Etats confusionnels aigus

publicité
CURRICULUM
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
1021
Etats confusionnels aigus
Z. Stangaa, F. F. Immerb, P. Allemannc, A. S. Immer-Bansid, E. Rohrbachc, C. Hagib, V. Eigenmannb
Introduction
a
Klinik für Allgemeine
Innere Medizin, Inselspital, Bern
b
Klinik für Herz- und
Gefässchirurgie, Inselspital,
Bern
c
Psychiatrische Universitätspoliklinik, Inselspital, Bern
d
Institut für Anästhesiologie,
Inselspital, Bern
Correspondance:
Dr Zeno Stanga
Oberarzt für Innere Medizin und
Klinische Ernährung
Inselspital
CH-3010 Bern
[email protected]
L’état confusionnel aigu – aussi dénommé délire (selon ICD-10) – représente un syndrome
neuropsychiatrique difficilement saisissable
avec un début brusque et des manifestations
cliniques fluctuantes. On est souvent confronté
à ce problème dans les institutions médicalisées. Son incidence élevée en milieu hospitalier
(5–15%) [1] est d’une grande importance du
point de vue de la morbidité, de la mortalité et
de la durée d’hospitalisation des patients [2].
On le rencontre le plus fréquemment chez les
patients âgés qui souffrent déjà de troubles
cognitifs [3]. Les symptômes les plus marqués
peuvent être des troubles de l’orientation générale, de l’attention, de la mémoire, de l’habileté à planifier ou organiser. Les autres atteintes, telles que les troubles du rythme veillesommeil, les troubles cognitifs, la labilité de
l’humeur, les troubles de la perception ou les
difficultés dans les activités de la vie quotidienne ne jouent qu’un rôle secondaire pour le
diagnostic, mais sont en revanche essentielles
pour l’identification et le traitement de l’état
confusionnel. Selon le symptôme, cet état peut
être confondu avec d’autres pathologies, telles
que la démence, les labilités affectives ou les
psychoses fonctionnelles [4]. Le diagnostic différentiel de ces différents états est parfois difficile. Le mini-mental-status (MMS) peut être un
instrument utile pour apprécier la dimension
cognitive et identifier une démence [5].
Le but de cet aperçu est de fournir une aide
pour reconnaître rapidement ce syndrome de
manière compétente, surtout en période postopératoire, et pour engager les mesures préventives et thérapeutiques adéquates. Ceci en
se rappelant qu’une intervention spécifique au
niveau des facteurs de risque, au sens d’une
prévention primaire, constitue une des stratégies de traitement les plus efficaces [2].
Identification
Comme déjà mentionné, le caractère aigu à
subaigu de sa manifestation (en quelques heures, parfois jusqu’à quelques jours) est typique
de cet état, avec parfois une évolution très fluctuante. Le patient «fourrage», dit des choses incohérentes, voit parfois des animaux ou des
gens, tire sur les tubulures, veut se lever et il est
la plupart du temps désorienté dans le temps et
l’espace. La symptomatologie est typiquement
fluctuante, en sorte que même si le personnel
soignant avertit précocement le médecin, celuici arrive parfois au chevet d’un malade momentanément asymptomatique, d’où le risque
classique d’un diagnostic et d’un traitement
tardifs, qui à leur tour sont associés à un «outcome» aggravé [6]. L’identification rapide et la
prise en charge dans de telles situations peuvent être améliorés par la mise sur pied de programmes spécifiques de formation pour les
médecins et le personnel soignant. L’emploi
d’outils diagnostiques auxiliaires tels que des
méthodes de dépistage et tests de routine
standardisés (assessment) sont ici incontournables [2].
Facteurs de risque
En présence de facteurs de risques tels qu’âge
avancé, traitement avec de nombreux médicaments, comorbidités complexes, troubles somatiques ou psychiques, on observe une incidence nettement plus élevée d’états confusionnels aigus [7]. Il existe un rapport net entre l’incidence des états confusionnels aigus post-opératoires et certaines maladies neurologiques et
psychiatriques présentes avant l’opération.
