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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
La carte d'une super-Terre
23/05/16
L'exoplanétologie ne cesse de progresser et de surprendre. Récemment, une équipe de chercheurs de
plusieurs instituts, dont l'Université de Liège, a établi une carte longitudinale de l'émission thermique de 55
Cancri e, une "super-Terre" située à quarante années lumières de la Terre. L'enjeu était de mesurer
l'évolution de la brillance de la planète tout au long de son orbite autour de l'étoile. Ces données existent
déjà pour certaines géantes gazeuses, mais sont inédites pour les planètes de plus petite taille. Elles ont été
obtenues par analyse photométrique d'images récoltées par Spitzer, l'un des télescopes spatiaux de la NASA.
Elles ont permis notamment d'observer les zones plus chaudes et plus froides de la planète, et d'en
estimer certaines de ses propriétés de surface. C'est un nouveau pan de l'astrophysique qui s'ouvre, celui de
l'étude des dynamiques géologiques et atmosphériques des exoplanètes de petite taille.
Née en 1995 avec la découverte d'une première planète hors du système solaire, l'exoplanétologie en a
depuis recensé des milliers, qui orbitent autour de centaines d'étoiles. Au point que leur nombre est aujourd'hui
estimé à plusieurs dizaines de milliards pour notre seule galaxie. Certains outils permettent déjà d'en dresser
des portraits assez étoffés, mais pour le moins inertes. La mesure des vitesses radiales, par exemple, aide
à déduire leur masse, et l'observation photométrique du transit livre des informations sur leur taille. La
combinaison des deux méthodes dévoile leur densité, donnant ainsi un indice crucial sur leur composition
géologique (gaz, roches, métaux, glace), et éventuellement sur la possible présence d'une atmosphère. Ces
méthodes de détection restent indirectes. La grande majorité des exoplanètes, trop petites et trop lointaines,
sont inobservables directement. Pour résumer, c'est le comportement de leur étoile ou la variation lumineuse
de l'ensemble du système qui trahit leur présence. Une série de contraintes qui n'aident pas à imaginer
l'intensité de l'activité qui peut y régner.
Ces portraits figés, en effet, ne rendent pas justice à ces planètes. Tout comme les objets de notre système
solaire, elles doivent être sujettes à des dynamiques physiques et géologiques importantes. C'est là l'objet d'un
nouveau grand tournant de l'exoplanétologie, qu'amorce avec engouement Michaël Gillon, chercheur qualifié
FNRS au Laboratoire sur les Origines en Cosmologie et Astrophysique de l'ULg. En collaboration avec
l'Université de Cambridge et d'autres instituts, il vient de participer à une étude pionnière publiée dans
Nature (1). Il s'agit de l'établissement d'une carte longitudinale qui recense les différences de température sur
toute la surface de 55 Cancri e, une super-Terre située à 40 années lumières et qui tourne autour de son
étoile en seulement dix-huit heures (lire à ce sujet « Une super-Terre mise en lumière » et « 55 Cancri e :
d'énormes variations de température ! »).
