troubles du langage, particularités liées aux situations de bilinguisme

TROUBLES DU LANGAGE, PARTICULARITÉS LIÉES AUX
SITUATIONS DE BILINGUISME
Coralie Sanson
ERES | Enfances & Psy
2010/3 - n° 48
pages 45 à 55
ISSN 1286-5559
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2010-3-page-45.htm
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Pour citer cet article :
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Sanson Coralie, « Troubles du langage, particularités liées aux situations de bilinguisme »,
Enfances & Psy, 2010/3 n° 48, p. 45-55. DOI : 10.3917/ep.048.0045
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Coralie Sanson est orthophoniste.
ACCULTURATION/DÉCULTURATION
La construction du langage chez l’enfant est un processus
extrêmement complexe qui s’élabore en étroite inter-
action avec les modalités de fonctionnement cognitif,
neurologique et psychique. L’accès à l’expression orale
implique une activité symbolique qui modifie fondamen-
talement le fonctionnement psychique de l’enfant. Le lan-
gage a un rôle essentiel dans la constitution de l’individu
et de son rapport au monde. Lorsque ces processus sont
atteints, l’individu est également touché de façon plus ou
moins sévère dans sa construction et dans ses apprentis-
sages. La famille des retards et des troubles du langage
oral est extrêmement vaste et recouvre de nombreuses
réalités linguistiques différentes. Cela va du retard simple
d’articulation (comme le zozottement), jusqu’au trouble
massif et spécifique du langage oral, autrement nommé
dysphasie. Les difficultés d’expression orale chez l’en-
fant, ainsi que les retards d’entrée dans le langage écrit,
quels que soient leur degré et leur importance, inquiètent
toujours l’entourage et sont sources de nombreuses ques-
tions. Certaines altérations linguistiques ne sont pas
nécessairement pathologiques, mais font partie de l’ap-
prentissage progressif du code linguistique de la (des)
langue(s) maternelle(s). Cet article propose de présenter
la description des différents retards et troubles du langage
(oral et écrit), puis une mise en perspective de ces diffi-
cultés dans le cadre des situations de bilinguisme.
LES RETARDS ET LES TROUBLES DU LANGAGE ORAL
Les retards simples de parole concernent la difficulté
pour l’enfant à discriminer et à reproduire les sons
constitutifs de la langue, de manière isolée d’abord, puis
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particularités liées aux
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en enchaînement ensuite. On se situe ici à un niveau phonétique
puis phonologique.
Le niveau phonologique, c’est-à-dire la capacité du sujet à
enchaîner les sons constitutifs de la langue et à produire des mots
plus ou moins longs et complexes, est plus élaboré que le précé-
dent. Les phonèmes intégrés dans une chaîne parlée s’influencent
mutuellement, et on peut assister, chez l’enfant, à des difficultés
de programmation phonologique qui entraînent des simplifica-
tions, plus communément nommées « facilitations phonolo-
giques ». Par exemple, il est plus facile d’un point de vue
phonologique de produire le mot [krain] que le mot [train]. Ainsi,
les jeunes enfants qui commencent à parler font souvent cette
altération phonologique, ce qui est tout à fait normal dans le
cadre de l’apprentissage du langage oral. Ces deux niveaux de
structuration de la langue (phonétique et programmation phono-
logique), quand ils sont retardés dans leur développement, consti-
tuent le retard simple de parole. Ces types de retard font l’objet
d’un suivi orthophonique, en général d’assez courte durée (moins
d’une année 1).
