38 Mars 2000 201 La mémoire Revue créée par l’A.R.P.L.O.E.V. Paris Revue éditée par la Fédération Nationale des Orthophonistes Réda ction - Administration : 2, rue des Deux-Gares, 75010 PARIS — Tél. : 01 40 34 62 65 — — F a x : 01 40 37 41 42 — e-mail : [email protected] Abonnement normal : 535 F (81,56 euros) Abonnement réduit : 385 F (58,69 euros) réservé aux adhérents de la F.N.O., de l ’A .R. P. L.O.E .V . o u d’un e as so ciati on euro péenne m emb re du C.P. L.O. L. Abonnement étudiant : 220 F (33,54 euros) Abonnement étudiant étranger : 260 F (39,64 euros) réservé au x é tudia nts e n orth ophoni e Abonnement étranger : 610 F (92,99 euros) Directeur de la publication : le Président de la F.N.O. : Jacques ROUSTIT Membres fondateurs du comité de lecture : Pr A LLIERES • A. APPAIX • S. BOREL-MAISONNY G. DECROIX • R. DIATKINE • H. DUCHÊNE M. DUGAS • J. FAVEZ-BOUTO NNIER • J. GERAUD R. GRIMAUD • L. HUSSON • Cl. KOHLER • Cl. LAUNAY F. LHERMITTE • L. M ICHAUX • P. PETIT G . PORTMANN • M. PORTMANN • B. V A L L A N C I E N . Comité scientifique Aline d’ALBOY Dr Guy CORNUT Ghislaine COUTURE Dominique CRUNELLE Pierre FERRAND Lya GACHES Olivier HERAL Frédéric MARTIN Alain MENISSIER Pr Marie-Christine MOUREN-SIMEONI Bernard ROUBEAU Liliane SPRENGER-CHAROLLES Monique TOUZIN Rédacteur en chef Jacques ROUSTIT Secrétariat de rédaction Marie-Dominique LASSERRE Abonnements Emilia BENHAMZA Commission paritaire : 61699 Impression : TORI 11, rue Dubrunfaut, 75012 Paris Téléphone : 01 43 46 92 92 Sommaire Mars 2000 N° 201 Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris Ce numéro a été dirigé par Claudette Pluchon, orthophoniste LA MÉMOIRE L’édifice immense du souvenir Claudette Pluchon, orthophoniste, CHU La Milétrie, Poitiers 3 1. La mémoire : concepts théoriques Claudette Pluchon, orthophoniste, CHU La Milétrie, Poitiers 2. La mémoire de travail Siobhan Fournier, psychologue, Cécile Monjauze, orthophoniste, CHU La Milétrie, Poitiers 3. Approche clinique des syndromes amnésiques Claudette Pluchon, orthophoniste, CHU La Milétrie, Poitiers 4. La plainte mnésique Claudie Ornon, psychologue, CHU La Milétrie, Poitiers 5. Mémoire et démences Roger Gil, neurologue, CHU La Milétrie, Poitiers 5 19 43 55 71 79 1. Evaluation de la mémoire Véronique Bonnaud, psychologue, CHU La Milétrie, Poitiers 2. Neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire épisodique Frédéric Bernard, Béatrice Desgranges, Francis Eustache, INSERM U320, services de neurologie, CHU Côte de Nacre, Caen 3. Prise en charge des troubles de mémoire des patients traumatisés crâniens Mireille Beauchamps et Marie-Noëlle Besson, orthophonistes, CHU La Milétrie, Poitiers 4. La prise en charge de patients Alzheimer au stade débutant : rôle d’un centre de jour Stéphane Adam, Université de Liège Martial Van Der Linden, Universités de Louvain et de Genève 123 1. L’aide administrative, sociale et financière du patient ayant une maladie d’Alzheimer. Comment soutenir sa famille ? M.D. Lussier, I. Migeon-Duballet, J.Y. Poupet, CHU La Milétrie, Poitiers 165 95 143 173 1. Quelques ouvrages de référence 2. Adresses utiles 2 L’édifice immense du souvenir Claudette Pluchon N os souvenirs, tapis au fond de notre mémoire, sont prêts à resurgir dès que nous entrouvrons la porte du passé. Et avec eux déferle la vague des émotions, des joies et des peines, des regrets, des remords aussi. Chacun grave en lui les épisodes de sa vie que le hasard des rencontres ou des situations rappelle à la surface de la conscience. Ce phénomène étrange qui, en nous permettant de revivre le passé, nous convainc d'exister, Marcel Proust saura le cerner et dire comment se construit, à partir d'une simple saveur, d'un simple parfum, l'édifice immense du souvenir (C. Pluchon). « Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n'était pas le théâtre et le drame de mon coucher n'existait plus pour moi, quand un jour d'hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j'avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d'abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l'appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m'apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m'arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas en lui, mais en moi. Il l'y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne 3 sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l'heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C'est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l'esprit se sent dépassé par luimême ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n'est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n'apportait aucune preuve logique, mais l'évidence de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s'évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. ... Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s'il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine. Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. » Du côté de chez Swann. 4 La mémoire : concepts théoriques Claudette Pluchon Résumé La mémoire, qui nous permet d'acquérir, retenir et utiliser des savoirs et des « savoir-faire », semble correspondre à une entité polymorphe et non unitaire. Si les phénomènes de mémoire s'inscrivent selon un axe temporel, ils s'ancrent également dans un espace pluridimensionnel où l'information peut avoir un contenu épisodique ou sémantique, être présente de manière implicite ou explicite. Les divers réseaux neuronaux qui sous-tendent les activités de mémoire contribuent ensemble à la création des multiples traces mnémoniques qui sont le ciment de notre identité. Mots clés : types de mémoire, processus mnésiques, supports neuroanatomiques et neurochimiques. Memory : theoretical concepts Abstract Memory, which allows us to acquire, retain and utilise information and « savoir-faire », involves a polymorphous and pluralistic entity. Indeed, memory phenomena are not only recorded according to a temporal axis, but they are also anchored in a multidimensional space where information can have an episodic or semantic content and can be present in an implicit or explicit manner. The various neural networks which underlie memory processes contribute as a whole to the creation of multiple mnemonic traces which represent the « cement » of our identities. Key Words : types of memory, memory processes, neuro-anatomical and neuro-chemical bases. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 5 Claudette PLUCHON Orthophoniste Unité de Neuropsychologie & Rééducation du Langage CHU de Poitiers Cité hospitalière de la Milétrie 350, avenue Jacques Cœur 86021 Poitiers cedex L a mémoire, qui correspond à cette capacité qu'ont les êtres vivants d'apprendre, de retenir et d'utiliser un ensemble de connaissances ou d'informations, conditionne notre devenir. Nous construisons notre propre identité en puisant dans le réservoir immense de nos souvenirs qui s'inscrivent également dans l'histoire de notre peuple, et c'est en mémorisant au fil du temps un savoir et un savoir-faire que nous devenons ce que nous sommes. La mise en œuvre de la mémoire suppose qu'il y ait tout d'abord réception et sélection, consciente ou non, des informations au niveau des organes des sens, puis codage et stockage de ces informations au sein d'ensembles de neurones, et enfin préservation des capacités de rappel et de reconnaissance pour accéder aux informations stockées. Les concepts théoriques initiaux basés sur le modèle proposé par ATKINSON & SHIFFRIN (1968) stipulaient que l'enregistrement d'un stimulus en mémoire à long terme ne pouvait s'effectuer sans que l'information n'ait préalablement transité par la mémoire à court terme. Ces données classiques ont été remises en question lorsque certaines observations de patients amnésiques ont montré que des performances satisfaisantes au niveau de tâches de mémoire à court terme (exemple : rappel sériel et immédiat d'une série de chiffres) pouvaient coexister avec un déficit des capacités de mémorisation à long terme, et vice versa. Les chercheurs s'accordent par ailleurs sur le fait qu'il existe non pas un système de mémoire mais différentes formes de mémoire. La mémoire serait donc polymorphe au lieu d'être unitaire. A l'appui de cette idée viennent s'inscrire les données de la neuropsychologie moderne : un patient peut en effet avoir un oubli au fur et à mesure et conserver intacts ses souvenirs anciens ou présenter des troubles au niveau de la mémoire verbale et non de la mémoire visuelle. Etudier l'acte de mémorisation consiste donc à envisager d'une part le traitement des informations selon un axe temporel en faisant référence aux 6 notions de mémoire sensorielle, mémoire à court terme, mémoire de travail et mémoire à long terme, puis en s'intéressant aux différents domaines où opère la mémoire. ♦ Les temps de mémoire I - Mémoire sensorielle & mémoire à court terme : I-1- Les informations sensorielles qui nous parviennent sont tout d'abord maintenues pendant un temps très bref, de l'ordre de 200 à 300 ms, et sous forme de traces, au niveau d'une mémoire sensorielle qui peut être visuelle ou « iconique », auditive ou « échoïque », sans oublier les autres formes de mémoire telle la mémoire olfactive. I-2- La mémoire à court terme encore appelée mémoire immédiate ou mémoire primaire permet quant à elle la reproduction immédiate d'un nombre limité d'informations qui s'effacent au bout de une à deux minutes de notre mémoire. Il s'agit ici en fait d'une restitution « sur le champ » d'un nombre restreint d'éléments, ce nombre définissant ce qu'il est convenu d'appeler « l'empan » visuel ou auditif égal chez le sujet normal à 7 w 2. Nous pouvons ainsi retenir de 5 à 9 lettres, mots (empan verbal) ou chiffres (empan digital ou numéral). La mémoire immédiate qui demeure préservée dans les syndromes amnésiques reposerait sur des modifications électrophysiologiques avec implication de certains systèmes neuronaux corticaux ou des boucles corticothalamiques. I-3- A la notion de mémoire immédiate est venue s'ajouter celle de mémoire de travail suite aux travaux de BADDELEY (1986) envisageant l'existence d'un système de capacité limitée capable bien sûr de stocker temporairement des informations mais aussi de les manipuler pendant les quelques minutes que requiert l'accomplissement de tâches cognitives comme la résolution de problèmes ou certaines activités de compréhension. Cette mémoire de travail qui permet de gérer des situations courantes, de donner des réponses immédiates, correspondrait en quelque sorte à la mémoire vive d'un ordinateur ou « mémoire-tampon ». Il s'agit d'une mémoire opérationnelle reposant sur un modèle à plusieurs composantes avec un « administrateur central » ou système de contrôle de l'attention aidé par des systèmes dits esclaves dont la boucle phonologique et le registre visuo-spatial. 7 Modèle de mémoire de travail de Baddeley (1986) ❖ La boucle phonologique comporte une unité dite de « stockage phonologique » qui reçoit l'information verbale présentée par la voie auditive : les traces phonologiques peuvent y être réintroduites continuellement et par conséquent maintenues grâce à un processus de contrôle articulatoire ou « boucle d'autorépétition subvocale ». La récapitulation articulatoire permet aussi à une information verbale présentée visuellement d'être transférée dans le système de rétention phonologique après avoir été convertie en un code phonologique. - L'existence du processus de contrôle articulatoire explique l'effet de longueur des mots que l'on observe chez le sujet sain : le rappel immédiat d'une série de mots longs est moins bon que le rappel immédiat d'une série constituée d'un même nombre de mots courts. Ceci résulte du fait que les mots longs prennent plus de temps à être récapitulés que les mots courts, et les mots qui précèdent voient leur trace mnésique disparaître avant qu'ils ne puissent être réintroduits dans le stock phonologique par le biais de la récapitulation articulatoire. - Le système de la boucle phonologique rend compte également de l'effet de similarité phonologique qui veut que les items phonologiquement proches comme cave, car, cap, cane, case, soient moins bien rappelés que les items sémantiquement proches mais phonologiquement différents comme case, hutte, tente, cabane, igloo. Ceci résulterait du fait que le stock phonologique est fondé sur un code phonologique : plus les items sont similaires, plus il devient difficile de les distinguer et par conséquent de les récupérer. La présence d'un effet de longueur des mots et d'un effet de similarité phonologique attestent du bon fonctionnement pour l'un, de la récapitulation articulatoire, et pour l'autre, du stock phonologique. - Le modèle de la boucle phonologique permet par ailleurs d'interpréter l'effet de suppression articulatoire qui se manifeste lorsqu'on demande à un sujet de répéter un son sans signification (comme bla...bla...bla...) pendant que lui est énoncée une suite de chiffres ou de mots à mémoriser. Les performances 8 Le Système de la Boucle Phonologique du sujet lors du rappel sériel immédiat deviennent alors moindres et l'empan diminue en raison d'un phénomène de saturation de la boucle. L'articulation concurrente en occupant le processus de récapitulation articulatoire perturbe le maintien des éléments qui se trouvent dans la boucle. La suppression articulatoire abolit d'une part l'effet de longueur des mots et d'autre part supprime l'effet de similarité phonologique pour un matériel à mémoriser présenté visuellement. - Il faut toutefois noter que le modèle de la boucle phonologique tel que précédemment décrit laisse toujours des interrogations en suspens ; le processus de récapitulation articulatoire fait par exemple encore l'objet de certains travaux. ❖ Le registre visuo-spatial encore appelé bloc-notes ou calepin visuospatial correspond quant à lui à un système de stockage temporaire des informations visuo-spatiales. Il est donc alimenté soit par la perception visuelle, soit par l'imagerie mentale, et il est supposé fonctionner comme la boucle phonologique avec une aire de stockage passive des informations et un mécanisme qui maintiendrait ces informations activées. ❖ La boucle phonologique et le registre visuo-spatial sont donc placés sous le contrôle de l'administrateur central qui gère les deux sous-systèmes, qui exécute des opérations de traitement avec sélection de stratégies cognitives et qui fonctionne comme un système attentionnel. BADDELEY suggère que le modèle de contrôle attentionnel proposé par NORMAN et SHALLICE (1986) peut aider à comprendre le fonctionnement de l'administrateur central. Dans ce modèle, la majorité de nos actions ne font intervenir que des « schémas 9 d'action » ou « routines » nécessitant peu de contrôle attentionnel. Mais il existerait un Système Attentionnel de Supervision (SAS) qui serait sollicité lorsque l'activation des seuls schémas d'action s'avère insuffisante, pour par exemple effectuer des changements de stratégies, s'adapter à une situation nouvelle ou quand les tâches impliquent une planification. II - Distinction mémoire à court terme / mémoire à long terme : II-1- La distinction entre Mémoire à Court Terme et Mémoire à Long Terme implique la notion de deux systèmes de stockage à des fins d'utilisation différente, et d'un fonctionnement en quelque sorte « en parallèle » de ces deux systèmes. Elle s'appuie notamment sur un ensemble de preuves émanant de l'observation de patients ayant présenté des troubles de la mémoire consécutifs à des lésions de régions cérébrales précises. L'un des cas les plus célèbres est celui du malade HM (SCOVILLE & MILNER, 1957), devenu amnésique à la suite de l'ablation bilatérale des régions temporales médianes envisagée afin de le soulager d'une épilepsie grave rebelle aux traitements pharmacologiques classiques. Après cette double lobectomie temporale incluant l'hippocampe, HM avait conservé une MCT normale avec un empan satisfaisant alors qu'il était incapable de tout nouvel apprentissage durable. HM ne pouvait mémoriser les événements survenus depuis sa lobectomie. La dissociation inverse était par contre observée chez le patient KF (WARRINGTON & SHALLICE, 1969) dont l'apprentissage de listes de mots était normal mais dont l'empan numéral ou verbal était limité à 2. II-2- Les effets de récence et de primauté plaident également en faveur de l'existence de deux types de traitement en parallèle de l'information reposant sur des systèmes fonctionnels différents. Ainsi, dans une tâche de rappel immédiat où des sujets normaux doivent restituer une liste de mots présentés auditivement et sans relation entre eux, ce sont les premiers et les derniers mots de la liste qui sont les mieux mémorisés. L'effet de primauté avec restitution des premiers items dépendrait de la mémoire à long terme, c'est-à-dire d'un système capable de stocker l'information de manière durable et faisant appel à un traitement sémantique ; l'effet de récence avec restitution des derniers items serait le produit d'un stock phonologique à court terme auquel les stimuli auditifs ont un accès obligatoire direct. Cet effet de récence disparaît si le rappel n'est pas immédiat, mais précédé par exemple de l'apprentissage d'une nouvelle liste de mots : intervient alors le phénomène d'interférence rétroactive qui correspond à l'impact négatif d'un second apprentissage sur le rappel du premier. Inversement, un apprentissage ancien peut être réactivé et concurrencer un nouvel apprentissage : il s'agit alors d'une interférence proactive. 10 II-3- Viennent également à l'appui de la théorie d'un fonctionnement en parallèle des deux types de mémoire certains cas d'aphasie de conduction au niveau desquels les patients répètent mal les mots qu'ils viennent d'entendre en raison de l'existence d'un déficit de la boucle phonologique, mais restituent avec exactitude en rappel différé à long terme le sens de ces mêmes mots dont ils ont mémorisé l'appartenance catégorielle, les attributs de forme, couleur ou autre, grâce à la mise en place d'un traitement de type sémantique. III - La mémoire à long terme : III-1- L'établissement de traces mnésiques durables repose sur le bon fonctionnement des circuits neuronaux impliqués dans les processus de mémoire à long terme. Les informations pour être stockées vont devoir être organisées au sein d'un réseau associatif multimodal : sémantique, spatial, temporel, affectif. Un apprentissage va ainsi pouvoir s'effectuer au niveau d'une mémoire dite secondaire et les données engrangées vont ensuite être consolidées pour enfin appartenir à la mémoire des faits anciens ou mémoire tertiaire. La consolidation des informations est fonction de leur répétition ; elle est également fonction de l'impact émotionnel des événements ou des données à engrammer. La fixation mnésique nécessite l'intégrité du circuit de Papez, bilatéral et symétrique, qui joue un rôle dans la régulation des émotions, et qui relie le cortex temporal au cortex frontal par l'intermédiaire de l'hippocampe, du fornix, des corps mamillaires, du faisceau mamillo-thalamique de Vicq d'Azyr, du noyau antérieur du thalamus et du gyrus cingulaire. Des interrelations entre le circuit de Papez et plusieurs sites disséminés dans le cerveau conditionnent également la consolidation des souvenirs. Les lésions du circuit de Papez annihilent l'apprentissage et entraînent un « oubli à mesure », sans que les souvenirs anciens soient effacés car devenus indépendants du circuit de Papez. D'un point de vue neurochimique, « l'apprentissage et les modifications neuronales et synaptiques qu'il suppose pourraient faire intervenir l'acide ribonucléique et/ou des peptides comme le suggèrent certaines expériences animales de transferts biochimiques d'informations, et l'effet amnésiant de produits inhibant la synthèse protéique » (GIL, 1989). La mémorisation met en jeu plusieurs systèmes de neuromédiateurs : le rôle de l'acétylcholine dans la plasticité synaptique est particulièrement important. III-2- Les représentations mnésiques maintenues en mémoire à long terme ont été l'objet de processus d'encodage, de stockage, et leur utilisation suppose l'intervention de processus de récupération des informations. 11 Le circuit de Papez : circuit hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire (d'après C. Duyckaerts & J.J. Hauw, 1996) ❖ L'encodage de données nouvelles peut ne reposer que sur des processus automatiques qui ne requièrent pas d'attention particulière et sans qu'il y ait intention d'apprendre (mémorisation en condition incidente). Il peut par contre faire appel à des processus « effortful » qui exigent de l'attention (mémorisation en condition intentionnelle). Les travaux de HYDE & JENKINS (1973) ont montré que les résultats d'un apprentissage incident pouvaient être comparables à ceux d'un apprentissage contrôlé. En fait, seule la nature du traitement effectué lors de la phase d'encodage est primordiale. C'est ce sur quoi les travaux de CRAIK & LOCKHART (1972) auront eu avant tout le mérite de mettre l'accent ; leur approche introduisait la notion de « niveaux de traitement » et distinguait un traitement superficiel ne portant que sur l'apparence physique du mot, de traitements en profondeur axés sur les aspects phonologiques et sémantiques du mot (jugement de rimes, analyse des attributs conceptuels...). 12 ❖ Les traces mnésiques ne sont pas statiques et fixes. Elles sont réactivées et par conséquent de nouveau mémorisées lors de l'acquisition de nouvelles données. La consolidation des informations est fonction de leur répétition, mais aussi de leur impact émotionnel. Si certaines informations sont extrêmement résistantes, l'oubli pose quant à lui le problème de savoir s'il correspond à une perte réelle de l'information ou à une difficulté de récupération de l'information. La sensibilité aux phénomènes d'interférence pourrait expliquer les difficultés de mémorisation du sujet normal, mais l'oubli pourrait aussi résulter d'une incompatibilité entre les conditions d'encodage et les conditions de récupération. ❖ Le concept d'indice de récupération s'est développé suite aux travaux de TULVING & PEARLSTONE (1996) qui ont montré que la récupération d'informations pouvait être améliorée si le sujet disposait d'indices contextuels lors de la phase de rappel. Un indice est en fait un fragment de la situation d'apprentissage. Ainsi, dans une épreuve de mémoire verbale où chaque item à mémoriser est associé à un autre mot au moment de l'encodage, le rappel est facilité si l'on fournit au sujet le mot initialement associé à l'item recherché. Les performances sont meilleures quand les situations correspondant aux phases d'encodage et de rappel sont identiques : l'hypothèse de la spécificité d'encodage conduit à penser que la récupération d'informations est optimisée lorsqu'elle se produit dans le même contexte que l'apprentissage. ♦ Les domaines de mémoire I - Mémoire explicite (ou déclarative) et mémoire implicite : La distinction opérée par GRAF & SCHACTER (1985) entre les situations de rappel conscient, volontaire, d'informations particulières et les situations où l'acte de mémoire ne transparaît qu'au travers de l'amélioration des performances sans qu'il y ait référence à la situation d'apprentissage oppose le concept de mémoire explicite à celui de mémoire implicite. La mémoire implicite ne requiert donc pas de récupération consciente d'un épisode antérieur d'apprentissage. Elle se manifeste au travers du conditionnement, des effets de priming (amorçage), de la mémoire procédurale. Parmi les tests de priming, un exemple est celui de l'épreuve de complètement de trigrammes : on donne au sujet les 3 premières lettres de mots qu'il a étudiés antérieurement et on lui demande de compléter ces 3 lettres avec le premier mot qui lui vient à l'esprit. Les patients amnésiques, comme les sujets normaux, ont alors tendance à compléter les trigrammes en restituant les mots initialement présentés et qui sont restés activés « inconsciemment ». 