L`information précoce: une nécessité pour l`insuffisant rénal chronique

L’information précoce:
une nécessité pour l’insuffisant rénal chronique
M. Olmer
A.T.U.P., Marseille
éditorial
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004, pp. 39-41 39
Quels que soient les pays, même parmi ceux où la qualité des
soins est indiscutable, on se trouve confrontés à une situation
que l’on peut qualifier d’inacceptable: 30 à 50% des patients
insuffisants rénaux chroniques ne sont vus par le néphrologue
qu’au stade terminal de leur maladie.1,2,3
A qui la faute? A l’évidence, il y a une sous-information des
patients et des médecins de ce que sont les maladies du rein.
On peut, cependant, raisonnablement espérer que, si on est
capable d’offrir aux praticiens et aux insuffisants rénaux une
information aussi simple et claire que possible, on pourra pro-
gressivement améliorer la qualité de vie des patients et éviter ces
prises en charge trop tardives qui obèrent le pronostic vital, altè-
rent le vécu psychique et majorent le coût financier.
L’insuffisance rénale en France
Au moins deux millions de Français sont touchés à des degrés
divers par une insuffisance rénale chronique, dont l’évolution,
pour certains, se fera vers une défaillance terminale qui justifiera
la prise en charge par un traitement de suppléance.
Quelques chiffres, mêmes imparfaits, nous concernent:
Près de 30 000 patients en France vivent grâce à la dialyse,
dont seulement 10% sont en dialyse péritonéale.
Environ 18 000 ont bénéficié d’une greffe rénale.
Incidence: 100 à 150 nouveaux cas par million d’habitants et
par an.
Progression annuelle de l’incidence: 5 à 7% due pour plus de
la moitié aux patients âgés de plus de 65 ans.
La prévalence dans notre pays se situe aux environs de 800
patients par million d’habitants, ce qui est faible comparé aux
1400 traités aux Etats-Unis et aux 1800 Japonais.
Tentative pour comprendre cette
méconnaissance de la maladie rénale
Le patient
La perception de la progressive destruction rénale n’est pas,
au début et parfois pendant quelques années, évidente pour le
malade. L’absence de manifestations cliniques patentes est res-
ponsable d’un diagnostic de la maladie porté souvent avec retard.
De plus elle est la source d’un manque de motivation des patients
pour se soigner: « soigner quoi? Je ne souffre pas, je vais bien ».
C’est ce type de remarques que l’on entend souvent. Progressi-
vement apparaissent des complications diverses au premier rang
desquelles figurent l’hypertension artérielle, l’anémie et des troubles
digestifs, symptômes qui, par eux-mêmes, si on n’y pense pas,
n’orientent pas spécialement vers une maladie rénale.
Le praticien
En rappelant que l’hypertension artérielle, le diabète et l’âge
avancé sont fréquemment à l’origine de l’insuffisance rénale on
peut souhaiter qu’outre le médecin généraliste les spécialistes
traitant ces patients soient mieux sensibilisés aux problèmes
néphrologiques.
Il faut bien reconnaître que pour beaucoup de médecins la
pathologie rénale est très mal connue et ce pour des raisons
diverses. Au cours des études médicales, la néphrologie (spécialité
complexe à leurs yeux) fait peur aux étudiants dont relativement
peu effectuent un choix dans un service de néphrologie, la forma-
tion continue est dans l’ensemble peu suivie par les praticiens qui,
par ailleurs, n’ont pas facilement accès à des documents portant
sur le rein qui peuvent être vite lus et aisément compréhensibles.
L’objectif minimal serait que les praticiens aient le réflexe de
demander un dosage de la créatininémie, avec calcul par le labo-
ratoire de la clairance de la créatinine en se passant du dosage
trop aléatoire de l’urée sanguine. Ceci est particulièrement sou-
haitable lorsqu’ils ont à traiter, notamment, un hypertendu, un
diabétique de type 1 ou de type 2, un sujet âgé de plus de 65 ans,
un infecté chronique des voies urinaires ou un patient prenant
certains médicaments en particulier du Lithium
Il est raisonnable d’espérer qu’en étant mieux informé, le
médecin traitant adopte un comportement réaliste vis-à-vis de
son patient et accepte, en collaboration avec le néphrologue, de
tout mettre en œuvre pour une vraie prise en charge de l’insuffi-
sance rénale.