Les principaux éléments pour la mise en évidence de facteurs de risque sont listés ci-dessous:
– Age: >70 ans
– Anamnèse: maladie psychiatrique; antécédent d’état confusionnel; dépendance médicamenteuse (surtout barbituriques, benzodiazépines), aux drogues ou à l’alcool; plus
de 3 médicaments; troubles extrapyramidaux; épilepsie
– Status: trouble auditif ou visuel significatif;
diminution des facultés cognitives; mauvais
état de nutrition; patient fortement diminué
physiquement; stress; isolement social
– Laboratoire: valeurs significativement pathologiques pour Na, K, glucose; quotient
urée/créatinine élevé (mesure de déshydratation)
– Genre d’opération: chirurgie cardiaque et/
ou aortique; chirurgie thoracique extracardiaque; chirurgie orthopédique (p.ex. prothèse totale de hanche); opération d’urgence
– Péri- et post-opératoire: hypotension; hypoxémie; sevrages (barbituriques, benzodiazépines, alcool); médicaments anticholiner-
CURRICULUM
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
giques; polymédication; benzodiazépines à
longue demi-vie; douleurs au repos; manque
de sommeil; immobilisation
Des facteurs prédisposant et interagissant négativement peuvent influencer défavorablement le cours de la maladie. On a pu, dans
quelques études, démontrer que la présence de
2 jusqu’à 6 facteurs de risque augmente nettement la vraisemblance de survenue d’un état
confusionnel aigu [8]. La reconnaissance de ces
facteurs de risque permet de poser plus rapidement le diagnostic. Le diagnostic et le traitement doivent être continuellement réévalués
afin de pouvoir introduire sans retard d’éventuelles nouvelles options diagnostiques et thérapeutiques.
Mesures préventives
La correction préopératoire des troubles métaboliques, l’arrêt des médicaments inutiles
connus pour élever l’incidence des états confusionnels, le traitement des maladies somatiques et neurologiques constituent des aspects
importants de la prophylaxie. Surtout chez les
patients gériatriques, on pratiquera à l’entrée
à l’hôpital les tests cognitifs permettant d’apprécier le plus exactement possible l’orientation, la mémoire et la vigilance.
– Pour autant que possible arrêter, ou sinon
remplacer les médicaments à risque pour les
états confusionnels. Les substances les plus
importantes sont listées dans le tableau 1.
– Soumettre les patients présentant des signes
d’une affection psychiatrique à une évaluation spécialisée.
– Soumettre à un MMS (voir sous www.testzentrale.ch) les patients présentant des
troubles cognitifs (p.ex. troubles de l’orientation, troubles de la mémoire, idées incohérentes) [9].
– En cas de suspicion d’abus d’alcool ou de
sous-alimentation: administration de com-
1022
plexe vitaminique du groupe B. Dans les
cas sévères, on peut aussi soumettre un alcoolique à une prophylaxie de sevrage dès
son entrée à l’hôpital.
– Dans les divisions de soins, veiller à un environnement calme, adapter l’éclairage au
rythme nyctéméral et donner des directives
claires et simples.
Caractéristiques et critères
de l’état confusionnel aigu
On pose un diagnostic d’état confusionnel aigu
lorsqu’en raison d’une étiologie organique, il
existe en même temps des troubles dans les
cinq catégories suivantes: état de conscience,
cognition, psychomotricité, rythme veille-sommeil et affectivité.
– Conscience/vigilance: légèrement réduite à
nettement atteinte, en partie élevée; déficit
de reconnaissance de l’entourage
– Cognition: troubles de l’idéation formels
(troubles de la parole) et du contenu; réduction de la concentration/mémoire lacunaire;
ralentissement; désorientation; illusions/
hallucinations (souvent visuelles)
– Psychomotricité: activité augmentée/diminuée; tremor, troubles de la coordination
– Rythme veille-sommeil: insomnie, inversion
du rythme nyctéméral
– Affectivité: angoisse, irritabilité, surtout
nocturnes; rage, colère, euphorie, perplexité,
apathie
Comme déjà mentionné, une évolution fluctuante est classique. A la symptomatologie s’associent souvent des symptômes végétatifs tels
qu’angoisse et signes cholinergiques (sudations, bradycardie et myosis). L’échelle de Neecham (tabl. 2) constitue un instrument diagnostique validé de dépistage des patients
confus [10].
Une symptomatologie dépressive est souvent
associée à un état confusionnel aigu; plus de
Tableau 1. Principaux médicaments à risque.