13 II - Mémoire déclarative et mémoire procédurale : SQUIRE & COHEN (1984) ont opposé la notion de mémoire procédurale, permettant l'acquisition d'« habiletés » perceptivo-motrices ou cognitives sans nécessité de faire référence aux expériences antérieures, à la notion de mémoire déclarative où l'information est obligatoirement indexée, associée à son contexte spatio-temporel. C'est la distinction entre le « savoir que » (je sais que j'ai appris cela, je sais où je l'ai appris et qui me l'a appris) et le « savoirfaire » (le comportement signe l'apprentissage, mais je ne sais pas où, ni quand et grâce à qui je l'ai appris). La mémoire déclarative nécessite une récupération consciente et verbalisée de l'information et peut se mesurer par des épreuves de rappels, telles les épreuves d'apprentissage de listes de mots avec contrôle des conditions d'encodage et de récupération. La mémoire procédurale se juge quant à elle en comparant les performances successives d'un sujet qui, confronté à une tâche nouvelle, voit son efficacité augmenter au fur et à mesure que l'expérience se répète - ce qui implique une mémoire - mais sans pour autant que le SOUVENIR de cette expérience soit présent et nécessaire. MILNER (1962) a ainsi montré que H.M. pouvait en effet maîtriser une tâche de dessin en miroir en trois séances, sans se rappeler d'une séance à l'autre avoir déjà été soumis à cette tâche. L'acquisition de procédures perceptivo-motrices ou perceptivo-verbales (tâches de poursuite de cible en mouvement, d'apprentissage d'un labyrinthe ou de lecture de mots en miroir), ainsi que de procédures cognitives (épreuve de la « Tour de Hanoï »), supposeraient l'intégrité des structures sous-corticales et notamment du striatum (GIL, 1996). III - Mémoire épisodique et mémoire sémantique : TULVING, en 1972, suggère une distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique, regroupées au sein de la mémoire déclarative. La mémoire épisodique ou autobiographique ou mémoire pure stocke des événements ou « épisodes » appartenant à notre histoire personnelle ou à l'histoire de notre environnement (faits de société), et qui sont liés à un contexte temporel ou spatial précis. La mémoire sémantique concerne les connaissances générales communes à une culture : elle définit le « savoir » d'un individu et correspond à une mémoire didactique, « décontextualisée ». « La connaissance épisodique concerne non seulement ce qui s'est passé mais également où et quand cela s'est passé, c'est-à-dire le fait et le contexte. La connaissance sémantique, par contre, transcende un contexte particulier. Il s'agit de la mémoire des connaissances (linguistiques et conceptuelles) » (VAN DER LINDEN, 1989). 14 L'opposition entre mémoire sémantique et mémoire épisodique ne doit cependant pas être considérée comme absolue : il semble vraisemblable que ce soient les épisodes qui, en se répétant, s'affranchissent de leur contexte et aillent grossir cette base de données universelles que constitue la mémoire sémantique. Certains auteurs et notamment WARRINGTON & McCARTHY (1988) suggéreraient, plutôt qu'une distinction épisodique / sémantique, une représentation à plusieurs niveaux des faits et des événements. IV - Mémoire rétrograde et mémoire antérograde : On distingue classiquement en clinique le concept de mémoire rétrogra d e ou mémoire ancienne du concept de m é m o i re antérogra d e q u i s'adresse à la capacité de fixer et de rappeler des données récentes, sachant que les souvenirs anciens sont les plus résistants. L'exploration de la mémoire antérograde utilise des questionnaires portant sur les derniers événements biographiques ; elle fait également appel à des tâches de rappel et / ou de reconnaissance de séries de mots ou d'objets après interférence de quelques minutes. V - Mémoire prospective ou mémoire stratégique : La mémoire prospective, ainsi appelée par opposition à la mémoire rétrospective des faits du passé, se fonde sur la capacité à se souvenir de devoir effectuer une action précise à un moment donné dans un avenir plus ou moins proche. Elle est en quelque sorte la mémoire des actions futures, non déterminée par des indices externes explicites : ainsi doit-on se rappeler de prendre ses médicaments aux heures indiquées, de payer son loyer avant échéance ou d'envoyer à temps une carte d'anniversaire. Cette mémoire, qui permet d'accéder à des informations ordonnées dans le temps et l'espace, est en étroite relation avec les capacités de planification et par conséquent très dépendante du lobe frontal : elle peut aussi être qualifiée de mémoire stratégique. ❖ MEACHAM & LEIMAN (1982) distinguent deux catégories d'activités de mémoire prospective : les « activités habituelles », qui concernent des actions accomplies en général de façon routinière (se souvenir d'acheter son pain en rentrant du travail), et les « activités épisodiques », qui renvoient à des actions moins fréquentes ou réalisées sur des bases irrégulières (penser en quittant son travail à se rendre au bureau de poste pour expédier un colis). ❖ HARRIS (1984) propose quant à lui les oppositions suivantes au plan de la mémoire prospective : 15 a) tâches uniques / tâches doubles : Lorsque l'action dont on doit se souvenir est une partie de l'action principale en cours, avec un but unique (exemple : songer à mettre le sachet dans la théière quand on prépare du thé), il s'agit d'une tâche dite unique. S'il y a deux buts et que l'une des actions ne fait habituellement pas partie de l'autre (exemple : récupérer ses chaussures chez le cordonnier sur le chemin de retour du travail implique deux activités, autrement dit rentrer chez soi et récupérer ses chaussures), la tâche est déclarée double. b) tâches simples / tâches composées : La comparaison entre deux tâches doubles (se souvenir d'acheter son pain en rentrant du travail et se souvenir d'arrêter ses activités à 11 heures pour aller chez le dentiste) permet d'éclairer cette distinction. Dans le premier cas, le sujet ne doit contrôler qu'une activité en cours, c'est-à-dire son trajet, afin de déterminer à quel moment il va devoir l'interrompre pour entrer dans la boulangerie. La tâche est alors dite simple. Dans le deuxième cas, le sujet doit surveiller sa montre pour arrêter son activité à 11 heures, c'est-à-dire en fait contrôler un processus indépendant de l'activité qui va devoir être interrompue. La tâche est alors dite composée. ❖ L'utilisation d'aides externes (recourir à un agenda, programmer une minuterie, établir une liste...) et internes (méthodes d'association verbales ou techniques basées sur l'imagerie mentale) dans des situations de mémoire prospective a fait l'objet de diverses études. Les travaux d'INTONS-PETERSON & FOURNIER (1986) suggèrent ainsi que les aides externes sont plus souvent utilisées pour se souvenir d'avoir à effectuer une action. VI - Mémoire automatique ou « incidente » et mémoire d'effort ou « intentionnelle » : La dissociation entre mémoire automatique et mémoire d'effort est habituelle. Les deux processus sont par exemple concernés dans les tâches d'apprentissage de listes de mots : l'apprentissage incident de l'ordre des mots avec existence d'un effet de récence obéit à des processus automatiques, alors que le rappel libre des items correspond à une tâche mnésique d'effort. La mémorisation du contexte (environnement, circonstances...) pourrait également dépendre de processus automatiques nécessitant l'intégrité du lobe frontal. VII - Mémoire factuelle, mémoire contextuelle et mémoire de source : La mémoire des faits ou mémoire factuelle doit être distinguée de la mémoire contextuelle qui a trait d'une part, aux attributs spatio-temporels de l'information ou mémoire de source (où et quand cela s'est-il passé ?), et d'autre part, aux modalités de l'information (comment cela s'est-il passé ?). 16 La mise en mémoire du contexte de l'information conférerait à cette dernière un caractère distinctif et permettrait de disposer ultérieurement d'indices de récupération. BADDELEY introduit en 1982 les notions de « contexte indépendant » et de « contexte interactif » : - le contexte indépendant a trait aux caractéristiques spatio-temporelles d'une information (le moment et le lieu de sa présentation), ainsi qu'au mode de présentation (visuel ou auditif par exemple) de l'information. Il n'influence pas l'interprétation de l'événement-cible et serait encodé de manière plutôt automatique. - le contexte interactif désigne ce qui constitue l'arrière-plan de l'information à mémoriser mais qui affecte la signification de l'information-cible. Ainsi, un mot associé à un item à mémoriser modifie l'interprétation qui est faite de cet item (exemple : la connotation du mot « pièce » suivi par « monnaie » sera différente de celle du même item « pièce » suivi de « tissu ». Le contexte interactif détermine les caractéristiques de l'information à encoder et influe sur le stockage de cette information. VIII - Mémoire et métamémoire : La notion de métamémoire renvoie à la connaissance que le sujet a du contenu et du fonctionnement de sa propre mémoire. Cette connaissance porte sur les limites et les possibilités de notre mémoire (se savoir efficace au niveau de la mémorisation des visages), sur les caractéristiques du matériel et des tâches qui peuvent améliorer nos performances (avoir la notion d'une plus grande réussite en reconnaissance qu'en rappel), sur l'utilité de choisir et mettre en œuvre tel ou tel type de stratégie mnésique. La décision de commencer une activité de recherche en mémoire est liée à la faculté de juger de la probabilité d'un succès futur ou d'un échec de récupération. Nos capacités d'estimation sont également sollicitées lorsque nous cherchons à évaluer le résultat de notre activité de recherche en mémoire et que nous devons porter un jugement de confiance sur nos réponses. Enfin, les stratégies auxquelles nous avons recours durant une activité mnésique témoignent de ce que nous savons sur notre mémoire. ♦ Conclusion Les différents processus mis en jeu dans les activités de mémoire se complètent et interagissent : les divers réseaux neuronaux qui sous-tendent l'acte de mémoire fonctionnent ensemble pour permettre le stockage des informations et la création du souvenir. Si l'on considère la complexité des opérations d'encodage et la multiplicité des situations environnementales, on admet facilement 17 que la connaissance du fonctionnement de la mémoire suscite encore beaucoup d'interrogations. La poursuite des études visant à mieux cerner les phénomènes de mémoire sera essentielle pour la compréhension et la prise en charge des troubles de la mémoire. Car l'objectif prioritaire est bien celui-là : tenter de restituer chez celui dont la mémoire a souffert ce qui fait de lui un être humain capable de se reconnaître dans un passé qui est le sien et de se projeter dans un avenir dont il aspire à être l'un des acteurs à part entière. REFERENCES ATKINSON, R.C., & SHIFFRIN, R.M. (1968). Human memory : a proposed system and its control processes. In : K.W. Spence & J.T. Spence (Eds), The psychology of learning and motivation : Advances in research and theory, Vol.2, New-York : Academic Press. BADDELEY, A.D. (1982). Domains of recollection. Psychological Review, 89, 708-729. BADDELEY, A.D. (1986). Working memory. Oxford : Oxford University Press. CRAIK, F.I.M., & LOCKHART, R.S. (1972). Levels of processing : a framework for memory research. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 11, 671-684. DUYCKAERTS, C., & HAUW, J.J. (1996). Introduction à l'anatomie fonctionnelle et à la pathologie du système nerveux central humain. In : M.I. 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Mots clés : mémoire de travail, évaluation, systèmes esclaves, administrateur central. Working memory Abstract This article introduces a concept which is currently central to the study of memory in neuropsychology: working memory. After giving a general description of Baddeley’s model of working memory, we attempt to take stock of the different methods of investigation which are currently available for the evaluation of the functioning of each component in this model. Key Words : working memory, evaluation, slave systems, central executive. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 19 Siobhan FOURNIER Psychologue Cécile MONJAUZE Orthophoniste Unité de Neuropsychologie & Rééducation du Langage CHU de Poitiers Cité hospitalière de la Milétrie 350, avenue Jacques Cœur 86021 Poitiers cedex U ne distinction largement acceptée dans la littérat u re aujourd ’ h u i concerne l’opposition entre deux systèmes de mémoire : un système dit de Mémoire à Court Terme (MCT), qui permet le maintien d’une petite quantité d’informations pendant une durée brève (sensiblement égale à 2 secondes) et un système dit de Mémoire à Long Terme (MLT) permettant de maintenir une information de façon plus durable. Le concept de Mémoire de Travail (MdT) est apparu au début des années 70, dans la continuité des travaux réalisés sur la MCT. Il marque le passage d’une conception de stockage à court terme passif à celle d’un système de stockage actif, impliqué dans le maintien mais également la manipulation de l’information. Ces différentes distinctions théoriques sont illustrées dans la figure 1. Fig. 1 : schématisation des différents systèmes mnésiques Le modèle de MdT le plus fréquemment rencontré dans la littérature est celui de Baddeley (Baddeley et Hitch, 1974 ; Baddeley, 1986). Il conçoit la MdT comme un système de capacité limitée, destiné au maintien temporaire et à la manipulation de l’information au cours de la réalisation de diverses tâches cognitives telles que la compréhension, le raisonnement, la résolution de problèmes, etc. Par exemple, comprendre une phrase syntaxiquement complexe 20 nécessite à la fois le maintien temporaire et le traitement des différents mots qui la composent afin d’accéder au sens. ♦ La conception de la MdT selon Baddeley Baddeley (1986,1993) conçoit la MdT comme un système tripartite. Son modèle comprend une composante centrale (l’administrateur central) conçu comme un « gestionnaire » chargé de contrôler la répartition des ressources attentionnelles au cours de divers traitements cognitifs. Cependant, ses ressources limitées ne lui permettent pas d’assumer à la fois le stockage et le traitement de l’information. Ainsi, pour réduire sa charge, il se fait aider de systèmes « esclaves », spécialisés dans le maintien temporaire de l’information. Prenons l’exemple d’une tâche de calcul mental : l’Administrateur Central (AC) est chargé de planifier la résolution du problème, de rechercher en MLT les connaissances que nous avons des procédures de calcul, de s’assurer du bon déroulement des différentes étapes conduisant à la solution, pendant que les systèmes esclaves maintiennent les données du calcul en cours. On distingue au moins deux systèmes esclaves : la boucle phonologique, dédiée au maintien temporaire de l’information verbale lue ou entendue, et le registre ou calepin visuospatial, dédié au maintien temporaire de l’information visuospatiale ainsi qu’à la génération d’images mentales. A - La boucle phonologique a) Présentation La boucle phonologique est la composante du modèle de MdT la mieux connue. Elle comprend deux sous-composantes : une unité de stockage (le stock phonologique) dans laquelle la forme phonologique des informations verbales lues ou entendues est momentanément conservée et un processus de récapitulation articulatoire qui permet la révision des informations contenues dans le stock phonologique, par une activité d’autorépétition subvocale (cf. figure 2). b) Fonctionnement L’information auditive fait d’abord l’objet d’une analyse phonologique dont le produit va être maintenu dans le stock phonologique pendant une durée très brève (environ 2 secondes). Il doit donc être réintroduit systématiquement par le mécanisme de récapitulation articulatoire pour différer le déclin progressif des traces mnésiques. Quant à l’information verbale présentée visuellement (mot écrit), elle fait l’objet d’une analyse graphémique puis d’un recodage phonologique qui lui permet d’accéder au stock phonologique par le biais du processus de récapitulation articulatoire. 21 Fig. 2 : structure de la boucle phonologique d’après le modèle de Baddeley (1986) B - Le calepin visuospatial Le fonctionnement du calepin visuospatial reste actuellement moins bien compris que celui de la boucle phonologique. Il serait également constitué de deux sous-composantes : un équivalent du stock phonologique, appelé « fenêtre visuelle », et un processus de « rafraîchissement » de l’image. Cependant, les études menées par Logie et Marchetti (1991) amènent à différencier les deux sous-composantes du calepin visuospatial sur la base de la nature de l’information en jeu. Ainsi, le modèle proposé par Logie (1995) distingue au sein du calepin visuospatial une sous-composante visuelle et une sous-composante spatiale. La première est conçue comme un stock visuel temporaire dans lequel l’information visuelle décline rapidement et est sensible à l’interférence. La seconde serait impliquée dans la récapitulation ou « rafraîchissement » des contenus du stock visuel, ainsi que dans la planification de déplacements dans l’espace. Pour illustrer le fonctionnement de la MdT, Baddeley nous propose de compter mentalement le nombre de fenêtres de notre lieu d’habitation. La représentation mentale de notre habitation dépend du registre visuospatial, et le décompte à voix basse des fenêtres provient de la boucle phonologique. Enfin, l’établissement et le contrôle de ces opérations dépendent de l’administrateur central. ♦ Evaluation des systèmes esclaves et implications Sur le plan clinique, l’évaluation de la MdT commence par les mesures classiques d’empan (rappel sériel d’informations). Il est important d’évaluer à la fois l’empan verbal (chiffres / mots) et l’empan visuospatial, en proposant des séquences d’items de longueur croissante. On peut conseiller de proposer au moins 3 séries de chaque longueur. L’empan correspond à la plus longue séquence correctement rappelée à au moins 2 séries d’une même longueur. On 22 considère traditionnellement que la taille de l’empan normal est de 7 w 2 (Miller, 1956). Lorsque l’on observe un empan réduit, on peut suspecter un trouble du/des systèmes esclaves concernés et/ou de l’administrateur central. Dans ce cas de figure, on commencera par évaluer l’intégrité de chaque système esclave. A - Evaluation et implications de la boucle phonologique Dans le cas d’un empan verbal réduit, on peut faire l’hypothèse d’un dysfonctionnement de la boucle phonologique. L’objectif est alors de déterminer quelle sous-composante est perturbée (stock phonologique ou mécanisme de récapitulation articulatoire). a) Evaluation du stock phonologique On évalue l’intégrité du stock en testant l’effet de similarité phonologique. En effet, la taille de l’empan verbal serait influencée par le degré de similarité phonologique entretenu par les items à rappeler. Ainsi, l’empan de lettres ou de mots phonologiquement proches (ex : chapeau, râteau, bateau, gâteau) est généralement plus faible que celui de lettres ou de mots phonologiquement éloignés (ex : avion, croissant, papier, lunettes), tant en modalité auditive qu’en modalité visuelle de présentation. La présence d’un tel effet est un indice du fonctionnement normal du stock phonologique. Dans la mesure où l’information y est maintenue sous un format phonologique, cet effet serait interprété comme le résultat d’interférences entre des traces mnésiques faiblement discriminables à l’intérieur de l’unité de stockage phonologique (Salame et Baddeley, 1982). b) Evaluation du processus de récapitulation articulatoire On évalue l’intégrité du processus de récapitulation articulatoire en testant l’effet de longueur de mot, l’effet de suppression articulatoire ou encore, en mesurant le taux d’articulation. ❖ Effet de longueur de mot Quelle que soit la modalité de présentation (auditive ou visuelle), l’empan de mots courts (monosyllabiques) est généralement meilleur que l’empan de mots longs (Baddeley, Thomson et Buchanan, 1975). On rendrait compte de cet effet par l’existence d’une relation entre la taille de l’empan et de la vitesse articulatoire. Plus le mot est long, plus le temps mis pour le répéter est grand, et plus la probabilité qu’il s’efface du stock phonologique est importante. L’existence de l’effet de longueur de mot atteste donc du bon fonctionnement du mécanisme de récapitulation articulatoire (remarque : les mots proposés pour évaluer cet effet doivent être de même fréquence et phonologiquement éloignés). 23 ❖ Effet de suppression articulatoire Il est possible de perturber artificiellement le fonctionnement du mécanisme d’autorépétition subvocale par le biais d’une tâche de suppression articulatoire. Il s’agit, au cours d’une tâche d’empan de mots, courts ou longs, d’empêcher l’autorépétition en demandant au sujet de répéter une suite de syllabes (dadada...), ou de chiffres (1, 2, 3, 4, 5/1, 2, 3, 4, 5...). On demande ensuite un rappel écrit des mots afin d’éviter la mise en œuvre de la récapitulation juste avant le rappel. En occupant de cette manière le système de récapitulation articulatoire, on observe chez le sujet normal : I - une réduction de l’empan verbal, - l’absence d’effet de longueur de mot aussi bien en présentation auditive que visuelle, - l’absence d’effet de similarité phonologique sur présentation visuelle uniquement, car le système d’autorépétition, occupé, empêche le t ra n s fe rt de l’info rm ation visuelle ve rs le stock phonologi q u e (cf. figure 2). Ainsi, chez un patient cérébrolésé, présentant une atteinte du mécanisme de récapitulation articulatoire, on observera le même pattern de performances qu’un sujet normal chez qui on empêche l’autorépétition. ❖ Evaluation du taux d’articulation Il s’agit de déterminer la vitesse d’articulation d’un sujet en lui demandant soit de lire une série de chiffres, soit de compter à voix haute de 1 à 10 le plus vite possible, ou encore d’articuler des mots pendant un délai fixe. Le taux d’articulation est alors égal au nombre d’items articulés par seconde. Dans le cas d’un déficit du mécanisme d’autorépétition, le taux d’articulation est réduit. c) Tableau récapitulatif : 24 d) Illustration : le cas RL Belleville, Peretz et Arguin (1992) ont étudié le cas d’un patient cérébrolésé, victime d’un accident vasculaire cérébral, présentant des perturbations au niveau de la MdT. On observait chez ce patient RL un empan verbal réduit, aucun effet de longueur de mot, aussi bien en présentation visuelle qu’auditive, aucun effet de similarité phonologique en modalité visuelle, et pas d’effet de suppression articulatoire. Les autres composantes de la MdT semblaient fonctionner normalement. Devant un tel pattern de performances, les auteurs conclurent à un déficit sélectif du mécanisme d’autorépétition subvocale, le stock phon o l ogique semblant intact. Dans les épre u ves testant la composante visuospatiale, RL n’avait pas de difficultés particulières. Il présentait donc un trouble sélectif de la composante verbale de la MdT, c’est-à-dire la boucle phonologique. e) A quoi sert la boucle phonologique ? ❖ Aspects développementaux L’évolution de l’empan verbal pendant l’enfance traduit un processus de maturation de la boucle phonologique (Gillet, Billard et Autret, 1996a). Chez les enfants de 4-5 ans, on peut observer un effet de similarité phonologique et de longueur de mot, uniquement en modalité auditive (Hulme et Tordoff, 1989 ; Longoni et Scalisi, 1994). La présence de tels effets traduirait l’existence, dès 4 ans, d’un stock phonologique et d’un mécanisme de récapitulation articulatoire dit « primitif », caractérisé par la possibilité de répéter le mot qui vient juste d’être entendu (Gathercole et Hitch, 1993). Ce n’est que vers 6-7 ans qu’apparaît l’effet de similarité phonologique en présentation visuelle, traduisant la mise en place du mécanisme de recodage phonologique (Hulme et Tordoff, 1989). Quant à l’effet de longueur de mot en présentation visuelle, il n’apparaît que vers 8 ans (Hitch, Halliday, Dodd et Littler, 1989), lorsque l’autorépétition devient cumulative (Naus et Ornstein, 1983). A cet âge, la boucle phonologique semble être parvenue à maturité fonctionnelle et structurale (Gathercole et Hitch, 1993). ❖ Boucle phonologique et apprentissage de la lecture Certaines études laissent penser que la boucle phonologique joue un rôle important dans l’apprentissage de la lecture, comme le suggère l’existence d’une réduction de l’empan verbal fréquemment observée chez les enfants dyslexiques (Jorm, 1983). De manière générale, ces études sont 25 peu nombreuses et relativement controversées. Ainsi, Siegel et Linder (1984) ont montré chez des enfants dyslexiques de 7-8 ans l’absence d’effet de similarité phonologique tant en modalité auditive que visuelle, suggérant un déficit du mécanisme de stockage de l’information