Informer le patient
Entre le médecin et le malade doivent s’établir des liens
solides car l’un et l’autre sont appelés à faire ensemble un long
parcours dont le déroulement ne sera pas toujours simple.
L’information doit être faite dès la connaissance du diagnos-
tic de l’insuffisance rénale chronique. Elle est nécessaire et devra
être poursuivie tout au long de l’évolution de la maladie. Elle
implique un échange entre deux personnes, l’une qui attend un
soin et l’autre qui le donne.
Cependant il ne faut jamais oublier que l’annonce du diagnos-
tic d’une maladie chronique est très souvent génératrice d’an-
goisse.4En effet cette information doit faire prendre conscience
au patient qu’il prend des risques s’il ne se fait pas correctement
suivre, s’il n’adhère pas au traitement et à l’hygiène de vie qu’on
lui propose.
Il faut s’employer à être constructif avec le malade en ouvrant
des perspectives d’avenir qui soient aussi proches que possible
de la vie qu’il avait jusqu’alors. Il est indispensable d’éviter de
l’affoler pour ne pas majorer son inquiétude tout en l’aidant à se
projeter dans l’avenir.
L’objectif du médecin est de faire comprendre à son patient
le pourquoi d’une modification des habitudes alimentaires, la
justification des médicaments prescrits et en particulier ceux
agissant sur le métabolisme phosphocalcique et sur l’hyperten-
sion artérielle. On devra tout faire pour retarder le moment de la
prise en charge par un traitement substitutif.
La prévention c’est donc: informer pour mieux prévenir, sans
angoisser, mais en sachant toutefois que dans l’insuffisance
rénale, prévenir n’est pas guérir, mais seulement retarder, ce qui
n’est pas rien.
Motiver le patient
Il faut bien comprendre que pour se motiver le patient doit
être en situation d’éprouver un certain bien être ou encore, en
position, d’éviter un réel inconfort, qu’il soit physique ou moral. Il
est vrai que dans cette situation nouvelle le confort n’est pas évi-
dent. Rares sont les individus qui se complaisent à être raison-
nables ou à bien gérer leur santé, ne serait-ce que pour satisfaire
leur entourage voire leur médecin !4La tendance naturelle veut
que dans une telle situation, on ait tendance à éprouver un rejet
vis-à-vis des différentes contraintes imposées, qu’elles soient ali-
mentaires, médicamenteuses ou en rapport avec les consultations
médicales nécessaires et les examens paracliniques souhaités.
Cela veut dire que pour accepter ces changements de vie le
patient doit comprendre l’intérêt de ce qui lui est proposé et le
bénéfice qu’il peut en tirer. Si à court terme il percevra plus pro-
bablement un mal-être qu’un bien-être, à long terme on peut
raisonnablement penser qu’il ressentira au moins la satisfaction
de s’être donné tous les moyens, non pour vaincre la maladie,
mais pour la combattre au mieux.
Au total, bien informés, et passé le choc de la première
connaissance de leur maladie, les patients dans leur majorité
accepteront de s’impliquer dans leur prise en charge.
Aider le patient et son médecin
L’analyse des données précédentes aboutit au constat, pour
les deux parties, d’un manque de moyens utiles à leur informa-
tion. Cette conclusion, largement partagée, nous a conduits à
une réflexion sur les moyens que l’on pourrait proposer pour
aider à la fois le patient et le médecin qui l’a en charge.