Antidépresseurs tricycliques
amitriptyline, clomipramine, imipramine
Neuroleptiques peu puissants
lévopromazine, prométhazine, thioridazine, clozapine,
chloroprothixène
Autres psychotropes
lithium
Antihistaminiques
dimenhydrinate, prométhazine, diphenhydramine
Antiparkinsoniens
amantadine, bipéridène, trihexyphénidyle, bromocriptine, L-Dopa
Anti-infectieux
pénicilline, inhibiteurs de la gyrase, sulfonamides, nitrofurantoïne,
aciclovir, chloroquine, isoniazide, amphotéricine B
Divers
aminophylline, codéine, lidocaïne, procaïne
Adapté de [3].
CURRICULUM
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
1023
Tableau 2. Echelle de Neecham pour le dépistage des patients confus.
Points
Contrôles physiologiques/fonctions vitales stables
2
TA, pouls (régulier/irrégulier), température, fréquence respiratoire sont dans la norme
1
Une fonction vitale est en-dehors des normes
0
Deux ou plusieurs fonctions vitales sont en-dehors des normes
Saturation en oxygène
2
Dans la norme >93%
1
Très légèrement en-dessous de la norme 90–92%, ou oxygénothérapie
0
Nettement en-dessous de la norme <90%
Contrôle de la vessie
2
Vidange de la vessie contrôlée
1
Incontinence urinaire dans les dernières 24 heures ou condom
0
Incontinence actuelle ou sonde vésical ou anurie
Organisation – attention / Attention – vigilance – réactivité à la parole
4
Attention/vigilance intacte: réagit immédiatement et adéquatement à l’appel ou au toucher, mobilise les yeux et la tête;
perçoit l’environnement proche, participe adéquatement aux événements dans l’entourage
3
Attention/vigilance diminuée ou exagérée: montre une attention/vigilance diminuée ou augmentée à l’interpellation,
au toucher ou aux événements dans l’entourage
2
Attention/vigilance changeante ou inadéquate: réagit lentement, doit être interpellé ou touché de manière répétée,
regard absent; reconnaît certes les objets et les stimuli, mais tombe dans la somnolence dans l’entretemps
1
Attention/vigilance perturbée: ouvre les yeux aux stimuli sonores ou tactiles, paraît éventuellement anxieux, est incapable
d’établir le contact ou présente des réactions de retrait/agressivité
0
Vigilance/réactivité à la parole très diminuée: les yeux s’ouvrent ou restent fermés, vigilance minimale aux stimuli répétés;
est incapable d’établir le contact
Organisation – ordre / Reconnaître – interpréter – agir
5
Peut exécuter un ordre complexe: «actionnez la sonnette pour appeler l’infirmière» (doit chercher la sonnette, la reconnaître
et exécuter l’ordre)
4
Réaction à un ordre complexe ralentie: a besoin qu’on répète ou accentue les instructions pour exécuter un ordre complexe.
Exécute lentement les ordres complexes, se déconcentre
3
Peut exécuter un ordre simple: «S’il vous plaît, levez la main (ou le pied), Monsieur…» (1 seul objet)
2
Incapable d’exécuter un ordre direct: exécute un ordre lorsque celui-ci est accompagné d’un signal tactile ou visuel –
boit p.ex. au verre qui lui est présenté sur les lèvres; réagit avec soulagement si facilitation par contact avec l’infirmière et
geste rassurant, p.ex. tenir la main
1
Incapable d’exécuter un ordre guidé visuellement: réagit avec une expression du visage confuse ou angoissée et/ou
retrait/réaction hostile à la stimulation, comportement hyperactif/ralenti, ne réagit pas lorsqu’on lui prend la main avec
douceur
0
Ralenti/léthargique: mouvements de réaction minimes / réaction minime aux stimuli extérieurs
Comportement – apparence personnelle
2
Tenue contrôlée, souci de l’apparence, soigné: est convenablement vêtu, propre et soigné sur sa personne; attitude corporelle
correcte au lit/assis
1
Trouble soit de la tenue soit de l’apparence: discret désordre dans l’habillement/la literie ou l’apparence, ou perte partielle de
contrôle de l’attitude corporelle
0
Anomalie aussi bien de la tenue que de l’apparence: est habillé de manière désordonnée, soins du corps négligés, incapable
de conserver une attitude corporelle correcte au lit
Organisation – orientation / orientation, mémoire récente, contenu verbal et de la pensée
5
Orientation dans le temps, sur la personne et dans l’espace: le déroulement de la pensée, le contenu verbal ou les questions