verbale sous un format phonologique (difficulté à utiliser les codes phonologiques). Cependant, d’autres auteurs ont montré qu’un groupe d’enfants dyslexiques de même âge présentait des effets normaux de similarité phonologique quelle que soit la modalité de présentation (Johnston, Rugg et Scott, 1987 ; Lecocq, 1986). Récemment, Gillet et Billard (en préparation) ont observé un effet de longueur de mot réduit chez des enfants dyslexiques de 9-10 ans, comparativement à des enfants normo-lecteurs de même âge. Ces données semblent indiquer un dysfonctionnement du mécanisme de récapitulation articulatoire, et par là même un fonctionnement anormal de la boucle phonologique. ❖ Boucle phonologique et acquisition de vocabulaire nouveau Quelques études de cas rapportées dans la littérature suggèrent l’intervention de la boucle phonologique dans l’acquisition à long terme de nouvelles formes phonologiques. Baddeley, Papagno et Vallar (1988) ont décrit le cas d’une patiente PV souffrant d’une aphasie de conduction et présentant un empan verbal anormalement réduit (empan de 2) attribué à un dysfonctionnement de la boucle phonologique. Les auteurs ont comparé la capacité de PV à apprendre des mots familiers (mots de sa langue maternelle) versus non-familiers (mots d’une langue étrangère). Dans une tâche d’apprentissage associatif de paires de mots familiers (tâche de MLT), PV présentait des performances tout à fait semblables à celles de sujets contrôle d’âge et d’intelligence équivalents. En revanche, PV se montrait incapable d’apprendre des paires de mots / non-mots (le nonmot étant en réalité la traduction russe du 1er mot du couple). Ces données ont conduit Baddeley et al. (1988) à avancer l’hypothèse selon laquelle l’apprentissage à long terme de nouvelles formes phonologiques (pour lesquelles il n’existe donc pas de représentation lexicale en MLT) impliquerait nécessairement l’intégrité de la boucle phonologique (voir également Vallar et Papagno, 1993). La défaillance de la boucle observée chez PV était telle qu’elle empêchait la possibilité du codage phonologique des mots russes. Par ailleurs, Barisnikov, Van der Linden et Poncelet (1996) ont décrit le cas de la patiente CS, présentant un syndrome de Williams (handicap mental sévère), et qui, en dépit d’un QI très faible et de troubles massifs 26 de la mémoire épisodique, avait acquis la forme phonologique à long terme de trois langues qu’elle parlait couramment. Devant un tel tableau et d’après l’hypothèse de Baddeley et al. (1988) décrite ci-dessus, on devrait prédire un fonctionnement normal de la boucle phonologique chez CS. Barisnikov et al. (1996) ont effectivement observé chez cette patiente des empans verbaux normaux ainsi que les effets de similarité phonologique et de longueur de mot. La boucle phonologique jouerait donc un rôle crucial dans l’apprentissage d’une langue étrangère, ce qui a amené certains auteurs (Gathercole et Baddeley, 1989, 1990, 1993) à s’interroger sur son rôle dans le développement du vocabulaire de la langue maternelle chez l’enfant. Ces auteurs ont testé cette hypothèse par le biais d’épreuves de répétition de nonmots. Ils ont examiné le rapport entre la capacité de répétition de nonmots et la taille du vocabulaire, et ont montré une corrélation nette entre ces deux variables chez des enfants de 4 ans. De plus, ils observent que la répétition de non-mots est un bon prédicteur du développement ultérieur du vocabulaire. Ces résultats sont compatibles avec l’idée que la boucle phonologique est fortement impliquée dans l’acquisition de vocabulaire nouveau. L’hypothèse d’une altération de la boucle phonologique a été proposée pour rendre compte des troubles de la lecture chez les enfants dyslexiques. Ce dysfonctionnement de la boucle pourrait également engendrer un retard d’acquisition du vocabulaire dans cette population, ce qui a effectivement été observé dans plusieurs études (Aguiar et Brady, 1991 ; Gillet, Billard et Autret, 1996b). ❖ Boucle phonologique et compréhension du langage Selon Baddeley (1993), la boucle phonologique interviendrait dans la compréhension des phrases lues ou entendues, en particulier lorsqu’elles sont longues et complexes. En effet, il observe chez la patiente PV (voir plus haut) des difficultés de compréhension des phrases longues et ambiguës. De même, d’importants troubles de la compréhension ont été mis en évidence chez le patient épileptique TB, chez lequel existait un dysfonctionnement de la boucle phonologique caractérisé par un empan verbal réduit, associé à l’absence d’effets de similarité phonologique et de longueur de mot (Baddeley, Vallar et Wilson, 1987). Si la boucle phonologique intervient dans la compréhension des phrases, les enfants dyslexiques devraient également présenter des troubles de compréhension, ce qui a été confirmé par l’étude de Crain, Shankweiler, Macaruso et Barshalom (1990). 27 L’ensemble des données observées chez les patients cérébrolésés et les enfants dyslexiques laissent donc entendre que la boucle phonologique joue un rôle important dans l’acquisition de la lecture, de vocabulaire nouveau, dans la compréhension de phrases. Il est possible qu’elle intervienne dans d’autres activités cognitives verbales. Ce concept de boucle phonologique pourrait constituer un cadre théorique utile, à la fois pour rendre compte des difficultés d’acquisitions scolaires, et pour orienter le projet rééducatif. B - Evaluation du calepin visuospatial La diversité des épreuves utilisées pour évaluer le fonctionnement du calepin visuospatial (épreuves spatiales, visuelles, d’imagerie mentale) a conduit les auteurs à s’interroger sur la nature du codage au sein de cette composante. Une distinction entre des tâches de nature plutôt visuelle ou plutôt spatiale tend à apparaître aujourd’hui, entraînant l’éclatement du concept de calepin visuospatial en deux sous-composantes, spatiale et visuelle (Logie, 1995). Cette distinction en terme de contenu sous-tend également une distinction quant à la nature des traitements impliqués dans les tâches utilisées. L’information spatiale est fréquemment présentée de manière séquentielle, la tâche consistant en un rappel de cette information, tandis que l’information visuelle est souvent présentée de manière simultanée, la tâche consistant en une complétion de patterns. a) Evaluation de la sous-composante spatiale ❖ La tâche la plus couramment utilisée est celle des blocs de Corsi (Corsi block tapping test, Corsi, 1972). Des cubes sont disposés sur une planche selon une certaine configuration (cf. figure 3). A chaque cube correspond un numéro connu de l’expérimentateur. Ce dernier touche successivement des cubes dans un ordre donné, et le sujet doit reproduire cette séquence spatiale. On utilise la procédure d’empan progressif (séquences de longueur croissante). La plus longue séquence de frappes correctement rappelée à au moins 2 séries de même longueur constitue une mesure de l’empan « spatial » du sujet. ❖ Tâche d’empan de localisation (Roulin et Loisy, soumis à publication) Cette tâche est une adaptation informatisée du test des blocs de Corsi. Elle consiste à présenter sur un écran une grille de n x n cases (par ex : 5 x 5), où des cases s’allument séquentiellement. Le sujet doit rappeler la séquence de 28 Fig.3 : disposition des cubes tels qu’ils sont vus par l’expérimentateur à l’épreuve des blocs de Corsi localisations en montrant sur une grille vierge les cases qui s’étaient allumées. L’empan dépasse rarement 6 cases rappelées. ❖ Epreuve de la matrice de Brooks (Brooks, 1967) Dans cette tâche, le sujet est amené à encoder le matériel soit verbalement (par une stratégie d’autorépétition verbale), soit en termes d’imagerie visuelle (impliquant la participation du calepin visuospatial). Dans la condition avec consigne d’imagerie, on présente au sujet une matrice carrée vierge de 4 x 4 cases, l’une des cases étant identifiée comme la case de départ. On présente ensuite une série de phrases du type « dans la case de départ, mettre le chiffre 1 ; dans la case suivante, vers la droite, mettre le chiffre 2, etc. », que le sujet doit rappeler (cf. figure 4). Les sujets encodent ces séquences comme l’image d’un chemin à l’intérieur de la matrice. En moyenne, ils sont capables de rappeler 8 phrases en condition spatiale. Fig.4 : exemple de matériel créé par Brooks et utilisé dans les études concernant le calepin visuospatial (d’après Brooks, 1967) 29 b) Evaluation de la sous-composante visuelle ❖ Epreuve d’empan de patterns visuels (Wilson, Scott et Power, 1987, inspiré de Phillips et Christie, 1977) : La tâche consiste à présenter une grille dont la moitié des cases sont aléatoirement remplies, formant ainsi un pattern que le sujet doit encoder (cf. figure 5). Après un délai de quelques secondes, la grille apparaît à nouveau, avec une case manquante. Le sujet doit pointer cette dernière, réalisant ainsi une tâche de complétion. On commence à un niveau d’empan de 2 (grille de 4 cases dont 2 sont remplies), et on augmente de 1 en 1 jusqu’à ce que le sujet échoue. Dans cette tâche, le sujet doit mémoriser le pattern dans son ensemble, sans morceler les localisations des cases : il s’agit donc plutôt d’une tâche de nature visuelle où l’information est présentée de manière simultanée. Contrairement aux tâches spatiales, où l’empan est généralement réduit, l’empan de patterns peut monter jusqu’à 15, voire 16. Fig.5 : exemples de grilles présentées dans la tâche d’empan de patterns visuels Sur le plan clinique, une évaluation complète du bon fonctionnement du calepin visuospatial doit inclure une mesure de l’empan « spatial » (ex : blocs de CORSI) et une mesure de l’empan « visuel » (ex : empan de patterns visuels), afin de s’assurer de l’intégrité de chaque sous-composante. 30 C - Illustration : le cas ELD Hanley, Young et Pearson (1991) ont étudié le cas d’une patiente ELD présentant des difficultés dans le rappel immédiat d’une courte séquence de matériel visuospatial, suite à un anévrysme de l’hémisphère droit. Malgré des performances faibles dans des tâches comme la matrice de Brooks, l’épreuve des blocs de Corsi, dans des épreuves impliquant la MCT des visages, l’imagerie mnémonique ou la rotation mentale, ELD avait des performances normales en rappel sériel de lettres, même en présentation visuelle. De plus, elle n’éprouvait aucune difficulté à récupérer une information visuospatiale en MLT. Les auteurs ont suggéré que ELD présentait un déficit du calepin visuospatial, en l’absence d’un déficit de la boucle phonologique. Cette étude n’a cependant pas permis de dissocier les aspects visuels et spatiaux du calepin puisque ELD était en échec sur les 2 versants. ♦ L’administrateur central : aspects théoriques et évaluation Face à un empan réduit, et après s’être assuré du fonctionnement normal de chaque système esclave, on peut suspecter un trouble de l’Administrateur Central (AC) de la MdT. Comme nous l’avons décrit précédemment, la boucle phonologique et le registre visuospatial sont en contact étroit avec l’AC, conçu comme un système attentionnel de contrôle. Il aurait notamment pour fonction de coordonner les flux d’informations en provenance de différentes sources, et d’allouer les ressources pour le traitement, au cours de la réalisation d’une grande diversité de tâches cognitives. A) Aspects théoriques L’AC est longtemps resté la composante la plus floue du modèle, probablement parce qu’il n’est pas aisé de trouver des tâches dans lesquelles le rôle de l’AC et celui des systèmes esclaves soient clairement identifiables (Van der Linden, Bredart et Beerten, 1994). On a progressivement cherché à lui attribuer des fonctions de plus en plus précises. Une première étape dans cette démarche a consisté au rapprochement de l’AC au Système Attentionnel Superviseur (SAS) du modèle de contrôle attentionnel de Norman et Shallice (1980) qui, selon Baddeley (1986), fournit une base indispensable pour conceptualiser l’AC. Norman et Shallice (1980) ont élaboré leur modèle dans l’objectif de fournir une vue générale du rôle de l’attention dans le contrôle de l’activité. Selon ce modèle, les actions en cours peuvent être contrôlées par l’intermédiaire de deux systèmes distincts. Le premier système ou « gestionnaire des propriétés 31 de déroulement », se compose de schémas d’actions routiniers permettant de réaliser un grand nombre d’activités quotidiennes sans y prêter attention, c’està-dire de façon automatique. Baddeley (1993) illustre ce point par la conduite automobile : on peut parfois parcourir plusieurs kilomètres en pensant à autre chose, s’apercevoir que l’on n’a pas souvenir de ces kilomètres parcourus, alors qu’on a été capable d’appréhender de façon efficace les obstacles de la route pendant cette distance. Il peut arriver que deux activités en cours entrent en conflit. Ce système le prend alors en charge en donnant priorité à l’une des deux activités. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une personne qui conduit tout en discutant s’arrête soudainement de parler plutôt que de risquer de renverser un piéton qui traverse sans regarder. Le gestionnaire est intervenu pour donner la priorité à la conduite. Norman et Shallice (1980) proposent qu’un second système intervienne lorsque cette « sélection automatique » est insuffisante ou inefficace. Il s’agit du SAS, système attentionnel superviseur, assimilé à l’intervention de la volonté du sujet. Ce système, de capacité limitée, est capable d’interrompre ou de modifier une activité en cours, d’inhiber les réponses automatiques déclenchées par une situation donnée. Il serait impliqué dans les situations exigeant une prise de décision, une planification, l’adaptation à une situation nouvelle, dangereuse, ou encore lorsque des réponses habituellement fortes doivent être contrariées. Ainsi, Baddeley (1986) attribue à l’AC les fonctions du SAS de Norman et Shallice (1980). Dans un article récent, Baddeley (1996) a distingué plusieurs fonctions de l’AC, telles que la coordination de deux tâches, et plus généralement la capacité à réaliser deux activités simultanément, la capacité à activer et récupérer des informations en MLT, la capacité à alterner entre des stratégies de récupération, la capacité à sélectionner l’information pertinente tout en inhibant l’information non pertinente (« attention sélective »). Ces deux derniers aspects font appel au concept d’inhibition et seront traités ensemble comme reflétant une fonction plus générale d’inhibition. B) Evaluation du fonctionnement de l’AC : L’évaluation du fonctionnement de l’AC doit tenir compte de la complexité de cette composante qui assumerait plusieurs fonctions. a) Coordination de deux activités simultanées 1 - Cet aspect du fonctionnement de l’AC peut être testé par le biais du paradigme de double tâche (Baddeley, Logie, Bressi, Della sala et Spinnler, 1986 ; Baddeley, Bressi, Della sala, Logie et Spinnler, 1991) combinant une 32 tâche de poursuite visuo-motrice (poursuite d’une cible visuelle sur un écran au moyen d’un stylo optique) et une tâche d’empan de chiffres, chacune de ces tâches étant sous la dépendance d’un des systèmes esclaves. Chaque tâche est effectuée seule pendant deux minutes, puis les deux tâches sont couplées. Pour la tâche de poursuite, on évalue le pourcentage de temps passé sur la cible pendant les deux minutes ; pour la tâche d’empan de chiffres, on évalue le pourcentage de séries correctement rappelées. Dans la condition où les deux tâches sont combinées, le sujet doit donc diviser son attention entre chaque tâche. En cas de déficit au niveau de l’AC, les performances chutent beaucoup plus en situation de tâche double que celles d’un groupe de sujets contrôle appariés. Baddeley, Della Sala, Papagno et Spinnler (1997) ont développé une version moins contraignante de l’épreuve, combinant toujours une tâche d’empan de chiffres et une tâche de poursuite visuelle mais papier-crayon cette fois. Le sujet doit cocher une chaîne de carrés liés pour former un chemin. Chaque feuille contient 80 carrés ; le sujet doit débuter à l’une des extrémités de la chaîne et placer une croix sur chaque carré successif le plus vite possible en un temps limité à 2 minutes. Le score correspond au nombre de carrés cochés. En condition double, cette tâche est réalisée simultanément à une tâche d’empan de chiffres, pendant 2 minutes. 2 - La capacité à coordonner deux activités simultanément peut également être évaluée au moyen de tâches dites de MdT, associant une activité de stockage et une activité de traitement, le traitement pouvant porter sur le produit du stockage ou en être indépendant. Il s’agit ici de coordonner l’information en provenance de différentes sources et pas seulement celle issue des deux systèmes esclaves. Ces tâches de MdT se distinguent donc des tâches dites de MCT qui n’impliquent que le stockage passif d’une petite quantité d’informations et leur restitution littérale. Parmi les nombreuses tâches de MdT citées dans la littérature, on peut trouver : ➯ la tâche de Brown-Peterson modifiée (Peterson et Peterson, 1959 ; Morris, 1986) : On présente une série de 3 consonnes au sujet qu’il doit rappeler après un délai variable (0, 5, 10, 15 ou 20 secondes) ; pendant ce délai, il doit effectuer une tâche interférente plus ou moins exigeante, qui va d’une simple répétition de chiffres ou de syllabes à une tâche de tapping, de comptage à rebours ou d’addition de paires de chiffres. Ces tâches sont censées mobiliser une part plus ou moins importante des ressources de l’AC ne pouvant dès lors plus être consacrées à la répétition mentale des lettres initialement présentées. 33 ➯ l’empan de chiffres à l’envers (sous-test de la WAIS, Wechsler, 1955) : On présente au sujet des séries de chiffres de longueur croissante qu’il doit rappeler dans l’ordre inverse de présentation. ➯ l’empan de lecture ou « reading span » (Daneman et Carpenter, 1980) : Les sujets doivent lire (traiter) une série de phrases non-reliées tout en retenant le dernier mot de chaque phrase ; à la fin de la série, le sujet doit rappeler dans l’ordre de présentation la série des derniers mots. L’empan de lecture est déterminé par le nombre de mots correctement rappelés. ➯ l’empan d’opérations ou « operation span task » (Turner et Engle, 1989) : On présente au sujet une série d’opérations à résoudre mentalement du type (3 x 4) + 11 = ?, suivies d’un mot à mémoriser ; à la fin de la série, le sujet doit rappeler la liste des mots présentés. L’empan correspond à la plus longue série d’opérations pour laquelle le sujet rappelle correctement les mots, après avoir correctement effectué les calculs. L’exactitude des réponses aux opérations permet de s’assurer que le sujet a effectivement réalisé un traitement et un stockage. ➯ l’empan d’écoute ou « listening span » (Daneman et Carpenter, 1980) : Les sujets écoutent des phrases, et doivent retenir le dernier mot ou le dernier chiffre présenté à la fin de chaque phrase ; à la fin de la série, le sujet doit rappeler dans l’ordre de présentation la série de derniers mots ou de chiffres. L’empan d’écoute est déterminé par le nombre de mots / chiffres correctement rappelés. ➯ l’empan de comptage ou « counting span » (Case, Kurland et Goldberg, 1982) : On présente un carnet au sujet dans lequel chaque page comporte un nombre différent de points rouges et verts. Le sujet doit compter sur chaque page le nombre de points verts, puis, après n pages, doit rappeler le chiffre retenu pour chaque page dans l’ordre de présentation. ➯ l’épreuve du chiffre manquant ou « missing scan » (Wiegersma et Meertse, 1990) : On présente au sujet une série de 8 chiffres compris entre 1 et 9 dans le désordre (exemple : 3, 1, 7, 9, 5, 6, 2, 8) et il doit retrouver le chiffre manquant (ici, la réponse est 4). Pour réaliser cette tâche, le sujet doit maintenir les chiffres puis les passer en revue pour déterminer celui qui manque. 34 ➯ la tâche d’empan alphabétique ou « alpha span task » (Belleville, Rouleau et Casa, 1998) : Le sujet doit rappeler une série de mots correspondant à son niveau d’empan verbal moins un, soit dans l’ordre de présentation (tâche simple), soit dans l’ordre alphabétique (stockage et manipulation de l’information simultanément). Dans la mesure où la charge en mémoire est égalisée entre les deux conditions, la seule différence concerne l’intervention de l’AC dans la condition de rappel alphabétique. ➯ l’épreuve de mise à jour ou « running span » (Morris et Jones, 1990) : On présente au sujet des séries de lettres de longueurs différentes (4, 6, 8 ou 10) dont il ne connaît pas à l’avance la longueur ; on lui demande de rappeler dans l’ordre, par exemple, les 4 dernières lettres de la série. Le sujet devra donc continuellement remettre à jour le contenu de sa MdT en fonction de l’arrivée de nouvelles lettres dans la séquence : lorsque 8 lettres lui sont présentées alors qu’il ne doit en rappeler que 4, il devra éliminer les 4 plus anciennes. b) Fonction d’inhibition d’informations 1 - Un premier aspect de cette fonction d’inhibition concernerait selon Baddeley (1996) la capacité à alterner entre des stratégies de récupération, telle qu’elle est reflétée dans la tâche de génération aléatoire de lettres. Dans cette tâche, on demande au sujet de produire une lettre prise au hasard parmi les 26 lettres de l’alphabet, en suivant le rythme d’un métronome. La notion de génération aléatoire est illustrée en demandant au sujet de s’imaginer face à un chapeau contenant l’ensemble des lettres de l’alphabet, duquel il tire au hasard une lettre qu’il énonce à voix haute, qu’il remet ensuite dans le chapeau en mélangeant les lettres avant d’en piocher une nouvelle, et ainsi de suite. On fait varier la vitesse de génération (1 lettre / 2 secondes, 1 lettre / seconde, 1 lettre / 0,5 secondes, etc.). On observe que plus la vitesse de production imposée au sujet augmente, moins les réponses fournies sont aléatoires. Ceci se traduit par la tendance à produire le même ensemble de lettres, ou des séquences alphabétiques (exemple : ABC, IJK), ou encore des sigles familiers (exemple : CB, USA). Ce profil de performance peut être interprété selon Baddeley (1986, 1996) dans le cadre du modèle de Norman et Shallice (1980). En effet, produire un flot de lettres au hasard nécessite d’inhiber la tendance naturelle à réciter la chaîne alphabétique ou les sigles familiers (inhibition d’une réponse dominante, c’està-dire d’un schéma préexistant), de sélectionner de nouvelles stratégies lorsque les réponses ne sont pas suffisamment aléatoires, ce qui suppose d’inhiber la 35 stratégie précédente (alterner entre des stratégies de récupération). Cette tâche exigerait l’intervention constante de l’AC ou du SAS, pour empêcher ou interrompre l’activation de schémas préexistants. Ainsi, plus la vitesse de production imposée est élevée, moins le SAS sera en mesure d’éviter la production de ces séquences stéréotypées. 2 - Un second aspect de la fonction d’inhibition de l’AC concernerait selon Baddeley (1996) la capacité à sélectionner les informations pertinentes tout en inhibant l’effet distracteur des informations non pertinentes pour la tâche en cours. Baddeley (1996) propose de tester cette capacité par le biais d’une tâche d’amorçage négatif. Les tâches d’amorçage négatif reposent sur le principe suivant : on présente au sujet deux stimuli sur un écran, l’un étant le stimulus cible, l’autre le distracteur. Le sujet doit presser une touche le plus rapidement possible dès que le stimulus cible apparaît. A un certain moment, on s’arrange pour que le stimulus distracteur à un essai devienne le stimulus cible à l’essai suivant. Par exemple, si à un essai la lettre A est le stimulus distracteur parce qu’elle est présentée en vert alors qu’il faut répondre à une lettre rouge, à l’essai suivant la même lettre A est présentée en rouge et devient donc le stimulus cible. On constate alors que la sélection de la cible (A rouge) est ralentie. C’est ce ralentissement dans la sélection de la réponse pertinente que l’on appelle amorçage négatif. En effet, lors du premier essai, le distracteur (information non pertinente) est fortement inhibé ; lorsqu’il devient cible à l’essai suivant, sa sélection est ralentie du fait de l’inhibition antérieure. 