La Lettre du Cardiologue - n° 351 - janvier 2002
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INTRODUCTION
L’artère rénale est une des localisations les plus fréquentes d’ané-
vrysme au niveau des vaisseaux abdominaux. Nous souhaitons,
à la lumière de trois observations cliniques, préciser les modali-
tés cliniques et évolutives de cette pathologie parfois méconnue,
et en dégager les propositions thérapeutiques actuelles.
Observation n° 1
Il s’agit d’un homme âgé de 68 ans sans autre facteur de risque
cardiovasculaire qu’une mort subite chez le père et le grand-père.
À l’occasion d’une visite systématique est découverte une insuf-
fisance rénale (créatinine sanguine = 136 µmol/l) sans anomalie
du sédiment urinaire. L’échographie révèle l’existence d’un rein
droit unique. La tomodensitométrie confirme l’absence de rein
gauche et montre, au sein de l’artère rénale droite, une formation
arrondie de nature vasculaire.
Cela est confirmé sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM)
(figure 1), qui met en évidence un anévrysme sacciforme de
16 mm sur la portion terminale du tronc de l’artère rénale droite,
à hauteur de la bifurcation. Le patient bénéficie d’une endo-ané-
vrysmorraphie reconstructrice. L’évolution postopératoire est
favorable, avec la stabilité de la fonction rénale, la normalité de
la pression artérielle et une IRM de contrôle qui montre simple-
ment la persistance d’une discrète ectasie de la terminaison de
l’artère rénale.
MISE AU POINT
Les anévrysmes de l’artère rénale
M. Hérody, C. Duvic, D. Sarret, B. Baranger, G. Nédélec*
* Clinique de néphrologie et unité d’hémodialyse, HIA du Val-de-Grâce,
75230 Paris Cedex 05.
Les anévrysmes de l’artère rénale sont les plus fréquents
de l’abdomen et leur principale étiologie est la dyspla-
sie fibro-musculaire.
Leur mode de révélation habituel est l’hypertension arté-
rielle, mais il n’y a pas toujours de relation entre celle-
ci et l’anévrysme.
La complication essentielle à craindre est la rupture,
rare mais particulièrement grave.
L’existence de facteurs favorisant cette rupture impose
un traitement selon des indications bien définies.
On dispose actuellement d’un traitement chirurgical, in
situ ou ex situ, mais aussi de techniques plus récentes
de radiologie interventionnelle.
Mots-clés : Artère rénale - Anévrysme - Hypertension
artérielle - Chirurgie in situ - Chirurgie ex situ.
Points forts
Figure 1. Anévrysme sacciforme de l’artère rénale droite (IRM).
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Observation n° 2
Mme H., âgée de 53 ans, normotendue, présente des douleurs de
la hanche gauche pour lesquelles les radiographies simples révè-
lent une volumineuse calcification de l’aire rénale homolatérale.
La tomodensitométrie montre qu’il existe une masse du pédicule
rénal gauche, au contact de l’artère, de densité identique à celle-
ci, avec la présence d’une calcification de la coque et d’un throm-
bus (figure 2). L’artériographie préopératoire précise l’existence
d’une poche appendue à la face inférieure de l’artère rénale et
confirme ainsi le diagnostic d’anévrysme sacciforme. La patiente
bénéficie d’une résection anévrysmale et d’un pontage réno-rénal
à l’aide de l’artère hypogastrique droite. Un an plus tard apparaît
une hypertension artérielle justifiant une monothérapie par inhi-
biteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC).
Observation n° 3
M. B., âgé de 51 ans, hypertendu ancien non traité et tabagique,
présente en décembre 1998 une violente douleur lombaire gauche
simulant une crise de colique néphrétique, sans hématurie ni
expulsion de calcul. Trois semaines plus tard apparaît une majo-
ration de l’hypertension artérielle à 220/120 mmHg dans un
contexte d’amaigrissement de 7 kg et de syndrome polyuro-poly-
dipsique. La fonction rénale est conservée, avec toutefois une
protéinurie à 2,5 g/j sans hématurie. L’échographie de l’appareil
urinaire est normale mais l’examen par doppler des artères rénales
suspecte une sténose du côté gauche, que semble confirmer l’IRM
(figure 3). En réalité, l’artériographie sélective montre une dis-
section de cette artère rénale avec une sténose modérée, mais sur-
tout un volumineux anévrysme de la partie supérieure et distale
du tronc (figure 4). Il est décidé de procéder dans le même temps
à la mise en place d’une endoprothèse couverte dans le tronc de
l’artère rénale. L’artériographie de contrôle à neuf mois (figure 5)
montre une endoprothèse et des branches de division rénales par-
faitement perméables chez un patient dont l’hypertension est équi-
librée grâce à un diurétique et à un IEC.
