Ambroisie: une plante prête à de grandes conquêtes

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Ambroisie: une plante prête à de grandes conquêtes
09/06/16
L'Ambroisie - à ne pas confondre avec l'Armoise - est une plante sauvage à l'origine
de nombreux problèmes d'allergie. Certes, elle est encore peu présente en Belgique. Mais, à la
suite des travaux de l'Axe Biodiversité et Paysage de Gembloux Agro-bio Tech, on sait maintenant
qu'il suffirait de peu de choses pour la voir envahir nos campagnes. Des systèmes de détection précoce
s'imposent.
L'Ambroisie à feuilles d'armoise (Ambrosia artemisiifolia L.) est une plante de la famille des
Astéracées d'environ 70 centimètres de hauteur (en moyenne) qui, dans diverses régions européennes,
donne du fil à retordre aux agriculteurs et aux professionnels de la santé. Introduite au cours du XIXe et
du XXe siècle via des semences d'origine américaine destinées à l'agriculture, elle est aujourd'hui
très présente dans de nombreuses cultures printanières: tournesol, maïs, soja, etc. Dans la Région RhôneAlpes, par exemple, elle est considérée comme la plante adventice numéro un, capable d'envahir des
champs sur plusieurs hectares et d'y compromettre les récoltes. Mais son aire d'invasion touche aussi
le Nord de l'Italie et s'étend jusqu'en Europe de l'Est, où elle pose de graves problèmes,
particulièrement en Hongrie. Rudérale (affectionnant les friches, talus et déblais), elle profite également des
travaux qui perturbent la végétation naturelle. Collées aux semelles des ouvriers et aux pneus des véhicules de
chantier, enfouies dans les terres de remblais, ses graines sont capables de rester en latence plus de dix ans
dans le sol. Elles peuvent donc être déplacées sur de courtes ou de longues distances sans nécessairement
manifester rapidement la présence de l'espèce, ni ses effets.
Et quels effets! Au moment de sa floraison, généralement en août, l'Ambroisie libère des millions de
grains de pollen dans l'atmosphère, capables de se déplacer sur plusieurs dizaines de kilomètres. Ce
pollen n'est pas seulement allergène, entraînant chez les personnes sensibles des gênes aussi variées
que des rhinites, des conjonctivites, des trachéites ou des épisodes asthmatiques; il est aussi allergisant,
c'est-à-dire qu'il est capable de déclencher des réactions allergiques chez des personnes qui,
au départ, ne souffraient d'aucune sensibilité de ce genre. Dans certaines régions, en France, on ne
plaisante vraiment pas avec l'Ambroisie: il est arrivé, ici et là, que des organisations syndicales se
cabrent devant des expérimentations scientifiques pourtant bien nécessaires, en raison de ses particularités
allergisantes. De 6 à 12% de la population semblent allergiques au pollen de la plante. Dans la Région RhôneAlpes, en 2012, la facture de l'Ambroisie sur les soins de santé a été estimée à quelque 20 millions
d'euros.
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La Belgique en sursis?
En Belgique, l'indésirable est restée, jusqu'ici, très discrète. Et c'est tant mieux! Sa
distribution la plus nordique, dans cette partie de l'Europe occidentale, reste cantonnée à la Bourgogne.
Seules quelques stations ont été observées sur le territoire belge. Il s'agit, le plus souvent, de sites
industriels agroalimentaires où sont manipulées des graines de tournesol et de quais de transbordement le
long des voies d'eau. Dans les cargaisons de graines de tournesols, en effet, se glissent régulièrement
des graines d'Ambroisie. Des botanistes ont aussi noté sa présence récurrente dans les jardins privés,
car elle contamine les mélanges de graines pour oiseaux. Chez nous comme aux Pays-Bas, toutes ces stations
restent toutefois très limitées au stade actuel.