3 - En neuropsychologie, un dysfonctionnement des mécanismes d’inhibition est classiquement associé à des perturbations frontales. Shallice (1982) a attribué aux lobes frontaux les fonctions du SAS. Ainsi, l’idée d’un rôle de l’AC dans les mécanismes d’inhibition provient essentiellement du rapprochement AC/SAS qui fournit à l’AC de Baddeley un ancrage anatomique : les lobes frontaux. Il existe différentes tâches utilisées couramment en neuropsychologie pour évaluer les capacités d’inhibition, telles que le test de classement de cartes de Wisconsin (Wisconsin Card Sorting Test ; Milner, 1963 ; Nelson, 1976), le test de Stroop (Stroop, 1935), et le test de Hayling (Burgess et Shallice, 1996). ➯ Le test de classement de cartes de Wisconsin : On place devant le sujet 4 cartes-stimuli qui diffèrent par la couleur, la forme, et le nombre. La tâche consiste pour le sujet à classer des cartes qu’on lui donne une à une, en les appariant à l’une des cartes stimuli, selon un critère de son choix (forme, couleur, nombre). Le critère choisi 36 devra être conservé jusqu’à ce que l’expérimentateur donne la consigne d’en changer, c’est-à-dire lorsque le sujet a réalisé six classements consécutifs corrects (version Nelson, 1976). L’épreuve est terminée lorsque le sujet a réalisé deux fois chacun des 3 critères de classement, ou lorsque l’ensemble des cartes a été distribué. On relève le nombre de réponses correctes, le nombre de catégories réalisées et le nombre d’erreurs, dont les erreurs persévératives qui consistent à garder le même critère de classement malgré le feed-back négatif de l’expérimentateur fourni à l’essai juste précédent. Ces erreurs persévératives sont interprétées comme reflétant un défaut d’inhibition. En effet, lorsque l’on demande au sujet de changer de critère de classement, cela suppose d’inhiber le plan de réponse en cours et d’en élaborer un nouveau. ➯ Le test de Stroop : Dans la version la plus classique, 3 conditions sont présentées : le sujet doit lire à voix haute des mots qui désignent des couleurs (condition lecture), puis dénommer les couleurs de rectangles colorés (condition dénomination), enfin il doit dénommer la couleur de l’encre de mots imprimés dans une teinte ne correspondant pas à celle évoquée par le mot (condition interférence). Il est fréquemment inclus une condition supplémentaire dans laquelle le sujet doit alterner entre la dénomination de la couleur de l’encre (par exemple pour les mots encadrés) et la lecture (pour les mots non encadrés), en utilisant les items de la condition interférence (condition flexibilité mentale). On relève le nombre d’items correctement lus ou dénommés dans chaque condition, en un temps prédéterminé. Les conditions interférence et flexibilité mentale feraient intervenir l’inhibition d’informations perçues mais non pertinentes (la couleur de l’encre, quand il faut lire le mot) et l’inhibition de réponses dominantes (la lecture, quand il faut dénommer la couleur de l’encre). ➯ Le test de Hayling : Dans ce test, une réponse dominante est activée et doit être inhibée. Le test se compose de phrases présentées oralement dont le mot final est manquant. Les phrases sont choisies de sorte qu’elles aient une haute probabilité de donner lieu à une réponse spécifique. Dans une première condition (partie A « initiation »), le sujet doit compléter la phrase de manière adéquate, le plus rapidement possible (exemple : j’achète de la viande chez le... boucher). Dans la seconde condition (partie B « inhibition »), le sujet doit fournir le plus rapidement possible un mot qui n’entretient aucune relation de sens avec la phrase, de quelque manière que ce 37 soit (exemple : on se fait couper les cheveux chez le... guitare). Il doit donc inhiber une réponse fortement dominante (coiffeur). Pour chaque partie, on détermine le temps de réponse moyen sur l’ensemble des phrases. On calcule la différence de latence entre les deux parties (B - A) qui représenterait le temps supplémentaire nécessaire pour produire un mot nouveau plutôt qu’une réponse automatique. On classe également les réponses obtenues dans la partie B selon trois catégories : (1) la réponse peut être un mot complétant la phrase de manière adéquate, transgressant la consigne ; (2) il peut s’agir d’un mot sémantiquement lié ; (3) le mot peut être non relié à la phrase, conformément aux instructions. Cette classification donne lieu à un score d’erreurs. c) Activation et récupération d’informations en MLT Selon Baddeley (1996), l’AC de la MdT doit être en mesure non seulement de coordonner des informations en provenance de différentes sources, d’inhiber des informations mais aussi de récupérer et maintenir les représentations temporairement activées en MLT. Selon Rosen et Engle (1997), l’AC joue un rôle dans un type spécifique de récupération en MLT : les processus de récupération contrôlée. Les tâches classiquement associées à ces processus sont les tâches de fluence verbale (Baddeley, Lewis, Eldridge, Thomson, 1984 ; Baddeley, 1996). Dans ces tâches, on demande au sujet de produire, en un temps donné, le plus de mots possibles appartenant à une catégorie sémantique donnée (fluence catégorielle) ou commençant par une lettre donnée (fluence littérale). On peut également demander au sujet d’alterner entre deux catégories sémantiques données (fluence alternée). Baddeley (1986) considère que l’AC est fortement impliqué dans ces tâches dans la mesure où l’on ne dispose pas de schémas routiniers (préexistants) permettant de produire rapidement et sans faire de répétitions une telle série de mots. Ce dernier point suppose donc que des processus d’inhibition interviennent pour empêcher qu’un item déjà produit ne resurgisse dans la suite de la tâche, et pour permettre l’accès à des représentation nouvelles. Le concept d’administrateur central a évolué lentement. Aujourd’hui, ce concept tend à se diversifier et est abordé sous différentes approches théoriques. Nous pouvons constater qu’on attribue à l’AC un rôle particulièrement important dans des opérations extrêmement diverses. On peut alors se demander si l’AC est de nature unitaire mais multicomposite, ou bien si sont regroupés sous cette terminologie un ensemble de processus de contrôle pouvant intervenir de manière relativement indépendante. 38 Cette dernière façon d’envisager l’AC constitue un rapprochement au concept fort en neuropsychologie de fonctions exécutives, qui désignent l’ensemble des processus nécessaires au contrôle et à la réalisation des comportements dirigés vers un but (Dubois, Pillon et Sirigu, 1994). Actuellement, la majorité des recherches sur l’AC sont réalisées dans le domaine de le neuropsychologie à partir de populations présentant un dysfonctionnement exécutif. Autrement dit, l’étude de l’AC et l’étude des fonctions exécutives tendent aujourd’hui à recouvrir le même champ de recherche. ♦ Conclusion Le modèle de MdT tel que le conçoit Baddeley comporte encore à l’heure actuelle un certain nombre de limites. En effet, si le fonctionnement et le rôle de la boucle phonologique sont aujourd’hui bien compris, nos connaissances concernant le fonctionnement et surtout les implications du calepin visuospatial dans les activités cognitives restent limitées. De même, en ce qui concerne l’AC, alors que la définition de cette composante devient de plus en plus précise sur le plan théorique, sa complexité en rend l’évaluation clinique délicate ; de plus, les paradigmes permettant de l’étudier rendent la tâche plus difficile encore du fait de leur grande diversité. Bien que présentant des limites, le modèle de MdT reste néanmoins un modèle utile. En effet, il permet de rendre compte d’un certain nombre de comportements que le concept de MCT ne permettait pas d’expliquer. Il possède également l’avantage d’avoir été élaboré sur la base de données expérimentales. Enfin, il présente des applications cliniques directes puisqu’il permet, face à un patient présentant un déficit de rétention à court terme, d’approfondir l’analyse des troubles en précisant à quel niveau ils se situent. Une telle analyse rend alors possible la mise en place de stratégies de rééducation plus adaptées. 39 REFERENCES AGUIAR, L., & BRADY, S. (1991). Vocabulary acquisition and reading ability. Reading and Writing, 3, 413-425. BADDELEY, A.D. (1986). Working Memory. Oxford : University Press. BADDELEY, A.D. (1993). La mémoire humaine : théorie et pratique. Grenoble : PUG. BADDELEY, A.D. (1996). Exploring the Central Executive. The Quarterly Journal of Experimental Psychology, 49, 5-28. BADDELEY, A.D., BRESSI, S., DELLA SALA, S., LOGIE, R.H., & SPINNLER, H. (1991). The decline of working memory in Alzheimer’s disease. A longitudinal study. Brain, 114, 2521-2542. BADDELEY, A.D., DELLA SALA, S., PAPAGNO, C., & SPINNLER, H. (1997). 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Une grande dichotomie pourrait être effectuée entre les amnésies de type hippocampique liées à des lésions temporales et les amnésies résultant de lésions plus diffuses (notamment diencéphaliques et fronto-cingulaires) auxquelles appartiennent les syndromes korsakoviens. Mots clés : syndromes amnésiques, amnésie rétrograde, amnésie antérograde, lésions hippocampiques, syndrome de Korsakoff, ictus amnésique. A clinical approach to amnestic syndromes Abstract Amnestic syndromes attributed to organic causes usually involve memory loss with temporal regression of memories prior to the trauma or illness (retrograde amnesia), associated with the inability to encode and/or evoke new information (anterograde amnesia). Those severe memory problems, which are basically what these syndromes are about, stand in sharp contrast with the relative preservation of other mental functions. An important distinction can be established between hippocampal amnesias associated with temporal lesions, and those amnesias connected with more diffuse lesions (especially diencephalic and fronto-cingular lesions) which are related to Korsakoff’s syndromes. Key Words : amnestic syndromes, retrograde amnesia, anterograde amnesia, hippocampal lesions, Korsakoff’s syndrome, transient global amnesia. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 43 Claudette PLUCHON Orthophoniste Unité de Neuropsychologie & Rééducation du Langage CHU de Poitiers Cité hospitalière de la Milétrie 350, avenue Jacques Cœur 86021 Poitiers cedex L es troubles de mémoire sont divers et provoqués par des états pathologiques variés. Les syndromes amnésiques de cause organique ne représentent qu’une partie des amnésies : ils doivent être distingués des amnésies d’origine psychique ou des amnésies liées aux processus démentiels qui associent au déficit mnésique une détérioration de diverses fonctions cognitives. Une distinction doit également être opérée entre les syndromes amnésiques durables par lésions généralement bilatérales du circuit de Papez et les syndromes amnésiques apparentés post-traumatiques faisant appel à différentes étiologies. Une place particulière doit enfin être réservée aux syndromes amnésiques transitoires dont l’ictus amnésique représente le prototype. ♦ Les principaux traits sémiologiques des amnésiques durables Les syndromes amnésiques de cause organique s’inscrivent dans un contexte séméiologique associant aux notions d’amnésie antérograde et rétrograde celle d’éventuelles fabulations, avec respect des capacités de vigilance et préservation plus ou moins totale des autres facultés cognitives. 1 - L’amnésie antérograde correspond à une impossibilité de mémorisation des événements récents. Elle est donc responsable d’un « oubli à mesure » et altère la mise en mémoire des faits de la vie quotidienne. Après un délai de 1 à 2 minutes meublé par une tâche interférente, le patient ne peut restituer l’information visuelle, verbale ou tactile qui vient de lui être fournie, alors que la reproduction immédiate de cette même information était possible. L’oubli à mesure peut avoir pour conséquence une désorientation temporelle, voire spatiale et s’accompagne dans les troubles paroxystiques de questions itératives qui reflètent l’anxiété d’un sujet privé de tout repère. L’amnésie antérograde se manifeste à partir de la survenue de la maladie ou de l’accident. Différentes théories ont tenté de rendre compte des troubles de mémoire antérogrades présentés par les patients amnésiques. L’existence d’une altération 44 d’encodage, de stockage ou de récupération a été envisagée. On ne peut cependant encore actuellement interpréter de manière complète l’amnésie. 2 - L’amnésie rétrograde désigne quant à elle l’incapacité ou la difficulté à évoquer des événements du passé survenus avant l’installation de la maladie ou la survenue de l’accident. La loi de RIBOT (1881) a établi un gradient temporel qui fait que les souvenirs les plus anciens sont les plus résistants. L’effacement des souvenirs peut concerner une période s’étendant de quelques jours à plusieurs années. La récupération s’avère progressive au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, les troubles allant en régressant des souvenirs les plus anciens vers les plus récents qui, eux, resteront définitivement effacés car seulement inscrits dans une mémoire labile non consolidée. Dans le cadre des maladies dégénératives, comme la maladie d’Alzheimer, l’étendue de l’amnésie rétrograde est au contraire de plus en plus importante et des tranches d’un passé toujours plus ancien s’anéantissent peu à peu. Enfin, les observations cliniques ont montré qu’il pouvait exister des amnésies antérogrades sans amnésies rétrograde majeure et également, bien que plus rarement, des amnésies rétrogrades sans amnésie antérograde (GOLDBERG, HUGUES, MATTIS & ANTIN, 1982). Le fonctionnement de la mémoire rétrograde est au centre de nombreuses recherches en psychologie cognitive. Les dernières études reconnaissent toutes à l’amnésie rétrograde un caractère hétérogène : « En particulier, les dissociations observées au sein même de la mémoire rétrograde semblent indiquer que la connaissance des faits publics n’est pas stockée avec la connaissance des événements personnels... Il se pourrait en outre que les connaissances autobiographiques et les connaissances générales soient constituées de différents types d’informations auxquels on accède par des voies différentes » (VAN DER LINDEN, 1992). 3 - Les fabulations résultent de la reconstruction anarchique d’un vécu où souvenirs anciens et récents se télescopent et sont parfois même intriqués à des événements imaginaires. Ces fabulations de remémoration peuvent surgir spontanément dans le discours mais apparaissent le plus souvent en réponse aux questions de l’examinateur. Interrogé sur ses activités récentes, le patient produit des réponses verbales erronées ou confabulations qui évoquent néanmoins parfois des activités très voisines de celles de sa vie habituelle. Les fabulations observées dans les syndromes amnésiques neurologiques sont liées à l’oubli antéro et rétrograde accompagné d’une anosognosie. Les fausses reconnaissances avec identification au présent d’un personnage du passé, attribution à un inconnu de l’identité d’un proche ou intégration d’un visage nouveau à la biographie, sont à rapprocher des processus de fabulation. 45 4 - Si les désordres mnésiques peuvent s’accompagner, outre l’anosognosie, d’une euphorie, parfois d’une apathie, d’un manque d’initiative, voire d’un déficit attentionnel ou de troubles du comportement, le respect de la vigilance doit par contre être observé pour conclure au diagnostic de syndrome amnésique. Un distinguo doit ainsi être effectué avec les sémiologies confusionnelles dont les tableaux cliniques comportent la notion d’un oubli à mesure et d’une désorientation temporo-spatiale qui ne sont pas qualifiés d’amnésiques. Par ailleurs, les fonctions intellectuelles et cognitives (langage, calcul, praxies, raisonnement logique) sont préservées, ou relativement épargnées, dans les syndromes amnésiques qui ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une altération mentale globale. ♦ Les différents types de syndromes amnésiques durables 1- L’amnésie hippocampique : Elle se caractérise par : ➯ une amnésie antérograde massive pour toutes les modalités sensorielles, avec un effacement en un temps très court (de l’ordre de 30 secondes) des informations nouvelles après interférence. ➯ le respect d’une mémoire très immédiate (empan normal) ainsi que celui de la mémoire de travail, à condition que le délai séparant la présentation des données de leur restitution n’excède pas 30 secondes. ➯ une amnésie rétrograde peu étendue. ➯ le respect de la mémoire sémantique. ➯ la préservation de la mémoire implicite. ➯ l’absence de fabulations et de fausses reconnaissances. ➯ la conservation des capacités d’attention et l’absence de déficit des fonctions exécutives. Le cas du patient HM (SCOVILLE & MILNER, 1957 ; MILNER, 1962) opéré à l’âge de 27 ans d’une double lobectomie temporale incluant l’hippocampe en vue de traiter une épilepsie sévère est l’illustration parfaite du syndrome d’amnésie hippocampique. Après son intervention, HM a présenté un oubli à mesure avec impossibilité d’acquisition de nouvelles informations, disant avoir sans cesse l’impression de se réveiller. Soumis à des tests d’apprentissage, HM a toujours eu des performances très déficitaires tant en rappel qu’en reconnaissance. Aucune fabulation ou fausse reconnaissance n’a jamais été enregistrée. HM sait qu’il a des troubles de mémoire. Une amnésie rétrograde d’environ 3 ans a également effacé de sa mémoire certains souvenirs 46 (exemple : déménagement 11 mois avant l’opération). Obtenant de bons résultats aux tests d’intelligence générale, HM, dont l’empan de mémoire immédiate était normal, put acquérir certaines habiletés perceptivomotrices (écriture en miroir, mouvements de poursuite) tout en oubliant qu’il avait effectué les tâches correspondantes. La mémoire procédurale était donc partiellement respectée. Par contre, dans des épreuves de jugement d’identité de deux stimuli non verbaux, auditifs ou visuels, les performances du patient se détérioraient avec l’allongement du délai et les réponses n’obéissaient qu’à la seule loi du hasard audelà de 60 secondes. Une amnésie hippocampique, ou syndrome amnésique sévère et pur, peut, outre les cas neurochirurgicaux, être observée lors : ❖ d’un infarctus bilatéral dans les territoires des artères cérébrales postérieures. Les lésions consécutives des lobes occipitaux et des hippocampes réalisent alors le syndrome de DIDE et BOTCAZO avec existence d’une cécité corticale et d’une amnésie rétroantérograde de type hippocampique. ❖ d’une encéphalite herpétique, l’amnésie pouvant coexister avec des troubles du langage et des troubles majeurs du comportement qui évoquent le syndrome de KLÜVER et BUCY et témoignent de lésions associées du système limbique. ❖ de séquelles d’anoxie après arrêt cardiaque ou intoxication à l’oxyde de carbone. L’amnésie hippocampique peut enfin correspondre à un mode de début de la maladie d’Alzheimer. 2 - L’amnésie diencephalique et frontocingulaire : Les lésions de certaines structures cérébrales représentées par « les corps mamillaires et le thalamus, le trigone (ou fornix), le télencéphale basal, le lobe frontal et en particulier le gyrus cingulaire » (GIL, 1996) peuvent être à l’origine d’un syndrome amnésique dont KORSAKOFF (1889) réalisa une description sémiologique précise chez des patients présentant pour la plupart un alcoolisme chronique. ❖ Le syndrome de Korsakoff peut, au cours de l’alcoolisme, s’installer progressivement ou surgir lorsque se manifeste un état confusionnel correspondant à l’encéphalopathie de GAYET-WERNICKE. Une carence en vitamine B1 est à l’origine des troubles et les lésions bilatérales et symétriques concernent les tubercules mammillaires et le noyau dorsomédian du thalamus. 47 ❖ Un syndrome de Korsakoff peut aussi être observé dans différentes pathologies ayant d’autres causes nutritionnelles (exemple : le béri-béri en Extrême Orient avec carence d’apport en vitamine B1 ➯ alimentation à base de riz poli). ❖ Les tumeurs du plancher du IIIème ventricule ainsi que les tumeurs bifrontales internes peuvent être responsables de l’existence d’un syndrome de Korsakoff. Parmi elles, les crânio-pharyngiomes rencontrés chez l’enfant présentent un intérêt théorique dans le sens où, bien que fréquents, ils ne s’accompagnent pas, contrairement à ce que l’on observe chez l’adulte, d’un syndrome de Korsakoff. ❖ Un syndrome de Korsakoff post-traumatique peut aussi apparaître après la période confusionnelle consécutive à un coma lié à un traumatisme crânien. ❖ Les infarctus thalamiques bilatéraux ou unilatéraux (pédicule artériel paramédian ou interpédonculaire profond) sont responsables de syndromes apparentés se caractérisant par une amnésie antérograde intense et pure sans fabulation, avec une lacune rétrograde minime sauf dans les cas avec extension sous-thalamique (VIGHETTO & al., 1986). Les infarctus unilatéraux gauches entraînent une amnésie qui affecte surtout le matériel verbal. Sur le plan clinique, le SYNDROME DE KORSAKOFF se caractérise par : ❖ Une amnésie antérograde avec oubli à mesure (en quelques minutes ou dizaines de secondes), mais le trouble semble plus se situer au niveau du rappel des informations qu’au niveau du stockage proprement dit. Les amnésies mamillothalamiques se différencient donc des amnésies hippocampiques dans le sens où la présence d’indices de récupération facilite le rappel des informations (WARRINGTON & WEISKRANTZ, 1970) chez les patients ayant un profil korsakovien. LHERMITTE & SIGNORET (1972), MATTIS & al. (1978), avaient déjà indiqué la possibilité d’une distinction entre les patients présentant une amnésie diencéphalique et ceux présentant une amnésie temporale sur la base d’un taux d’oubli plus rapide dans le cas des atteintes temporales. Pour WINOCUR & al. (1981), l’amnésie diencéphalique correspond à la fois à un tro u ble de l’encodage et à un tro u ble du rappel des informations : en effet, s’il y a facilitation du rappel par la reconnaissance ou l’utilisation d’indices, il y a aussi facilitation de l’apprentissage si l’on fournit au patient des stratégies d’encodage, des indices contextuels suffi- 48 samment distincts. On peut donc considérer qu’il existe un déficit du traitement initial des informations avec défaut d’indexation contextuelle des données. Les indices utilisés à la phase d’encodage doivent être fournis au patient au moment du recouvrement pour aider le malade à avoir accès à l’information. Les processus d’encodage et de récupération semblent donc impliqués dans le déficit des patients korsakoviens. ❖ L’existence d’une désorientation temporo-spatiale, conséquence de l’amnésie antérograde. ❖ La préservation de la mémoire immédiate avec un empan digital normal. ❖ Une amnésie rétrograde constante qui s’étend sur quelques décennies avant le début de la maladie et qui respecte tout du moins en partie les souvenirs anciens et surtout le stock culturel (préservation de la mémoire sémantique). L’amnésie rétrograde épisodique est plus étendue que dans l’amnésie hippocampique. ❖ L’existence de fabulations avec incorporation des souvenirs anciens au passé récent, télescopage de réminiscences biographiques mêlées de récits entendus au travers des médias. ❖ L’existence de fausses reconnaissances conduisant le patient à attribuer à un inconnu l’identité d’une personne familière. ❖ Une anosognosie constante, accompagnée parfois d’une certaine euphorie bien que les patients puissent aussi à d’autres reprises rester semi-indifférents. ❖ Un respect relatif des facultés de raisonnement sans que soient exclus des désordres cognitifs évoquant des traits frontaux : déficit attentionnel, sensibilité aux interférences, incapacité à mettre en place des stratégies adaptées. ❖ L’épargne des mémoires résiduelles (mémoire implicite, mémoire procédurale) montrée par exemple au travers des épreuves de priming ou d’apprentissages gestuels et procéduraux. 3 - Les amnésies frontales : 3-1 - Les lésions du « basal forebrain » (DAMASIO et al., 1985), de la portion postérieure des régions orbito-frontales, peuvent être à l’origine de troubles mnésiques complexes, avec association possible de signes frontaux. Il en est de même des lésions cingulaires bilatérales qui entraînent également des désordres particuliers. 