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Ces données ont été obtenues par l'analyse photométrique de plusieurs orbites complètes de la planète
autour de son étoile. Des précisions inédites pour une planète aussi petite, qui nous en apprennent
notamment davantage sur la possible présence d'une atmosphère. Mais comme toute grande nouveauté
prometteuse, cette découverte singulière exige une certaine prudence. « L'émission thermique et sa
distribution entre les deux hémisphères d'une exoplanète avaient déjà été mesurées pour des géantes
gazeuses, contextualise Michaël Gillon. Mais ces planètes sont essentiellement de grosse boules de gaz, à
l'inverse des planètes plus petites. Ces dernières peuvent présenter un large panel de possibilités de
composition et de conditions de surface. Par exemple, nous ne savons pas si 55 Cancri e est faite de roche
ou de glace, si c'est une véritable planète tellurique ou le cœur résiduel d'une planète géante, si elle a toujours
été si proche de son étoile, ou si elle s'est formée plus loin avant de migrer vers elle… Il y a énormément
de scénarios possibles, tant au niveau de son histoire que de sa composition. » Bien sûr, les chercheurs ont
bien leur petite idée sur la question. Mais étant donné qu'il s'agit d'une première étude, aucune connaissance
statistique ne peut éprouver leurs hypothèses. « Et puis, des super-Terres, notre système solaire n'en contient
aucune. Il n'abrite que des planètes géantes, bien plus grosses, et des planètes telluriques bien plus
petites. On ne peut donc malheureusement pas comparer 55 Cancri e à un spécimen solaire, étudiable in
situ. »
Une super-Terre volcanique
Avec un rayon de deux fois celui de la Terre et une masse huit fois plus élevée, 55 Cancri e reste donc une
petite planète, bien moins facilement détectable que des géantes gazeuses parfois plus grandes encore que
Jupiter. C'est pourtant une candidate idéale pour l'observation. Son étoile, très brillante et presque voisine, est
visible à l'œil nu. Ses signaux sont donc aisément mesurables à l'aide de télescopes. L'orbite très courte de la
planète autorise l'observation de son transit à une très grande fréquence. Enfin, sa proximité avec son étoile
en fait un objet assez chaud, qui émet donc suffisamment de lumière pour que sa contribution soit discernable.
Récemment, de grandes variations de températures ont d'ailleurs été détectées à sa surface, orientant
les chercheurs vers une hypothèse audacieuse. « Ce système contient d'autres planètes plus éloignées,
développe Michaël Gillon. Elles influencent l'orbite de 55 Cancri e, qui de ce fait n'est pas parfaitement
circulaire, mais légèrement elliptique. Or, comme elle est très proche de son étoile, cette ellipticité orbitale
génère des effets de marée intenses qui se traduisent par un transport d'énergie constant vers son coeur, par
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friction interne. Cet important "chauffage par marée" pourrait être à l'origine d'une activité volcanique colossale
à sa surface. »
Cette hypothèse vraisemblable ne vient pas de nulle part. « Quand je disais que 55 Cancri e n'avait pas
d'homologue dans notre système solaire, c'est vrai en ce qui concerne nos planètes », précise l'astronome. Par
contre, en termes de structure, 55 Cancri e et son étoile présentent une homologie certaine avec Jupiter et
Io, son satellite le plus proche. L'orbite d'Io, influencée par Europe et Ganymède, deux lunes
plus éloignées, est également elliptique. « Cette situation crée des activités volcaniques et des effets de
marées intenses sur Io. » L'analogie encourageante entre les deux structures réjouit Michaël Gillon. « Nous
ne pouvions étudier ce genre de phénomène que dans notre système solaire. Aujourd'hui, nous sommes sur
le point d'étendre cette étude à d'autres systèmes ! »
Une opportunité à saisir
La proximité de 55 Cancri e avec son étoile la piège dans un état dit "de rotation synchrone". C'est-à-dire
que sa période de révolution est identique à sa période orbitale et qu'elle présente toujours la même face à
son étoile, comme la Lune avec la Terre. La planète a donc un côté jour et un côté nuit perpétuels. « Cette
rotation synchrone est une opportunité, car elle permet de déterminer sans ambiguïté l'efficacité de la
distribution de l'énergie thermique entre les côtés jour et nuit de la planète, qui dépend directement de
la présence d'une atmosphère et de sa dynamique.. Si, comme pour la Terre, les deux hémisphères
étaient successivement exposés à l'étoile, la température autour du globe serait nettement plus homogène et
les conclusions seraient plus difficiles. »
Durant une courte fraction de chacune de ses orbites, la planète passe derrière l'étoile. Elle est
donc totalement occultée, et sa contribution au flux du système disparaît. Son émission, plus exactement
l'émission de son côté jour, peut donc être alors mesurée de manière négative. « Le phénomène de
rotation synchrone, quant à lui, nous permet d'observer la planète sous différents angles tout au long de
son orbite. Si son émission thermique varie à sa surface en fonction de la longitude, on va donc enregistrer
une modulation, une variation propre à la planète. En combinant les deux mesures, occultation et courbe de
modulation orbitale, on peut en déduire une carte longitudinale de l'émission thermique à la surface de
la planète : l'occultation nous donne la valeur absolue de l'émission thermique du côté jour, et la
modulation orbitale nous montre comment cette valeur varie en fonction de la longitude. »
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Huit observations de 9 heures réparties sur un mois
ont permis d'enregistrer ces variations d'émission, et de vérifier qu'elles se répétaient conformément
aux phases orbitales de la planète. Les astrophysiciens ont pu alors rassembler les données et établir la carte
longitudinale des émissions thermiques de la planète. Elle révèle un gradient de température énorme entre les
côtés jour et nuit : le côté jour a une température s'élevant à 2700 Kelvin, pour moins de 1300 du côté nuit.