MISE AU POINT
Figure 2. Anévrysme calcifié et thrombosé de l’artère rénale gauche
(tomodensitométrie).
Figure 3. Aspect de sténose très serrée de la partie moyenne de l’artère
rénale gauche (angio-IRM).
Figure 4. Dissection de l’artère rénale gauche avec sténose modérée et
volumineux anévrysme de la partie supérieure et distale du tronc (arté-
riographie).
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DISCUSSION
L’incidence des anévrysmes de l’artère rénale (AAR) varie de
0,01 % dans les séries autopsiques (1) à 1,5 % dans celles de
patients ayant bénéficié d’une artériographie, voire 2,5 % dans
les séries de dysplasies fibromusculaires rénales. Ils représentent
1% de tous les anévrysmes artériels et 10 % des anévrysmes vis-
céraux (2).
Dans la plus grande série (123 patients), rapportée par
Lacombe (3), on en distingue trois étiologies. La plus importante
est représentée par la dysplasie, présente dans 90 % des cas.
L’anévrysme possède le plus souvent une morphologie sacci-
forme avec un collet fibreux, et siège volontiers au niveau d’une
division artérielle. La normalité de l’endothélium explique la
rareté des thromboses intrasacculaires et des embolies distales.
Les AAR sont acquis dans moins de 10 % des cas. Ils présentent
des altérations pariétales à type d’ulcérations, de plaques d’athé-
rome ou de calcifications à l’origine de fréquentes thromboses
anévrysmales ou d’embolies rénales. Enfin, les anévrysmes post-
opératoires, exceptionnels, compliquent surtout les autogreffes
veineuses et sont volontiers fusiformes.
D’autres types de lésions sont fréquemment associés (3). Au
niveau de l’artère rénale, il peut s’agir de sténoses segmentaires
courtes ou de dysplasie fibromusculaire étendue. D’autres loca-
lisations anévrysmales sont également décrites, comme au niveau
des artères splénique ou carotide. Enfin, des lésions du rein et des
voies urinaires homo- ou controlatérales sont rapportées dix-neuf
fois dans la série de Lacombe (3).
L’âge de prédilection des AAR est compris entre 40 et 60 ans (2),
et il existe une discrète prédominance féminine (3, 4). Les AAR
sont multiples dans 30 % des cas et bilatéraux une fois sur cinq
(2). Les circonstances de leur découverte ne sont pas univoques.
Le plus souvent, ils sont révélés à l’occasion d’une hypertension
artérielle (HTA) (observation n° 3), sans qu’il y ait pour autant
une relation de cause à effet entre les deux pathologies. Plus rare-
ment, la survenue de douleurs lombaires ou d’une hématurie
conduit au diagnostic. Enfin, il peut s’agir d’une découverte for-
tuite lors d’une imagerie (observation n° 1).
La principale complication classiquement décrite dans l’his-
toire naturelle des AAR est la rupture. En réalité, si sa gravité
est évidente, sa fréquence est rare. Elle n’est rapportée que deux
fois parmi 362 patients (moins de 1 % des cas) suivis pendant
une période variant de 2,7 à 8 ans (3-9). Dans une autre série de
21 patients présentant 34 AAR ayant tous bénéficié d’au moins
deux angiographies (10), la stabilité ou l’augmentation minime
de la taille de l’anévrysme étaient observées dans respectivement
88 % et 9 % des cas. Aucune rupture n’était rapportée. Le risque
de celle-ci paraît donc tout à fait modéré, mais il n’est pas nul. Il
existe en effet certains facteurs prédisposants, dont le principal
est la grossesse (10).Henriksson rapporte 22 cas de ruptures chez
des femmes enceintes, particulièrement graves, comme en témoi-
gnent les taux de mortalités maternelle et fœtale de 54 et 77 %.