49 ❖ Une amnésie cingulaire, observée dans les lésions séquellaires des anévrysmes de la communicante antérieure, associe des confabulations intenses souvent invraisemblables à un trouble électif du rappel spontané contrastant avec une bonne reconnaissance. Des troubles de la personnalité réunissent apathie et perturbations des conduites sociales. Il existe des paramnésies de reduplication et une aphasie transcorticale motrice peut compléter le tableau clinique. ❖ ESLINGER & DAMASIO rapportent en 1985 le cas d’un patient devenu amnésique après ablation bilatérale du lobe frontal orbitaire et mésial. Le tableau clinique est celui d’une amnésie sociale et affective s’accompagnant de troubles d’évocation des comportements automatiques et adaptés aux situations concrètes. Il existe des troubles du caractère, de la personnalité, une sociopathie acquise. Les résultats aux tests sont cependant normaux, le déficit ne se manifestant qu’en situation quotidienne et pragmatique. 3-2 - Les lésions de la portion dorsolatérale du lobe frontal entraînent une altération de la mémoire de travail, de la mémoire temporelle, de la mémoire contextuelle spatiale (erreurs répétées aux tests d’apprentissage de labyrinthes). La méta-mémoire est également perturbée ainsi que la mémoire de source. ♦ L’amnésie post-traumatique Le tableau clinique qui s’installe après la période confusionnelle consécutive au coma post-traumatique se caractérise par une amnésie antérograde avec oubli à mesure, précédée d’une amnésie rétrograde. La question a souvent été posée de savoir si la durée de l’amnésie antérograde pouvait être considérée comme facteur prédictif de la qualité de la récupération ultérieure (BROOKS & al., 1980) ; il semblerait en fait qu’une amnésie post-traumatique supérieure à une semaine soit dans une certaine mesure corrélée à l’existence de séquelles durables. L’amnésie rétrograde peut s’étendre sur une période de plusieurs années avant la survenue du traumatisme ; elle s’accompagne à la phase initiale de fabulations, voire parfois de paramnésies de reduplication avec dédoublement des perceptions (je sais que je suis à l’hôpital, cet hôpital est celui de ma propre ville mais pourtant je suis loin de la ville où j’habite). Un syndrome de Capgras peut être associé : le patient n’identifie plus alors ses proches et croit qu’ils sont remplacés par des sosies considérés comme des imposteurs. La fin de l’amnésie post-traumatique correspond en règle générale au retour à une orientation normale. 50 L’amnésie rétrograde peut disparaître progressivement ; elle peut aussi demeurer permanente, la lacune rétrograde étant alors de durée variable. Les localisations des lésions sont diverses : les pôles temporaux, les régions orbito-frontales et les faisceaux d’association comme le fornix sont les structures les plus vulnérables (COUVILLE, 1945). Les déficits résiduels d’une amnésie post-traumatique se situent au niveau des capacités d’apprentissage avec présence de troubles de la reconnaissance. La mémoire verbale des traumatismes crâniens, explorée au travers de tâches de rappel libre de listes de mots, a fait l’objet de plusieurs travaux : certains auteurs ont conclu à une atteinte des mécanismes de stockage consécutive au traumatisme (BROOKS, 1975). Les effets différés d’un traumatisme crânien peuvent être observés plusieurs mois, voire plusieurs années après la survenue du traumatisme (MORTIMER & PIROZZOLO, 1985). Les difficultés attentionnelles, instrumentales ou intellectuelles liées au traumatisme crânien ne sont pas sans interférer avec les troubles mnésiques au niveau de l’évolution du patient. ♦ Les syndromes amnésiques transitoires L’ictus amnésique est le modèle même du déficit pur de mémoire (TRILLER & al., 1983). De survenue brutale, il se caractérise par une amnésie antérograde massive avec oubli à mesure mais sans fabulations. Le patient réitère les questions car il ne fixe pas les réponses qui lui sont fournies et n’est pas conscient de son trouble de mémoire. Il n’existe pas de désorientation spatiale. L’amnésie antérograde est isolée, sans qu’il y ait altération de la vigilance ou des capacités perceptives, praxiques ou intellectuelles. Une amnésie rétrograde intéressant les quelques heures ou quelques jours précédant l’ictus complète le tableau clinique. Un apprentissage implicite demeure possible pendant la durée de l’ictus. Si dans 50% des cas, aucun cause déclenchante n’est décelable, certains ictus amnésiques surviennent dans un contexte de tension psychologique ou d’effort physique (émotion forte, rapport sexuel, activité sportive... etc.). L’ictus amnésique, générateur d’anxiété, peut durer de 4 à 6 heures mais régresse de toute façon dans les 24 heures. Le patient conserve ensuite une amnésie lacunaire de la période concernée et des quelques minutes ou heures précédant l’installation des troubles. La persistance de cette lacune amnésique permet d’attribuer le trouble antérograde à un déficit de l’enregistrement. Le fait que l’amnésie rétrograde régresse suggère par ailleurs qu’un déficit des mécanismes de rappel accompagne celui de l’encodage et de la consolidation. 51 Un ictus peut récidiver dans 15 à 25% des cas. L’hypothèse d’un vasospasme (mécanisme ischémique) accompagnant une migraine ou analogue à un mécanisme migraineux et responsable de la survenue de l’ictus amnésique a pu être évoquée (GIL, 1996). Un mécanisme épileptique a également parfois été incriminé. Les amnésies globales transitoires pourraient avoir comme dénominateur commun, sur le plan étiologique, une souffrance hippocampique ou diencéphalique. ♦ Conclusion « Les activités mnésiques impliquent plusieurs types de processus psychophysiologiques et les lésions responsables des syndromes amnésiques peuvent siéger en différents points du système limbique » (SIGNORET, 1996). S’il existe un noyau sémiologique commun aux amnésies neurologiques, les syndromes amnésiques peuvent semble-t-il être distingués en fonction de deux principaux axes qui, pour l’un, correspondrait à un déficit du stockage des informations (amnésies temporales), et qui, pour l’autre, associerait un trouble de l’encodage à un trouble du rappel (amnésies diencéphaliques). La complexité des structures cérébrales qui sous-tendent les processus de mémorisation exige toutefois que l’on reste toujours très circonspect quant à l’interprétation des syndromes amnésiques : nombre de questions relatives aux amnésies organiques demanderont en effet encore à être résolues dans le futur. 52 REFERENCES BROOKS, D.N., AUGHTON, M.E., BOND, M.R., JONES, P., & RIZVI, S. (1980). Cognitive sequelae in relationship to early indices of severity of brain dama ge after severe blunt head injury. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 43, 529-534. COURVILLE, C.B. (1945). 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La principale question porte sur son devenir et son éventuelle dimension « prédictive » d’une détérioration. Mots clés : vieillissement, plainte mnésique, oublis bénins, dépression, démence. Memory-related complaints Abstract Memory-related complaints are highly subjective and are not associated with any particular neuropsychological profile. They can be present without any decline in cognitive capabilities, or they can be part of what is commonly referred to as the benign forgetfulness of old-age. They can also be related to depression. The primary question regards the possible course and outcome of such complaints as well as their utility in predicting future deterioration. Key Words : aging, memory-related complaints, benign forgetfulness, depression, dementia. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 55 Claudie ORNON Psychologue Unité de Neuropsychologie & Rééducation du Langage CHU de Poitiers Cité hospitalière de la Milétrie 350, avenue Jacques Cœur 86021 Poitiers cedex Comme le passant, sur ce passage mille fois regardé, jette subitement un regard neuf, ainsi l’homme vieillissant s’avise un beau matin de la cruelle réalité : un beau matin il regarde ce visage fripé qui est le sien et qu’il regardait jusque là distraitement...Il considère en silence le visage fripé comme si jamais il ne l’avait vu, comme s’il le voyait aujourd’hui pour la première fois. Vladimir JANKELEVITCH V ieillir : « prendre de l’âge, s’approcher de la vieillesse ». Dans cette d é finition du Petit Robert, on voit ap p a ra î t re un processus : on DEVIENT vieux. Bien que le vieillissement soit à l’œuvre dès la naissance, sa prise de conscience est plus tardive. Peut-être débute-t-elle au milieu de la vie quand le temps qu’il nous reste devient potentiellement plus court que celui que nous avons déjà vécu. Puis, au fil du temps, le poids des ans prend une toute autre signification. Même si l’on ne se sent pas vieux, de nombreux marqueurs biologiques, sociologiques ou psychologiques sont là pour nous rappeler que nous sommes engagés dans le dernier parcours. Le vieillissement est en fait la double expression du déroulement du temps biologique (la sénescence), et du temps chronologique (l’avancée en âge). Dans la réalité, l’âge biologique et l’âge chronologique ne coïncident pas forcément ; il en va de même dans nos représentations psychiques. De nombreux facteurs peuvent influencer le processus de sénescence : les conditions de vie, la forme physique, le progrès médical, le niveau socio culturel, etc. Par contre, nous sommes toujours impuissants face à notre finitude. Sur le plan psychique, le vieillissement entraîne de nombreux réaménagements. « Vieillir c’est déjà réaliser le deuil de soi-même en assumant ses pertes successives », soulignait P.L. ASSOUN (1983). Certes, cette étape de la vie est jalonnée de crises et de pertes, qu’elles soient sociales, affectives, fonctionnelles 56 ou cognitives, mais le fatalisme n’est pas obligatoire. Il existe une grande variabilité interindividuelle : la santé des personnes âgées n’est pas forcément mauvaise et la sénilité n’est pas inéluctable. Le sujet vieillissant doit donc vivre au présent puisque l’avenir c’est la mort, déjà annoncée mais désormais imparable. Lucien ISRAEL (1988) rappelle à quel point « cet impératif de vivre l’instant », ce « carpe diem », si inhabituel dans la vie active, est intolérable à l’être humain et de ce fait source d’angoisse. En gardant à l’esprit ces quelques considérations sur cette période de vie si particulière, nous pouvons peut-être mieux entendre les nombreuses plaintes des sujets vieillissants. A partir de 50 ans, la plainte mnésique apparaît de façon importante dans la population et sa fréquence ne cesse d’augmenter avec l’avancée en âge. A l’arrière plan, on retrouve souvent dans le discours des patients le spectre de la Maladie d’Alzheimer. Certes, cette plainte mnésique peut s’avèrer n’être que le constat anxieux de la vieillesse qui s’ébauche, mais il convient d’y être très attentif car elle peut aussi être le reflet d’un processus involutif débutant. Avant de préciser la sémiologie de la plainte mnésique, ses méthodes d’investigation et son diagnostic différentiel sur le plan neuropsychologique, rappelons brièvement ce qu’est le vieillissement cognitif. ♦ Le vieillissement cognitif Le principal problème est de savoir si la plainte mnésique traduit une réelle diminution des performances, ce qui peut être vérifié par un bilan neuropsychologique, en comparant les performances du patient avec les normes de la classe d’âge correspondante, c’est-à-dire la moyenne des scores obtenus par des sujets dont le vieillissement est considéré comme « normal ». Mais qu’est-ce que le vieillissement cognitif « normal » ? Sur le plan biologique, on sait qu’il existe avec le temps des modifications au niveau sensoriel, dermatologique, circulatoire, etc. Notre cerveau n’est pas épargné, avec l’apparition d’une atrophie cérébrale liée à une dépopulation neuronale, une baisse progressive des neuromédiateurs et du débit sanguin. L’une des caractéristiques du cerveau âgé la plus anciennement connue est la présence de plaques séniles. Entre 55 et 70 ans elles sont relativement rares, tandis que dans la septième décennie et plus tard, elles peuvent être observées chez presque tous les individus. Ce vieillissement cérébral normal va de pair avec une moins grande efficacité intellectuelle. Il ne s’agit pas d’une détérioration mais plutôt « d’une 57 modification de l’architecture fonctionnelle de la cognition s’expliquant par des processus interdépendants » ( M.C. GELY-NARGEOT, A. MERGIS, 1998). Bien que certains individus conservent, même très âgés, de très bonnes performances, en règle générale on observe assez précocement une diminution de l’efficience mnésique. Cet affaiblissement cognitif se traduit surtout par des difficultés dans l’acquisition de nouvelles informations, et ce en raison des effets de trois facteurs généraux qui sont : ➯ un ralentissement de la vitesse du traitement de l’information. ➯ une moins bonne efficacité de la mémoire de travail. ➯ des perturbations au niveau des mécanismes d’inhibition des informations non pertinentes. Ces trois principaux facteurs interagissent dans la résolution de tâches cognitives, quelle que soit leur nature. Dans le domaine mnésique par exemple, plus l’information cible sera complexe, plus la vitesse de traitement sera ralentie, ce qui accentuera l’oubli. ♦ Sémiologie de la plainte mnésique La plainte mnésique consiste en l’expression, par le sujet lui-même, d’un mécontentement quant à la mauvaise efficacité de ses capacités de mémorisation. C’est donc un phénomène essentiellement subjectif, qui dépend plus des croyances qu’a le sujet de son fonctionnement mnésique que d’un résultat objectif. Ce discours plaintif peut être influencé par les stéréotypes sociaux et leurs acceptations (« en vieillissant, la mémoire flanche »...). La personnalité du sujet, ses exigences vis à vis de lui-même et le niveau d’activité intellectuelle maintenu après la retraite, peuvent également prendre part à l’éclosion de ce mécontentement. Il n’est pas rare enfin que la lecture fortuite d’un article sur la maladie d’Alzheimer amène le patient à consulter. Les modalités d’expression de cette plainte sont variables mais le déficit invoqué concerne toujours une diminution des performances dans la vie quotidienne. Le patient se plaint d’oublier les noms propres, d’égarer ses objets personnels, de ne pas pouvoir effectuer l’achat des provisions domestiques sans liste préalable, de ne pas retenir les numéros de téléphone, etc. Il s’agit donc de difficultés à se rappeler une information immédiatement ou après un délai. Le discours des patients est d’ailleurs souvent étayé par l’opposition entre des sou- 58 venirs anciens très vivants et la douloureuse sensation de ne pas retenir le présent. Généralement, ces achoppements de la mémoire ne perturbent pas profondément la vie sociale, mais ils sont source d’agacement et parfois d’inquiétude. Il n’existe pas de lien univoque entre ce que le sujet perçoit de son fonctionnement cognitif et les performances objectivées par l’examen neuropsychologique. Ainsi, après confrontation des résultats obtenus, deux profils peuvent s’observer : ➯ des sujets exprimant une plainte mnésique mais dont les performances aux tests sont strictement normales. La plainte est alors le reflet d’une mauvaise estimation du fonctionnement cognitif, dont l’origine peut être multiple : déficit de la métamémoire, anxiété, etc. Il convient toutefois d’être vigilant, des études (PAQUID) ont montré que malgré des résultats normaux aux tests, et en l’absence de syndrome dépressif, des évolutions vers un état démentiel ne sont pas rares chez des patients présentant un profil de ce type quelques années auparavant. ➯ le bilan neuropsychologique inscrit cette plainte dans une réalité avec diminution significative des performances mnésiques. Une surveillance étroite est alors de rigueur afin d’établir un diagnostic différentiel précoce. Un troisième cas de figure peut s’exprimer lors de l’évaluation cognitive : il peut exister de faibles performances en l’absence d’une plainte mnésique. Cette constatation peut être le reflet d’une complète anosognosie des troubles avec l’illusion d’un bon fonctionnement cognitif. Elle peut aussi traduire un aménagement défensif de la part du sujet face à une perception ressentie, mais dont la non reconnaissance traduit le vécu traumatisant. Cette troisième éventualité n’est pas obligatoirement synonyme de détérioration débutante mais impose la vigilance. C’est pourquoi il ne faut pas se priver lors de l’entretien de questionner le sujet sur son ressenti même s’il ne l’exprime pas (souffrez-vous de votre mémoire ? des oublis perturbent-ils l’harmonie de votre quotidien ?, etc.), et être attentif à la façon dont le sujet répond à ce genre de questions. ♦ Evaluation de la plainte mnésique Lorsqu’un patient se présente à une consultation neuropsychologique, une écoute particulière doit être apportée à la plainte, dans ses modalités d’expression, sa nature et son retentissement sur la vie quotidienne. 59 Confronté aux résultats psychométriques, le discours du patient et de son entourage peut permettre d’affiner le diagnostic. Cette évaluation se fait bien évidemment par l’entretien, et l’on peut s’aider de questionnaires d’auto-évaluation mnésique pour mieux quantifier et qualifier cette plainte. 1 - L’entretien : Cet entretien peut être qualifié de semi-directif puisqu’il doit tenter de faire préciser cinq aspects : ➯ tout d’abord, cerner l’ORIGINE de la plainte. Qui se plaint ? Est-ce le patient lui-même qui constate un moins bon rendement mnésique au quotidien ? Est-ce son entourage proche qui lui a fait remarquer et qui a insufflé cet examen neuropsychologique ? Ou bien encore, est-ce le médecin de famille qui détecte un changement inhabituel chez son patient bien connu, sans que ni lui ni l’entourage n’ex p rime la moindre doléance ? ➯ le DEBUT des troubles et leurs CIRCONSTANCES D’APPARITION méritent d’être précisés. L’installation des troubles a-t-elle été brutale ou insidieuse ? L’anamnèse révèle-t-elle un changement de traitement médicamenteux, une perte de connaissance, un traumatisme crânien, etc. ? Les troubles sont-ils survenus dans un contexte psycho-affectif particulier ? ➯ l’EVOLUTION des troubles est-elle rapide ou lentement progressive ? Se fait-elle par paliers successifs ou de façon continue ? ➯ comment se définissent ces troubles, quelles sont leurs CARACTERISTIQUES ? S’agit-il d’oublis d’informations récentes ou anciennes, existe-t-il une répercussion sur l’orientation temporo-spatiale du sujet, sur ses facultés de reconnaissance des personnes ? A-t-il conscience ou non d’un dysfonctionnement mnésique ? ➯ on évalue le RETENTISSEMENT DES TROUBLES SUR LES ACTIVITES QUOTIDIENNES. Existe-t-il une réduction des activités, une perte d’intérêt, des incapacités au niveau de l’autonomie fonctionnelle et sociale du patient ? Enfin, observe-t-on des troubles associés notamment sur le plan thymique et comportemental (souffrance morale avec aménagement dépressif, hallucinations, idées délirantes, etc.) ? Cet entretien s’adresse au sujet lui-même et à son entourage, la comparaison des réponses ayant parfois une grande valeur diagnostique. 60 2 - Les questionnaires d’auto-évaluation : Nous avons à notre disposition quelques outils comme le Questionnaire d’Auto-évaluation de la Mémoire (Q.A.M) ou l’Echelle d’auto-évaluation des Difficultés Cognitives (E.D.C). ➯ le Q.A.M de VAN DER LINDEN et al.(1989) : Ce questionnaire a été construit de manière empirique par plusieurs neuropsychologues cliniciens (universités de Liège et de Louvain). Il comporte 64 questions regroupées en 10 rubriques, telles que « les oublis concernant les conversations », « les oublis concernant les actions à effectuer », « les distractions », etc. Une question générale (« avez-vous des problèmes de mémoire dans la vie quotidienne ? ») est proposée en début et en fin de questionnaire, ce qui permet d’évaluer parfois la prise de conscience progressive par le patient de difficultés mnésiques au cours du questionnaire. Ce questionnaire existe en deux versions : l’une est administrée au sujet lui-même et l’autre est remplie séparément par un proche du patient. ➯ l’E.D.C de MAC NAIR et KAHN (1984) : Cette échelle d’auto-évaluation des difficultés cognitives a été traduite en français par Lucien ISRAEL (1986), et validée sur plus de 400 sujets (J.POINTRENAUD, L. ISRAEL et al., 1996). L’E.D.C se compose de 39 items avec, pour chacun d’entre eux, cinq possibilités de réponse allant de « jamais » à « très souvent ». Ce n’est pas seulement une échelle de plainte mnésique, elle s’intéresse aussi à plusieurs facteurs (B.F. MICHEL et al., 1997) : ➯ l’attention / concentration (ex : « je perds le fil de mes idées en écoutant quelqu’un d’autre »). ➯ la mémoire (ex : « il m’est difficile d’évoquer le nom des gens que je connais »). ➯ l’orientation temporelle (ex : « j’oublie quel jour de la semaine nous sommes »). ➯ les difficultés cognitives diverses (ex : « je fais des fautes en écrivant, en tapant à la machine ou en me servant d’une calculatrice »). Ces questionnaires peuvent sembler un peu longs, mais ils permettent de bien systématiser la nature et l’intensité de la plainte. L’obtention d’un score rend plus objective la ré-évaluation de la plainte mnésique au cours d’un bilan neuropsychologique de contrôle 61 3 - l’examen neuropsychologique : La plainte mnésique dans sa dimension inter-subjective est l’expression d’une souffrance à laquelle une réponse doit être apportée. L’interrogation clinique porte sur le substratum de cette plainte. Est-elle à mettre en relation avec ce que l’on appelle « les oublis bénins liés à l’âge » ? S’intègre-t-elle plus dans des troubles de l’humeur ? Est-elle plutôt le reflet d’un processus dégénératif débutant ou avéré ? L’évaluation neuropsychologique apporte une orientation diagnostique, avec, en grille de lecture sous-jacente, le diagnostic précoce des syndromes démentiels. Ce bilan, détaillé, doit rechercher systématiquement les signes d’un dysfonctionnement cognitif pouvant évoquer un mode d’entrée dans un processus involutif. Les compétences mnésiques doivent certes faire l’objet d’un examen approfondi, mais l’on ne doit pas se priver d’évaluer les autres fonctions cognitives. La recherche de troubles neuropsychiatriques doit également s’intégrer dans ce bilan neuropsychologique, ainsi qu’une estimation de l’autonomie du sujet. Sans que la trame qui va suivre soit exhaustive, voici une possibilité de bilan neuropsychologique face à la plainte mnésique d’un patient : ➯ l’entretien et les questionnaires d’auto-évaluation (détaillés plus haut) ; ➯ une évaluation rapide du niveau cognitif global (MMSE ou ERFC) ; ➯ une estimation rapide du niveau antérieur (Automatismes Verbaux de BEAUREGARD ou Test de vocabulaire de BINOIS et PICHOT) ; ➯ une évaluation mnésique, verbale et visuelle. L’épreuve de GROBER et BUSCHKE est un bon indicateur, qui permet de quantifier et de qualifier le trouble. Pour la mémoire visuelle, on peut utiliser le test de la figure complexe de REY, ou le test de rétention visuelle de BENTON. Quelques indications sur les capacités de mémoire à court terme peuvent être obtenues au travers des mesures classiques d’empan à l’endroit. On peut se faire une idée sur les capacités de mémoire de travail par le biais des mesures d’empan à l’envers, (subtests « mémoire des chiffres » et « mémoire visuelle » de l’ECHELLE CLINIQUE DE MEMOIRE DE WECHSLER-REVISEE). Enfin, l’entretien nous renseigne sur les capacités de restitution des données autobiographiques et de la chronologie personnelle, ainsi que sur les possibilités de rappel de quelques événements d’actualité ; ➯ l’examen du langage doit comporter une épreuve de dénomination à la recherche d’un manque du mot (par exemple la DO.80 du réseau INSERM). En cas de doute sur les compétences langagières du patient, 62 un examen du langage approfondi est nécessaire à l’aide de batteries s p é c i fiques (exemple : Boston Diagnostic Aphasia Examinat i o n (BDAE) ou le protocole Montréal-Toulouse d’examen linguistique de l’aphasie) ; ➯ les praxies sont évaluées au travers de petites épreuves cliniques telles que la copie de dessins (figures planes ou en trois dimensions), l a réalisation ou l’imitation de gestes symboliques ou sans signification, l’utilisation d’objets de la vie courante ; ➯ les capacités gnosiques peuvent être testées à l’aide de petites épreuves telles que l’identification de figures enchevêtrées (LILIA GHENT ou POPPELREUTER), et de façon plus approfondie au travers du Protocole d’Evaluation des Gnosies Visuelles (PEGV) qui permet de distinguer les niveaux perceptif et associatif de l’identification visuelle ; ➯ les fonctions exécutives peuvent être abordées rapidement par le biais de la Batterie Rapide d’Evaluation Frontale de DUBOIS et PILLON, par le TRAIL MAKING TEST, le STROOP et quelques épreuves cliniques de programmation graphique et gestuelle. Ce qui précède concerne donc l’évaluation des critères cognitifs de démence (DSM-IV). Mais le bilan neuropsychologique ne s’arrête pas là. Au niveau des éventuels troubles psychocomportementaux, les données recueillies par l’entretien peuvent être étayées par quelques échelles d’évaluation. Concernant les troubles de l’humeur, et notamment l’évaluation des synd romes dépressifs, les échelles de dépression classiques (HAMILTO N, MADRS) sont à utiliser avec prudence car elles sont peu spécifiques du sujet vieillissant. Les items concernant les troubles somatiques et cognitifs risquent d’élever artificiellement le score de dépression. Il est préférable de se référer aux outils d’évaluation spécifiques à la personne âgée qui commencent à être d i s p o n i bles (V. AU B I N - B RU N E T, R. JOUVENT, 1996). Par exe m p l e, « l’échelle de dépression gériatrique » de YESAVAGE et BRINK qui s’intéresse uniquement à la symptomatologie psychique du syndrome dépressif du sujet âgé. Si nécessaire, c’est-à-dire en fonction des conclusions psychométriques, les troubles du comportement peuvent être évalués au travers de « l’inventaire neuropsychiatrique » (P.H. ROBERT et al., 1998). Enfin, pour l’appréciation de l’autonomie fonctionnelle et sociale du patient (et plus dans l’optique d’un suivi au long cours), l’entretien peut se compléter par la passation rapide de l’échelle I.A.D.L (P. BARBERGER-GATEAU et al., 1993). 