mise au point Traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée Étude I-PRESERVE : quelle interprétation ? Treatment of heart failure with preserved ejection fraction after I-PRESERVE M. Komajda* L’ étude I-PRESERVE a été récemment présentée à l’American Heart Association de 2008 (1). Cette étude était très attendue compte tenu de l’absence de données scientifiques fondées sur les preuves permettant de recommander un traitement particulier dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Ce manque de preuves a d’ailleurs été souligné dans la version des recommandations de la Société européenne de cardiologie publiée en septembre 2008, qui indique “qu’aucun traitement ne démontre de façon convaincante un bénéfice dans la morbimortalité dans cette pathologie”. Les données épidémiologiques montrent clairement que l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (définie habituellement par une fraction d’éjection supérieure à 50 % selon le consensus européen) a un profil clinique différent de l’insuffisance cardiaque par altération de la fonction systolique. Il s’agit essentiellement d’une population à prédominance féminine, âgée, ayant dans la majorité des cas des antécédents d’hypertension artérielle. À l’inverse, la prévalence de la maladie coronaire y est plus faible que dans les dysfonctions systoliques (2, 3). Par ailleurs, les études de cohortes confirment que la prévalence de cette variété d’insuffisance cardiaque augmente, sans doute en raison du vieillissement de la population. En outre, dans certaines enquêtes de terrain, les hospitalisations pour insuffisance cardiaque liées à ce sous-groupe physiopathologique sont désormais plus fréquentes que celles liées aux dysfonctions systoliques (4). Compte tenu de la forte prévalence de l’hypertension artérielle, l’hypertrophie cardiaque est très fréquente dans cette pathologie. Dans ce contexte, il paraissait logique de tester un inhibiteur du système rénine-angiotensine-aldostérone, et plus spécialement un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II, l’irbésartan, étant donné l’efficacité connue de cette classe sur la régression de l’hypertrophie ventriculaire gauche causée par l’hypertension artérielle. L’étude I-PRESERVE a inclus 4 128 patients recrutés dans 25 pays et a comporté un suivi moyen de 49,5 mois. Les critères d’inclusion étaient un âge supérieur ou égal à 60 ans, la présence de symptômes d’insuffisance cardiaque et une fraction d’éjection supérieure ou égale à 45 %. En outre, si les patients étaient en classe II à IV de la NYHA, une hospitalisation préalable pour insuffisance cardiaque était requise au cours des 6 mois précédant le début de l’étude. Pour les patients plus symptomatiques de classes III et IV, la documentation d’une anomalie de la fonction cardiaque était nécessaire : présence de symptômes de congestion sur la radiographie pulmonaire, présence d’une hypertrophie ventriculaire gauche ou d’un bloc de branche gauche sur l’électrocardiogramme, présence d’une hypertrophie ventriculaire gauche ou d’une dilatation auriculaire gauche à l’échocardiographie. Afin de limiter les interférences avec un traitement modulateur du système rénine-angiotensine antérieur, seul un tiers des patients pouvaient être randomisés en étant sous inhibiteur de l’enzyme de conversion à l’inclusion. L’objectif principal était la mortalité toutes causes et les hospitalisations cardiovasculaires. Les objectifs secondaires comportaient la mortalité toutes causes, * Département de cardiologie, CHU de la Pitié-Salpêtrière, Paris. La Lettre du Cardiologue • n° 425 - mai 2009 | 21 Points forts Mots-clés Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée Antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II Highlights I-PRESERVE tested the potential benefit of the ARB irbesartan in heart failure with preserved ejection fraction. Neither the primary outcome (all cause mortality/cardiovascular hospitalisations) nor the secondary outcomes showed any benefit in favour of the ARB. Keywords Heart failure with preserved ejection fraction Angiotensin II antagonists receptors »» L’étude I-PRESERVE a testé l’efficacité de l’irbésartan dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. L’objectif primaire (mortalité toutes causes et hospitalisations cardiovasculaires) et les objectifs secondaires n’ont pas montré de différence significative entre le bras actif et le bras contrôle. la mortalité