Mais pour combien de temps? Caractérisée par la longue "dormance" de ses stocks de graines,
l'Ambroisie pourrait-elle migrer un jour vers le nord et gagner d'autres régions d'Europe?
Les étés plus chauds et plus longs, promis par le réchauffement climatique, pourraient-ils favoriser ce
phénomène? L'éventuelle dissémination serait-elle progressive ou, comme cela s'est vu avec
d'autres espèces, soudaine et brutale? De telles questions sont au centre de la thèse doctorale en
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bio-ingénierie de William Ortmans à Gembloux Agro-bio Tech (ULg). Dans un premier temps, celui-ci
s'est intéressé aux performances des plantes adultes poussant tant en France que dans les stations
belges ou néerlandaises. Après avoir semé leurs graines dans un jardin expérimental, il s'est aperçu
que, quelles que soient la région et la latitude où elles ont été récoltées, ces plantes sont parfaitement capables
de boucler leur cycle de reproduction et de former, en une seule génération, une "banque" (stock) de graines
appréciable. "Les conditions climatiques plus froides de la Belgique n'expliquent donc pas pourquoi
l'espèce semble limitée dans nos régions", conclut-il dans un premier temps.
De toutes les couleurs
Le jeune chercheur a donc voulu savoir si les caractéristiques des graines ont une influence sur le
développement ultérieur des plantes. Les graines d'Ambroisie sont, en effet, d'une très grande
variabilité, tant en ce qui concerne leur taille que leur masse, leur couleur, leur densité, etc. Il paraissait donc
opportun de voir si ces caractéristiques ont un impact sur le développement des plantules et sur la viabilité de
la plante à long terme. Originalité de l'approche: alors que la plupart des recherches menées dans ce
domaine se limitent à la mesure de la masse des graines, William Ortmans s'est également intéressé
à l'aire (surface) de celles-ci. "J'ai travaillé sur 900 graines issues de 9 populations d'Ambroisie
différentes. Dans chaque population, j'ai sélectionné 10 plantes mères et j'ai récolté 10 graines par plante.
Après les avoir pesées, je les ai photographiées dans des conditions standardisées. Un logiciel m'a
permis de mesurer précisément la couleur de chaque graine et d'estimer l'aire de chacune à
partir de la mesure de la plus grande ellipse présente à la surface de celle-ci. Outre l'originalité de la
technique photographique, je voulais surtout éviter, en allant au-delà d'une simple mesure de la masse,
de passer à côté d'autres caractéristiques éventuellement décisives. Si je m'étais limité à la
masse, je n'aurais pas pu estimer, par exemple, la quantité de réserves nutritives réellement présentes
pour la future plantule".
Les graines ont ensuite été semées dans deux chambres de culture identiques, à l'exception des
conditions de température ambiante. L'une - la chambre chaude - était destinée à installer les conditions
de croissance idéales (simulant le sud de l'Europe), l'autre - la chambre froide - les conditions
suboptimales telles qu'on les trouve par exemple en Belgique. A l'âge de deux semaines, les
plantules ont été photographiées et leur surface foliaire a été estimée. Après deux mois, les 900 plantes
ont été coupées afin d'estimer leur biomasse aérienne. "La biomasse constitue un excellent indicateur
des performances de la plante, particulièrement la quantité de pollen et la quantité de graines produites.
J'ai par exemple constaté, sans surprise, que les graines semées en chambre froide étaient plus lentes
et moins nombreuses à germer. Mais ce qui m'intéressait surtout, c'était de comprendre si les
caractéristiques de la graine, à savoir la couleur, la taille, ou la masse, influençaient la croissance de la plantule,
qui est le stade où la plante est la plus vulnérable ".