63 ♦ Diagnostic différentiel 1 - Plainte mnésique et oublis bénins / démence (DSTA) Le tableau classique est celui de patients venant consulter de leur propre initiative, avec une plainte mnésique dont l’intensité peut être variable ; les oublis concernent les faits récents sans perturber de façon importante le quotidien. L’examen neuropsychologique montre effectivement une petite diminution des performances mnésiques, sans que les critères de DSTA ne soient réunis, et en l’absence d’une symptomatologie dépressive franche. Il est alors usuel de qualifier ces troubles « d’oublis bénins de la sénescence ». Très tôt le souci de pouvoir différencier les oublis imputables aux effets de l’âge des signes avant coureurs d’une détérioration s’est posé. KRAL, dès 1962, avait proposé une dichotomie en oublis malins (évoluant vers la démence), et oublis bénins liés à l’âge (benign senescent forget fulness). D’autres classifications ont été proposées dans le même but. En 1986 est né le concept d’AAMI, « aged associated memory impairment » ( CROOK et al.), pour tenter de préciser les critères d’une altération de la mémoire liée à l’âge. Les critères d’inclusion au diagnostic d’AAMI peuvent être résumés de la sorte : ➯ les sujets des deux sexes doivent être âgés de 50 ans et plus ; ➯ il doit exister une plainte mnésique ; ➯ l’évolution des troubles doit être progressive sans qu’il y ait eu aggravation subite dans les mois précédant l’évaluation ; ➯ la présence de perturbations de la mémoire secondaire (mémoire récente) doit être objectivée par un ou plusieurs tests standardisés, avec une déviation de plus d’un écart type par rapport aux valeurs de l’individu jeune. (Par exemple : note M 6 au test de rétention visuelle de Benton, administration A ; note M 6 au sous-test de mémoire logique, et note M 13 au sous-test d’apprentissage associé de la Batterie de Mémoire de WECHSLER) ; ➯ la préservation d’un bon fonctionnement intellectuel objectivé par un score de 9 au moins au subtest de Vocabulaire de la WAIS ; ➯ l’absence de démence démontrée par un score de 24 ou plus au Mini Mental State Examination de FOLSTEIN (MMSE). Enfin, devait être exclu toute affection ou traitement pouvant engendrer une détérioration cognitive. 64 Ce concept a depuis été largement critiqué. Florence MAHIEUX et Marie-Christine GELY-NARGEOT (1997) résument ces différents points de désaccord quant au choix des critères et à la validité du concept lui-même. Dans les nombreuses critiques apparaissent par exemple la non prise en compte du niveau culturel, la réduction au seul MMSE pour exclure une démence, la déviation à la moyenne de sujets jeunes. En reprenant les diverses tentatives de définition de cette entité anciennement connue sous le terme d’AAMI, les deux auteurs montrent à quel point il est encore difficile, mais nécessaire, de spécifier cette catégorie clinique. Dans sa dernière édition de 1996, le DSM a inclus ces patients souffrant de troubles mnésiques liés à l’âge dans une nouvelle catégorie diagnostique : l’Age Related Cognitive Decline (ARCD). Dans cette nouvelle acceptation, la sphère cognitive dans son entier est concernée et non plus seulement les capacités mnésiques. La plainte mnésique devient facultative, le constat objectif du déclin cognitif étant au centre de cette définition de l’ARCD. En résumé, des patients présentant une plainte mnésique (ou non, si l’on se réfère à l’ARCD) et dont les tests objectivent un déclin mnésique modéré mais significatif, sans troubles associés, peuvent entrer dans la catégorie des oublis bénins de la sénescence. La lecture de la littérature montre à quel point la définition précise de cette entité est difficile. De façon sous jacente, la limite du vieillissement normal ou pathologique est très présente, avec de nombreux questionnements quant à l’évolution de ces oublis « bénins ». Des études ultérieures permettront peut-être de savoir si les patients dont les troubles s’inscrivent dans les oublis bénins liés à l’âge sont en phase pré-clinique de démence, ou « s’ils constituent réellement une entité nosologique stable qui les différencie des normaux et des futurs déments » (M. PUEL et al., 1997). 2 - Plainte mnésique et dépression / démence (DSTA) La vieillesse n’est pas une maladie. Toutefois, la personne âgée doit entreprendre, à cette étape finale de sa vie, certains réaménagements psychiques. Cette période correspond à une véritable crise existentielle (au sens Ericksonien du terme), qui peut parfois être difficilement surmontée et se solder par un aménagement dépressif. Cette symptomatologie dépressive n’est pas toujours diagnostiquée pour deux raisons essentielles : 65 ➯ la première est imputable aux idées socialement préconçues sur le vieillissement considéré uniquement dans sa dimension de pertes et de déficits. Dans ce contexte, il est donc considéré comme normal que le sujet réponde à la vieillesse par la dépression. Le désintérêt, la pauvreté du discours, la mimique figée, la tendance apathique ou tout autre symptôme sont alors banalisés et dépouillés du message de souffrance morale dont ils sont porteurs ; ➯ la seconde raison (qui vient sans doute en réponse à la première), réside dans les modalités d’expression de la dépression chez le sujet âgé. Il est assez rare en effet que la douleur dépressive soit verbalisée comme telle, un cortège de plaintes somatiques diverses étant au premier plan. Les difficultés de concentration et de décision, le ralentissement psychomoteur, les trous de mémoire font partie des symptômes contribuant au diagnostic de dépression (DSM). Chez le sujet âgé déprimé, il arrive que ces difficultés cognitives soient exacerbées. La plainte mnésique est alors massive, c’est une plainte catastrophe avec la crainte parfois à peine dissimulée de la déchéance intellectuelle et de l’incurabilité. Le principal diagnostic différentiel se situe entre dépression et démence, situation parfois bien épineuse tant ces deux entités tissent des liens étroits. L’analyse de la plainte mnésique est alors un élément de valeur diagnostique. L’intensité de la plainte du patient déprimé s’oppose à la modestie des doléances dans les processus démentiels. Cette plainte sévère est souvent accompagnée d’autres plaintes (fatigue, maux de tête, etc.). Les oublis portent sur des activités mnésiques demandant le plus d’effort avec de grosses difficultés de concentration. La phase d’encodage des informations peut être de ce fait perturbée, mais l’indiçage améliore généralement la récupération du souvenir, alors qu’il est inefficace dans les affections organiques de type DSTA. Enfin, ces perturbations mnésiques ne s’accompagnent généralement pas d’autre déficit cognitif (un léger retentissement sur les fonctions exécutives peut parfois s’observer). L’orientation diagnostique est parfois difficile, surtout quand les signes clinique de démence ne sont pas réunis mais que quelques signes d’appel neuropsychologiques nous posent question. A un stade précoce, le doute persiste compte tenu de la présence incontestable de troubles cognitifs dans les dépressions, et de perturbations psychocomportementales (encore peu connues mais bien réelles) dans les processus dégénératifs débutants. Les données de la littérature sur ce sujet sont abondantes mais la question n’a pas pour autant trouvé de réponse franche, tant les intrications entre ces deux pathologies sont complexes. 66 T. GALLARDA (1999), précise que « l’approche théorique des relations entre maladie dépressive et démence ne se pose plus en terme de diagnostic différentiel mais en terme de comorbidité et d’intrication de ces deux affections ». Il rappelle le résultat d’études montrant que certaines formes cliniques de dépression d’apparition tardive (après 60 ans) constitueraient un facteur de risque d’une évolution démentielle. Sur le plan pratique, et compte tenu des données actuelles, la prudence est de rigueur afin de ne pas porter le diagnostic de démence pour une réelle dépression, et de ne pas masquer un processus dégénératif débutant par un diagnostic de dépression porté trop hâtivement. C’est pourquoi il convient, en présence d’un patient dont le comportement suggère un état dépressif, de tenter de cerner s’il s’agit d’une réelle dépression. Le bilan neuropsychologique doit être détaillé, à la recherche de signes d’appel d’un éventuel processus dégénératif. Compte tenu de l’augmentation du risque de démence dans cette population, quand un déficit cognitif est observé le suivi neuropsychologique s’impose, même après amélioration éventuelle par traitement antidépresseur d’épreuve et prise en charge psychologique. 3 - Plainte mnésique et démence (DSTA) Dans les états démentiels de type DSTA la plainte mnésique est rarement intense voire même totalement absente. L’entretien peut parfois faire admettre quelques oublis, mais ceux-ci sont minimisés. La répercussion des troubles sur les activités quotidiennes est souvent occultée par le patient. L’entretien avec l’entourage est alors très contributif. Dans quelques cas plus rares, même à un niveau de déclin cognitif avancé, les patients expriment un mécontentement quant à leur mémoire avec une conscience douloureuse des troubles. Ceci est valable pour les patients dont les troubles cognitifs s’inscrivent dans l’hypothèse d’une probable DSTA, c’est-à-dire dont les déficits objectivés réunissent les critères de démence (DSM). La démence est un processus involutif que l’on sait de mieux en mieux identifier, mais qu’en est-il du stade pré-démentiel, et notamment des doléances du patient à ce stade infra-clinique ? Peu de travaux empiriques permettent de définir précisément la plainte mnésique, et plus particulièrement de distinguer un trouble fonctionnel bénin d’un trouble prémonitoire de démence. C’est dans cette optique qu’au niveau de l’étude PAQUID, J.F. DARTIGUES et al. (1997), ont tenté d’analyser la plainte mnésique dans sa visée épidémiologique. 67 Cette enquête a respecté quatre critères : ➯ un échantillon représentatif de la population générale avec contrôle des biais de sélection. ➯ le recueil des données sur les troubles mnésiques différenciant un trouble ressenti, un trouble exprimé (au médecin par le sujet), un trouble reconnu par l’entourage et une mesure de la performance mnésique. ➯ le suivi longitudinal et prospectif de l’échantillon. ➯ la recherche active des sujets évoluant vers une démence. L’étude a été menée auprès de 1503 sujets de plus de 65 ans. La plainte mnésique, recueillie par un questionnaire, a été confrontée aux performances cognitives mesurées à l’aide de deux tests neuropsychologiques. Six groupes ont ainsi été définis : ➯ groupe 1 : pas de trouble ressenti ni exprimé ; performances normales. ➯ groupe 2 : pas de trouble ressenti ni exprimé ; performances basses. ➯ groupe 3 : trouble ressenti mais non exprimé ; performances normales. ➯ groupe 4 : trouble ressenti mais non exprimé ; performances basses. ➯ groupe 5 : trouble ressenti et exprimé ; performances normales. ➯ groupe 6 : trouble ressenti et exprimé ; performances basses. Le suivi de ces sujets s’est effectué sur quatre ans, avec recherche active des démences incidentes à deux et quatre ans. Les résultats obtenus montrent que l’incidence de démence (en personneannée) est plus importante pour les groupes 4, 5 et 6 (respectivement égale à 2.45 %, 1.42 % et 3.64 % contre 0.36%, 0.96% et 0.33 % pour les trois premiers groupes). Selon ces résultats, la plainte mnésique serait donc un indicateur de l’augmentation du risque de démence (groupe 5 et 6), même quand les résultats aux tests sont normaux (groupe 5). En résumé, l’expression d’une plainte mnésique est à considérer avec sérieux. Même si les résultats aux tests ne montrent pas de déficit, le suivi neuropsychologique est donc préférable pendant quelques années. ♦ Conclusion La plainte mnésique, si fréquente avec l’avancée en âge, mérite une attention particulière. Indissociable de l’examen médical, l’évaluation neuropsychologique détaillée doit permettre de tracer le profil cognitif du patient et son éventuelle compatibilité avec certaines « pathologies ». Nous avons vu que la présence d’une plainte mnésique n’était pas forcément le reflet d’un dysfonctionnement cognitif. Elle peut s’inscrire dans ce qu’il est commun d’appeler les oublis bénins de la sénescence, être plus en rapport 68 avec un contexte anxio-dépressif, ou s’exprimer chez des sujets sans troubles thymiques francs, ni affaiblissement cognitif. Quels que soient les résultats psychométriques obtenus, la programmation de bilans de contrôle à distance semble s’imposer, et ce, pour deux raisons essentielles. Tout d’abord les études citées en référence incitent à la prudence quant à la valeur pronostique de cette plainte mnésique. La survenue tardive d’un état dépressif, la présence d’un oubli bénin, voire même l’existence d’une plainte mnésique isolée, constituent autant de facteurs de risque supplémentaires en faveur de la survenue d’un processus démentiel ultérieur. Même si les études s’intéressant à la plainte mnésique n’en sont encore qu’à leurs balbutiements, on ne peut ignorer les premières conclusions. Les recherches ultérieures permettront sans doute d’affiner les outils d’évaluation, et d’arriver à une meilleure exploration clinique de cette plainte mnésique. Ensuite, dans sa dimension inter-subjective, la plainte mnésique doit être entendue et recevoir écho. Le bilan neuropsychologique permet au sujet de tester ses propres croyances en comparant ses performances à celles de son groupe d’âge. La retransmission orale des conclusions rassure souvent le patient, et le suivi annuel a, entre autres, la même fonction sécurisante. Enfin, rappelons quand même que la fréquence de la plainte mnésique est loin de refléter l’incidence des démences dans la population générale. S’intéresser à cette plainte dans une visée pronostique est bien sûr d’une grande importance, au même titre que les recherches portant sur des indicateurs psychométriques susceptibles de contribuer précocement au diagnostic de démence. Mais les rapports entre plainte mnésique et syndromes démentiels ne sont pas linéaires, tout comme la vieillesse ne se limite pas à ses déficits. Les stéréotypes réducteurs, en se centrant sur les pertes, masquent les ressources encore disponibles à cette période de vie. Face à une telle image sociale de la vieillesse, la plainte mnésique est peut-être la seule plainte susceptible d’être entendue... 69 REFERENCES American Psychiatric Association-DSM-IV- Manuel Diagnostique et statitique des troubles mentaux, 4° édition (version internationale, WASHINGTON DC, 1995). Traduction française par J.D. GUELFI et al., 1996. Masson, Paris. ASSOUN P.L.(1983) Le vieillissement saisi par le psychanalyste Communications, 37, 167-179. AUBIN-BRUNET V., JOUVENT R. (1996). Méthodologie d’évaluation de la dépression chez l’âgé. in LEMPIERRE T. (sous la direction de), Les dépressions du sujet âgé. Acanthe, Masson. BARBERGER-GATEAU P., DARTIGUES J.F., LETENNEUR L. (1993). Four instrumental activities of daily living score as a predictor of one year incident dementia. in Age and ageing, 22, 457-463. CROOK T., BARTUS R.T., FERRIS S.H., WITEHOUSE P., COHEN G.D., GERSHON S. (1986). 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Toutefois, le type des altérations observées peut différer selon qu’il s’agisse d’une démence d’Alzheimer ou d’une démence frontale ou sous cortico frontale. Le contraste le plus schématique est celui observé entre le déficit d’évocation propre aux démences frontales et fronto sous corticales et le déficit de l’encodage-stockage du souvenir de la démence d’Alzheimer. Quant à la mémoire implicite, les altérations observées restent encore disparates. Mots clés : mémoire, démences. Memory and dementias Abstract A diagnosis of dementia cannot be considered unless memory deficits are present. Thus, dementia is an illness process which impairs explicit memory, whether it concerns working memory, episodic memory or semantic memory. Remote memory and autobiographical memory, which combine both episodic and semantic memory, are also impaired. However, the type of impairment observed can differ according to the type of dementia: Alzheimer’s disease, or a frontal or subcortical-frontal dementia. One of the most obvious contrasts is that observed between deficits of evocation which are specific to frontal and frontal subcortical dementia on one hand, and deficits of encodingstocking of memories on the other hand, the latter being specific to Alzheimer’s dementia. With regard to explicit memory, disparities exist between observed impairments. Key Words : memory, dementia. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 71 Roger GIL Professeur de Neurologie CHU de la Milétrie 86021 Poitiers S i les démences sont multiples, elles sont néanmoins dominées épidémiologiquement par la maladie d’Alzheimer qui représente environ la moitié des causes de démences (Cummings et Benson, 1992). Les démences fronto-temporales représentent la deuxième grande cause de démence dégénérative, leur prévalence étant estimée à 1 cas de démence fronto temporale pour 6.6 cas de démence d’Alzheimer (Pasquier et Lebert, 1995). Mais l’existence d’un dysfonctionnement frontal concerne non seulement les démences frontales, c’est-à-dire comportant une atteinte corticale, mais aussi les démences sous corticales, dénommées aussi démences fronto sous corticales qui entrainent une désafférentation frontale. Telles sont les démences observées au cours de la paralysie supra nucléaire progressive, de la chorée de Huntington, de la maladie de Parkinson, mais aussi au cours d’affections de la substance blanche notamment au cours de certaines formes de sclérose en plaques. Quelque soit la cause ou la variété anatomo-clinique d’une démence, le diagnostic ne peut pas être porté en l’absence de troubles de la mémoire. La classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement (CIM - 10) indique que l’altération de la mémoire porte typiquement sur l’acquisition, le stockage et le recouvrement des informations nouvelles, les souvenirs anciens et personnels pouvant également être oubliés particulièrement dans les formes évoluées. Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) souligne aussi le caractère obligatoire de la mise en évidence d’une altération de la mémoire considérée comme un élément nécessaire (mais non suffisant) au diagnostic de démence. En effet, il faut rappeler qu’outre le trouble de la mémoire, le diagnostic de démence nécessite l’atteinte d’au moins une autre fonction neuropsychologique (aphasie, agnosie, apraxie, syndrome dys-exécutif), un recul de temps suffisant (6 mois précise la CIM 10) et la constatation d’un retentisse- 72 ment des perturbations neuropsychologiques sur les activités professionnelles ou sociales ou sur les relations avec les autres. L’évaluation de la mémoire est donc bien au centre de la démarche clinique qui permet de suspecter voire d’affirmer un processus démentiel et de faire des hypothèses sur sa classification. ♦ Plaintes mnésiques, métamémoire et démence La métamémoire désigne la connaissance qu’a le sujet de ses performances mnésiques. L’anosognosie désigne l’inconscience qu’a le sujet de sa maladie et tout particulièrement de ses déficits mnésiques. Il est schématique de dire que la plainte mnésique existe au stade débutant de la maladie d’Alzheimer et s’atténue au fur et à mesure que la maladie s’aggrave pour faire place à une anosognosie. Il ne faudrait toutefois pas en inférer que c’est l’amnésie qui conditionne la méconnaissance du déficit mnésique puisque des observations privilégiées ont pu montrer qu’un syndrome amnésique sévère peut coexister avec une connaissance du trouble (Duyckaerts et al., 1985). Il a même pu être montré qu’il n’existait qu’une faible corrélation entre la performance mnésique et l’évaluation de la métamémoire. D’une manière générale et en fonction des travaux publiés, on peut avancer que l’anosognosie (et en particulier l’altération de la métamémoire) a pu apparaître plus souvent en relation avec la sévérité du dysfonctionnement frontal qu’avec la sévérité du processus démentiel (Michon et al., 1994). ♦ Mémoire de travail et démence Les processus démentiels entraînent en règle générale une altération de la mémoire immédiate et de la mémoire de travail. On peut en première approximation considérer que l’empan, qu’il soit numérique (subtest de mémoire de chiffres de la WAIS) ou qu’il soit visuel (test des blocs de Corsi) est diminué dans les démences. Il n’a pas été observé de différence significative dans la réduction de l’empan dans la modalité verbale entre les démences d’Alzheimer et les démences frontales. Le paradigme de Brown et Peterson permet aussi d’étudier l’oubli en mémoire à court terme. Il consiste à demander au sujet de rappeler dans un délai de quelques secondes à deux dizaines de secondes, des trigrammes, c’est à dire des séries de 3 lettres ou mots, le sujet devant, pendant l’intervalle de temps qui sépare la présentation du trigramme de son rappel, faire une tâche distractive (compter à rebours). L’oubli survient dans des délais plus brefs au cours des 73 processus démentiels, qu’il s’agisse de démence d’Alzheimer ou de démence frontale. Toutefois, en modalité visuo-spatiale, les patients atteints de maladie d’Alzheimer ont des performances moindres que les patients atteints de démence frontale. On sait que la mémoire de travail a été imaginée par Baddeley comme une mémoire tampon qui permet l’allocation de ressources attentionnelles et qui est supervisée par l’administrateur central coordonnant des systèmes esclaves et en particulier la boucle phonologique et le bloc-note visuo-spatial. Les processus démentiels et en particulier la maladie d’Alzheimer et les démences frontales comportent une atteinte précoce de l’administrateur central encore qu’on ne puisse exclure dans la démence d’Alzheimer l’atteinte de l’un ou l’autre des systèmes esclaves dont on sait qu’il repose pour la boucle phonologique sur le stockage des informations verbales et pour le bloc-note visuo-spatial sur la perception visuelle et l’imagerie mentale. ♦ Les autres mémoires La mémoire épisodique est altérée lors des processus démentiels dont l’évolution va même entraîner une dissolution progressive de la conscience identitaire de l’individu. Le terme de mémoire épisodique désigne en effet la capacité d’enregistrer et de se souvenir d’informations référencées dans un environnement spatio-temporel. A ce titre, la mémoire épisodique, conçue comme mémoire des événements de la vie, se confond en partie avec la mémoire autobiographique à condition de considérer que nombre d’éléments re l evant de la mémoire autobiographique renvoient aussi à un savoir et relèvent donc de la mémoire sémantique. La mémoire épisodique concerne donc aussi toutes les informations qui tissent jour après jour la vie quotidienne : se souvenir d’une communication téléphonique, de fermer la porte, de débrancher le fer à repasser, d’éteindre le gaz sur la cuisinière. C’est cette