Il faut avant tout essayer de dédramatiser la situation dès la
connaissance par le patient du diagnostic de son insuffisance
rénale chronique. La solution à laquelle nous avons abouti a été
d’élaborer un livret de 50 pages en collaboration avec un groupe
multidisciplinaire comprenant néphrologues, diététicienne, psy-
chologue, et patients insuffisants rénaux responsables d’associa-
tions de malades.a
Cinq chapitres sont individualisés:
1. Que sont les reins, à quoi servent-ils?
2. Qu’est-ce que l’insuffisance rénale chronique?
3. Les problèmes de la vie au quotidien, abordés en cinq sous-
chapitres:
Des conseils alimentaires en prenant garde de ne jamais parler
de « régime », terme toujours mal interprété par les patients.
Les risques médicamenteux pour informer sur les risques que
l’insuffisance rénale génère et les précautions d’emploi à
prendre pour certaines classes de médicaments.
Les désordres psychologiques que l’annonce de la maladie
peut entraîner chez le patient et son entourage et comment arri-
ver à les surmonter.
Le retentissement éventuel sur l’activité sexuelle et les solu-
tions pour les surmonter.
Les droits du malade occupent ce dernier paragraphe. S’il est
souhaitable que l’activité professionnelle soit maintenue aussi
longtemps que possible, il nous a paru nécessaire d’aborder lon-
guement les données de la législation pour ces patients.
4. Dans le quatrième chapitre est abordée la question de l’orien-
tation à prendre lorsque les reins ne sont plus à même de remplir
leur fonction et comment alors choisir entre la dialyse périto-
néale, l’hémodialyse et la greffe rénale?
5. Enfin, un glossaire explicite près de 90 termes du livret.
Conclusion
Beaucoup d’insuffisants rénaux voudraient être mieux infor-
més sur leur maladie. Cette quête d’une légitime information est
souvent mal prise en charge par manque de temps, mais aussi
parfois du fait d’un « déficit » de connaissances néphrologiques
du médecin traitant. Pour essayer de remédier à cette situation,
la création de réseaux5regroupant avec les patients, les méde-
cins généralistes, cardiologues, diabétologues, gériatres, les
paramédicaux aux néphrologues apparaît comme étant sûre-
ment le moyen le mieux approprié et dont il faut souhaiter le
développement généralisé dans notre pays.
Dans une telle structure le livret «Vivre avec une maladie des
reins » trouve naturellement sa place.
Adresse de correspondance:
Pr Michel Olmer
19, rue Borde
F-13008 Marseille
éditorial
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004
40
aCe livret est parrainé par la Société de néphrologie, la Société francophone
de dialyse, la Fondation du rein et la Fédération nationale d’aide aux insuf-
fisants rénaux.
Groupe de travail: J.-L. Bouchet, L. Chasserez, F. Chatelin, M. Dratwa,
B. Faller, D. Fouque, M.Grandvuillemin, P. Jaeger, N. Lameire, M. Laville,
F. Leclerc, N.K.Man, C. Michel, M. Mondet, C. Oltra-Gay, J. Patin, A.M.
Dobby; R.Volle, J.-P. Wauters.
Association LIEN, 19, rue Borde, F-13008 Marseille.
.
1. Obrador G, Pereira J. Early referral to the nephrologist and timely initia-
tion of renal replacement therapy: A paradigm shift in the management
of patients with chronic renal failure. Am J Nephrol 1998; 31: 398-417.
2. Jungers P, Skhiri H, Zingraff J, Muller S, Fumeron C, Giatras I, Touam M,
Nguyen A, Man NK, Grünfeld JP. Bénéfices d’une prise en charge néphrolo-
gique précoce de l’insuffisance rénale chronique. P Med 1997; 28 : 1325-8.
3. Le parcours de l’insuffisant rénal jusqu’à la première séance de dialyse.
Enquête réalisée par la Sofres Médicale. Roche.
4. Grimaldi A. Prise en charge et conséquences psychologiques des maladies
chroniques: l’exemple du diabète. Communication à la réunion de la
Société de néphrologie et de la Société francophone de dialyse, Tunis, 1-4
octobre 2002.
5. Réseau Tircel (Traitement de l’insuffisance rénale chronique dans l’Est
Lyonnais), Hôpital E. Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.
Date de soumission : septembre 2003 Date d’acceptation : novembre 2003
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Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004 41
Références
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