cardiovasculaire, les décès ou hospitalisations pour insuffisance cardiaque, la qualité de vie évaluée par le questionnaire du Minnesota et les variations du NT-pro-BNP à 6 mois. Une randomisation a été faite entre placebo et irbésartan, celui-ci étant débuté à 75 mg/jour, puis augmenté progressivement jusqu’à 300 mg/jour. Le plan d’analyse statistique prévoyait que l’étude serait continuée jusqu’à la survenue de 1 440 événements primaires. La population incluse dans I-PRESERVE est très représentative des données épidémiologiques, puisque l’âge moyen était de 72 ans et qu’un tiers des patients avaient 75 ans ou plus. Les patientes représentaient 60 % de la population totale. Les trois quarts des patients étaient en classe III de la NYHA. L’hypertension artérielle était considérée comme l’étiologie principale dans les deux tiers des cas et des antécédents d’hypertension étaient répertoriés dans 88 % des cas. Vingt-sept pour cent des patients avaient un diabète et 29 %, une arythmie complète par fibrillation auriculaire. La fraction d’éjection à l’entrée était de 60 %, et 30 % des malades présentaient des signes électriques d’hypertrophie ventriculaire gauche. Le dosage du NT-pro-BNP à l’état basal était modérément augmenté, à 320 pg/ml dans le groupe placebo et 360 pg/ml dans le groupe irbésartan. La population était remarquablement bien traitée à l’état basal : 84 % des patients étaient sous diurétique, 15 % sous spironolactone, 25 % sous inhibiteur de l’enzyme de conversion et 58 % sous bêtabloquant. Une réduction non significative de 5 % de la survenue du critère principal dans le groupe irbésartan a été observée. L’analyse des différents composants du critère principal ne montre pas non plus de différence significative entre l’irbésartan et le placebo. Il en est de même pour les analyses en sous-groupes, en particulier en fonction de l’âge, du sexe, de la valeur de la fraction d’éjection, d’un traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion, d’un traitement par bêtabloquant, d’un diabète ou d’une hospitalisation préalable pour insuffisance cardiaque. Il n’y a pas eu non plus de différence significative entre les deux groupes dans la survenue des critères secondaires ; en particulier, la réduction des hospi- 22 | La Lettre du Cardiologue • n° 425 - mai 2009 talisations ou des décès pour insuffisance cardiaque n’a été que de 4 % dans le groupe irbésartan par rapport au groupe placebo. La qualité de vie et la valeur du NT-pro-BNP n’ont pas non plus été modifiées à 6 mois. En matière de sécurité d’emploi, il n’y a pas eu de différence significative dans la survenue d’effets indésirables entre les deux groupes, même si la tendance est à une augmentation dans le groupe irbésartan. En revanche, il est notable que la survenue des événements indésirables graves qui peuvent être observés avec les modulateurs du système rénineangiotensine, tels que l’hypotension artérielle, l’insuffisance rénale et l’hyperkaliémie, n’a pas été différente entre les deux groupes. Quelles explications peut-on avancer pour ces résultats neutres ? Le choix de la population ? Comme indiqué ci-dessus, les critères d’inclusion des patients ont été stricts et, en particulier, il a été exigé soit une hospitalisation préalable pour insuffisance cardiaque, soit des critères objectifs de dysfonction cardiaque. Par ailleurs, les caractéristiques de la population incluse sont, comme mentionné préalablement, conformes aux données épidémiologiques. Enfin, le taux d’événements survenus dans I-PRESERVE (notamment les décès cardiovasculaires ou les hospitalisations pour insuffisance cardiaque) est en moyenne cinq à six fois supérieur à celui observé dans les études d’hypertension artérielle sans insuffisance cardiaque. Il est par ailleurs comparable à celui observé dans l’étude CHARMPreserved, qui a testé le bénéfice du candésartan par rapport à un placebo dans cette même pathologie (5). Ce fait est un argument fort pour penser que les malades inclus dans I-PRESERVE étaient véritablement des patients ayant une insuffisance cardiaque, et non des patients hypertendus avec surpoids. mise au point La classe ou la molécule ? Le choix d’un modulateur du système rénine-angiotensine et, en particulier, d’un antagoniste de récepteur de l’angiotensine paraît logique, car la fixation de l’angiotensine II sur le récepteur de type I entraîne une vasoconstriction et une hypertrophie cardiaque. On pouvait donc anticiper