L’information précoce: une nécessité pour l’insuffisant rénal chronique M. Olmer A.T.U.P., Marseille ■ L’insuffisance rénale en France Au moins deux millions de Français sont touchés à des degrés divers par une insuffisance rénale chronique, dont l’évolution, pour certains, se fera vers une défaillance terminale qui justifiera la prise en charge par un traitement de suppléance. Quelques chiffres, mêmes imparfaits, nous concernent : • Près de 30 000 patients en France vivent grâce à la dialyse, dont seulement 10% sont en dialyse péritonéale. • Environ 18 000 ont bénéficié d’une greffe rénale. • Incidence : 100 à 150 nouveaux cas par million d’habitants et par an. • Progression annuelle de l’incidence : 5 à 7% due pour plus de la moitié aux patients âgés de plus de 65 ans. • La prévalence dans notre pays se situe aux environs de 800 patients par million d’habitants, ce qui est faible comparé aux 1400 traités aux Etats-Unis et aux 1800 Japonais. ■ Tentative pour comprendre cette méconnaissance de la maladie rénale ● Le patient La perception de la progressive destruction rénale n’est pas, au début et parfois pendant quelques années, évidente pour le malade. L’absence de manifestations cliniques patentes est responsable d’un diagnostic de la maladie porté souvent avec retard. De plus elle est la source d’un manque de motivation des patients Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004, pp. 39-41 pour se soigner : « soigner quoi ? Je ne souffre pas, je vais bien ». C’est ce type de remarques que l’on entend souvent. Progressivement apparaissent des complications diverses au premier rang desquelles figurent l’hypertension artérielle, l’anémie et des troubles digestifs, symptômes qui, par eux-mêmes, si on n’y pense pas, n’orientent pas spécialement vers une maladie rénale. ● Le praticien En rappelant que l’hypertension artérielle, le diabète et l’âge avancé sont fréquemment à l’origine de l’insuffisance rénale on peut souhaiter qu’outre le médecin généraliste les spécialistes traitant ces patients soient mieux sensibilisés aux problèmes néphrologiques. Il faut bien reconnaître que pour beaucoup de médecins la pathologie rénale est très mal connue et ce pour des raisons diverses. Au cours des études médicales, la néphrologie (spécialité complexe à leurs yeux) fait peur aux étudiants dont relativement peu effectuent un choix dans un service de néphrologie, la formation continue est dans l’ensemble peu suivie par les praticiens qui, par ailleurs, n’ont pas facilement accès à des documents portant sur le rein qui peuvent être vite lus et aisément compréhensibles. L’objectif minimal serait que les praticiens aient le réflexe de demander un dosage de la créatininémie, avec calcul par le laboratoire de la clairance de la créatinine en se passant du dosage trop aléatoire de l’urée sanguine. Ceci est particulièrement souhaitable lorsqu’ils ont à traiter, notamment, un hypertendu, un diabétique de type 1 ou de type 2, un sujet âgé de plus de 65 ans, un infecté chronique des voies urinaires ou un patient prenant certains médicaments en particulier du Lithium Il est raisonnable d’espérer qu’en étant mieux informé, le médecin traitant adopte un comportement réaliste vis-à-vis de son patient et accepte, en collaboration avec le néphrologue, de tout mettre en œuvre pour une vraie prise en charge de l’insuffisance rénale. ■ Informer le patient Entre le médecin et le malade doivent s’établir des liens solides car l’un et l’autre sont appelés à faire ensemble un long parcours dont le déroulement ne sera pas toujours simple. L’information doit être faite dès la connaissance du diagnostic de l’insuffisance rénale chronique. Elle est nécessaire et devra être poursuivie tout au long de l’évolution de la maladie. Elle implique un échange entre deux personnes, l’une qui attend un soin et l’autre qui le donne. 39 éditorial Quels que soient les pays, même parmi ceux où la qualité des soins est indiscutable, on se trouve confrontés à une situation que l’on peut qualifier d’inacceptable : 30 à 50% des patients insuffisants rénaux chroniques ne sont vus par le néphrologue qu’au stade terminal de leur maladie.1,2,3 A qui la faute ? A l’évidence, il y a une sous-information des patients et des médecins de ce que sont les maladies du rein. On peut, cependant, raisonnablement espérer que, si on est capable d’offrir aux praticiens et aux insuffisants rénaux une information aussi simple et claire que possible, on pourra progressivement améliorer la qualité de vie des patients et éviter ces prises en charge trop tardives qui obèrent le pronostic vital, altèrent le vécu psychique et majorent le coût financier. Cependant il ne faut jamais oublier que l’annonce du diagnostic d’une maladie chronique est très souvent génératrice d’angoisse.4 En effet cette information doit faire prendre conscience au patient qu’il prend des risques s’il ne se fait pas correctement suivre, s’il n’adhère pas au traitement et à l’hygiène de vie qu’on lui propose. Il faut s’employer à être constructif avec le malade en ouvrant des perspectives d’avenir qui soient aussi proches que possible de la vie qu’il avait jusqu’alors. Il est indispensable d’éviter de l’affoler pour ne pas majorer son inquiétude tout en l’aidant à se projeter dans l’avenir. L’objectif du médecin est de faire comprendre à son patient le pourquoi d’une modification des habitudes alimentaires, la justification des médicaments prescrits et en particulier ceux agissant sur le métabolisme phosphocalcique et sur l’hypertension artérielle. On devra tout faire pour retarder le moment de la prise en charge par un traitement substitutif. La prévention c’est donc : informer pour mieux prévenir, sans angoisser, mais en sachant toutefois que dans l’insuffisance rénale, prévenir n’est pas guérir, mais