Évolution du langage de Krishna
Le dispositif de soins finalement proposé à Krishna au sein du service
consistera en un suivi orthophonique individuel associé à une intégra-
tion dans le groupe thérapeutique bilingue.
Le travail au sein du groupe bilingue est essentiellement fondé sur la
possibilité pour les enfants de passer d’une langue à l’autre. Mais pas
uniquement, puisque le fait de parler une (des) langue(s) ne se réduit pas
à une simple pratique instrumentale d’un système linguistique, mais cela
implique un investissement culturel porté par la (les) langue(s) considé-
rée(s). Ce groupe a donc pour objectif de permettre aux enfants de
passer d’un système linguistique à l’autre et également de faire des liens
entre les univers culturels qu’ils rencontrent. En effet, la question des
différentes appartenances peut être problématique et les difficultés
linguistiques des enfants viennent témoigner de leurs conflits internes.
«Pour grandir, en effet, l’enfant de migrant doit construire patiemment
un nécessaire clivage entre le monde lié à la culture familiale – le monde
de l’affectivité – et le monde du dehors, de l’école par exemple, monde
de la rationalité et du pragmatisme» (Moro 2004 : 60).
Le suivi individuel en orthophonie a pour objectif la construction pro-
gressive de la langue (en français), d’un point de vue instrumental, et
selon toutes les modalités. Le travail en orthophonie ne se réduit pas à
un apprentissage instrumental. L’installation de la relation, du partage
de récits, de la communication par le jeu et par le langage, sont tout
autant de supports qui permettent indirectement de travailler la question
instrumentale de la langue.
Les progrès de Krishna sont observés assez rapidement après le
démarrage des différents suivis. L’incitation verbale devient plus
importante. Krishna peut prendre la parole beaucoup plus spontané-
ment. Les séquences produites sont toujours colorées de maladresses
morphosyntaxiques et d’erreurs lexicales, mais on relève une cons-
truction progressive de ces différentes modalités. Ainsi, le travail du
lexique avec Krishna, en passant par toutes sortes de jeux, va tenter
d’installer la différenciation féminin/masculin des substantifs. Cette
distinction, très formelle, n’existe pas en tamoul, ce qui rend difficile le
recours à des éléments de la langue maternelle pour construire cette
particularité linguistique du français.
Au niveau morphosyntaxique, on repère l’émergence de constructions
plus complexes, qui, même si elles comportent des altérations dans le
choix des morphèmes grammaticaux ou le marquage morphologique
des mots, reste un progrès notable dans l’accès à la complexité de l’ex-
pression orale humaine. Il est très important de noter que l’émergence
des structures morphosyntaxiques, quel que soit l’âge auquel cela est
observé, témoigne d’un besoin de mettre en lien des mots qui, jusqu’à
présent, ne pouvaient être mobilisés qu’en situation réelle. La morpho-
syntaxe permet de parler de choses qui n’existent pas (mobilisation de
l’imaginaire), d’événements déjà produits et que l’on veut partager,
L’enfant et les langues - Les langues de Krishna…
L’autre,Cliniques, cultures et sociétés
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