LES LANGUES DE KRISHNA : L'ORTHOPHONISTE FACE AU BILINGUISME Coralie Sanson et al. La pensée sauvage | L'Autre 2008/2 - Volume. 9 pages 195 à 202 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-l-autre-2008-2-page-195.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sanson Coralie et al., « Les langues de Krishna : l'orthophoniste face au bilinguisme », L'Autre, 2008/2 Volume. 9, p. 195-202. DOI : 10.3917/lautr.026.0195 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La pensée sauvage. © La pensée sauvage. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage ISSN 1626-5378 4 dossier2.qxd 30/05/2008 10:37 Page 195 Les langues de Krishna : l’orthophoniste face au bilinguisme Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Le service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’Hôpital Avicenne à Bobigny1 accueille un grand nombre de jeunes patients issus de la migration. Ces personnes sont confrontées à la découverte et à l’apprentissage d’une langue différente de celle qui est couramment pratiquée à la maison. La rencontre avec une langue seconde ne se réduit pas à l’acquisition d’un nouveau système linguistique. Cela implique également, et de manière simultanée, la confrontation de deux (voire plus) univers culturels. Certaines situations de bilinguisme, rendues complexes par le parcours migratoire, le télescopage avec la culture du pays d’accueil, les obstacles matériels, peuvent rendre difficile pour les enfants l’entrée dans la langue seconde. Nous proposons, dans cet article, de présenter la situation d’un jeune patient venu consulter au Centre du Langage2, pour des difficultés d’acquisition du français. Nous élargirons ensuite aux problématiques liées à la situation de bilinguisme, d’un point de vue théorique et clinique. Le jeune Krishna, âgé de cinq ans, nous a été adressé au Centre du Langage par le médecin scolaire pour retard d’acquisition du langage oral. Krishna est né en France, de parents originaires du nord du Sri Lanka. La langue tamoule est pratiquée à la maison. Krishna parle le tamoul avec ses parents. Le médecin scolaire repère un retard de langage qui touche apparemment les deux langues. Après quelques consultations avec le pédopsychiatre référent, nous organisons une évaluation orthophonique en français et en tamoul. L’anamnèse nous apprend que Krishna a prononcé ses premiers mots en tamoul vers l’âge de trois ans. Une période de babillage avait été * Orthophoniste, Centre du Langage, Service de psychopathologie, hôpital Avicenne, APHP Bobigny, France. ** Psychiatre, Praticien hospitalier, Responsable du Centre du Langage, Service de psychopathologie, hôpital Avicenne, APHP Bobigny, France. *** Professeur de Pédopsychiatrie, Service de psychopathologie, hôpital Avicenne, APHP Bobigny, France, Université Paris 13, EA3413. 1. Service dirigé par le Professeur Marie Rose Moro. 2. Centre référent pour le troubles du langage des enfants, Service du Professeur Marie Rose Moro. Évaluations pluridisciplinaires (pédopsychiatrique, psychologique, psychomoteur, orthophonique). L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2, 195-202 195 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Coralie Sanson*, Geneviève Serre**, Marie Rose Moro*** 4 dossier2.qxd 30/05/2008 10:37 Page 196 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage constatée auparavant. Les mots étaient au départ altérés d’un point de vue phonologique et on ne retrouvait pas de phrases construites au sein du corpus. L’utilisation du « je » était aléatoire. La différenciation entre les deux langues était compliquée. La première rencontre de l’orthophoniste avec Krishna a lieu en janvier 2006. Il a alors cinq ans et demi et est scolarisé en grande section de maternelle. Le contact est de bonne qualité, ainsi que la communication non verbale. L’incitation verbale est très faible et Krishna semble assez inhibé. Néanmoins, il accepte de rester seul avec l’orthophoniste pour les deux séances de passation du bilan. Il pourra également accepter de parler sa langue maternelle en présence de l’interprète, malgré quelques mouvements de réticence au départ. L’évaluation du langage montre qu’il existe un décalage en terme de développement entre la langue maternelle et la langue seconde. En français, on repère un retard de parole et de langage avec atteinte de toutes les modalités orales (Sanson 2007) : – La programmation phonologique : Ce sont les capacités du sujet à enchaîner les sons de la chaîne parlée pour produire des mots plus ou moins complexes. La phonologie est évaluée par la répétition de mots simples et complexes, existants ou non. – La structuration lexicale : On distingue d’une part, le lexique actif, qui est l’ensemble des mots que le sujet peut produire sur le versant de l’expression, quelle que soit la contrainte proposée (imagée, sémantique, verbale). Le lexique actif est évalué par la dénomination