Facteurs génétiques et risque d apparition de la maladie de

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Facteurs génétiques et risque d’apparition
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
liée à l’hormone de croissance humaine
● J.P. Brandel*
a physiopathologie des maladies de Creutzfeldt-Jakob
(MCJ) est encore incomplètement connue. Il est prouvé
que les différentes formes étiologiques de MCJ (sporadique, acquise, génétique) s’accompagnent toujours de l’accumulation d’une protéine constitutive du patient atteint, la protéine
PrPc, sous une forme anormale appelée PrPsc ou PrPres. C’est la
“transconformation” de PrPc en PrPsc qui serait, selon la théorie
de S.B. Prusiner, à l’origine de la maladie. Les différentes confor-
L
* Cellule nationale de référence des MCJ et unité 360 de l’INSERM, hôpital de
la Salpêtrière, Paris.
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Figure 1. Répartition du génotype au codon 129 en France.
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Figure 2. Répartition du génotype au codon 129 au Royaume-Uni.
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mations prises par la protéine sous-tendraient, dans cette hypothèse de la protéine seule, l’existence des différentes souches de
prions. Cependant, il reste à établir l’existence d’un lien entre
l’accumulation de la PrPsc et l’apparition des lésions cérébrales.
Il existe, chez l’homme, sur le codon 129 du gène PRNP codant
PrP, un polymorphisme définissant trois génotypes possibles :
méthionine/méthionine (M/M), valine/valine (V/V) ou méthionine/valine (M/V). En dehors de la présence de toute mutation
pathologique sur le gène PRNP, le génotype du codon 129 du
patient a une influence déterminante dans les MCJ. Il est connu
que le polymorphisme homozygote M/M est plus fréquent chez
les patients atteints d’une MCJ sporadique (70 %) que dans une population
témoin (40 %). Le polymorphisme du
codon 129 exerce aussi une influence
sur les formes cliniques et neuropathologiques et la rapidité d’évolution de
la MCJ sporadique.
Parmi les formes iatrogènes de MCJ,
celle liée à un traitement par hormone
de croissance d’origine humaine a été
particulièrement observée en France
et au Royaume-Uni. Cela est lié aux
méthodes particulières de fabrication
1997 1998 1999 2000
et de distribution de l’hormone dans
ces deux pays. La fréquence des cas
et l’échange des données épidémiologiques, grâce à une action concertée
européenne, a permis l’étude comparative de la distribution du génotype
du codon 129 chez les jeunes patients
atteints de MCJ iatrogène, dans ces
deux pays.
Deux résultats principaux se dégagent
de cette étude (figures 1 et 2) :
– alors que le génotype homozygote,
notamment M/M, est le plus fréquemment observé, en France, chez les
patients atteints de MCJ après traitement par hormone de croissance, le
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polymorphisme M/M n’a été observé
que chez un seul patient britannique,
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004
le génotype majoritaire étant le génotype V/V. En d’autres termes,
cela suggère qu’après un traitement par hormone de croissance, le
fait d’avoir un génotype M/M est un facteur protecteur vis-à-vis du
risque de développer une MCJ au Royaume-Uni alors que c’est
un facteur de risque en France ;
– les distributions au cours du temps des cas français et britanniques sont différentes. La maladie est apparue cinq ans plus tôt
au Royaume-Uni, sans qu’aucune différence entre l’apparition des
cas homozygotes et hétérozygotes n’existe, alors qu’en France
les cas avec les génotypes M/M ou V/V ont été observés cinq ans
avant les cas hétérozygotes M/V, attestant d’une plus longue durée
d’incubation chez ces derniers.
La très faible proportion de patients ayant un génotype M/M au
codon 129 au Royaume-Uni est tout à fait étonnante puisque,
dans toutes les autres formes de MCJ, le génotype M/M est de
loin le plus fréquent. La différence de distribution des cas au cours
du temps est également une donnée inattendue. Ces résultats ne
peuvent être expliqués ni par les procédés de fabrication des
hormones, ni par les modalités thérapeutiques (injections souscutanées d’hormone de croissance plusieurs fois par semaine),
qui étaient similaires dans les deux pays. Une différence de répartition des génotypes entre les jeunes patients traités en France et
au Royaume-Uni ne paraît pas non plus une explication possible,
car cette répartition est identique au sein des populations générales
dans les deux pays et l’on peut penser qu’elle est identique au sein
de la population traitée. L’hypothèse retenue pour expliquer cette
différence de distribution des génotypes au codon 129 est l’existence
de souches de prion différentes en France et au Royaume-Uni.
Ces souches sont susceptibles d’interagir différemment selon le
statut génétique de l’hôte receveur. De telles interactions entre les
hôtes et les souches ont été décrites en pathologie expérimentale,
en particulier chez le mouton. À partir de ces résultats, il est possible de faire un parallèle avec ce qui est observé pour la souche
de prion bovine, qui n’est à l’origine d’une forme variante de
MCJ que chez les patients M/M pour le codon 129, les patients
M/V et V/V paraissant actuellement résistants à la maladie. ■
➜ Brandel JP, Preece M, Brown P et al. Distribution of codon 129 genotype in human growth hormone-treated
CJD patients in France and the UK. Lancet 2003 ; 362 (9378) : 128-30.
Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne - Dépôt légal : à parution. © février 1997 - EDIMARK S.A.S.
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La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004
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