sont adaptés; la mémoire récente est intacte
4
Orientation sur la personne et dans l’espace: troubles discrets de la pensée/mémoire; contenu verbal et réponses aux
questions normalement adaptées; se répète par moments, doit être stimulé à conserver le contact. Coopère normalement
aux instructions
3
Orientation variable: d’une manière générale orienté, reconnaît ses proches, mais orientation dans le temps et l’espace
fluctuante; utilise des points de repère visuels pour s’orienter; souvent troubles de la pensée/mémoire, peut avoir
des hallucinations ou illusions; coopère mal aux instructions
CURRICULUM
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
1024
Tableau 2 (suite)
Points
2
Désorienté et troubles mnésiques: d’une manière générale orienté, reconnaît ses proches; met en doute les actes
du personnel soignant ou résiste aux instructions, aux usages; troubles du contenu verbal et de l’idéation; illusions et/ou
hallucinations fréquentes
1
Désorienté, trouble de la reconnaissance des personnes: reconnaissance variable des personnes intimes, des parents,
des objets; expression verbale inadéquate/aphasie
0
Réaction affaiblie aux stimuli: réaction minime aux stimuli verbaux
Comportement – motricité
4
Réactions motrices normales: mouvements, coordination et activité normaux, capable de rester couché calmement dans
son lit; mouvements des mains normaux
3
Réactions motrices ralenties ou hyperactivité: mouvements excessivement calmes ou peu de motricité spontanée
(mains/bras croisés sur la poitrine ou immobiles le long du corps) ou hyperactivité (se redresse et se recouche); évent.
tremblement des mains
2
Troubles du déroulement des mouvements: mouvements saccadés ou rapides; les mouvements des mains paraissent
anormaux – les mains triturent le lit ou les couvertures; a éventuellement besoin d’aide pour les mouvements volontaires,
p.ex. boire
1
Mouvements inadaptés, saccadés: tire sur les tuyaux, essaie de passer par-dessus les barrières, souvent mouvements sans
but précis («fourrage»)
0
Mouvements inhibés: réactions motrices limitées, sauf si stimulation; mouvements de retrait
4
Langage et élocution appropriés: peut engager et tenir une conversation; débit normal
3
Elocution entravée: les réponses aux stimuli verbaux sont courtes et incomplètes; intonation éventuellement anormale,
parle éventuellement lentement
2
Langage inapproprié: monologue ou discours sans sens
1
Langage désordonné/inarticulé: intonation/débit altérés; marmonne, crie, maugrée ou est anormalement calme
0
Bruits anormaux: gémissements ou autres bruits inarticulés; pas de parole distincte
Comportement – verbal
Total
Adapté de [17]
Score:
0–19:
20–24:
25–26:
27–30:
confusion modérée à sévère
légère confusion ou stade de début
«non confus» mais grand risque d’état confusionnel
«non confus» ou fonction normale
42% des consultations psychiatriques en raison
d’un état dépressif peuvent être ramenées à un
état confusionnel aigu [11]. Le diagnostic différentiel de ces deux maladies est très important,
car un traitement antidépresseur anticholinergique peut accentuer l’état confusionnel
aigu [1].
Faire dessiner une montre ou faire écrire
quelque chose par le patient est un test hautement sensible, simple, bon marché et qui peut
être effectué directement au lit du patient. Ces
deux activités sont perturbées en cas d’état
confusionnel aigu.
Diagnostic différentiel
La cause d’un état confusionnel aigu peut être
multiple et souvent multifactorielle. En premier
lieu, il s’agit de délimiter les troubles fonctionnels d’un possible arrière-plan organique. En
règle générale, les déficits de l’orientation, de
la mémoire récente et des opérations de calculs
simples sont des signes d’une atteinte organique.
Mais avant tout, il faut exclure d’éventuels
troubles des fonctions vitales: TA, pouls, température, fréquence respiratoire, saturation
d’oxygène (cave: hypoxie ou hypercapnie).
Les causes les plus fréquentes d’un état
confusionnel aigu et son diagnostic différentiel
sont listées dans le tableau 3. C’est à dessein
que nous n’avons pas mentionné la dépression
dans le diagnostic différentiel de l’état confusionnel aigu.