d’images, l’évocation de contraires, la fluence. D’autre part, le lexique passif est l’ensemble des mots que le sujet peut identifier sur le versant de la compréhension, même s’il ne peut pas les mobiliser en évocation. Le lexique passif est évalué par la désignation d’images, de couleurs, de formes et de parties du corps. – La construction morphosyntaxique : Il s’agit de l’ensemble des règles syntaxiques qui régissent la structure d’une langue. La morphosyntaxe passe par les morphèmes grammaticaux et par les marqueurs morphosyntaxiques. La morphosyntaxe est évaluée par les tests de closure3, l’analyse du corpus spontané, le récit d’une histoire en images libre ou semi-dirigé. La compréhension est également touchée, mais de manière moins importante. Le corpus d’après le récit d’une histoire en images est difficile à obtenir en raison de la faible incitation verbale de Krishna. Les éléments qui peuvent être retrouvés au sein de ce corpus se réduisent à la simple dénomination des personnages impliqués dans l’histoire. Le récit de cette même histoire, guidé par des questions plus ou moins 3. Tâche de « closure » : Activité de construction morphosyntaxique autour de la terminaison d’une phrase, d’après un énoncé modèle et selon une contrainte morphosyntaxique précise. 196 L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage L’enfant et les langues - Les langues de Krishna… 30/05/2008 10:37 Page 197 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage ouvertes, permet de faire émerger quelques séquences plus complexes d’un point de vue morphosyntaxique, mais ne comportant que peu de morphèmes grammaticaux4. Les énoncés, même s’ils sont réduits, contiennent des marqueurs signifiant les liens de causalité entre les différents événements de l’histoire. Il en découle un net décalage entre les capacités de construction morphosyntaxique et les possibilités de perception du sens de l’histoire. En tamoul, les observations du praticien et de l’interprète permettent de mettre en évidence un retard de parole et langage, mais qui semble nettement moins marqué qu’en français. En effet, les capacités de construction morphosyntaxique de Krishna sont plus avancées dans sa langue maternelle. Il est en mesure de produire une séquence de complexité morphosyntaxique de type Sujet + Verbe + Complément. Les liens de causalité sont verbalisés. Cependant, l’ensemble du récit révèle, d’après l’interprète, la persistance d’un « parler enfantin », avec certaines maladresses ainsi que des facilitations phonologiques qui rendent parfois difficile l’intelligibilité du discours. D’autre part, il existe ponctuellement chez Krishna des difficultés à faire du lien entre les images constitutives de l’histoire. Les images semblent être traitées indépendamment les unes des autres, comme si elles ne composaient pas un récit global. On relève ici une différence d’investissement des niveaux instrumentaux et pragmatiques entre le tamoul et le français. En effet, le corpus obtenu en français est plus en faveur d’une bonne compréhension de la dimension narrative de l’histoire, avec des difficultés instrumentales, alors que le corpus en tamoul met en évidence un meilleur développement de l’outil linguistique, en particulier au niveau de la morphosyntaxe, au détriment d’un réel accès à la dimension sémantique du récit. Au terme de cette évaluation, les principales questions qui se posent se situent autour des différents niveaux de développement linguistique. Le niveau instrumental, qui concerne les modalités phonologiques, lexicales, morphosyntaxiques et de compréhension, reste un outil dont il faut pouvoir se servir de manière adaptée. Le niveau pragmatique est à la fois très complexe et très précoce dans le développement langagier de l’enfant. Caron (1989) décrit cette dimension comme étant liée à l’usage que fait le sujet des outils linguistiques dont il dispose. Est-il en mesure de rester cohérent par rapport au contexte de la communication, même avec un langage peu constitué ? L’enfant est-il en mesure de « faire du sens », d’être informatif et cohérent au niveau sémantique, même s’il ne passe pratiquement que par la communication non verbale ? Pour Krishna, le niveau instrumental est plus développé en tamoul et la dimension pragmatique est plus investie en français. 