Lorsque l’on parle de retard de langage, la référence en termes de
modalité de langage oral est en lien avec la construction lexicale
et la structuration morphosyntaxique. On atteint ici un niveau
plus avancé d’expression orale. La structuration lexicale trouve
ses fondements dans la capacité de l’enfant à fixer progressive-
ment des contours sonores invariants, associés à une représenta-
tion sémantique stable. La représentation des concepts liés aux
formes sonores dépend étroitement des relations que les concepts
entretiennent entre eux d’une part, et du contenu de la mémoire
épisodique du sujet d’autre part. Il est important de considérer ici
la notion de « mémoire sémantique », associée au concept de
«mémoire épisodique », décrits dans les travaux de E. Tulving
(1972). La « mémoire sémantique » contient les signifiants des
différentes formes sonores qui constituent le lexique interne, et la
mémoire épisodique contient l’histoire de l’individu. Les deux
formes de mémoire sont étroitement liées. La mémoire séman-
tique intègre également le stockage des « mots fonctions », ou
morphèmes grammaticaux (notamment les prépositions,
conjonctions, connecteurs logiques) qui y occupent une place
particulière puisqu’ils ne renvoient pas directement à un concept,
mais à une mise en relation des mots entre eux.
La construction morphosyntaxique constitue une étape essen-
tielle pour l’enrichissement de l’expression orale humaine. En
effet, si nous ne disposions que de la modalité lexicale pour nous
exprimer, nous ne pourrions décrire le monde que d’un point de
Acculturation/déculturation
Rappelons que le phonème
n’est pas constitué par
un son seul, mais par
un groupe de sons.
Un même phonème peut
présenter des
caractéristiques acoustiques
différentes selon
la personne qui le produit,
mais l’interlocuteur
reconnaîtra toujours
le même phonème.
Leur différenciation est
étroitement liée aux
caractéristiques linguistiques
et acoustiques de la langue
maternelle. Par exemple,
comme le décrit Jean Caron
(1989), le phonème [k],
en français, est réalisé
différemment dans les mots
« qui » et « cou », mais reste
identifié comme étant
le même phonème.
En arabe, ces deux
réalisations articulatoires du
[k] sont perçues comme
des phonèmes différents.
Un locuteur francophone ne
pourra donc pas différencier
ces deux variations
acoustiques du phonème
[k], alors qu’un locuteur
arabophone le pourra.
Àl’inverse, en langue arabe,
il n’existe pas de
différenciation phonétique
entrele [e] et le [i]. Ce que
nous pouvons différencier,
locuteurs francophones,
entre les mots « il »
et « elle », sera plus
difficilement distingué
et reproduit par un locuteur
arabophone.
1. Précisons ici que la
temporalité des orthophonistes
est un peu particulière, puisque
nous considérons comme
brèves des prises en charge
de moins d’un an, et comme
réellement longs des suivis
qui dépassent trois années.
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vue factuel, immédiat. La modalité morphosyntaxique nous
permet d’accéder à une expression orale qui englobe non seule-
ment la description du monde, mais aussi l’imaginaire, les émo-
tions, les hypothèses, les cheminements de pensée, les relations
aux autres. Cette modalité, très complexe dans son évolution et
cruciale pour le développement harmonieux de l’être humain,
commence en fait très tôt dans la vie du bébé. Les habiletés
morphosyntaxiques s’enracinent dans ce que l’on appelle les
« compétences pragmatiques de la personne », ou l’art d’expri-
mer et de comprendre avec les instruments dont on dispose à ce
moment. Ces outils sont d’abord les mimiques, les cris, les
pleurs, les perceptions sensorielles, le babillage, puis se différen-
cient progressivement pour devenir des syllabes, des mots, des
mots-phrases, des phrases entières. L’accroissement spectacu-
laire du stock lexical, que l’on appelle par ailleurs « l’explosion
lexicale »(autour de 2 ans) et la pragmatique du langage qui
permet de constater l’insuffisance de la modalité lexicale seule,
obligent le sujet à combiner ces mots pour affiner le contenu de
ce qu’il désire exprimer. La modalité morphosyntaxique est alors
prête à être développée et enrichie.
Lorsque les modalités de construction lexicale et de structuration
morphosyntaxique sont altérées, on parle de retard de langage.
