Changement climatique et phytoplancton

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Changement climatique et phytoplancton
26/06/09
Depuis plusieurs décennies, des chercheurs de l'Université de Liège mesurent différents paramètres
des eaux méditerranéennes. Cette longue série de mesures effectuées en un endroit peu dégradé par la
pollution fait de la station de recherches STARESO, en Corse, un site de référence pour toutes les études
du milieu marin. Il en est ainsi pour le phytoplancton étudié par Anne Goffart.
Créée au début des années 1970 par le recteur Marcel Dubuisson, océanologue de renom, la STAtion de
Recherches Sous-marines et Océanographiques (STARESO) de l'université de Liège est située
en baie de Calvi, sur la côte occidentale de la Corse. Le site a été choisi pour la qualité exceptionnelle de
ses eaux et de son environnement. Un choix qui n'a jamais été remis en cause tant est grande la
variété des écosystèmes que la qualité des eaux de la baie permet d'offrir encore aujourd'hui
aux chercheurs. Grâce à la politique menée par les autorités régionales corses , les eaux qui baignent
STARESO ont toujours été protégées et la pollution d'origine anthropique y est très faible. Cette
caractéristique et la continuité des mesures effectuées depuis plus de 30 ans font aujourd'hui de
STARESO un site de référence unique: on peut y suivre l'évolution des milieux marins dans une zone
vierge de pollution, ce qui donne l'occasion aux chercheurs de surveiller les modifications qui seraient
dues au réchauffement climatique. Ainsi en est-il pour l'évolution du phytoplancton, étudiée par
Anne Goffart, chargée de recherches au laboratoire d'océanologie de l'ULg et responsable
scientifique de STARESO ULg.
La base de toute vie marine
Le phytoplancton est composé de petites algues microscopiques d'une taille presque toujours
inférieure au mm et même au 1/10 ou 1/100ème de mm. Une taille inversement proportionnelle à son
importance puisque le phytoplancton constitue la base de toute la chaîne alimentaire marine. S'il
n'y a pas de phytoplancton, il n'y aura pas de zooplancton puisque celui-ci se nourrit de celuilà et, in fine, pas d'animaux marins. La présence de phytoplancton dans les océans est donc vitale.
Mais ce n'est pas seulement sa présence qui importe: sa composition et la taille des cellules qui le
composent joue également un rôle essentiel. «Toute proportion gardée, explique Anne Goffart, il y a entre
les composants du phytoplancton la même différence qu'entre une cerise, une pomme et un melon.
L'animal qui mange la cerise doit avoir une bouche d'une taille différente de celui qui mange le
melon. Cette taille structure en fait tout le fonctionnement de la chaîne alimentaire. Si l'on n'a
que de grosses cellules qui ne peuvent être mangées que par des animaux relativement «grands», par
exemple, cela va poser problème pour les animaux de plus petite taille. Il en va de même si l'on
n'a que de petites cellules. Certes les grands animaux pourraient s'en nourrir, mais cela leur
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demande davantage d'énergie; ce n'est donc pas optimal. Il existe ainsi un rapport direct entre
taille des composants du phytoplancton et organisation du développement de la vie aquatique. »
Anne Goffart étudie plus particulièrement les relations entre la structure physique de la colonne d'eau
et le développement du phytoplancton. Dans l'océan, tout est lié, il faut donc étudier les phénomènes
sur toute la hauteur, ce que l'on appelle la colonne d'eau. Le phytoplancton est composé
d'algues. Celles-ci ont besoin d'engrais pour se développer, essentiellement des nitrates, des
silicates et des phosphates, situés dans les couches profondes de l'océan . C'est le vent hivernal
qui est responsable de la montée de ces éléments vers la couche superficielle, là où se développe le
phytoplancton. Il refroidit la couche de surface, celle-ci devient plus dense, ce qui l'entraîne vers
le fond et fait remonter des couches profondes contenant les sels nutritifs. Comme on le voit, le sort de
la vie marine se joue aussi dans l'air! Le site de Calvi, où des mesures ont été effectuées parfois
depuis plus de 30 ans, offre à Anne Goffart l'occasion d'établir une éventuelle relation entre ce
mécanisme et les modifications du climat. En effet, comme la mer n'y est pas polluée, les éventuels
signaux émis par l'océan suite à ces modifications ne sont pas camouflés, perturbés par ceux
émis par des pollutions d'origine anthropique. L'autre site de référence sur lequel travaille
l'océanographe liégeoise est l'Antarctique, plus précisément les eaux proches de la Terre
Adélie, elles aussi protégées des pollutions anthropiques.
Les données relevées à STARESO depuis plusieurs décennies sont tout d'abord de type
météorologique: température de l'eau, direction et intensité du vent, précipitations, pression; elles
concernent ensuite l'état du phytoplancton (par exemple la concentration en chlorophylle), du
zooplancton (notamment sa composition spécifique), des posidonies (concentration, longueur des feuilles,
etc. (Lire l'article Les vigies de l'environnement côtier) et des algues benthiques. Depuis
quelques années, des mesures systématiques de la concentration en CO2 sont également effectuées.