un blocage de cet effet potentiellement délétère dans cette pathologie sous l’action de l’irbésartan. En outre, certaines méta-analyses ont montré que les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine réduisaient, dans les essais d’hypertension artérielle, le développement de l’insuffisance cardiaque de l’ordre de 15 %, pourcentage comparable à celui observé avec les inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Enfin, il a été démontré que les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine entraînent une régression particulièrement importante de l’hypertrophie ventriculaire gauche dans l’hypertension artérielle essentielle par rapport à d’autres classes d’antihypertenseurs. En outre, l’irbésartan est un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine à longue demi-vie, ce qui contribue à une bonne compliance, et il s’agit d’un antagoniste non compétitif, garant de l’absence d’interactions avec d’autres médications. Enfin, dans l’étude IDNT, l’irbésartan réduit significativement la fréquence de survenue des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, par rapport à un groupe contrôle et à un groupe traité par amlodipine dans une population hypertendue, de diabétiques avec néphropathie (6). Dans ce contexte, l’idée de tester un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, et plus spécifiquement l’irbésartan, paraît donc pertinente. La dose ? La dose médiane, dans I-PRESERVE, était de 300 mg/­jour, et la dose moyenne de 275 mg/­jour. Il a été prouvé que la dose de 300 mg entraîne un effet hypotenseur marqué par rapport à une dose de 150 mg d’irbésartan ou de 100 mg de losartan, tant sur la pression artérielle systolique que sur la pression artérielle diastolique. Par ailleurs, c’est la dose de 300 mg/jour qui a montré, dans l’étude IDNT, une réduction significative de la fréquence des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. La réduction de la pression artérielle observée dans I-PRESERVE est modeste, puisqu’elle est de l’ordre de 4 mmHg pour la pression artérielle systolique et de 2,5 mmHg pour la pression artérielle diastolique. Néanmoins, cette réduction s’observe dans une population recevant déjà plusieurs médications antihypertensives. Il n’y a donc pas d’argument pour penser que la dose utilisée dans I-PRESERVE était insuffisante. Le dessin de l’étude ? I-PRESERVE est de loin le plus grand essai réalisé dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, puisqu’il a inclus plus de 4 000 patients, suivis en moyenne près de 50 mois. Il a été noté au cours de l’étude un nombre important de patients mis sous inhibiteur de l’enzyme de conversion (19 %) ou sous spironolactone (10 %) et, à l’inverse, un nombre important de sorties d’étude (34 % à la fin de l’essai). Ces deux facteurs ont pu jouer un rôle et faire perdre de la puissance à l’essai. Des analyses a posteriori non publiées, censurant les sorties d’étude et les patients mis sous IEC ou spironolactone, suggèrent d’ailleurs un effet plus marqué en faveur de l’irbésartan, même si cet effet n’est pas statistiquement significatif. En définitive, les résultats décevants d’I-PRESERVE sont comparables à ceux des précédentes études conduites soit avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion (périndopril dans PEP CHF), soit avec un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine (candésartan dans CHARM-Preserved). L’étude PEP CHF était une étude d’envergure limitée (850 patients), et le critère principal était la mortalité toutes causes et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (7). Aucun bénéfice en faveur du périndopril n’a été retrouvé, principalement en raison d’une puissance insuffisante de l’essai et d’un nombre très important de sorties d’étude. L’étude CHARM-Preserved a testé une dose maximale de 32 mg/jour de candésartan contre placebo dans une population dont la fraction d’éjection était supérieure à 40 % et qui présentait une insuffisance cardiaque symptomatique. Le critère principal était purement cardiovasculaire : décès cardiovasculaires ou hospitalisations pour insuffisance cardiaque. La population de CHARM-Preserved est plus proche des populations incluses dans les essais d’insuffisance cardiaque avec dysfonction systolique par ses caractéristiques démographiques : en effet, la proportion de patients ayant une fraction d’éjection inférieure à 50 % est de plus d’un tiers, 44 % des malades avaient des