4. Ensemble des mots de la langue qui n’ont pas une valeur sémantique directe, mais qui portent une valeur de relation entre d’autres mots. Autrement appelés « mots outils ». L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2 197 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage 4 dossier2.qxd 4 dossier2.qxd 30/05/2008 10:37 Page 198 L’enfant et les langues - Les langues de Krishna… Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Le dispositif de soins finalement proposé à Krishna au sein du service consistera en un suivi orthophonique individuel associé à une intégration dans le groupe thérapeutique bilingue. Le travail au sein du groupe bilingue est essentiellement fondé sur la possibilité pour les enfants de passer d’une langue à l’autre. Mais pas uniquement, puisque le fait de parler une (des) langue(s) ne se réduit pas à une simple pratique instrumentale d’un système linguistique, mais cela implique un investissement culturel porté par la (les) langue(s) considérée(s). Ce groupe a donc pour objectif de permettre aux enfants de passer d’un système linguistique à l’autre et également de faire des liens entre les univers culturels qu’ils rencontrent. En effet, la question des différentes appartenances peut être problématique et les difficultés linguistiques des enfants viennent témoigner de leurs conflits internes. « Pour grandir, en effet, l’enfant de migrant doit construire patiemment un nécessaire clivage entre le monde lié à la culture familiale – le monde de l’affectivité – et le monde du dehors, de l’école par exemple, monde de la rationalité et du pragmatisme » (Moro 2004 : 60). Le suivi individuel en orthophonie a pour objectif la construction progressive de la langue (en français), d’un point de vue instrumental, et selon toutes les modalités. Le travail en orthophonie ne se réduit pas à un apprentissage instrumental. L’installation de la relation, du partage de récits, de la communication par le jeu et par le langage, sont tout autant de supports qui permettent indirectement de travailler la question instrumentale de la langue. Les progrès de Krishna sont observés assez rapidement après le démarrage des différents suivis. L’incitation verbale devient plus importante. Krishna peut prendre la parole beaucoup plus spontanément. Les séquences produites sont toujours colorées de maladresses morphosyntaxiques et d’erreurs lexicales, mais on relève une construction progressive de ces différentes modalités. Ainsi, le travail du lexique avec Krishna, en passant par toutes sortes de jeux, va tenter d’installer la différenciation féminin/masculin des substantifs. Cette distinction, très formelle, n’existe pas en tamoul, ce qui rend difficile le recours à des éléments de la langue maternelle pour construire cette particularité linguistique du français. Au niveau morphosyntaxique, on repère l’émergence de constructions plus complexes, qui, même si elles comportent des altérations dans le choix des morphèmes grammaticaux ou le marquage morphologique des mots, reste un progrès notable dans l’accès à la complexité de l’expression orale humaine. Il est très important de noter que l’émergence des structures morphosyntaxiques, quel que soit l’âge auquel cela est observé, témoigne d’un besoin de mettre en lien des mots qui, jusqu’à présent, ne pouvaient être mobilisés qu’en situation réelle. La morphosyntaxe permet de parler de choses qui n’existent pas (mobilisation de l’imaginaire), d’événements déjà produits et que l’on veut partager, 198 L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Évolution du langage de Krishna 30/05/2008 10:37 Page 199 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage d’événements qui peuvent arriver plus tard… Si l’esprit humain ne disposait que de la modalité lexicale pour parler, le monde serait décrit sur un mode factuel, avec des possibilités restreintes de mise en lien et d’imagination. La morphosyntaxe rend possible cette complexification du langage, indispensable à la communication. Les progrès de Krishna dans ce domaine lui permettent actuellement de parler de ses vacances, de ce qu’il a fait à l’école, de ce qu’il y apprend. Il peut également inventer des histoires. Krishna est aujourd’hui en classe de Cours Préparatoire, avec tous les enjeux autour des apprentissages fondamentaux du langage écrit. L’évolution du langage oral est toujours en cours et les difficultés résiduelles dans ce domaine vont constituer de probables obstacles supplémentaires pour l’acquisition de la lecture et de la transcription, ce qui pose l’indication de la poursuite des soins. L’évaluation du langage en situation de bilinguisme L’exemple de Krishna, et de beaucoup d’autres enfants que nous voyons au centre du langage, montre que dans les situations de bilinguisme, l’évaluation du langage dans les deux, voire plus, systèmes linguistiques est indispensable (Sanson 2007). En effet, d’un point de vue théorique, les altérations du langage oral ne peuvent se limiter à un seul système linguistique. La complexité de l’expression orale humaine est reflétée par une ou plusieurs modalités du langage oral. Par exemple, en français, la modalité qui porte la majeure partie de cette complexité est la morphosyntaxe. En anglais, cela sera plutôt contenu dans la modalité lexicale. On peut ainsi, selon les langues, placer sur l’une ou l’autre des modalités la complexité et la variété de l’expression orale. On parle essentiellement d’un « squelette » linguistique, qui, s’il est altéré, ne