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Université de Lausanne
Faculté des Lettres Section de philosophie
Chaire de philosophie générale et systématique
Cours de philosophie générale automne 2010
Professeur : R. Célis, Assistante : S. Burri
« Introduction à la phénoménologie »
La méthode phénoménologique
Nous continuons aujourd’hui notre réflexion sur la pensée de Husserl, à travers les textes de
deux grands disciples de celui-ci, à savoir Jan Patoçka et Eugen Fink. La fois dernière, nous étions
restés à la question de la méthode phénoménologique. Nous avions vu que celle-ci consiste à
suspendre toute thèse d’ordre métaphysique lorsqu’il s’agit de juger les choses. La méthode
phénoménologique fait abstraction de la question de la cause des choses, le pourquoi, pour favoriser
un questionnement qui s’articule autour du comment. Il s’agit d’examiner et de méditer alors le
comment les choses se manifestent à nous. Lorsqu’on procède à une réduction phénoménologique
pour saisir au juste comme les choses se présentent, l’on saisit également l’essence des choses, leurs
teneurs. Mais il faut bien voir ici que la teneur des choses est également le sens même de celles-ci.
En effet, les essences font sens et sont adéquates ou non ; les essences sont proprement destinées à
quelque chose.
La connaissance des essences selon leur teneur est donc déjà une certaine forme de connaissance
en ce sens qu’elle a pour nous une certaine signification. Le sens n’est donc pas réductible à une
thèse métaphysique et c’est pourquoi, selon les phénoménologues, il vaut mieux suspendre toute
thèse. Cependant, il y a un irréductible dans la réduction phénoménologique, à savoir que tout
horizon de sens a des limites. En effet, les choses ont une part d’auto-nomie. Autrement dit, sur le
fond de cette réduction qui consiste à suspendre les affirmations d’ordre métaphysique, il y a tout de
même quelque chose d’irréductible. Et cet irréductible c’est l’horizon du monde lui-même.
L’horizon du monde comme irréductible
Lorsque nous imaginons, pensons, méditons, rêvons c’est toujours sur le fond du monde. Par
exemple, même si nous imaginons quelque chose qui n’existe pas comme une licorne ou un
griffon —, nous le faisons toujours dans l’horizon du monde, sur le fond de cet horizon. Et c’est
cette thèse du monde qui est absolument irréductible et indéniable. Pour le dire autrement, c’est
toujours sur le fond du monde que nous posons nos questions, que nous interrogeons et méditons
les choses. Toutes nos réflexions, pensées, s’inscrivent dans le monde. Et ce monde irréductible sur
lequel nous nous appuyons pour nos réflexions nous est intelligible au sens l’on s’y retrouve,
nous nous orientons dans celui-ci. Nous sommes donc familiers à ce monde. A vrai dire, nous en
sommes si familiers que nous oublions même cette familiarité dans nos activités quotidiennes.
La philosophie interrompt quelque peu cette attitude de familiarité d’avec le monde. Certes, elle
ne nie pas, bien évidemment que le monde est : il s’agit bien d’une évidence apodictique.
L’évidence est ce qui se montre ainsi, tout simplement et ce qui est apodictique est quelque chose
qu’on ne peut pas nier, dont on ne peut pas douter et qu’on ne peut pas mettre en suspens. En
d’autres termes, ce qui est bien certain, c’est que nous sommes au monde. Nous avons rapport au
monde et c’est ce rapport qui fait de nous des hommes. En effet, l’être humain est créateur de points
de vues riches et diversifiés sur le monde quand bien même le monde est toujours même et autre à
la fois. Il nous faut relever ici que même et autre ne sont pas, dans ce contexte, opposés. En effet,
bien que nos points de vues diffèrent, le monde est aussi foncièrement le même pour tous. Un
monde inhumain, pour prendre l’exemple opposé, n’est pas un monde, il ne fait pas monde pour
nous. Tandis que ce qui nous est commun, à nous autres les hommes, c’est le monde et ce qui
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transit les mondes multiples (mondes multiples que nous créons à chaque fois en tant que nous
sommes créateurs de mondes), c’est un monde dont on ne peut nier l’existence sans nier la
possibilité même de penser. Et c’est bien ce que Husserl nous pousse à méditer, à savoir le monde
de la vie (Lebenswelt). Dans cette pensée, il y va fondamentalement de la possibilité même de vivre
ensemble.
Qu’est-ce que cela veut dire au juste lorsqu’on dit qu’on a un monde ? Qu’est-ce qui, dans ce
monde, se partage ? Et qu’est-ce qui ne se partage pas ? Ce que montre la réduction
phénoménologique, c’est que l’homme n’est pas dans le monde comme une chose ou une autre.
L’homme vit dans un espace ouvert, il est au monde (et non pas dans le monde). Et c’est alors avec
le monde comme arrière fond que nous pouvons avoir un rapport authentique aux choses, que nous
pouvons être auprès des choses. En d’autres termes, l’être humain a un monde et il a besoin d’un tel
monde pour déployer ses possibilités. C’est à partir de ce fond irréductible qu’est le monde qu’on
peut développer des attitudes stables dans celui-ci, ce qui permet d’avoir prise sur la réalité. Ainsi,
nous pouvons compter sur un certain nombre d’évidences et c’est ces évidences qui nous permettent
de nous livrer à d’autres occupations. Le problème c’est que, dans son vouloir inlassable de
maîtrise, l’homme détruit peu à peu ce fond. Et c’est ce que la phénoménologie révèle, à savoir que
ce fond du monde n’est pas à l’abri de multiples dégât. Dans une certaine mesure, le courant
phénoménologique s’apparente au rapport qu’avaient les grecs avec le monde. En effet, tant dans la
pensée grecque que dans la phénoménologie, il y a un souci très fort de préserver le monde et la
nature. Autrement dit, la phénoménologie offre une conscience très forte d’un monde et d’une
nature qu’il faut préserver, mettre à l’abri.
Compte-rendu de la séance du 9 novembre 2010
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