antécédents d’infarctus du La Lettre du Cardiologue • n° 425 - mai 2009 | 23 mise au point Traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée Étude I-PRESERVE : quelle interprétation ? myocarde et les deux tiers d’entre eux seulement avaient un antécédent d’hypertension artérielle. Cette population est donc moins représentative de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée que celle incluse dans I-PRESERVE. Quoi qu’il en soit, le résultat de CHARM-Preserved est également décevant, puisque le taux de réduction du risque de survenue du critère principal, 11 %, n’est pas significatif avant ajustement. Outre le rôle joué par les sorties d’étude et les mises sous IEC en cas d’essai, une explication plausible est le fait que, dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, le taux annuel d’événements cardiovasculaires est plus faible que dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection abaissée en dépit de l’âge. L’analyse de l’étude CHARM-Overall, incluant tous les patients du programme CHARM, quel que soit leur niveau de fraction d’éjection, montre clairement que la mortalité cardiovasculaire annualisée diminue avec l’augmentation de la fraction d’éjection. Ce facteur a pu également jouer un rôle limitant quant à la puissance de I-PRESERVE (8). L’hypothèse physiopathologique ? En dépit des arguments développés plus haut, suggérant un caractère rationnel à l’inhibition du système rénine-angiotensine-aldostérone, notamment en raison de ses effets antihypertrophiques, il n’est pas impossible que, chez des patients ayant une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée évoluée, le développement important d’une fibrose entraîne des modifications irréversibles pour lesquelles tout traitement pharmacologique a peu de chance d’être efficace. Conclusion Après I-PRESERVE, on en reste donc au fait qu’il n’y a pas à ce jour de traitement démontrant de façon nette un bénéfice dans cette variété fréquente d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Les recommandations internationales insistent sur l’emploi du traitement diurétique pour contrôler la rétention sodée et hydrique, et soulager les symptômes liés à la congestion pulmonaire. Par ailleurs, le traitement adéquat de l’hypertension artérielle ou de l’ischémie myocardique est recommandé afin de prévenir le développement de cette pathologie. Afin de progresser dans le traitement de cette variété fréquente d’insuffisance cardiaque, il faut donc retourner vers les modèles expérimentaux pour essayer de trouver de nouvelles pistes physiopathologiques. On attendra, dans ce contexte, avec beaucoup d’intérêt la publication des résultats de l’étude TOPCAT, qui inclut, en Amérique du Nord, 4 500 patients à fraction d’éjection supérieure à 45 % et qui teste le bénéfice potentiel d’un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone, la spironolactone, contre placebo. ■ Références bibliographiques 1. Massie BM, Carson PE, McMurray JJ et al.; for the I-PRESERVE Investigators. Irbesartan in patients with heart failure and preserved ejection fraction. N Engl J Med 2008;359:2456-67. 2. Hogg K, Swedberg K, McMurray J. Heart failure with preserved left ventricular systolic function: epidemiology, clinical characteristics, and prognosis. J Am Coll Cardiol 2004;43:317-27. 3. Lenzen MJ, Scholte op Reimer WJ, Boersma E, et al. Differences between patients with a preserved and a depressed 24 | La Lettre du Cardiologue • n° 425 - mai 2009 left ventricular function: a report from the EuroHeart Failure Survey. Eur Heart J 2004;25:1214-20. 4. Owan TE, Redfield MM. Epidemiology of diastolic heart failure. Prog Cardiovasc Dis 2005;47:320-32. 5. Yusuf S, Pfeffer MA, Swedberg K et al. Effects of candesartan in patients with chronic heart failure and preserved left ventricular ejection fraction: the CHARM-Preserved Trial. Lancet 2003;362:777-81. 6. Berl T, Hunsicker LG, Lewis J, et al. Cardiovascular outcomes in the irbesartan diabetic nephropathy trial of patiens with type 2 diabetes and overt nephropathy. Ann Intern Med 2003;138:542-9. 7. Cleland JG, Tendera M, Adamus J, Freemantle N, Polonski L, Taylor J. The Perindopril in Elderly People with Chronic Heart Failure (PEP-CHF) study. Eur Heart J 2006;27:2338-45. 8. Pfeffer MA, Swedberg K, Granger CB et al. Effects of candesartan on mortality and morbidity in patients with chronic heart failure: the CHARM-Overall programme. Lancet 2003;362:759-66.