Les médicaments, aussi, racontent des histoires

4 | La Lettre du Pneumologue Vol. XIX - n° 1 - janvier-février 2016
ÉDITORIAL
Pr André
Grimaldi
Service de diabétologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Paris.
Les médicaments, aussi, racontent
deshistoires
L’ homme nest pas qu’un être de raison vivant dans la réalité, c’est aussi un être
d’émotions vivant dans la représentation du réel. Or la maladie chronique
frappe toujours 2fois, une fois dans le réel et une fois dans la représentation
duréel. Si bien que, souvent, le malade atteint d’une maladie chronique a 2maladies :
ilest malade et il est “malade d’être malade”.
Le médicament a lui aussi 2visages. Côté médical, c’est, selon le Code delasanté
publique, “une substance présentant des propriétés curatives ou préventives
demaladies humaines ou animales… ou capables de restaurer, corriger ou modifier
lesfonctions physiologiques. Côté patient, c’est un objet de représentations diverses,
personnelles, dépendant de la raison mais aussi du vécu de la maladie actuelle,
de l’impact laissé par les événements de vie antérieurs, de la culture, de l’entourage,
descroyances, de la personnalité…
Ainsi, le médicament peut être identifié à la maladie et au traumatisme de l’annonce.
Si le déni de la maladie entraîne logiquement la non-prise deson traitement, la pensée
magique fait espérer que, en ne prenant pas le traitement, on peut se débarrasser
delamaladie.
Je me souviens de cet aide-soignant diabétique de type2 parti vivre sa retraite
danssa Guyane natale, rapatrié en urgence pour commencer une dialyse rénale
puis subir une amputation de la jambe. Il navait pas oublié de mettre dans savalise
un échantillon des plantes qui lui avaient permis, disait-il, “deguérir sondiabète”.
Ilsouhaitait que jepuisse en faire profiter les autres patients delaPitié-Salpêtrière.
Lemédicament peut être assimilé à un poison (pharmakon) ou, de façon plus moderne,
à un polluant ou àune drogue (“il se shoote à l’insuline !”). D’oùlesréductions
systématiques de doses, lesrituels de purge (“j’arrête systématiquement mon traitement
le week-end”) ou de “vacances thérapeutiques”, d’où le succès des médecines
dites“douces” ou prétendues “naturelles”. L’injection d’insuline peut être vécue
comme uneeffraction pluriquotidienne de l’enveloppe du moi, si bien que lespatients
mis sousinsuline disent bien souvent : “Avant, j’avais du diabète, maintenant jesuis
diabétique.” Passer del’avoir à l’être suppose un travail d’acceptation assimilé àuntravail
de deuil. Lesmédicaments ont aussi un nom, une couleur, ungoût, uneodeur.
“Lorsdenotre mariage, il n’y avait pas de prêtre, juste des blouses blanches, il n’y avait
pas de fleurs, juste un nom de fleur : insuline” Les médicaments sont aussi porteurs
desouvenirs : “Ça me rappelle ma mère qui…, “Ça me rappelle monpère, avant
samort C’est ainsi qu’une patiente diabétique de type2 me réclama del’insuline,
carelletrouvait que “lescomprimés, ça fait vieux !” Enfin, le médicament peut être
identifié au prescripteur ; le médicament comme “objet transitionnel” (D. Winnicott),
sorte de “doudou”, véritable concentré de médecin, part indissociable
du“médecin remède” (M. Balint). D’où l’importance de la relation de confiance,
quisuppose lacompétence, l’indépendance etl’irremplaçabilité du médecin.
“Ne dites pas à mon médecin que je ne prends pas sesmédicaments, il est si gentil !”,
demandait un patient atteint du sida à sa psychiatre !
© La Lettre du Neurologue
2015;XIX:314.
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