permet pas l’entrée dans le langage oral, ou alors de façon très complexe. Chomsky (1965) parle de la « grammaire générative » comme étant un dispositif inné présent chez tout être humain et sur lequel viendrait se placer le système linguistique dans lequel il a évolué lors de ses premières années de vie. Cette « grammaire générative » pourrait se cristalliser sur différentes modalités du langage oral (phonologie, lexique, morphosyntaxe) selon la structure du système linguistique considéré. Le bilan orthophonique en situation de bilinguisme propose une évaluation en français et une autre dans la langue maternelle de l’enfant. Ces évaluations du langage oral, complexes, ne peuvent être considérées que d’un point de vue qualitatif, puisque le recours aux étalonnages des batteries existantes n’est pas possible. La présence de l’interprète permet à l’orthophoniste de dépister certaines altérations, qu’elles soient phonologiques, lexicales, morphosyntaxiques ou réceptives, dans une langue qu’il ne connaît pas. Les altérations repérées dans la langue maternelle de l’enfant sont mises en lien avec les difficultés relevées en français. L’enjeu principal de cette évaluation est de déterminer si l’on L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2 199 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage 4 dossier2.qxd 4 dossier2.qxd 30/05/2008 10:37 Page 200 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage se trouve ou non en présence d’un trouble spécifique du langage oral, ou dysphasie. La dysphasie est « l’existence d’un déficit durable des performances verbales, significatif en regard des normes établies pour l’âge. Cette condition n’est pas liée à un déficit auditif, à une malformation des organes phonatoires, à une insuffisance intellectuelle, à une lésion cérébrale acquise au cours de l’enfance, à un trouble envahissant du développement, à une carence affective ou éducative » (DSM IV-R 1996). D’un point de vue théorique, si l’on est en présence d’un trouble spécifique du langage oral, les altérations linguistiques doivent être retrouvées dans les deux systèmes linguistiques. La complexité de l’évaluation réside dans le fait que ces altérations ne portent pas forcément sur les mêmes modalités dans les deux langues. Par exemple, pour un enfant de langue maternelle tamoule, on peut retrouver des difficultés morphosyntaxiques en français et lexicales en tamoul. D’autre part, le diagnostic de dysphasie va également dépendre de l’importance des troubles dans les deux langues. Si on relève un retard massif en français, mais peu présent dans la langue maternelle, on ne pourra alors pas, a priori, parler de troubles spécifiques du langage oral. En règle générale, on considère qu’un enfant qui a pu apprendre à parler sa langue maternelle, même avec un retard plus ou moins important, est capable de construire un système linguistique. On ne se place alors pas dans le cadre d’un trouble structurel. A l’inverse, si les difficultés existent dans les deux langues, et de manière importante, on pourra alors se poser la question d’un déficit structurel de construction des langues. D’une manière générale, les évaluations du langage en situation de bilinguisme sont riches d’informations sur le développement du langage de l’enfant. On sait, par expérience, que les enfants confrontés à deux, voire plus, systèmes linguistiques, construisent leurs compétences linguistiques instrumentales plus lentement que les enfants monolingues. Cela étant, le bilinguisme, lorsqu’il est harmonieux, constitue un atout indéniable pour d’autres sphères de développement de l’enfant. D’autre part, il est très important de ne pas mettre sur le compte de la situation de bilinguisme toutes les difficultés que l’enfant rencontre dans son développement. Ainsi, lorsque l’on se trouve par exemple face à une situation de mutisme extra-familial, le symptôme doit être resitué dans une dimension familiale, culturelle et transculturelle (Bennabi Bensekhar 2005 : 15-25). La construction de deux, ou plus systèmes linguistiques demande un investissement cognitif et psychique très important de la part de l’enfant. Le travail clinique et orthophonique effectué auprès de ces enfants en situation de bilinguisme tente de leur apporter une aide pour se construire harmonieusement, tout en étant capable de passer d’une langue à l’autre, d’un univers culturel à l’autre. La possibilité, pour l’enfant qui grandit dans un contexte multiculturel, de faire des liens entre ces univers culturels, tout en conservant son identité, reste un objectif essentiel de nos projets de soins. 