Les causes somatiques suivantes doivent être
recherchées et le cas échéant traitées:
– Vessie de rétention
– Syndrome de sevrage ou intoxication: p.ex.
barbituriques, benzodiazépines, opiacés, alcool, neuroleptiques (tabl. 1)
– Infections (y compris HIV)
CURRICULUM
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
1025
Tableau 3. Diagnostic différentiel de l’état confusionnel aigu (delirium).
Delirium
Démence
Psychose
Encéphalite
Intoxication
Début
soudain
lent
rapide
subaigu
rapide
Evolution/24h
fluctuante
dégressive
régulière
inchangée
progressive
Etat de conscience diminué
normal
normal
souvent perturbé
diminué
Attention
diminuée
le plus souvent normale
changeante
diminuée
diminuée
Psychomotricité
altérée
le plus souvent normale
changeante
le plus souvent réduite le plus souvent ralentie,
évt agitation
Langage
souvent
incohérent
souvent difficulté à trouver
les mots
normal ou p.ex.
néologismes
parfois aphasie
Neurologie
souvent trémor,
souvent sans troubles
de la coordination
sans particularité
particularité
le plus souvent signes souvent insécurité
présents: troubles
à la marche, ataxie
focaux crises
épileptiques, autres
Fièvre
absente le plus
souvent
non
le plus souvent
absente
présente le plus
souvent
absente le plus souvent
Hallucinations
visuelles
rares
auditives
rares
dépend de la substance
Illusions
souvent
suggestibles
rares
fréquentes
rares
dépend de la substance
vague, imprécis
Adapté de [3].
– Trouble métabolique: trouble électrolytique
(Na, K, Ca, Mg, bicarbonate, phosphate)
– Déshydratation, hypo-/hyperglycémie, insuffisance rénale (urémie), insuffisance
hépatique (encéphalopathie hépatique),
anémie, acidose/alcalose, hypovitaminose
(ici principalement déficit en thiamine), endocrinopathie (adrénalienne, hypophysaire,
thyroïdienne)
– Maladies cardiopulmonaires: infarctus du
myocarde, insuffisance cardiaque gauche,
arythmies cardiaques, embolie pulmonaire,
BPCO, hypoxémie
– Affections cérébrales primaires: traumatisme craniocérébral, attaque cérébrovasculaire, méningite, encéphalite, processus expansif (tumeur, hémorragie, abcès), crise
épileptique non convulsive, thrombose des
sinus veineux, migraine
Dans notre clinique, nous procédons aux
étapes d’investigations suivantes:
– Compléter l’anamnèse (anamnèse de tiers
importante !)
– Examen clinique, Mini-Mental-Test [3]
– Examens de laboratoire:
Hématologie: hémoglobine, leuco-répartition, thrombocytes, TP (valeur INR)
Chimie: Na, K, Mg, bicarbonate, phosphore,
glucose, CRP, créatinine, urée, ASAT, ALAT,
bilirubine totale, CK; status urinaire
– Selon la situation clinique: troponine-I, Ddimères, ammoniac, TSH, T4 libre, cortisol,
gazométrie artérielle, hémocultures, dosage
de médicaments dans le sérum, dépistage de
drogues et alcool, ECG, Rx thorax
– En cas de suspicion d’un événement cérébral primaire: EEG, CT cérébral, IRM cérébral, ponction lombaire et éventuellement
neuro-Doppler
Traitement
La correction et le traitement des facteurs déclenchant par des interventions pharmacologiques ou traitements de soutien ont la priorité
[3]. Le traitement médicamenteux doit être
soigneusement évalué dans l’idée de différencier les effets primaires des effets indésirables
potentiels. La prescription de médicaments doit
être entourée de la plus grande prudence. En
effet, les sédatifs peuvent par exemple avoir un
effet favorable sur la composante d’agitation,
mais d’un autre côté aggraver les troubles
cognitifs. Pour cette raison, il est important de
savoir si, à côté du traitement d’une cause
somatique, nous voulons aussi traiter l’état
confusionnel aigu et jusqu’à quel point la correction des facteurs environnementaux peut
être incluse dans la forme de traitement choisie. Dans le choix de la médication, il faut tenir
compte des comorbidités du patient, surtout
des maladies du domaine psychiatrique, d’une
éventuelle déficience immunitaire (HIV), d’une
éventuelle maladie hépatique, ainsi que de l’âge
du patient.
