient pas unis par un lien évident, comme «chien» et «chat», par exemple. En quoi différaient
les deux groupes de volontaires ? Contrairement aux membres du premier, les membres du second furent
privés de sommeil pendant la nuit suivant l'apprentissage.
Les réponses cérébrales des volontaires furent mesurées au moyen de l'imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle (IRMf) lors de la phase d'entraînement (encodage), puis à plusieurs reprises
par la suite. Le rappel libre verbal (des mots) est impossible dans le scanner, car le simple fait d'articuler
fait bouger le cerveau et fausse complètement l'image obtenue. En conséquence, lors des tests, les