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Récupérer et calibrer les données anciennes a été le premier gros travail d'Anne Goffart. Il y
a trente ans, en effet, l'objectif des chercheurs n'était pas de mettre ces données en
relation avec un éventuel changement climatique. Et en trois décennies, les techniques ont évolué: il
est donc nécessaire de commencer par s'assurer que l'on a mesuré la même chose hier
qu'aujourd'hui afin d'écarter l'hypothèse que les changements observés ne soient
dus qu'à l'évolution des techniques de mesure. Cette première phase du travail terminée,
Anne Goffart a comparé les données concernant le phytoplancton avec celles qui concernent la météo par
lesquelles se traduit un éventuel changement de climat. Les graphiques reproduits ci-contre se passent
presque de commentaires.
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Moins de phytoplancton...
Sur ces graphiques, chaque
point représente la concentration en chlorophylle, c'est-à-dire la concentration en phytoplancton.
«On constate immédiatement une évolution marquante, explique Anne Goffart. Fin des années 1970, il
y avait une «floraison» de phytoplancton chaque printemps, moment où la couche d'eau riche en
nutriments remonte du fond de la mer. Ces dernières années, ce phénomène a pratiquement disparu! Et
cette disparition est progressive.» Comment expliquer cette raréfaction? Les chercheurs savent qu'ils
peuvent éliminer d'éventuelles causes locales puisque la mer n'est, à cet endroit, pratiquement
pas contaminée par l'homme. Si le phytoplancton disparaît dans la baie de Calvi, cela veut donc dire
qu'il doit exister une cause lointaine, générale, indépendante de la localisation.
Comme c'est le vent qui provoque la remontée d'eau riche vers la surface, Anne Goffart a
corrélé les données concernant le vent avec la concentration en phytoplancton. Plus particulièrement le
nombre de jours de vent fort en hiver et la concentration en chlorophylle. Conclusion: les années où il y
a beaucoup de vent en janvier et février, le phytoplancton se développe; à l'inverse, les années où
le vent est rare, il n'y a pas de phytoplancton. Et la relation est vraiment très bonne: chaque fois
qu'il y a un pic de vent en hiver, quelques jours après, on assiste à une remontée de sels nutritifs
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dans la colonne d'eau. Autrement dit, la raréfaction du phytoplancton est due à une cause générale,
climatique: la modification du régime des vents dans la baie et le long de la côte occidentale corse
Ces données intéressent fortement les autres laboratoires d'océanologie, en général dépourvus
de séries aussi longues et, de par leur situation, incapables d'isoler les signaux climatiques des
autres, notamment ceux qui découlent de l'activité de l'homme. «Les concentrations en jeu
sont en effet très faibles, poursuit Anne Goffart. Si vous vous trouvez dans les parages d'une station
d'épuration qui va, par exemple, rejeter des eaux un million de fois plus riche en nutriments que
les eaux naturelles, il est évident que cela va masquer totalement les variations qui seraient dues aux
changements climatiques. Les océanographes sont donc intéressés par nos données pour les utiliser dans
des modèles mathématiques qui expliqueraient ce qui se passe en cas de modification des vents.»
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...et moins de diatomées
La présence ou l'absence
de phytoplancton n'est pas la seule variable étudiée par Anne Goffart. «La composition du
phytoplancton, explique-t-elle, dépend de la température de l'eau. Quand les eaux sont froides, les
diatomées sont nombreuses. Ce sont des composantes du phytoplancton intéressantes car elles ont une
valeur nutritive élevée pour le zooplancton. Comme elles sont relativement grandes, elles ont tendance
à couler si elles ne sont pas mangées. En coulant, elles exportent du CO2 vers les couches profondes.
Comme la température moyenne hivernale de l'eau augmente, nous constatons qu'il y a
moins de diatomées dans l'eau. C'est un autre signe de modification et d'altération.»
On assiste donc à un double phénomène: il y a moins de phytoplancton et la proportion de diatomées
dans ce qui reste diminue. Ces résultats vont également être utilisés dans des simulations pour essayer
de comprendre ce que cela implique au niveau du zooplancton. Car plus on monte dans les niveaux
trophiques, plus il devient difficile de démêler l'écheveau des causes et des conséquences et
plus il est difficile de faire le lien avec le changement climatique. Ce qui est certain c'est que si le
zooplancton se modifie lui aussi, le reste de la chaîne suivra. A commencer par les larves de poissons
qui s'en nourrissent et dont on sait qu'elles sélectionnent leur nourriture selon des critères
mécaniques comme la grosseur et la forme des animaux formant le zooplancton. Si ces données se
modifient, les larves devront soit s'adapter - mais en auront-elles le temps?- soit disparaître.
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Ce qui est certain, selon Anne Goffart, et les plongeurs les plus expérimentés de STARESO le confirment,
c'est que les changements sont perceptibles à l'oeil nu: ce qu'on voit dans l'eau
aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce qu'on voyait il y a trente ans! Il y a beaucoup plus
de gros poissons, comme le barracuda, inconnu en baie de Calvi il y a trente ans (mais c'est aussi
parce qu'on a protégé certaines espèces!), beaucoup d'espèces thermophiles sont arrivées
de la Méditerranée orientale, plus chaude et d'autres qui vivaient à la limite des eaux froides ont
disparu. On constate aussi l'apparition ponctuelle de certaines espèces de phytoplancton contenant
des toxines très dangereuses dont la présence est favorisée dans certains cas par les éléments climatiques.
«On voit donc bien, résume Anne Goffart, que si le changement qui intervient au niveau du phytoplancton
est relativement clair, pour le reste de la chaîne trophique, tout devient très compliqué et on ignore encore à
peu près tout. Excepté une chose: les changements sont très rapides.»
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