« Un tel gradient thermique traduit une circulation inefficace de la chaleur qui correspond bien à une planète
rocheuse dépourvue d'atmosphère. En effet, c'est essentiellement l'atmosphère qui distribue la
chaleur à la surface d'une planète, via les phénomènes dynamiques (vents) dont elle est le théâtre.
Sans atmosphère, le gradient thermique entres les côtés jour et nuit va rester très important. » Oui, mais !
Le paradoxe du point chaud
En théorie, sans atmosphère, l'endroit le plus chaud de la planète devrait être le point le plus proche de l'étoile
(le point substellaire). Donc, sur le graphique présentant les variations lumineuses de la planète (voir la figure
plus haut), le pic de brillance devrait se trouver au plus près de la phase d', vu que ce sont les moments où
le télescope capte la plus grande partie du côté jour. Pourtant, la courbe de brillance révèle un pic décalé,
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se produisant significativement avant l'occultation. « Le point le plus chaud de la planète ne se trouve
donc pas exactement sous l'étoile, observe Michaël Gillon, mais en est décalé d'une trentaine de degré
vers l'est. Cette observation serait facile à comprendre en présence d'une atmosphère, qui, grâce à
des vents forts soufflant vers l'est, permettrait un transfert de chaleur conduisant à un décalage du
point chaud par rapport au point substellaire. Mais dans le cas de 55 Cancri e, cette observation est difficile à
réconcilier avec le gradient thermique important entre les deux hémisphères. »
Une hypothèse à vérifier tend à éluder ce paradoxe. Pour rappel, la grande proximité de la planète à son étoile
jumelée à la présence d'autres planètes dans le système influence son orbite pour la rendre elliptique. Ce qui
génère des effets de marée considérables. « Or, la température du côté jour dépasse le point de fusion des
roches. Nous pouvons imaginer que ces roches forment des « océans » de magma. Sous l'effet des marées,
il pourrait y avoir un transport « océanique », un flux de magma migrant vers l'est et entraînant un décalage
entre le pic d'irradiation et le pic de chaleur. »
Une seconde théorie envisage malgré tout la présence d'une atmosphère particulière, qui abriterait des
phénomènes insolites. « Mais à ce sujet, nous sommes vraiment dans la spéculation, tempère l'astrophysicien.
Une chose est certaine, une atmosphère à base d'hydrogène, comme celles que l'on observe autour des
géantes gazeuses, est peu probable. L'élément est trop léger et serait soit soufflé rapidement hors du
champ gravitationnel de la planète, soit attiré par le champ magnétique de l'étoile. On pourrait imaginer
une atmosphère secondaire composée d'éléments plus massifs, résultant d'un dégazage constant
en surface du fait de l'irradiation massive de la planète. Elle serait constamment détruite et renouvelée. Si
55 Cancri e est composée essentiellement de glace, cette atmosphère devrait être riche en oxygène et en
monoxyde de carbone. Si elle est essentiellement rocheuse, ce qu'on privilégie aujourd'hui, l'atmosphère
secondaire pourrait être riche en silicates et en métaux. »
Le chant du cygne pour Spitzer
À l'heure actuelle, une telle étude n'aurait pu être possible sans Spitzer, un télescope spatial de la
NASA. Il présente plusieurs qualités nécessaires à une observation aussi précise. « À l'échelle de la planète,
ces variations de température sont effectivement très grandes, concède le chercheur. Pourtant elles ne
correspondent qu'à une variation minuscule de la brillance du système, de l'ordre de 200 ppm, soit 0.02% ! »
Pourquoi Spitzer a-t-il réussi l'impensable pour les autres télescopes ? Premièrement, tous les instruments
présents sur Terre sont disqualifiés. L'atmosphère limite leur précision à environ 0.1%. Il fallait ensuite un