200 L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage L’enfant et les langues - Les langues de Krishna… 4 dossier2.qxd 30/05/2008 10:37 Page 201 BIBLIOGRAPHIE RÉSUMÉ Les langues de Krishna : l’orthophoniste face au bilinguisme La question de l’évaluation du langage oral dans les situations de bilinguisme ne peut être réduite à une exploration purement instrumentale de la langue. La collaboration de l’interprète et de l’orthophoniste est indispensable, et permet, de faire des liens entre les structures linguistiques dans lesquelles l’enfant est plongé. La prise en charge orthophonique qui découle de ces évaluations intègre, dans son projet, la ou les structure(s) linguistique(s) différentes de la langue du pays d’accueil. Même si le travail en séance d’orthophonie n’intervient pas directement sur la construction de la langue maternelle, on peut constater des évolutions parallèles des deux systèmes linguistiques de l’enfant. D’un point de vue clinique et théorique, ces explorations du langage oral dans les deux langues sont essentielles. Nous proposons ici une évaluation du langage oral dans un contexte de bilinguisme, ainsi qu’une situation clinique qui illustre la complexité et la richesse de ces évaluations, ainsi que l’intrication des univers linguistiques lorsque l’enfant qui apprend à parler est confronté à deux (ou plus) structures de langues. Mots-clés: Bilinguisme, évaluation, prise en charge orthophonique, structures linguistiques, interprète. ABSTRACT Krishna’s languages : speech therapy in bilingual situations The evaluation of oral language skills in bilingual situations cannot only be a sheer instrumental assessment of linguistic abilities. In fact, a fruitful collaborative work between the speech therapist and an interpreter will enable to establish links between the different linguistic structures in which a bilingual child grows up. The speech therapy treatment that follows these evaluations will take into account the linguistic structure(s) that differ from the language of the destination country. Though the activities that take place during the speech therapy sessions are not centered on the mother tongue structure, we notice a parallel evolution in the child’s both linguistics systems. From a clinical and theoretical point of view, these linguistic oral explorations are crucials. L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2 201 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Bennabi Bensekhar M, Serre G. L’univers du bilinguisme et la réalité des familles bilingues [Exposé à la 10e session des entretiens de la petite enfance.] Revue des entretiens de Bichat 2005. p. 15-25. Caron J. Précis de psycholinguistique. Paris : P.U.F. ; 1989. Chomsky N. Aspects of the theory of syntax. Cambridge : Mit Press ; 1965 (trad. fr. : Aspects de la théorie syntaxique. Paris : Seuil ; 1975). DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris : Masson ; 1996. Moro MR. Enfants d’ici venus d’ailleurs. Paris : Hachette ; 2004. Sanson C. Le bilan psychologique bilingue. Évaluation du langage chez l’enfant en situation de bilinguisme. Journal des Psychologues 2007 ; (249) : 58-61. 4 dossier2.qxd 30/05/2008 10:37 Page 202 L’enfant et les langues - Les langues de Krishna… What we suggest here is an oral language evaluation in a bilingual context, as well as a clinical context that show the complexity and the richness of these explorations. We also underline how the linguistic universes of a child are entangled, when he or she is learning to speak and growing up in a multilinguistic environment. Keywords: Bilingualism, evaluation, speech therapy sessions, linguistic structures, interpreter. RESUMEN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage La cuestión de la evaluación del lenguaje oral en las situaciones de bilinguismo no puede reducirse a una exploración meramente instrumental de la lengua. La colaboración del interprete y del ortofonista queda indispensable y permite vincular las estructuras linguísticas distintas en las cuales el niño se encuentra. El tratamiento ortofónico que resulta de estas evaluaciones integra, en su proyecto, la (o las) estructura(s) linguistica(s) diferentes del idioma del país de acogida. Incluso si el trabajo en una sesión ortofónica no interviene directamente en la construcción de la lengua maternal, se puede observar evoluciones paralelas de los dos sistemas linguístisticos del niño. De un punto de vista clínico y teórico, estas exploraciones del lenguaje oral en los dos idiomas son esenciales. Proponemos aqui una evaluación del lenguaje oral en un contexto de bilinguismo. Asimismo exponemos una situación clínica que ilustra la complejidad, la riqueza de estas evaluaciones y también la intricación de los universos linguísticos cuando el niño que esta aprendiendo a hablar, se queda enfrentado a dos (o más) estructuras de lengua. Palabras claves: Bilinguismo, evaluación, ortofonía, estructuras linguísticas, idiomas, intérprete. 202 L’autre , Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 2 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.8.73 - 27/01/2015 13h44. © La pensée sauvage Las lenguas de Krishna : el ortofonista frente al bilinguismo