Antipsychotiques
Les antipsychotiques représentent le groupe de
médicaments le plus important dans le traitement de l’état confusionnel aigu. Les neurolep-
CURRICULUM
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
1026
Tableau 4. Options thérapeutiques médicamenteuses.
Médicament
Dosage
Action
Combinaison
Remarques
Haldol®
(Haloperidol)
0,5–5 mg par dose, jusqu’à
50 mg/j per os / i.v.
antipsychotique,
ralentissement
psychomoteur
benzodiazépines
premier choix dans
les états confusionnels aigus
Temesta®
(lorazépam)
(doses plus élevées seulement
sous surveillance appropriée)
1–2,5 mg par dose,
jusqu’à 20 mg/j per os/i.v.
anticonvulsivant
anxiolytique
sédatif
haldopéridol
en cas d’agitation,
de syndrome de
sevrage alcoolique
ou de sédatifs
Cholinergiques
(physostigmine)
0,5–1,0 mg i.v.,
renouvelable toutes les
30–120 minutes
cholinergique
seulement sous
surveillance des
paramètres vitaux
Adapté de [3].
tiques ont un effet favorable sur toute une
lignée de symptômes et influencent aussi bien les
symptômes d’hyperactivité que ceux de ralentissement; d’une manière générale, ils améliorent les troubles de la perception [3]. En raison de leur rapidité d’entrée en action et de
leurs effets favorables, ces médicaments sont
un premier choix pertinent. On peut en attendre une amélioration de la symptomatologie en
quelques heures, sans pour autant avoir traité
la maladie de base. Avec cette classe de médicaments, il faut cependant être attentif à la
survenue possible d’effets indésirables cardiaques (allongement de l’intervalle QT), de complications respiratoires, d’hypotension et d’effets extrapyramidaux.
L’administration de physostigmine ne devrait
être faite que sous monitorage en soins intensifs, car en plus de troubles du rythme cardiaque importants, on a décrit des bronchospasmes et des crises d’épilepsie.
Dans des cas bien choisis, la thiamine peut être
utilisée, mais cette substance peut aussi provoquer un delirium en cas d’état de manque.
Récemment, Friedman et al. ont décrit comme
nouvelle option thérapeutique le quétiapine (Seroquel®) ou clozapine (Leponex®). Les auteurs
voient comme principale population cible les
parkinsoniens délirants/psychotiques chez lesquels les effets secondaires extrapyramidaux,
tels qu’ils peuvent occasionnellement être observés sous neuroleptiques, doivent être absolument évités [13].
Benzodiazépines
Les benzodiazépines sont les médicaments de
premier choix en cas d’état confusionnel aigu
dans le cadre de crises épileptiques (état postcritique) et en cas de syndrome de sevrage
alcoolique ou de sédatifs [12]. On peut aussi
envisager leur utilisation dans les situations
où de fortes doses d’antipsychotiques sont mal
tolérées par le patient et qu’alors un traitement
combiné s’impose, ou aussi dans les cas où on
peut s’attendre à une antagonisation d’un médicament. A doses croissantes, l’effet principal
du médicament sera successivement anxiolytique, sédatif, hypnotique. Il faut adapter le dosage chez les patients âgés ou en cas d’affection
hépatique. Cave: il faut éviter de stopper abruptement un traitement aux benzodiazépines,
car cet arrêt brusque peut lui-même entraîner
un état confusionnel aigu; il faut donc toujours
retirer ces médicaments prudemment et graduellement.
Autres médicaments
En cas de syndrome anticholinergique central,
les cholinergiques (physostigmine) sont très
efficaces. Dans notre hôpital, nous avons déjà
quelques expériences avec cette substance.
Mesures d’accompagnement [3]
Dans le domaine des soins, la surveillance du
bilan liquidien, une antalgie adéquate et l’administration correcte des médicaments prescrits par le médecin constituent des tâches importantes. Le point essentiel demeure cependant d’assurer la sécurité du patient. Ainsi par
exemple, dans la phase aiguë où le patient est
très agité, une immobilisation est parfois indispensable jusqu’à ce que les médicaments développent leur effet. Par la suite, il faut autant que
possible renoncer à attacher le patient. De plus,
il est connu que les patients récupèrent beaucoup plus rapidement dans une ambiance
calme (p.ex. chambre à un seul lit). Par ailleurs,
les éventuelles questions au patient seront formulées clairement et brièvement, on ne réclamera du patient aucune décision et le personnel soignant assurera une certaine continuité
dans la prise en charge.