outil opérant dans l'infrarouge, spécialité du télescope. C'est à ces longueurs d'ondes qu'il y a le meilleur
contraste entre l'émission thermique d'une planète et celle de son étoile. Beaucoup plus chaude, cette dernière
émet essentiellement à des longueurs d'ondes plus courtes. Troisièmement, il fallait un télescope pouvant
enregistrer de grandes fractions de l'orbite de la planète en continu. Aucun satellite de la Terre n'en
est capable, puisque notre planète occulte leur champ de vision la moitié du temps. Spitzer, lui, suit une
orbite héliocentrique, sur l'axe de la Terre mais s'en éloignant continuellement. Il se trouve aujourd'hui à une
unité astronomique de notre planète et est donc bien loin de ses lumières parasites. Mais Spitzer se fait
vieux. Deux de ses trois instruments sont hors d'usage, le troisième n'est utilisable qu'à
50% de ses capacités initiales, et son éloignement rend tout transfert de données de plus en plus difficile. Il
devra pourtant assurer l'intérim jusqu'à la fin de l'année 2018, le temps que le télescope spatial JWST soit
opérationnel. « Son miroir aura 6,5 mètres d'ouverture, contre 85 centimètres pour Spitzer, se réjouit Michaël
Gillon. Et ses instruments enregistreront les émissions de photons à plusieurs longueurs d'onde. Or chaque
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longueur d'onde nous apprend quelque chose de différent sur une planète, leur combinaison nous renseignant,
par exemple, sur la structure verticale de l'atmosphère, la composition de sa surface, etc. Ce que nous
avons obtenu avec Spitzer, c'est un premier aperçu intrigant, mais toute une série de phénomènes dynamiques
nous échappent encore. »
Vers des « Terres habitables »
Fortement sollicité, le JWST ne pourra pointer son miroir que sur quelques candidates triées sur le volet.
L'enjeu est de détecter ces planètes à l'aide d'autres instruments et de discerner les profils les plus attrayants.
Avec le bien nommé projet SPECULOOS et à l'aide du télescope TRAPPIST, Michaël Gillon et ses collègues
sont à la pointe dans ce domaine. Ils cherchent à détecter des planètes plus petites encore, aux conditions
géologiques et atmosphériques similaires à celles de la Terre, et orbitant dans la zone habitable de leur
étoile. «Nous voulons découvrir des exo-Terres propices à une étude détaillée avec les télescopes de dernière
génération comme le JWST, notamment à une recherche de traces de vie dans la composition atmosphérique.
Ce ne sera possible que pour des Terres qui transitent des étoiles parmi les plus petites et les plus froides
du voisinage solaire. Ce type d'étoiles, dites "naines ultra froides", sont très fréquentes dans la Galaxie,
bien plus que les étoiles de type solaire. Elles ont une taille proche de celle de la planète Jupiter, et une
température plus de deux fois inférieure à celle du Soleil. Avec une étoile hôte aussi petite et peu lumineuse,
le signal d'une planète de la taille de la Terre n'est pas totalement noyé dans le flux de l'étoile.
À titre de comparaison, la Terre, autour du soleil, est minuscule et n'émet que très peu de lumière. Un objet
similaire orbitant autour d'une étoile peu lumineuse et de la taille de Jupiter contribuera à une part bien plus
grande de l'émission thermique globale. Elle sera donc plus facile à étudier. »
Lire Un trio de terres à 40 années-lumière ?
(1) Brice-Olivier Demory, Michael Gillon, Julien de Wit, Nikku Madhusudhan, Emeline Bolmont, Kevin Heng,
Tiffany Kataria, Nikole Lewis,Renyu Hu, Jessica Krick, Vlada Stamenkovi#, Björn Benneke, Stephen Kane
& Didier Queloz, A map of the extreme day-night temperature gradient of a super-Earth exoplanet. Nature,
DOI: 10.1038/nature17169
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