Facteurs génétiques et risque d’apparition de la maladie de Creutzfeldt-Jakob liée à l’hormone de croissance humaine ● J.P. Brandel* a physiopathologie des maladies de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) est encore incomplètement connue. Il est prouvé que les différentes formes étiologiques de MCJ (sporadique, acquise, génétique) s’accompagnent toujours de l’accumulation d’une protéine constitutive du patient atteint, la protéine PrPc, sous une forme anormale appelée PrPsc ou PrPres. C’est la “transconformation” de PrPc en PrPsc qui serait, selon la théorie de S.B. Prusiner, à l’origine de la maladie. Les différentes confor- L * Cellule nationale de référence des MCJ et unité 360 de l’INSERM, hôpital de la Salpêtrière, Paris. 14 12 10 8 N/A V/V M/M M/V 6 4 2 0 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Figure 1. Répartition du génotype au codon 129 en France. 14 12 10 8 N/A V/V M/M M/V 6 4 2 0 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Figure 2. Répartition du génotype au codon 129 au Royaume-Uni. 72 mations prises par la protéine sous-tendraient, dans cette hypothèse de la protéine seule, l’existence des différentes souches de prions. Cependant, il reste à établir l’existence d’un lien entre l’accumulation de la PrPsc et l’apparition des lésions cérébrales. Il existe, chez l’homme, sur le codon 129 du gène PRNP codant PrP, un polymorphisme définissant trois génotypes possibles : méthionine/méthionine (M/M), valine/valine (V/V) ou méthionine/valine (M/V). En dehors de la présence de toute mutation pathologique sur le gène PRNP, le génotype du codon 129 du patient a une influence déterminante dans les MCJ. Il est connu que le polymorphisme homozygote M/M est plus fréquent chez les patients atteints d’une MCJ sporadique (70 %) que dans une population témoin (40 %). Le polymorphisme du codon 129 exerce aussi une influence sur les formes cliniques et neuropathologiques et la rapidité d’évolution de la MCJ sporadique. Parmi les formes iatrogènes de MCJ, celle liée à un traitement par hormone de croissance d’origine humaine a été particulièrement observée en France et au Royaume-Uni. Cela est lié aux méthodes particulières de fabrication 1997 1998 1999 2000 et de distribution de l’hormone dans ces deux pays. La fréquence des cas et l’échange des données épidémiologiques, grâce à une action concertée européenne, a permis l’étude comparative de la distribution du génotype du codon 129 chez les jeunes patients atteints de MCJ iatrogène, dans ces deux pays. Deux résultats principaux se dégagent de cette étude (figures 1 et 2) : – alors que le génotype homozygote, notamment M/M, est le plus fréquemment observé, en France, chez les patients atteints de MCJ après traitement par hormone de croissance, le 1997 1998 1999 2000 polymorphisme M/M n’a été observé que chez un seul patient britannique, La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004 le génotype majoritaire étant le génotype V/V. En d’autres termes, cela suggère qu’après un traitement par hormone de croissance, le fait d’avoir un génotype M/M est un facteur protecteur vis-à-vis du risque de développer une MCJ au Royaume-Uni alors que c’est un facteur de risque en France ; – les distributions au cours du temps des cas français et britanniques sont différentes. La maladie est apparue cinq ans plus tôt au Royaume-Uni, sans qu’aucune différence entre l’apparition des cas homozygotes et hétérozygotes n’existe, alors qu’en France les cas avec les génotypes M/M ou V/V ont été observés cinq ans avant les cas hétérozygotes M/V, attestant d’une plus longue durée d’incubation chez ces derniers. La très faible proportion de patients ayant un génotype M/M au codon 129 au Royaume-Uni est tout à fait étonnante puisque, dans toutes les autres formes de MCJ, le génotype M/M est de loin le plus fréquent. La différence de distribution des cas au cours du temps est également une donnée inattendue. Ces résultats ne peuvent être expliqués ni par les procédés de fabrication des hormones, ni par les modalités thérapeutiques (injections souscutanées d’hormone de croissance plusieurs fois par semaine), qui étaient similaires dans les deux pays. Une différence de répartition des génotypes entre les jeunes patients traités en France et au Royaume-Uni ne paraît pas non plus une explication possible, car cette répartition est identique au sein des populations générales dans les deux pays et l’on peut penser qu’elle est identique au sein de la population traitée. L’hypothèse retenue pour expliquer cette différence de distribution des génotypes au codon 129 est l’existence de souches de prion différentes en France et au Royaume-Uni. Ces souches sont susceptibles d’interagir différemment selon le statut génétique de l’hôte receveur. De telles interactions entre les hôtes et les souches ont été décrites en pathologie expérimentale, en particulier chez le mouton. À partir de ces résultats, il est possible de faire un parallèle avec ce qui est observé pour la souche de prion bovine, qui n’est à l’origine d’une forme variante de MCJ que chez les patients M/M pour le codon 129, les patients M/V et V/V paraissant actuellement résistants à la maladie. ■ ➜ Brandel JP, Preece M, Brown P et al. Distribution of codon 129 genotype in human growth hormone-treated CJD patients in France and the UK. Lancet 2003 ; 362 (9378) : 128-30. Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne - Dépôt légal : à parution. © février 1997 - EDIMARK S.A.S. Les articles publiés dans La Lettre du Neurologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004 73