même mémoire épisodique qui est explorée en situation de testing quand on demande à un sujet d’apprendre des listes de mots ou des listes d’images. La mémoire épisodique visuo-spatiale est ainsi explorée en clinique par la figure de Rey ou par le test de rétention visuelle de Benton. La mémoire verbale est explorée par le test des 15 mots de Rey ou le test de Grober Buschke. Ces deux épreuves permettent de tester le rappel libre et la reconnaissance et d’opposer déjà deux profils : le premier de type hippocampique associant un déficit en rappel libre et un déficit en reconnaissance ; le 74 second témoignant d’une amnésie d’évocation de type frontal et associant un déficit en rappel libre avec une normalisation de la performance en reconnaissance. Toutefois, de bonnes performances en reconnaissance peuvent être observées aux stades initiaux de la démence d’Alzheimer, soit que cette préservation témoigne d’une atteinte frontale précoce, soit qu’elle témoigne d’une vulnérabilité peu marquée du processus de reconnaissance. L’intérêt du test de Grober et Buschke est double : il permet d’abord de contrôler le processus d’encodage ; il permet ensuite d’étudier la récupération en mémoire par un indiçage sémantique (quel est le nom de la fleur ? quel est le nom du fruit ?...). La mémoire indicée est plus fragile que la mémoire de reconnaissance ; atteinte au tout début de la maladie, elle y voit ses performances rapidement décroître avec l’aggravation de la démence (Dubois et al., 1997). Par ailleurs, la comparaison de sujets atteints de maladie d’Alzheimer débutant et de pseudo démence dépressive a permis à Gainotti et Marra (1994) de constater que ces deux groupes de malades ne se distinguent ni par leurs performances en rappel libre ni par leurs performances en reconnaissance. Par contre, les patients atteints de maladie d’Alzheimer ont des intrusions en rappel différé et de fausses reconnaissances. La comparaison de patients atteints de démence d’Alzheimer et de démence fronto temporale montre que les premiers ont à la fois des troubles d’encodage (comme le montre le déficit du rappel indicé immédiat à l’épreuve de Grober et Buschke), du stockage, de la consolidation et de la récupération. Par contre, au cours des démences fronto temporales, le déficit intéresse essentiellement la récupération des informations, le déficit du rappel libre contrastant avec les bonnes performances observées en rappel indicé et en reconnaissance. Toutefois si l’encodage contrôlé est satisfaisant dans les démences fronto temporales, il est déficitaire quand il doit être mis en œuvre de manière spontanée en position de mémorisation incidente (Pasquier et Lebert). La mémoire sémantique est indissociable du langage dont on sait qu’il est, chez le sujet dément, quantitativement et informativement appauvri. Ainsi, observe t-on dans les démences corticales et en particulier dans la maladie d’Alzheimer, des perturbations des tests de dénomination, de fluence verbale ainsi que des subtests de similitudes, de vocabulaire et d’information de la WAIS. La fluence catégorielle (donner des noms d’animaux ou de fruits, etc.) est davantage perturbée au cours de la démence d’Alzheimer que la fluence littérale (citer des mots commençant par une lettre donnée). Des tests de fluence 75 comme le test du supermarché (Tröster et al., 1989) montrent que les patients atteints de maladie d’Alzheimer ont tendance à produire plus des super ordonnées désignant des catégories (des fruits...) que des noms d’articles (des pêches, des poires...) ce qui évoque une détérioration du stock sémantique dit de type « bottum up ». Le déficit sémantique peut prédominer sur la catégorie des vivants plus atteinte que celle des objets inanimés. Reste le problème de savoir si les déficits observés sont liés soit à une détérioration du stock des informations sémantiques, soit à une difficulté d’accès à ces informations. Les tâches de fluence verbale révèlent aussi un déficit de l’évocation lexicale au cours des démences frontales ainsi qu’au cours des démences sous corticales. La mémoire des faits anciens ou mémoire tertiaire désigne l’altération des souvenirs antérieurs au début de la maladie (mémoire du passé ou mémoire rétrograde). Le déficit mnésique obéit habituellement à un gradient temporel, les souvenirs étant d’autant plus atteints qu’ils sont moins éloignés dans le temps. C’est ce qui est observé au cours de la maladie d’Alzheimer qui peut toutefois ou même pendant les premières années d’évolution laisser persister une réactivation des souvenirs en reconnaissance. Cette mémoire s’étend aussi bien à l’histoire personnelle du sujet qu’à l’histoire de la société dans laquelle il vit et en particulier les événements publics. Elle recouvre donc la partie la plus ancienne de la mémoire autobiographique ; elle mêle des souvenirs qui relèvent pour certains de la mémoire épisodique, pour d’autres de la mémoire sémantique. La consolidation des souvenirs les plus anciens pourrait relever de leur sémantisation notamment quand il s’agit d’événements publics ou de personnalités politiques. C’est en tout cas cette altération progressive de la mémoire rétrograde qui participe à la dissolution de la conscience identitaire de l’individu abolissant progressivement les souvenirs de son histoire personnelle comme de l’histoire de son environnement familial et social. ♦ Mémoire implicite et démence La mémoire implicite comporte d’une part l’amorçage par répétition qui peut être verbal ou perceptif et d’autre part la mémoire procédurale qui permet d’acquérir des habiletés perceptivo-motrices ou cognitives comme par exemple l’apprentissage de la lecture de mots en miroir qui se fait en pratiquant ce mode de lecture sans qu’aucune autre consigne ne soit donnée au sujet. Les constatations faites au cours des démences donnent des résultats disparates. La mémoire procédurale est habituellement préservée dans la démence d’Alzheimer et peut être altérée dans les démences sous corticales, l’acquisition 76 des procédures dépendant des structures sous corticales et en particulier du striatum. Des épreuves d’amorçage verbal et perceptif qui dépendent théoriquement de l’intégrité du cortex ont donné au cours de la maladie d’Alzheimer des résultats très disparates montrant tantôt une préservation ou un relative préservation, tantôt une altération. Les malades atteints de démence fronto temporale ont des capacités de mémoire implicite supérieures à celles des patients atteints de maladie d’Alzheimer tant dans les tâches de complètement de mots que dans les tâches d’amorçage perceptif. 77 REFERENCES BOLLA K.I., LINDGREN K.N., BONACCORSY C., BLEECKER M.L. Memory complaints in older adults. Fact or fiction. Arch Neurol, 1991, 48, 61-64. CUMMINGS J.L., BENSON D.F. Dementia : a clinical approach. Buttenworth-Heinemann, Boston, 1992. 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Key Words : memory, psychometric tests, experimental paradigm, theoretical models, anterograde memory, retrograde memory. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 79 Véronique BONNAUD Psychologue Unité de Neuropsychologie & Rééducation du Langage CHU de Poitiers Cité hospitalière de la Milétrie 350, avenue Jacques Cœur 86021 Poitiers cedex M émoriser est une aptitude fondamentale de l’être humain. Toute atteinte des capacités de mémorisation ne peut être que très douloureusement vécue. Il est donc nécessaire, afin de pouvoir apporter à un patient une aide la plus efficace possible, d’évaluer avec précision ses différentes capacités mnésiques. L’observation de patients amnésiques a mis en évidence l’existence de dissociations comme par exemple la préservation des souvenirs anciens apparaissant de façon concomitante à l’altération de l’acquisition de nouveaux souvenirs ou bien la préservation de connaissances générales associée à une altération du rappel d’événements personnels situés dans un contexte spatio-temporel précis. Il existe de nombreuses autres dissociations qui ont contribué à affirmer le phénomène dynamique de la mémoire et à penser que cette faculté est composée de différents systèmes. Il n’est pas possible d’isoler la mémoire des autres fonctions cognitives. L’examen clinique de la mémoire doit s’intégrer dans le cadre d’une évaluation globale des fonctions supérieures. Il est en effet important de savoir si l’atteinte est isolée ou si elle s’intègre dans un désordre cognitif plus large et il est nécessaire de vérifier qu’il n’y ait pas de troubles susceptibles de gêner l’acquisition. Afin d’apprécier au mieux l’intensité des troubles observés, il est nécessaire d’effectuer une estimation de l’efficience intellectuelle générale pour mettre en évidence l’existence ou non d’une détérioration intellectuelle. Cette efficience peut être estimée à travers des épreuves cliniques rapides telles que le MMS de Folstein, l’E.R.F.C. ou en utilisant des tests standardisés et plus élaborés comme la WAIS-R. Il est nécessaire d’étudier également les fonctions spécifiques concernant le langage, les praxies, les gnosies, le jugement, le raisonnement sans oublier l’état affectif. L’évaluation clinique de la mémoire conduit à affirmer ou infirmer l’existence d’un trouble mnésique qu’il convient de caractériser. Cette évaluation prend des formes variées selon le contexte. Fréquemment l’évaluation sert à contribuer au diagnostic d’un syndrome démentiel. Elle permet également de connaître l’intégrité ou non des capacités de chaque système de mémoire, de 80 préciser les processus atteints et ceux préservés, en vue d’une éventuelle rééducation, de permettre un suivi. Il n’existe pas d’examen standard de la mémoire, lequel ne peut être que personnalisé ; cependant, un schéma global d’évaluation doit être respecté. L’étude de la mémoire s’articule selon deux axes qui sont, pour le premier, un entretien semi-dirigé et détaillé avec le patient et sa famille, et pour le second, un bilan psychométrique qui comprend des tests standardisés et des paradigmes expérimentaux. Chaque axe aborde les deux composantes principales du syndrome amnésique, représentées par l’amnésie antérograde et l’amnésie rétrograde. Le bilan psychométrique permet de mesurer les performances d’un sujet donné pour les confronter à un groupe de sujets de même âge. Si l’entretien permet de préciser les objectifs et de poser des hypothèses, les épreuves et les tests ont quant à eux pour but de quantifier les réponses du sujet, d’affirmer ou d’infirmer les hypothèses émises. L’évaluation psychométrique repose sur l’utilisation de tests standardisés et de paradigmes expérimentaux ; elle s’appuie sur des méthodes directes et indirectes d’évaluation de la mémoire. Il est essentiel de ne pas dépasser le niveau de fatigue du sujet et de veiller à l’état d’anxiété du patient. En effet, anxiété et fatigabilité faussent les résultats et interdisent toute conclusion. ♦ Rappels et définitions 1 - Les tests standardisés permettent de situer les performances d’un sujet par rapport à une norme, c’est-à-dire par rapport à sa classe d’âge et en fonction de son niveau socio-culturel. Ils ont des qualités métrologiques très fiables et ont un bon étalonnage. Les limites de ces épreuves se situent au niveau théorique puisqu’elles reposent sur des conceptions anciennes, imprécises et souvent unitaires de la mémoire. Ces tests ne s’intéressent presque exclusivement qu’à la mémoire épisodique et distinguent la mémoire à court terme, la mémoire à long terme avec deux modes de présentation, visuelle ou verbale. 2 - Les paradigmes expérimentaux sont des épreuves qui évaluent des modèles de fonctionnement de la mémoire. Ils ont été construits à partir d’un modèle cognitif et permettent de préciser la nature du déficit. Cependant, l’étalonnage est peu fiable, réalisé souvent en fonction d’un seul groupe d’âge, avec des échantillons trop restreints pour être représentatifs de la population française. Pour estimer les mécanismes psychologiques impliqués dans la mémorisation, deux méthodes sont utilisées : 81 ❖ La méthode directe : le sujet doit se souvenir intentionnellement d’une information. Il est prévenu en début d’exercice qu’il devra se rappeler du matériel présenté. La tâche la plus fréquemment utilisée est l’apprentissage d’une liste de mots. ❖ La méthode indirecte : il n’est pas demandé explicitement au sujet de se rappeler d’un matériel précis, le patient doit simplement effectuer un traitement particulier tel qu’un traitement perceptif, un jugement de valeur..., etc. Afin d’interpréter les résultats en terme de processus cognitifs atteints ou préservés, ce type d’évaluation doit se situer dans un contexte théorique précis. Notre contexte théorique concernant la mémoire antérograde s’appuie sur la conception du « modèle monohiérarchique » de Tulving (1985), qui différencie 5 systèmes de mémoire (Fig. 1) : ces systèmes sont hiérarchisés selon leur émergence ontogénétique et phylogénétique présumée. Le système de mémoire le plus ancien est celui de la mémoire procédurale, présent chez certains animaux invertébrés. Le plus récent est celui de la mémoire épisodique : très dépendant du langage, ce système de mémoire ne s’observe que chez les vertébrés supérieurs. Plus tard, en 1995, Tulving a enrichi son modèle en supposant une dépendance des systèmes supérieurs par rapport aux systèmes inférieurs. Fig.1 - Modèle monohiérarchique de Tulving (1985) 82 ♦ L’entretien avec le patient et sa famille L’entretien initial vise à recueillir des informations sur la nature du ou des déficits présentés, sur le début des troubles. Toutes les informations recueillies chez le patient doivent être confrontées aux renseignements obtenus lors de l’interrogatoire de l’entourage. Cet entretien permet non seulement d’émettre des hypothèses sur le fonctionnement mnésique du sujet, mais également de guider le choix des tests et des épreuves utilisés ultérieurement. L’enquête initiale vise à la restitution des coordonnées personnelles, des données autobiographiques : le patient peut-il ou non décliner sa date de naissance, son adresse, son numéro de téléphone, les prénoms et âges du conjoint, des enfants, petits-enfants, sa date de mariage ? Peut-il fournir des renseignements précis concernant ses parents, la fratrie ? Se rappelle t-il de ses études, peut-il nommer certains de ses camarades de classe, certains instituteurs ? Répond-il avec exactitude aux questions concernant sa vie professionnelle, sa santé ? Une partie importante de l’entretien vise également à s’intéresser aux activités quotidiennes du patient. Est-il capable de retenir une conversation, un ordre donné par l’entourage et de l’exécuter jusqu’à son terme ? Le patient perd-il ses objets, répète-t-il souvent la même chose ? Oublie-t-il des rendezvous ? Si le patient s’intéresse à la lecture, est-il en mesure de parler avec précision des livres ou articles récemment lus ? L’entretien s’intéresse aux possibilités d’actualisation des connaissances d’ordre didactique et des souvenirs sociaux, personnels. Le patient peut-il, en fonction de son niveau socioculturel et de ses centres d’intérêt, évoquer avec richesse certains événements récents régionaux, nationaux ou mondiaux dans différents domaines politiques, sportifs ou faits divers ? Le patient indique-t-il correctement le nom des principaux hommes politiques français ou étrangers? Peut-il évoquer des faits marquants de l’histoire du pays ou du monde, des données de culture générale? Enfin, l’entretien permet de préciser si le sujet est conscient ou non de ses troubles, s’il tient des propos fabulatoires. La présence de ces éléments constitue un signe clinique important. ♦ Evaluation psychométrique de la mémoire antérograde 1 - Evaluation globale de la mémoire antérograde ❖ Il est possible de débuter l’évaluation psychométrique par l’administration d’une échelle composite standardisée : Echelle Clinique de Mémoire 83 de Wechsler-Révisée (WMS-R) ou Batterie d’Efficience Mnésique 144 (BEM 144) de J.L. Signoret. Ces échelles vont permettre de quantifier l’intensité des troubles lorsque la pathologie est connue, et d’en suivre l’évolution. Cependant, elles ont pour limite de se référer à une conception unitaire de la mémoire et n’indiquent pas les processus psychologiques mis en jeu au niveau de chaque subtest. La WMS-R a été construite selon le même principe que l’échelle d’intelligence de Wechsler (WAIS). Elle évalue la performance mnésique de façon parallèle à l’évaluation du quotient d’intelligence. La sévérité de l’amnésie est mesurée par la différence entre le quotient intellectuel estimé à partir de la WAIS-R et le quotient mnésique estimé à partir de la WMS-R. La BEM 144 a 2 avantages sur l’échelle de Wechsler. Tout d’abord, elle a été conçue dans un contexte neuro p s y ch o l ogique ; par ailleurs, les séri e s d’épreuves verbales et visuelles sont construites de façon strictement parallèles, ce qui permet de comparer les performances des sujets selon les modalités d’entrée visuelle et verbale. ❖ Afin de mieux appréhender les répercutions d’un déficit mnésique dans la vie quotidienne, il est possible d’utiliser des questionnaires de mémoire comme le Questionnaire d’Auto-Evaluation de la Mémoire (QAM) de Van Der Linden (1989) ou le Rivermead Behavioural Memory Test qui a principalement pour but de détecter des troubles du fonctionnement mnésique au quotidien et qui est composé de 12 épreuves (Tableau 1). 84 Tableau 1 - Rivermead Behavioural Memory Test (selon Braun, 1997) Il est cependant préférable d’utiliser des tests qui évaluent une modalité particulière de la mémoire. 2 - Evaluation des sous systèmes (selon Tulving, 1985) de la mémoire antérograde 2-1- Le système de mémoire épisodique Cette mémoire permet au sujet de se souvenir d’événements de sa propre histoire personnelle, familiale ou sociale. Selon Wheeler et al. (1997), « la mémoire épisodique rend possible la récupération consciente d’événements personnels passés et l’anticipation d’événements dans un futur subjectif ». La méthode d’évaluation est directe ; la récupération se fait de façon intentionnelle et consciente : elle implique le moment précis et le lieu de l’épisode au cours duquel le souvenir s’est construit. Les outils sont variés et se composent de tests standardisés ainsi que de paradigmes expérimentaux. La mémoire épisodique peut être appréhendée selon une modalité verbale ou non verbale. Le rappel et la reconnaissance sont testés au niveau de chaque épreuve. La mémoire épisodique implique de nombreux processus cognitifs tels que : l’encodage, le stockage, la récupération des informations, l’interférence pro et rétroactive. Un test n’appréhende pas tous les processus en même temps, mais peut en tester plusieurs. a) Exploration de la modalité verbale : ❖ Le test de Gröber et Buschke (Tableau 2) permet le contrôle de l’encodage et mesure les mécanismes de stockage et de récupération des informations 85 apprises. Cette épreuve consiste en l’apprentissage d’une liste de 16 mots, chacun appartenant à une catégorie sémantique différente. Il s’agit de présenter visuellement les items sur 4 planches différentes et de réaliser un encodage sémantique forcé (recherche de l’item sur indice puis évocation à partir de ce même indice). Trois rappels libres suivis chacun d’un rappel indicé sont ensuite demandés au patient ; une tâche interférente d’une durée de 20 secondes avec comptage à rebours sépare les essais. Tableau 2 - Procédure du test de Gröber & Buschke ❖ Le California Verbal Learning Test, dont la standardisation doit être publiée prochainement, permet d’appréhender les phénomènes d’interférence pro et rétroactive. Cette épreuve consiste en l’apprentissage d’une liste de 16 mots appartenant à 4 catégories sémantiques distinctes. La procédure d’apprentissage est la suivante : 1-Rappels libres immédiats de la liste du LUNDI (5) 5-Intervalle de rétention de 15 mn 2-Rappel libre immédiat de la liste du MARDI 6-Rappel libre de la liste du LUNDI 3-Rappel de la liste du LUNDI 7-Rappel indicé de la liste du LUNDI 4-Rappel indicé de la liste du LUNDI 8-Reconnaissance de la liste du LUNDI 86 ❖ L’Epreuve des 15 mots de Rey est très ancienne et non construite selon un modèle théorique. Cette épreuve peut aussi être utilisée lorsque l’entretien permet de soupçonner l’existence d’un déficit bien que les scores aux autres tests de mémoire soient satisfaisants. Ce test de par sa construction permet d’étudier les stratégies d’apprentissage du sujet en observant les capacités de regroupement sémantique et sériel. A l’origine, cette épreuve consistait en 5 apprentissages successifs d’une même liste de 15 mots, suivi immédiatement d’une phase de reconnaissance des mots dispersés au sein d’un court récit lu au patient. Une phase de rappel différé des mots était effectuée après un intervalle de 15 mn. Actuellement, il existe une version de cette épreuve qui appréhende les mécanismes d’interférence. La procédure d’apprentissage est identique à celle du California Verbal Learning Test, excepté pour la phase de rappel indicé qui n’existe pas. ❖ L’ é chelle clinique de mémoire de We chsler et la bat t e rie de J.L. Signoret (BEM 144) possèdent des subtests qui explorent la mémoire épisodique. Il s’agit des subtests « mémoire logique » et « mots couplés » : - Au niveau du subtest des « mots couplés », l’examinateur présente 8 paires de mots au rythme d’une toutes les 3 secondes. Ces paires de mots sont composées d’un mot-stimulus et d’un mot-réponse. Les mots peuvent avoir entre eux un lien sémantique fort (rose-fleur) ou n’entretenir quasiment aucune relation (chou-plume). Après cette présentation initiale, le patient doit rappeler le mot-réponse qui était apparié au mot-stimulus indiqué par l’examinateur. Il existe un minimum de 3 apprentissages et un maximum de 6. Selon Van Der Linden (1989), le système épisodique est ici mis à contribution à travers l’apprentissage des couples de mots les moins liés sémantiquement. - Au niveau du subtest de « mémoire de logique », l’examinateur lit une histoire courte au patient et lui demande immédiatement après la lecture un rappel le plus précis possible. La même opération est effectuée avec une seconde histoire. Le patient est prévenu qu’il lui sera demandé d’évoquer à nouveau le contenu des 2 histoires dans un délai de 30 mn. Cette épreuve de mémoire de récit est mieux adaptée aux exigences mnésiques quotidiennes que l’apprentissage de listes de mots. Cependant, les subtests de mémoire logique de l’échelle de Wechsler et de la BEM 144 sont peu satisfaisants : il s’agit d’un apprentissage quasi par cœur qui ne permet pas d’explorer la micro et la macrostructure du texte. 87 b) Exploration de la modalité non verbale : Le clinicien a ici à sa disposition les subtests « reproduction visuelle » et « figures couplées » de l’ échelle de Wechsler et de la BEM 144 ainsi que le test de la figure complexe de Rey. - Dans le subtest « reproduction visuelle », il existe 4 planches de dessins : le patient est invité à reproduire un dessin le plus fidèlement possible après l’avoir observé pendant 10 secondes. L’examinateur procède de façon identique avec les trois autres planches. - au niveau du subtest « figures couplées », la procédure est identique à celle utilisée pour le subtest « mots couplés ». Le test de la Figure complexe de Rey se déroule en deux temps : tout d’abord, l’examinateur demande au patient de copier une figure géométrique complexe (Fig.2), sans jamais le prévenir de faire un effort de mémorisation. Après un intervalle de temps qui n’excède pas 3 mn, l’examinateur demande explicitement au patient de se rappeler le dessin copié et d’essayer de le refaire. Cette épreuve évalue par ailleurs les capacités visuoconstructives qui doivent être relativement bonnes pour que l’épreuve de mémoire soit valide. Cette épreuve a un statut particulier. C’est l’épreuve de mémoire épisodique qui se rapproche le plus des conditions de mémorisation de la vie quotidienne. En effet, elle teste plus particulièrement la mémoire incidente (l’encodage est incident, c’est-à-dire non conscient, du moins lors de la première passation). Le rappel est quant à lui volontaire, intentionnel : c’est la raison pour laquelle cette épreuve est considérée comme appréciant la mémoire épisodique. Figure 2-Figure de Rey 88 2-2 - Le système de mémoire à court terme La mémoire de travail peut être considérée comme une version sophistiquée de ce qui a jadis été appelé la mémoire à court terme. En mémoire de travail, on utilise au plan verbal le test de « mémoire de chiffres en ordre inverse » (on donne au sujet une série de chiffres en nombre croissant ; le patient doit restituer les chiffres dans l’ordre inverse de la présentation). C’est une épreuve très grossière qui présente de nombreuses lacunes sur le plan théorique mais qui permet néanmoins de savoir si la mémoire de travail est intacte ou non. Sur le plan visuospatial, il est possible d’avoir recours au subtest « mémoire visuelle en ordre inverse » extrait de l’Echelle Clinique de Mémoire de Wechsler Révisée (l’examinateur pointe dans un ordre croissant des carrés disposés de façon aléatoire sur une feuille ; le sujet, comme pour l’empan digital, doit pointer à son tour les carrés dans l’ordre inverse de la présentation). On dispose également de l’épreuve de Rétention Visuelle de Benton dans sa forme la plus couramment utilisée (administration A : reproduction immédiate d’un dessin présenté préalablement pendant 10 secondes). 