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Prête pour l'invasion
Avec quels résultats? "On aurait pu s'attendre, par exemple, à ce que toutes les graines soient plus
ou moins identiques, au regard des traits pris en compte, au sein de chaque population (zone géographique)
considérée. Eh bien non, la variabilité se rencontre à tous les niveaux: les zones géographiques, les
populations locales et les plantes elles-mêmes. Les traits de la graine n'ont pas tous eu un impact
très important, mais les grosses et lourdes graines ont produit des plantules avec une croissance plus
rapide et dotées d'une plus grande biomasse. La grande variabilité des graines permettrait donc à
l'espèce de se développer dans une large gamme de milieux, y compris des environnements plus froids". Ce
dernier constat, fondamental, est préoccupant. Il signifie que l'Ambroisie est parfaitement capable de
se développer dans les conditions de température qu'on rencontre en Belgique; certes, plus lentement
qu'ailleurs, mais avec un excellent taux de germination et un cycle allant jusqu'à son terme,
c'est-à-dire la fructification et la dissémination de pollen dans l'environnement.
"Actuellement, les principaux foyers d'invasion européens d'Ambroisies restent éloignées de la
Belgique, plusieurs centaines de kilomètres nous en séparent, commente Arnaud Monty, chef de travaux à
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l'Axe Biodiversité et Paysages du Département BIOSE, et promoteur de la thèse de William Ortmans.
Mais, si les activités humaines devaient véhiculer dans nos régions des stocks importants de graines, il est clair
qu'il nous faudrait réagir très vite. Un système de détection précoce est indispensable. Si les autorités
attendent ne fût-ce que deux ou trois années avant de réagir, ce sera déjà très difficile d'être efficace.
Si elles attendent dix ans avant d'adopter des mesures de limitation ou d'éradication, ce sera
franchement trop tard". Au rayon des mesures de vigilance suggérées par l'expert gembloutois, on
peut citer une attention toute particulière aux "bandes faunes" développées dans le cadre du verdissement
de la Politique Agricole Commune (PAC). En effet, certains semis prévus dans le cadre des Mesures agroenvironnementales (MAE) incluent le recours aux tournesols, potentiellement contaminés par des graines
d'Ambroisie.
Smartphones anti Ambroisie
Divers systèmes de surveillance et de réaction précoce ont déjà été pensés, voire mis en pratique en Europe.
En 2014, par exemple, une application smartphone a permis - le système est aujourd'hui abandonné,
à cause de son coût - à tout observateur de terrain confronté à une plante suspecte (l'Ambroisie
peut facilement être confondue, notamment, avec l'Armoise) d'obtenir rapidement une validation
de sa découverte par des botanistes expérimentés. Dans les pays où l'Ambroisie dispose déjà du
statut de plante envahissante, des brochures et des dépliants ont été mis à la disposition des agriculteurs
et des naturalistes. En France, à Dijon, un observatoire spécialisé a même été créé (www.ambroisie.info).
Éviter les transferts intempestifs de graines semble une mesure préventive efficace. Car l'utilisation
d'herbicides est peu recommandée dans les cultures et, surtout, le long des cours d'eau, autres
voies privilégiées par l'espèce pour se disséminer. La coupe mécanique est tout aussi peu efficace.
Exigeante en main d'œuvre et en matériel, elle n'aboutit, bien souvent, qu'à renforcer la plante
à long terme et à favoriser la dissémination des nombreuses graines (jusqu'à 14.000 par individu dans
les régions chaudes!).
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Les travaux de William Ortmans plaident donc, avec d'autres, en faveur d'une politique
résolument préventive, là où c'est encore possible en Europe. Ils seront présentés, au mois de
septembre, à l'ensemble de la communauté scientifique à l'occasion du colloque de référence
sur les plantes invasives NEOBIOTA. C'est là, en effet, que se clôturera officiellement le projet
Smarter(Sustainable Management of Ambrosia Atermisiifolia in Europe) du programme européen COST (mise
en réseau de chercheurs sur une thématique spécifique). De là devraient voir le jour, si tout va bien, des
programmes intégrés de gestion de l'Ambroisie à l'échelle de l'Europe.
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