– Antalgie (prévoir des réserves), établir un
bilan liquidien
– Assurer la sécurité: éventuellement garde
au chevet du patient, barreaux, entraves,
verrouillage des fenêtres, sécurité du revêtement de sol
CURRICULUM
– Proximité et distance
– Ambiance calme, constante: continuité de la
prise en charge; rapports calmes, parler lentement, phrases simples, expliquer ce que
l’on fait, ne réclamer aucune décision de la
part du patient
– Remise de service au lit du patient
– Favoriser le rythme nyctéméral
– Mesures de soutien/moyens d’orientation
(effets personnels, appareil acoustique, lunettes, calendrier, horloge de grandes dimensions et bien visible, photos des parents,
éclairage adéquat) aident le patient à établir
un lien avec la réalité
– Information des proches par le médecin
traitant
– Une soignante diplômée accompagne les
visites au chevet du patient
Les expériences recueillies jusqu’ici ont montré
que l’observation de ces mesures chez les
patients atteints d’un trouble de l’état de
conscience, d’immobilité, de troubles du sommeil, de déshydratation et de déficits cognitifs
peut aussi influencer favorablement la fréquence
et la durée des états confusionnels aigus [2].
Foyers et homes pour
personnes âgées
Après un état confusionnel aigu, l’incidence de
complications est élevée en termes de chutes,
infections et lésions de décubitus. La réhabilitation correspondante est rendue plus difficile
et nécessite des soins plus intensifs [14]. Etant
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
1027
donné la complexité de la situation et des investigations étiologiques, la prise en charge initiale globale devrait autant que possible se faire
en milieu hospitalier. Mais cette décision doit
bien sûr prendre en compte l’influence potentiellement négative d’un changement de milieu
pour les patients gériatriques et les personnes
présentant déjà auparavant des déficits cognitifs connus. Il arrive souvent que des patients
avec un état confusionnel aigu quittent l’hôpital avant la guérison complète. Il est d’autant
plus important que la réhabilitation, très exigeante en temps et en soins, soit soigneusement
planifiée à l’hôpital de soins aigus, avant d’en
confier sa poursuite à un centre de réhabilitation ou au home concerné. En règle générale,
on observe la persistance de troubles de l’attention et de l’orientation [15].
Les mesures de soutien (cf. ci-dessous «Mesures d’accompagnement») et la présence de
proches, tels que les membres de la famille ou
les amis, aident les patients à recouvrer rapidement le contrôle de soi. Le personnel soignant spécialement formé peut aussi influencer
positivement l’issue dans la mesure où il contribue à limiter les facteurs de risque, à reconnaître plus rapidement le diagnostic et à instituer rapidement le traitement adéquat [16–18].
Malheureusement, de nos jours, on ne considère pas suffisamment les changements environnementaux comme traitement spécifique
des troubles cognitifs [4]. Ceci devrait éveiller
l’intérêt de tous les soignants, médecins y compris, à participer à des formations spécialisées.
Ce n’est que de cette manière qu’on peut apprendre une prise en charge compétent de cette
pathologie complexe.
Quintessence
Tour d’horizon
En milieu hospitalier, l’état confusionnel aigu, surtout post-opératoire,
La prise en charge des patients en état confusionnel aigu reste une entreprise délicate,
consistant à rechercher le traitement approprié
selon le patient. Les expériences faites jusqu’ici
dans les divisions de chirurgie de l’Inselspital
ont montré qu’avec du personnel correctement
formé, de tels patients sont beaucoup plus vite
et mieux identifiés et que les médecins prescrivent la médication adéquate. Les patients sont
plus vite rendus à la réalité. Le stress lié à la
prise en charge des patients atteints de délire
confusionnel aigu peut être nettement réduit
quand on se sent plus sûr et que l’on sait où porter son attention. Il est très important de souligner la réversibilité de ces états confusionnels
aigus.
