TROUBLES DE LA MARCHE CHEZ L’ENFANT
Professeur Vincent LAUGEL, Service de Pédiatrie 1, CHU Strasbourg Hautepierre
INTRODUCTION
Les troubles de la marche chez l’enfant aussi bien le retard de marche que les anomalies de
la marche sont un motif fréquent de consultation en médecine générale et en pédiatrie.
L’acquisition de la marche est un repère important pour les parents dans le développement de
leur enfant et focalise donc naturellement l’attention de l’entourage et des soignants.
L’analyse clinique de la marche d’un enfant reste cependant difficile et nécessite de porter
attention à quelques éléments de repère. Les causes d’un trouble de la marche sont
extrêmement variées chez l’enfant, mais le bilan étiologique peut être utilement orienté par
quelques éléments simples.
1. ORIENTATION DIAGNOSTIQUE DEVANT UN RETARD DE MARCHE OU
DES TROUBLES DE LA MARCHE CHEZ L’ENFANT
1.1 Age d’acquisition de la marche
Si 50 % des enfants marchent déjà de manière autonome à 12 mois, l’âge limite doit rester à
18 mois. Pour aider à la détermination du caractère pathologique d’un retard de marche
autour de 18 mois, il est utile de s’aider de l’âge d’acquisition des étapes préalables du
développement moteur. L’âge de la marche est fortement corrélé aux stades précédents
d’acquisition de la position assise avec appui (6 mois), des réactions parachutes (7 mois), de
la position assise sans appui (8 à 9 mois). Un trouble de la marche isolé alors que toutes les
étapes motrices préalables étaient normales n’aura pas la même valeur de gravité, ni la
même valeur d’orientation diagnostique qu’un retard de marche s’inscrivant dans un retard
postural et moteur ancien. Enfin, l’utilisation d’un « trotteur » peut souvent perturber
l’analyse initiale de l’âge d’acquisition de la marche et du type de marche elle-même : ces
trotteurs, très pratiques sur le plan familial, sont néanmoins à déconseiller, aussi bien pour
les risques de chutes dans les escaliers que de mauvaise acquisition de la marche ou
d’acquisition d’une marche digitigrade.
1.2. Arbre diagnostique d’un retard de marche ou d’un trouble de la marche de
l’enfant
L’analyse étiologique d’un retard de marche ou d’un trouble de la marche chez l’enfant doit
comporter une analyse séquentielle des grandes causes possibles :
La première cause à écarter par l’examen clinique et l’interrogatoire est une origine
orthopédique : une déformation des pieds, une anomalie des hanches orientera en premier
lieu vers cette origine orthopédique. Néanmoins, un problème orthopédique ne doit bien sûr
pas faire méconnaître une cause neurologique sous-jacente dont il pourrait n’être que la
conséquence.
Une anomalie sensorielle doit absolument être recherchée également devant tout
trouble de la marche de l’enfant. Une anomalie visuelle notamment peut facilement passer
inaperçu chez le nourrisson et peut, au cours de la deuxième année, donner lieu à un retard
de marche ou à une marche ébrieuse avec des chutes.
Le développement global de l’enfant doit bien sûr être évalué dans sa globalité. Un retard
de marche ne doit pas faire méconnaître un retard de développement global dans lequel ce
retard de marche s’intégrerait. Le bilan à réaliser sera alors celui d’un retard
développemental global et non pas celui d’un retard de marche. Le pronostic est également
beaucoup plus déterminé par le retard développemental global dans ce cas- que par le
retard de marche.
Un trouble de la relation et du comportement, un trouble du spectre autistique peuvent
également induire un retard de marche ou une marche anormale chez l’enfant. L’évaluation
des capacités d’interaction, d’attention conjointe, de pointage, sont absolument
fondamentales pour ne pas méconnaître un trouble autistique dont la première manifestation
serait un trouble de la marche.
Enfin, une fois ces diagnostics différentiels écartés, il convient de procéder à l’analyse
des causes neurologiques de retard de marche. La première étape clinique indispensable
d’orientation du bilan étiologique consiste à essayer de qualifier au mieux le trouble de la
marche en le rapprochant d’un syndrome plus général. Il faut rechercher la présence des
réflexes (leur exagération ou leur abolition éventuelle, leur symétrie), une anomalie du tonus
(hypertonie ou hypotonie), une faiblesse musculaire (testing musculaire analytique ou
évaluation plus globale), recherche d’une dysmétrie, recherche d’une anomalie des paires
crâniennes.
1.3. Méthodes d’analyse de la marche
Une analyse fonctionnelle simple de la marche doit se faire en regardant l’enfant marcher
dans un plan frontal, c’est-à-dire en faisant venir l’enfant vers l’examinateur, puis en le
faisant s’éloigner de l’examinateur. L’analyse doit également se faire dans un plan sagittal, en
faisant passer l’enfant devant l’examinateur, l’examinateur se tenant de côté par rapport à la
direction de la marche. Il ne faut pas hésiter à faire marcher l’enfant de nombreuses fois sur
une distance suffisante (un couloir, etc). Il faut également analyser la marche de l’enfant
dans les escaliers. On peut également utilement s’aider des vidéos qui auraient été faites par
la famille au domicile.