Ce retard, s’il est massif et durable malgré un suivi orthopho-
nique, peut donner lieu à l’hypothèse d’un trouble spécifique du
langage oral, autrement appelé dysphasie. Il faut vérifier que ce
trouble n’est pas lié « à un déficit sensoriel, à une malformation
des organes phonatoires, à une insuffisance intellectuelle, à une
lésion cérébrale acquise au cours de l’enfance, à un trouble enva-
hissant du développement, à une carence affective ou éducative »
(DSM-IV,1996). Le diagnostic de trouble spécifique du langage
oral (dysphasie) peut être posé dans le cadre d’une évaluation
pluridisciplinaire, avec des explorations orthophoniques bien sûr,
psychologiques (bilan intellectuel et de personnalité), éventuelle-
ment psychomotrices, et fonctionnelles (neuropédiatrie, ORL,
bilan génétique). Nous précisons que l’existence d’un trouble
spécifique au niveau psychomoteur, comme la dyspraxie par
exemple, n’empêche pas de poser le diagnostic de dysphasie.
Un débat existe également sur ce que l’on pourrait nommer, selon
B. Welniarz (2001) et J.P. Quère (1984), la « dysphasie psycho-
tique » ; pour eux, certains troubles sévères du langage oral
constitueraient une conséquence de l’organisation psychotique.
La question de la dysphasie en général reste un diagnostic tou-
jours délicat à poser. En effet, parmi les enfants que nous ren-
controns au sein de notre activité d’évaluation et de soins,
beaucoup présentent des troubles massifs du langage oral, parfois
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atteint sur les versants à la fois expressif et réceptif. Quel que soit
le diagnostic final retenu, dysphasie ou retard de parole et de lan-
gage, on peut aisément imaginer que ces difficultés ont un impact
direct sur d’autres domaines du développement de l’enfant,
notamment psychoaffectif. Il est parfois difficile de distinguer ce
qui relève d’une conséquence d’un trouble structurel du langage
oral, de ce qui est à proprement parler le symptôme d’une psycho-
pathologie avérée.
Les troubles spécifiques du langage oral, lorsque le retentisse-
ment sur le développement global de l’enfant n’est pas trop
important, impliquent des prises en charge orthophoniques de
longue durée (parfois plusieurs années), et intensives (plusieurs
séances par semaine).
Si, comme dans la plupart des situations cliniques rencontrées au
sein de notre service, le trouble du langage oral, spécifique ou
non, a des implications massives sur la vie de l’enfant et de sa
famille, alors le dispositif de soins devra être pensé de manière
pluri-professionnelle. Il en découle un important travail d’ac-
compagnement des familles : en effet, la question des soins
psychologiques, lorsque la demande de la famille concerne au
premier plan les difficultés de langage (quelle que soit leur
nature) de leur enfant, nécessite fréquemment un temps d’élabo-
ration assez long.
LES TROUBLES SPÉCIFIQUES DU LANGAGE ÉCRIT
Lorsque l’on évoque le langage, on ne parle pas uniquement de
la codification orale. À partir de 6 ans, l’enfant va entrer à « la
grande école », pour y être confronté aux grands apprentissages
fondamentaux, notamment la lecture et l’écriture. La pression
sociale et scolaire est grande, et l’obligation d’entrer dans ces
apprentissages fondamentaux, exigeants d’un point de vue de la
disponibilité psychique et de l’énergie cognitive, en un temps
relativement limité, est parfois douloureusement vécue.
De manière plus précise, autour du langage écrit, les processus
d’acquisition du code sont de deux sortes (Marshall et New-
combe, 1973).
La première correspond à ce que nous appelons communément
le « b-a ba » du langage écrit, expression qui renvoie par exten-
sion à tout prérequis fondamental pour n’importe quel appren-
tissage. Il s’agit d’avoir une approche de l’objet mot par
déchiffrage, qui oblige l’enfant à effectuer une déconstruction
puis une reconstruction du mot à lire ou à transcrire. On observe
alors un passage par l’analyse auditive des mots, en le découpant
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