La Lettre du Cardiologue - n° 351 - janvier 2002
23
DISCUSSION
L’incidence des anévrysmes de l’artère rénale (AAR) varie de
0,01 % dans les séries autopsiques (1) à 1,5 % dans celles de
patients ayant bénéficié d’une artériographie, voire 2,5 % dans
les séries de dysplasies fibromusculaires rénales. Ils représentent
1% de tous les anévrysmes artériels et 10 % des anévrysmes vis-
céraux (2).
Dans la plus grande série (123 patients), rapportée par
Lacombe (3), on en distingue trois étiologies. La plus importante
est représentée par la dysplasie, présente dans 90 % des cas.
L’anévrysme possède le plus souvent une morphologie sacci-
forme avec un collet fibreux, et siège volontiers au niveau d’une
division artérielle. La normalité de l’endothélium explique la
rareté des thromboses intrasacculaires et des embolies distales.
Les AAR sont acquis dans moins de 10 % des cas. Ils présentent
des altérations pariétales à type d’ulcérations, de plaques d’athé-
rome ou de calcifications à l’origine de fréquentes thromboses
anévrysmales ou d’embolies rénales. Enfin, les anévrysmes post-
opératoires, exceptionnels, compliquent surtout les autogreffes
veineuses et sont volontiers fusiformes.
D’autres types de lésions sont fréquemment associés (3). Au
niveau de l’artère rénale, il peut s’agir de sténoses segmentaires
courtes ou de dysplasie fibromusculaire étendue. D’autres loca-
lisations anévrysmales sont également décrites, comme au niveau
des artères splénique ou carotide. Enfin, des lésions du rein et des
voies urinaires homo- ou controlatérales sont rapportées dix-neuf
fois dans la série de Lacombe (3).
L’âge de prédilection des AAR est compris entre 40 et 60 ans (2),
et il existe une discrète prédominance féminine (3, 4). Les AAR
sont multiples dans 30 % des cas et bilatéraux une fois sur cinq
(2). Les circonstances de leur découverte ne sont pas univoques.
Le plus souvent, ils sont révélés à l’occasion d’une hypertension
artérielle (HTA) (observation n° 3), sans qu’il y ait pour autant
une relation de cause à effet entre les deux pathologies. Plus rare-
ment, la survenue de douleurs lombaires ou d’une hématurie
conduit au diagnostic. Enfin, il peut s’agir d’une découverte for-
tuite lors d’une imagerie (observation n° 1).
La principale complication classiquement décrite dans l’his-
toire naturelle des AAR est la rupture. En réalité, si sa gravité
est évidente, sa fréquence est rare. Elle n’est rapportée que deux
fois parmi 362 patients (moins de 1 % des cas) suivis pendant
une période variant de 2,7 à 8 ans (3-9). Dans une autre série de
21 patients présentant 34 AAR ayant tous bénéficié d’au moins
deux angiographies (10), la stabilité ou l’augmentation minime
de la taille de l’anévrysme étaient observées dans respectivement
88 % et 9 % des cas. Aucune rupture n’était rapportée. Le risque
de celle-ci paraît donc tout à fait modéré, mais il n’est pas nul. Il
existe en effet certains facteurs prédisposants, dont le principal
est la grossesse (10).Henriksson rapporte 22 cas de ruptures chez
des femmes enceintes, particulièrement graves, comme en témoi-
gnent les taux de mortalités maternelle et fœtale de 54 et 77 %.
Les modifications hormonales et physiologiques induites par la
grossesse sont certainement responsables des variations mor-
phologiques de la paroi de l’artère conduisant à sa rupture. Les
autres facteurs favorisant celle-ci sont le caractère non calcifié de
l’anévrysme, sa localisation intrarénale et une taille supérieure à
20 mm.
Dès lors, un traitement doit être proposé dans les indications
suivantes :
–Anévrysme de taille supérieure à 20 mm ou en augmentation.
–Dissection.
–Patient “à risque” en raison d’un rein unique (observation n° 1),
d’une insuffisance rénale ou d’un désir de grossesse (2).
–Existence d’une HTA (observation n° 3). Bien que celle-ci
constitue une indication à traiter, il existe en réalité deux situa-
tions différentes. La première est celle où l’AAR est associé à
une dysplasie sténosante qui engendre une ischémie rénale, et
donc une HTA rénovasculaire. La normalisation des chiffres ten-
sionnels sera obtenue dans presque 100 % des cas après chirur-
gie. À l’opposé, lorsque l’anévrysme est isolé, l’HTA est proba-
blement induite par des phénomènes hémodynamiques, une
compression ou une thrombose expliquant une guérison dans
moins de 70 % des cas (3).
Le plus souvent, un traitement chirurgical est proposé ; il ne
s’agit pas tant d’une néphrectomie de première intention, réser-
vée aux rares cas d’atrophie rénale ou d’infarctus sévères, que de
la restauration artérielle in situ ou ex situ. La première technique
opératoire permet un geste limité à la zone de l’anévrysme (obser-
vations nos 1 et 2), complété au besoin d’une réimplantation aor-
tique indirecte par autogreffe artérielle. La restauration artérielle
ex situ couplée à une autotransplantation est proposée lorsque le
geste in situ se révèle difficile, voire impossible, ou lorsque plus
de deux branches artérielles sont atteintes. Cette chirurgie est gre-
MISE AU POINT
Figure 5. Endoprothèse et branches de division rénales perméables (arté-
riographie de contrôle à 9 mois).