seulement retarder, ce qui n’est pas rien. ■ Motiver le patient Il faut bien comprendre que pour se motiver le patient doit être en situation d’éprouver un certain bien être ou encore, en position, d’éviter un réel inconfort, qu’il soit physique ou moral. Il est vrai que dans cette situation nouvelle le confort n’est pas évident. Rares sont les individus qui se complaisent à être raisonnables ou à bien gérer leur santé, ne serait-ce que pour satisfaire leur entourage voire leur médecin !4 La tendance naturelle veut que dans une telle situation, on ait tendance à éprouver un rejet vis-à-vis des différentes contraintes imposées, qu’elles soient alimentaires, médicamenteuses ou en rapport avec les consultations médicales nécessaires et les examens paracliniques souhaités. Cela veut dire que pour accepter ces changements de vie le patient doit comprendre l’intérêt de ce qui lui est proposé et le bénéfice qu’il peut en tirer. Si à court terme il percevra plus probablement un mal-être qu’un bien-être, à long terme on peut raisonnablement penser qu’il ressentira au moins la satisfaction de s’être donné tous les moyens, non pour vaincre la maladie, mais pour la combattre au mieux. Au total, bien informés, et passé le choc de la première connaissance de leur maladie, les patients dans leur majorité accepteront de s’impliquer dans leur prise en charge. Cinq chapitres sont individualisés : 1. Que sont les reins, à quoi servent-ils ? 2. Qu’est-ce que l’insuffisance rénale chronique ? 3. Les problèmes de la vie au quotidien, abordés en cinq souschapitres : • Des conseils alimentaires en prenant garde de ne jamais parler de « régime », terme toujours mal interprété par les patients. • Les risques médicamenteux pour informer sur les risques que l’insuffisance rénale génère et les précautions d’emploi à prendre pour certaines classes de médicaments. • Les désordres psychologiques que l’annonce de la maladie peut entraîner chez le patient et son entourage et comment arriver à les surmonter. • Le retentissement éventuel sur l’activité sexuelle et les solutions pour les surmonter. • Les droits du malade occupent ce dernier paragraphe. S’il est souhaitable que l’activité professionnelle soit maintenue aussi longtemps que possible, il nous a paru nécessaire d’aborder longuement les données de la législation pour ces patients. 4. Dans le quatrième chapitre est abordée la question de l’orientation à prendre lorsque les reins ne sont plus à même de remplir leur fonction et comment alors choisir entre la dialyse péritonéale, l’hémodialyse et la greffe rénale ? 5. Enfin, un glossaire explicite près de 90 termes du livret. ■ Conclusion Beaucoup d’insuffisants rénaux voudraient être mieux informés sur leur maladie. Cette quête d’une légitime information est souvent mal prise en charge par manque de temps, mais aussi parfois du fait d’un « déficit » de connaissances néphrologiques du médecin traitant. Pour essayer de remédier à cette situation, la création de réseaux5 regroupant avec les patients, les médecins généralistes, cardiologues, diabétologues, gériatres, les paramédicaux aux néphrologues apparaît comme étant sûrement le moyen le mieux approprié et dont il faut souhaiter le développement généralisé dans notre pays. Dans une telle structure le livret « Vivre avec une maladie des reins » trouve naturellement sa place. Adresse de correspondance : éditorial ■ Aider le patient et son médecin L’analyse des données précédentes aboutit au constat, pour les deux parties, d’un manque de moyens utiles à leur information. Cette conclusion, largement partagée, nous a conduits à une réflexion sur les moyens que l’on pourrait proposer pour aider à la fois le patient et le médecin qui l’a en charge. Il faut avant tout essayer de dédramatiser la situation dès la connaissance par le patient du diagnostic de son insuffisance rénale chronique. La solution à laquelle nous avons abouti a été d’élaborer un livret de 50 pages en collaboration avec un groupe multidisciplinaire comprenant néphrologues, diététicienne, psychologue, et patients insuffisants rénaux responsables d’associations de malades.a 40 Pr Michel Olmer 19, rue Borde F-13008 Marseille [email protected] a Ce livret est parrainé par la Société de néphrologie, la Société francophone de dialyse, la Fondation du rein et la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux. Groupe de travail : J.-L. Bouchet, L. Chasserez, F. Chatelin, M. Dratwa, B. Faller, D. Fouque, M.Grandvuillemin, P. Jaeger, N. Lameire, M. Laville, F. Leclerc, N.K.Man, C. Michel, M. Mondet, C. Oltra-Gay, J. Patin, A.M. Dobby ; R.Volle, J.-P. Wauters. Association LIEN, 19, rue Borde, F-13008 Marseille. Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004 3. Le parcours de l’insuffisant rénal jusqu’à la première séance de dialyse. Enquête réalisée par la Sofres Médicale. Roche. 4. Grimaldi A. Prise en charge et conséquences psychologiques des maladies chroniques : l’exemple du diabète. Communication à la réunion de la Société de néphrologie et de la Société francophone de dialyse, Tunis, 1-4 octobre 2002. 5. Réseau Tircel (Traitement de l’insuffisance rénale chronique dans l’Est Lyonnais), Hôpital E. Herriot, 69437 Lyon Cedex 03. . Références 1. Jungers P, Skhiri H, Zingraff J, Muller S, Fumeron C, Giatras I, Touam M, Nguyen A, Man NK, Grünfeld JP. Bénéfices d’une prise en charge néphrologique précoce de l’insuffisance rénale chronique. P Med 1997; 28: 1325-8. Date de soumission : septembre 2003 Date d’acceptation : novembre 2003 éditorial 2. Obrador G, Pereira J. Early referral to the nephrologist and timely initiation of renal replacement therapy : A paradigm shift in the management of patients with chronic renal failure. Am J Nephrol 1998 ; 31 : 398-417. Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004 41