L’analyse s’appuiera ensuite sur l’analyse de l’attaque du pas (par la plante du pied chez
l’enfant de moins de deux ans, par le talon ensuite, jamais par la pointe), du ballant des bras,
du polygone de sustentation, de la flexion des genoux au passage du pas. L’examinateur
pourra alors « récolter » les différents symptômes (embardées, steppage, cisaillement, une
marche en flexion ou en extension exagérée, marche digitigrade…) et tenter de les regrouper
en syndrome : myopathique, neuropathique, ataxique, spastique et dystonique.
2. TYPES D’ANOMALIES DE LA MARCHE D’ORIGINE NEUROLOGIQUE
Parmi les causes de retard ou de troubles de la marche d’origine neurologique, on retient
classiquement cinq syndromes reconnaissables cliniquement et qui permettent d’orienter le
bilan étiologique et la prise en charge thérapeutique.
2.1. Type myopathique
Description clinique
Dans ce contexte de maladie proprement musculaire, les troubles de la marche de type
myopathique sont la conséquence d’une faiblesse musculaire. La marche de type
myopathique est généralement dandinante, avec une boiterie des épaules, souvent en
hyperlordose. Le relever du sol est caractéristique et nécessite parfois l’aide des membres
supérieurs (signe de Gowers ou signe du tabouret). Dans certaines maladies musculaires
progressives accompagnées de rétractions musculo-tendineuses (typiquement dans la
dystrophie musculaire de Duchenne), cette démarche peut être digitigrade en raison de
l’équin à la rétraction des mollets. Dans des formes modérées de troubles de la marche
d’origine myopathique, c’est la course et la montée des escaliers qui sont perturbés en
premier.
Démarche étiologique
En cas d’installation aiguë de troubles de type myopathique, un diagnostic de myosite
aiguë peut être évoq et devra être confirmé par un dosage des CPK. Le tableau
s’accompagne alors toujours de myalgies associées. Le virus grippal notamment, peut être à
l’origine « d’épidémies » de myosites hivernales chez l’enfant. L’évolution est très
généralement favorable et les seules complications peuvent provenir de l’importance de la
rhabdomyolyse (répercussions rénales). Les causes génétiques/métaboliques doivent être
recherchées en cas d’atteintes aiguës récidivantes.
En cas d’installation progressive des troubles de la marche d’origine myopathique, la
démarche étiologique s’orientera vers une maladie musculaire constitutionnelle. L’EMG
pourra confirmer le tracé myogène. Les CPK peuvent être élevées (dystrophies musculaires
progressives) ou normales (myopathies non dystrophiques). Le diagnostic s’appuiera ensuite
sur la biopsie musculaire et les analyses en biologie moléculaire. La situation la plus courante
concerne, dans ce cas, le diagnostic de dystrophie musculaire de Duchenne : cette maladie
qui ne touche que les garçons se manifeste généralement autour de trois ans par des
difficultés à la course et au relever du sol, parfois par une certaine induration des mollets ou
par une marche digitigrade. Il peut s’y associer un retard de langage ou des troubles
autistiques, parfois révélateurs de la maladie. Les CPK sont constamment très élevées,
généralement au-delà de dix fois la norme.
2.2. Type neuropathique
Description clinique
Un processus neuropathique aigu et sévère peut se manifester de manière pathognomonique
par unsteppage, au cours duquel l’enfant est obligé de lever les genoux pour que les pieds
tombants ne frottent pas le sol lors du passage du pas. La diminution ou l’abolition des
réflexes ostéo-tendineuxconstituera bien sûr dans ce contexte un argument de plus pour
une origine neuropathique. Des troubles neuropathiques chroniques se manifesteront plus
souvent par une déformation des pieds : l’existence de pieds creux chez l’enfant a souvent
une valeur pathologique qui doit orienter les examens complémentaires. L’effondrement de la
voûte plantaire en pied plat est plus difficile à juger chez l’enfant dont l’hyperlaxité rend cette
tendance presque physiologique. L’analyse de la sensibilité, ainsi que la recherche de troubles
neurovégétatifs et trophiques feront bien sûr partie de l’examen clinique dans ce contexte,
mais seront souvent plus difficiles à mener chez le jeune enfant.
Démarche étiologique
Une démarche neuropathique aiguë avec steppage et diminution des réflexes doit bien
sûr faire évoquer chez l’enfant un syndrome de Guillain-Barré. L’EEG et la ponction
lombaire demandés en urgence confirmeront le diagnostic. La prise en charge est bien sûr
urgente et hospitalière dans ce cas. Il faut noter que l’atteinte neuropathique du syndrome de
Guillain-Barré peut être fortement asymétrique au départ et peut ainsi égarer le diagnostic.
D’autres atteintes neuropathiques asymétriques, voire tronculaires peuvent être provoquées
chez l’enfant par des compressions nerveuses dont il faudra rechercher l’éventualité à
l’interrogatoire (traumatisme, position prolongée, …).
L’installation chronique de troubles de la marche d’origine neuropathique doit faire
évoquer une neuropathie d’origine génétique de type maladie de Charcot-Marie-Tooth. La
forme la plus fréquente de Charcot-Marie-Tooth (CMT1A) est autosomique dominante et les
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