Les modifications hormonales et physiologiques induites par la
grossesse sont certainement responsables des variations mor-
phologiques de la paroi de l’artère conduisant à sa rupture. Les
autres facteurs favorisant celle-ci sont le caractère non calcifié de
l’anévrysme, sa localisation intrarénale et une taille supérieure à
20 mm.
Dès lors, un traitement doit être proposé dans les indications
suivantes :
Anévrysme de taille supérieure à 20 mm ou en augmentation.
Dissection.
–Patient “à risque” en raison d’un rein unique (observation n° 1),
d’une insuffisance rénale ou d’un désir de grossesse (2).
Existence d’une HTA (observation n° 3). Bien que celle-ci
constitue une indication à traiter, il existe en réalité deux situa-
tions différentes. La première est celle où l’AAR est associé à
une dysplasie sténosante qui engendre une ischémie rénale, et
donc une HTA rénovasculaire. La normalisation des chiffres ten-
sionnels sera obtenue dans presque 100 % des cas après chirur-
gie. À l’opposé, lorsque l’anévrysme est isolé, l’HTA est proba-
blement induite par des phénomènes hémodynamiques, une
compression ou une thrombose expliquant une guérison dans
moins de 70 % des cas (3).
Le plus souvent, un traitement chirurgical est proposé ; il ne
s’agit pas tant d’une néphrectomie de première intention, réser-
vée aux rares cas d’atrophie rénale ou d’infarctus sévères, que de
la restauration artérielle in situ ou ex situ. La première technique
opératoire permet un geste limité à la zone de l’anévrysme (obser-
vations nos 1 et 2), complété au besoin d’une réimplantation aor-
tique indirecte par autogreffe artérielle. La restauration artérielle
ex situ couplée à une autotransplantation est proposée lorsque le
geste in situ se révèle difficile, voire impossible, ou lorsque plus
de deux branches artérielles sont atteintes. Cette chirurgie est gre-
MISE AU POINT
Figure 5. Endoprothèse et branches de division rénales perméables (arté-
riographie de contrôle à 9 mois).
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vée d’une mortalité postopératoire de 1,2 % sur un ensemble de
244 malades (3, 9, 11-14).
Depuis quelques années, l’éventail thérapeutique s’est enri-
chi des techniques de radiologie interventionnelle, dont la pre-
mière est l’angioplastie avec mise en place d’une endoprothèse
(15) (observation n° 3). Déjà utilisée pour d’autres sites vascu-
laires que l’artère rénale, elle a été proposée pour la première fois
à une patiente hypertendue âgée de 50 ans présentant une dys-
plasie fibromusculaire rénale et un anévrysme sacciforme de
15 mm. Toutefois, le manque de recul évolutif et le faible effec-
tif des patients traités ne permettent pas encore de déterminer
avec précision le bénéfice à long terme des endoprothèses.
La seconde technique non chirurgicale est l’embolisation arté-
rielle par des microspires métalliques détachables ou non (16).
Klein rapporte son expérience chez douze patients, dont la taille
de l’anévrysme était comprise entre 4 et 25 mm et qui ont été sui-
vis pendant une durée de 24 à 35 mois. Les artériographies de
contrôle successives montraient un succès, avec une occlusion
complète de l’anévrysme pour 11 patients. Un seul cas avait
nécessité une seconde embolisation.
CONCLUSION
La fréquence des AAR est parfois sous-estimée, en raison de leur
méconnaissance. Il importe d’en connaître les circonstances de
découverte, essentiellement représentées par l’hypertension arté-
rielle, et les modalités évolutives, avec, en particulier, le risque
de rupture. Si celle-ci est rare, sa gravité potentielle impose de
proposer un traitement selon des indications bien précises. Bien
que la chirurgie ait longtemps représenté la seule arme théra-
peutique, on dispose maintenant de nouvelles modalités de radio-
logie interventionnelle.
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MISE AU POINT
Rectificatif
Dans l’article intitulé “Le BNP peut-il remplacer l’écho-
cardiographie dans le diagnostic de l’insuffisance
cardiaque ?”, du Pr A. Cohen-Solal (La Lettre du
Cardiologue, n° 350, décembre 2001, p. 33, colonne de
droite, 18eligne), il fallait lire : “la limite maximale de
mesure est de 1 300 pg/ml”.
Nous prions les lecteurs de bien vouloir nous excuser.
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