Hormis son importance médicale, l’état confusionnel aigu post-opératoire contribue à l’augmentation des coûts de la santé du fait d’un accroissement du taux de complications, de l’allongement de la durée d’hospitalisation et de la
a une incidence élevée (5–15%), mais aussi une importance significative en
termes de morbidité, mortalité et durée d’hospitalisation.
A côté de la nature de l’intervention chirurgicale, l’âge du patient représente un facteur de risque très important. Les autres facteurs de risque
sont les maladies internes, neurologiques ou psychiatriques concomitantes.
Importante distinction de diagnostic différentiel: état confusionnel aigu,
démence, psychose, encéphalite ou intoxication.
La correction pré-opératoire des troubles métaboliques, l’arrêt des médicaments inutiles, le traitement des maladies somatiques et neurologiques
constituent des mesures préventives essentielles.
Le traitement repose sur la maîtrise des facteurs déclenchants, une prise
en charge intensive et des mesures de soutien ainsi que sur une intervention pharmacologique soigneusement mesurée.
Le neuroleptique halopéridol est souvent le médicament de choix.
En règle générale, la symptomatologie de l’état confusionnel aigu présente
des fluctuations.
CURRICULUM
Forum Med Suisse No 43 23 octobre 2002
réhabilitation. Pour optimiser le traitement médicamenteux et la prévention de ces états, des
1028
études contrôlées dans cet intéressant champ
de recherche sont fort nécessaires.
Références
1 Gallinat J, Möller HJ, Moser RL,
Hegerl U. Das postoperative Delir.
Anästhesist 1999;48:507–18.
2 Inouye SK, Bogardus ST, Charpentier PA, Leo-Summers L, Acampora
D, Holford TR, et al. A multicomponent intervention to prevent delirium in hospitalized older patients.
N Engl J Med 1999;340:669–76.
3 American Psychiatric Association.
Practice guidelines for the treatment for patients with delirium. Am
J Psychiatry 1999;156:1–20.
4 Meagher D. Delirium: optimising
management. BMJ 2001;322:144–
8.
5 Truston JGB. Management of acute
confusion in the elderly. Eur J Emergen Med 1997;4:103–6.
6 Rockwood K, Cosway S, Stolee P, et
al. Increasing the recognition of
delirium in elderly patients. J Am
Geriatr Soc 1994;42:252–6.
7 Inouye SK, Charpentier PA. Precipitating factors for delirium in hospitalised elderly persons. JAMA
1996;275:852–7.
8 Rudberg MA, Pompei P, Foreman
MD, et al. The natural history of
delirium in older hospitalized patients: a syndrome of heterogeneity.
Age Ageing 1997;26:169–75.
9 Folstein MF, Robins LN, Helzer JE.
The mini mental state examination
(MMSE). Arch Gen Psychiatry 1983;
40:812.
10 Neelon VJ, Champagne MT, Carlson
JR, Funk SG. The Neecham confusion scale: construction, validation,
and clinical testing. Nurs Res 1996;
45:324–30.
11 Farrell KR, Ganzini L. Misdiagnosing delirium as depression in medically ill elderly patients. Arch Intern Med 1995;155:2459–64.
12 Mayo-Smith MF. Pharmacological
management of alcohol withdrawal: a meta-analysis and evidencebased practice guideline. JAMA
1997;278:144–51.
13 Friedman JH, Fernandez HH. Atypical antipsychotics in Parkinsonsensitive populations. J Geriatr
Psychiatry Neurol 2002;15:156–70.
14 Marcantonio ER, et al. A clinical
prediction rule for delirium after
elective noncardiac surgery. JAMA
1994;271:134–9.
15 Levkoff SE, Liptzin B, Evans DA, et
al. Progression and resolution of
delirium in elderly patients hospitalized for acute care. Am J Geriatr
Psychiatr 1994;2:230–8.
16 Dyer CB, Ashton CM, Teasdale TA.
Postoperative dilirium. A review of
80 primary data-collection studies.
Arch Intern Med 1995; 155:461–5.
17 Simon L, Jewell N, Brokel J. Management of acute delirium in hospitalized elderly: a process improvement project. Geriatr Nurs 1997;18:
150–4.
18 Miller J, Neelon V, Champagne M,
et al. The assessment of acute confusion as part of nursing care. Appl
Nurs Res 1997;10:143–51.
Téléchargement