2-3 - Le système de mémoire sémantique La mémoire sémantique peut être atteinte à deux niveaux différents : il peut s’agir d’une perte des représentations sémantiques elles-mêmes, ou d’une atteinte au niveau de l’accès à ces représentations. Selon Shallice (1995), l’atteinte des représentations sémantiques est mise en évidence par la permanence des erreurs, l’absence de facilitation par les indices sémantiques, l’atteinte des items peu fréquents, la perte progressive des attributs sémantiques. Les erreurs se produisent quelle que soit la modalité d’entrée (visuelle, auditive, verbale ou tactile). Les épreuves de dénomination peuvent mettre en évidence des productions verbales erronées ; le patient produit par exemple un mot qui appartient à la même catégorie que le mot attendu (papillon = abeille) : il s’agit de paraphasies sémantiques. De même, en désignation d’objets ou d’images, le patient montre un item proche par le sens de celui attendu (lampe = bougie). Au niveau de la fluence, on remarque une production de super-ordonnés (animal pour chien). La fluence catégorielle (animaux, fruits) est par ailleurs plus faible que la fluence littérale (lettre M, S). Dans le cadre d’un déficit d’accès sémantique, le système sémantique est intact mais le patient ne peut accéder que très difficilement aux connaissances stockées. Il existe à l’heure actuelle deux raisons distinctes de l’existence d’un déficit d’accès à la mémoire sémantique : - Il peut s’agir d’une atteinte de l’imagerie visuelle. Ici, le patient ne peut dessiner ni décrire un objet de mémoire. Dans une tâche de décision d’objet, il 89 ne peut décider si un objet présenté est réel ou non. De même l’identification d’un objet à partir d’une description visuelle est fortement déficitaire. - Il peut s’agir d’un déficit strict d’accès au système sémantique. Ici, l’imagerie visuelle est préservée. Le patient est sensible à l’amorçage et peut accéder au concept à partir d’un autre canal sensoriel (verbal, auditif, tactile). La méthode d’évaluation est indirecte. Il n’y a pas de tâche pure de mémoire sémantique ; toutes les épreuves employées mettent en jeu d’autres processus cognitifs et notamment le langage. On appréhende l’évocation lexicale à l’aide d’une tâche de fluidité verbale : on demande au sujet de donner en une minute un nombre maximal de mots commençant par une même lettre (fluence littérale, lettre : M, S), ou appartenant à une même catégorie sémantique (fluence catégorielle : animaux, fruits). Les connaissances sémantiques sont appréciées au travers des épreuves suivantes : la dénomination d’images (DO 80 et bientôt Déno 100) et la désignation d’images (subtest de l’Echelle d’Evaluation de l’aphasie de MontréalToulouse), la définition de mots (le subtest « vocabulaire » de la WAIS-R), la réponse à une définition (l’examinateur donne une définition et le sujet doit donner le mot qui correspond à cette définition ; cette épreuve se fait en choix libre ou forcé ; le matériel est créé par le clinicien car il n’existe pas d’épreuve). 2-4 - Le système de représentations perceptif (PRS) Il sous-tend les effets d’amorçage de type perceptif. Le fait de présenter une première fois un mot facilite son accès ultérieur. La mesure d’évaluation est indirecte. Il n’existe pas d’épreuve standardisée pour appréhender le système de représentations perceptif ; les outils utilisés sont des paradigmes expérimentaux. Il est possible d’utiliser la tâche de complètement de mots qui consiste à soumettre aux patients une liste de mots pour lesquels on demande d’effectuer par exemple un jugement de valeur (il s’agit d’accorder une valeur à un mot, sur une échelle analogique de 0 à 10, en fonction de la connotation agréable ou désagréable accordée à ce mot). Dans un deuxième temps, on présente une liste de trigrammes (c’est-à-dire les 3 premières lettres de mots (TRAIN ➝ TRA). La moitié des trigrammes correspond aux mots sur lesquels un jugement de valeur a été effectué ; l’autre moitié est constituée de nouveaux mots. Il est demandé au patient de compléter ces 3 lettres par le premier mot qui vient à l’esprit. Dans un troisième temps, le sujet est invité à rappeler les mots pour lesquels un jugement de valeur a été effectué (il s’agit d’une tâche de rappel libre de mémoire épisodique). L’effet de mémoire implicite se mesure par la différence entre le score en rappel libre et le score à la condition « complétion de trigrammes ». Cette différence doit être en faveur de la condition « complétion de trigrammes ». 90 2-5 - Le système de mémoire procédurale La méthode d’évaluation de la mémoire procédurale est indirecte et les outils utilisés sont exclusivement des paradigmes expérimentaux. Une épreuve classiquement utilisée est le protocole de lecture en miroir (Cohen et Squire, 1980) qui consiste simplement à faire lire au sujet des mots écrits en miroir. On note une diminution du temps de lecture. La Tour de Hanoi (Fig.3) bien que mettant principalement en oeuvre des procédures de résolution de problème, est fréquemment utilisée comme tâche de mémoire procédurale. Il s’agit de contrôler le nombre de déplacements et de mesurer le temps mis pour résoudre la tâche. Il s’agit de déplacer une pyramide constituée de 3 ou 4 disques en bois de diamètres décroissants empilés sur une tige, vers une autre tige déterminée à l’avance, en respectant 2 règles : a) ne déplacer qu’un seul disque à la fois. b) ne jamais poser un grand disque au-dessus d’un plus petit. Figure 3 - La Tour de Hanoi Ces épreuves ne sont pas uniquement procédurales. Elles mettent en oeuvre des compétences déclaratives variées ; Beaunieux et al. (1998) suggèrent d’évaluer les composantes cognitives et mnésiques mises en oeuvre dans ces tâches afin de mieux en apprécier la composante procédurale. ♦ Evaluation psychométrique de la mémoire rétrograde L’amnésie rétrograde se caractérise par une incapacité plus ou moins marquée à se souvenir des événements antérieurs à la survenue de la maladie. Cette amnésie n’est pas uniforme. Elle peut toucher des faits personnellement vécus (ex : la naissance du premier enfant) ou généraux, des événements qui concernent une nation (ex : Mai 68) ou l’humanité toute entière (ex : le premier pas de l’homme sur la lune). Selon Larsen (1985) et en tenant compte de la spécificité personnelle et situationnelle d’un événement, la mémoire rétrograde fait obligatoirement référence au contexte spatio-temporel d’apprentissage de l’information (plus ou moins précis) et à l’impact émotionnel de l’événement (fort ou faible) (Tableau 3). 91 Tableau 3-Les composantes de la mémoire antérograde selon Larsen (1985) La mémoire rétrograde est fréquemment atteinte chez les sujets cérébrolésés. Son évaluation a longtemps été restreinte à un entretien clinique ; c’est la raison pour laquelle nous ne disposons, en langue française, que de rares épreuves permettant d’objectiver un déficit intéressant une ou plusieurs composantes de la mémoire rétrograde. La méthode d’évaluation est directe. 1 - Epreuves explorant les événements à spécificité situationnelle et personnelle forte Les épreuves explorent ici la mémoire épisodique personnelle. ❖ l’inventaire de Kopelman (1989) correspond à un questionnaire semistructuré (A.M.I) qui étudie 3 périodes de la vie du sujet : - l’enfance (entre 0 et 18 ans). - la vie de jeune adulte (entre 18 et 30 ans). - la période récente (la dernière année). Il est demandé au sujet de fournir des souvenirs précis concernant les trois époques précitées de sa vie. ❖ le test d’évaluation de la mémoire autobiographique [Autobiographical Memory Inquiry (AMI) de Borrini et al. (1989)], au niveau duquel le sujet est invité à fournir 5 événements relatifs à 3 périodes de sa vie : - l’enfance et l’adolescence jusqu’à 15 ans. - la période de jeune adulte de 16 à 40 ans. - la vie d’adulte plus âgé de 41 ans jusqu’à 2 ans avant la passation du test. Il est également possible d’utiliser des épreuves de fluence dans lesquelles il est demandé au sujet d’évoquer dans un temps limite des souvenirs personnels épisodiques. 2 - Tests explorant les événements à spécificité situationnelle forte et personnelle faible L’épreuve la plus utilisée concerne l’évaluation des événements publics. La batterie EVE de Thomas-Antérion et al.(1994) évalue la capacité des patients 92 à se souvenir d’événements de la vie publique (évocation libre, reconnaissance avec choix multiple, questions de détails et datation). Cette épreuve est constituée de 54 événements survenus de 1900 à 1994. Ils sont pour la moitié présentés en modalité verbale et pour l’autre moitié sur photographies. Il est également possible d’utiliser des épreuves de fluence dans lesquelles il est demandé au sujet d’évoquer dans un temps limite des faits publics. 3 - Tests explorant les événements à spécificité situationnelle faible et personnelle forte Le questionnaire de Kopelman (1989) s’intéresse aux souvenirs personnels sémantiques (informations générales concernant la vie personnelle du sujet et indépendantes du contexte spatial et temporel d’acquisition ➝ adresses, noms de camarades d’école ou de collègues). Il est également possible d’utiliser des épreuves de fluence dans lesquelles il est demandé au sujet d’évoquer dans un temps limite des souvenirs personnels sémantiques. 4 - Tests explorant les événements à spécificité situationnelle et personnelle faible Il s’agit ici d’évaluer les connaissances didactiques du sujet. Il est possible d’utiliser les subtests « information » et « vocabulaire » de la WAIS-R évaluant les connaissances acquises pendant la scolarité. Il est possible d’utiliser des épreuves d’identification de visages célèbres, en évocation libre et reconnaissance. Aucune épreuve de ce type n’est actuellement disponible en langue française. Des travaux sont toutefois à ce niveau en cours de réalisation à l’heure actuelle. Le GRECO adapte actuellement l’inventaire de Kopelman ainsi qu’une épreuve de fluence autobiographique et sémantique. ♦ Conclusion Les modèles théoriques concernant la mémoire sont nombreux mais plus rares sont les épreuves valides permettant d’estimer en pratique clinique l’efficacité mnésique d’un sujet. L’examen de la mémoire doit être exclusivement réalisé par des professionnels qualifiés. Afin que l’interprétation d’un test soit valide, il est nécessaire de respecter rigoureusement les consignes de passation pour que le patient soit placé dans les mêmes conditions que les sujets témoins ayant servi de population de référence. Cela permet également d’éliminer la subjectivité de l’examinateur. 93 La durée d’une évaluation clinique de la mémoire varie en fonction des objectifs. Plusieurs séances sont souvent nécessaires pour les raisons suivantes : éviter la fatigue du malade, ne pas utiliser deux tests appréhendant la même modalité lors d’une même séance ( ex : mots de Rey et Gröber et Buschke). Une évaluation précise et détaillée de la mémoire permet d’optimiser une éventuelle rééducation. REFERENCES BEAUNIEUX H, DESGRANGES B, EUSTACHE F. (1998). La mémoire procédurale : validité du concept et des méthodes d’évaluation. Revue de Neuropsychologie, 8, 2,271-300. BORRINI G, DALL’ORA P, DELLA SALA S, MARINELLI L, SPINNLER H. (1989). Autobiographical memory. Sensitivity to a ge and education of a standaraized enquiry. Psychological Medicine, 19, 215-224. BRAUN C.M.J.P.(1997). Evaluation neuropsychologique; Montréal : Décarie. 299-328. COHEN N.J., SQUIRE L.R. (1980). 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Test de rétention visuelle de Benton. (1982). Paris : Les Editions du Centre de Psychologie Appliquée. 94 Neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire épisodique Frédéric BERNARD, Béatrice DESGRANGES, Francis EUSTACHE Résumé Les études portant sur les patients cérébrolésés ainsi que l’expérimentation animale ont contribué à mettre en évidence les structures cérébrales nécessaires au fonctionnement de la mémoire épisodique. De façon complémentaire, les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle telles que la tomographie par émission de positons (TEP) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont permis, ces dernières années, d’enrichir de façon considérable notre connaissance des relations entre cerveau et mémoire. Il est désormais possible, à l’aide de paradigmes sophistiqués, de déterminer les régions cérébrales impliquées dans la réalisation de tâches mnésiques tant lors de l’encodage que de la récupération d’informations. Cet article expose dans un premier temps les principaux résultats obtenus en imagerie cérébrale fonctionnelle dans le domaine de la mémoire épisodique chez des sujets sains jeunes ; différentes applications en neuropsychologie sont ensuite présentées. Mots clés : neuro imagerie fonctionnelle, mémoire épisodique, encodage/récupération, maladie d’Alzheimer, syndromes amnésiques. Functional neuroimaging of episodic memory Abstract Studies in brain damaged patients, as well as in experimental animal models have contributed to highlight the brain structures necessary for episodic memory functioning. In addition, over the past few years, functional brain imaging techniques such as positron emission tomography (PET) and functional magnetic resonance imaging (fMRI) have contributed considerably to further our knowledge about the relations between brain and memory. It is henceforth possible, with the help of sophisticated paradigms, to determine brain areas involved in memory tasks both during encoding and retrieval of information. This article reports the main results achieved in functional brain imaging in the field of episodic memory concerning healthy young subjects ; different applications in neuropsychology are then presented. Key Words : functional neuroimaging, episodic memory, encoding/retrieval, Alzheimer’s disease, amnesic syndromes. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 95 Frédéric BERNARD, Béatrice DESGRANGES, Francis EUSTACHE* *INSERM U320 Services de neurologie CHU Côte de Nacre 14033 CAEN CEDEX I l est maintenant admis que la mémoire n’est pas une faculté unitaire et que celle-ci peut être subdivisée en différents systèmes distincts (Eustache et al., 1996 ; Schacter, 1999, pour revues). Dans cet article, nous nous centrerons sur la mémoire épisodique qui se définit comme un système qui permet d’acquérir, de retenir et d’utiliser un ensemble d’informations relatives à des épisodes personnellement vécus, encodés dans leur contexte spatio-temporel (Tulving, 1972). Il est possible d’estimer le fonctionnement de ce système de mémoire en demandant à des sujets d’encoder (processus par lequel les caractéristiques d’un stimulus ou d’un événement sont traitées et converties en une trace mnésique) et de récupérer des informations dans des tâches comme le rappel libre, le rappel indicé (récupération favorisée par la présence d’une information partielle associée au stimulus présenté initialement) ou la reconnaissance (il est demandé alors au sujet de reconnaître des stimuli présentés initialement parmi des stimuli nouveaux). Jusqu’à une période récente, le principal moyen de connaître les bases neuroanatomiques de la mémoire était l’étude des effets de lésions cérébrales sur le fonctionnement mnésique. Ainsi, en utilisant la méthode dite « anatomoclinique », les études neuropsychologiques ont permis de mettre en évidence un réseau de structures sous-tendant le fonctionnement de la mémoire épisodique. Ce réseau comprend notamment le lobe temporal interne (hippocampe et cortex adjacent) et les structures diencéphaliques. Une lésion bilatérale de ces structures provoque un déficit compromettant l’acquisition de nouveaux épisodes (amnésie antérograde) et un trouble plus variable de la récupération des épisodes encodés pendant la période prémorbide (amnésie rétrograde). Les lésions du cortex préfrontal n’auraient pas d’effet majeur sur la réalisation d’épreuves de mémoire épisodique tant que celles-ci ne nécessitent pas l’utilisation de stratégies d’encodage ou de récupération trop élaborées. Malgré l’intérêt de ces études, une des difficultés d’interprétation est d’inférer un effet différentiel des lésions sur les processus d’encodage et de récupération. En effet, il est très difficile, à partir de résultats comportementaux, de préciser ce qui revient à un trouble de l’encodage et/ou de la récupération. 96 Les techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale offrent au contraire la possibilité de déterminer spécifiquement, chez le sujet normal, et de façon noninvasive, les régions impliquées dans la réalisation de ces deux processus (encodage et récupération). En effet, la TEP et l’IRMf permettent d’estimer de façon indirecte l’activité de populations neuronales par la prise en compte des variations du débit sanguin cérébral et de la consommation d’oxygène associées à la mise en œuvre d’opérations cognitives spécifiques. Ainsi, la plupart des études en TEP et en IRMf utilisent une méthode dite d’activations qui vise à déterminer les variations significatives liées à une activité cérébrale précise. Pour cela, deux catégories de tâches sont utilisées, les tâches cibles et les tâches de référence, qui sont censées ne différer que selon une composante, celle que l’on désire étudier. De nombreuses études utilisent la méthode de « soustraction » entre les valeurs du DSC obtenues pour la tâche cible et celles obtenues pour la tâche de référence. Les résultats obtenus en termes de régions activées ou désactivées lors de la réalisation d’une tâche sont toujours à relativiser par rapport à la tâche de référence choisie. Certaines études ne se limitent pas à la recherche de sites d’activations, mais quantifient également les corrélations entre ces activations ou les corrélations entre les activations et les performances cognitives. Cet article expose tout d’abord une synthèse des résultats obtenus grâce à la méthode d’activations en TEP et en IRMf concernant les processus d’encodage et de récupération en mémoire épisodique chez le sujet jeune, et présente ensuite les principaux résultats obtenus en TEP dans le vieillissement normal ainsi que dans différentes pathologies (maladie d’Alzheimer, syndromes amnésiques) en prenant en compte à la fois des études d’activations et des études utilisant une méthode dite de corrélations cognitivo-métaboliques (voir aussi Desgranges et al., 1998a ; Desgranges et Eustache, 2000, pour revues). ♦ Encodage L’encodage se définit comme un processus qui permet de traiter les différentes caractéristiques de stimuli de l’environnement et de les convertir en une trace mnésique. Il existe différentes formes d’encodage que les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle offrent la possibilité d’explorer. Celui-ci peut tout d’abord se caractériser par sa nature intentionnelle ou incidente. Dans le premier cas, il est explicitement demandé au sujet de mémoriser un certain nombre d’items dans le but de les rappeler ultérieurement. Dans le second cas, le sujet perçoit et traite des stimuli sans consigne de mémorisation ce qui ne l’empêche pas malgré tout d’en mémoriser un certain nombre, avec une précision plus ou moins grande. La nature du matériel à encoder est une autre dimension à prendre en considération. Celui-ci peut être de nature verbale (mots, 97 couples de mots, phrases, etc.) ou non verbale (images d’objets, de formes géométriques, de visages, de scènes complexes, localisation d’objets, odeurs, etc.). Les études d’activations ont d’emblée souligné l’importance des régions préfrontales dans le fonctionnement de la mémoire épisodique (Squire et al., 1992 ; Grasby et al., 1993), ce qui a conduit Tulving et al. (1994a), à partir d’une revue d’études, à proposer le modèle HERA (pour Hemispheric Encoding Retrieval Asymmetry). Selon ce modèle, il existerait une implication préférentielle du cortex préfrontal gauche dans l’encodage et du cortex préfrontal droit dans la récupération en mémoire épisodique. Ce modèle présente une grande valeur heuristique et a permis de fournir un axe théorique à de nombreux travaux effectués par la suite. Cependant, il faut préciser que les auteurs se sont basés dans un premier temps sur les régions activées dans des tâches de récupération sémantique pour ensuite attribuer un rôle à ces régions dans l’encodage incident en mémoire épisodique. En effet, ils justifient cette interprétation en affirmant que le fait d’effectuer une tâche de récupération sémantique implique en parallèle un encodage incident de l’événement associé à la réalisation de la tâche. De plus, les études prises en compte pour caractériser l’encodage incident ne portent que sur du matériel verbal. La même année, Shallice et al. (1994) ont mis en évidence l’activation du cortex préfrontal gauche lors d’une tâche d’encodage intentionnel en mémoire épisodique de matériel verbal. Par la suite, Kapur et al. (1996) ont observé à leur tour des activations au niveau du cortex préfrontal gauche associées à la réalisation d’une tâche d’encodage intentionnel de couples de mots. Ces activations étaient situées plus précisément au niveau du gyrus frontal inférieur antérieur gauche et du cortex frontal inférieur postérieur gauche (qui comprend l’aire de Broca). Selon les auteurs, la première région serait impliquée dans le traitement sémantique des informations à mémoriser alors que la seconde serait associée à la répétition subvocale (le sujet se répète intérieurement les mots afin de les mémoriser). En IRMf, plusieurs études (Busatto et al., 1997 ; Heun et al., 1999) ont également mis en évidence une activation préfrontale gauche, au niveau de l’aire de Broca, lors de l’encodage intentionnel de mots, activation associée, selon les auteurs de la première étude citée, à la répétition interne (ou subvocale) mise en œuvre afin de faciliter la mémorisation des mots. Concernant la latéralisation des activations préfrontales lors de l’encodage de matériel non verbal, un nombre croissant d’études tend à relativiser ce que prédit le modèle HERA. En effet, si certaines études ont montré une activation du cortex préfrontal gauche associée à l’encodage de visages inconnus (Grady et al., 1995 ; Haxby et al., 1996) ou de localisations d’objets (Owen et 98 al., 1996a), d’autres travaux ont observé une activation du cortex préfrontal droit lors de l’encodage de paires de stimuli non verbalisables, constituées d’images et de sons (Klingberg et Roland, 1998), de textures colorées (Wagner et al., 1998a) ou de visages non familiers (Kelley et al., 1998 ; McDermott et al., 1999). Ces derniers résultats sont confortés par l’étude en IRMf de Brewer et al. (1998). Cette technique, qui bénéficie déjà d’une très bonne résolution spatiale, permet grâce à des paradigmes « événementiels » de pouvoir isoler l’activité cérébrale spécifique à un seul stimulus. Quelques études sur la mémoire épisodique ont tenté de voir si l’activité de certaines régions lors de l’encodage était significativement différente entre des items reconnus par la suite dans une épreuve de reconnaissance et des items non reconnus. Ainsi, Brewer et al. (1998) ont déterminé les régions dont l’activité lors de l’encodage incident de scènes imagées pouvait « prédire » les items qui seraient reconnus ultérieurement et ceux qui ne le seraient pas, soulignant ainsi à nouveau l’implication du cortex préfrontal droit. Contrairement à ce qui était attendu à partir des observations de patients cérébrolésés, les premières études en TEP (mis à part Squire et al., 1992 ; Grasby et al., 1993) n’ont pas réussi à mettre en évidence d’activations du lobe temporal interne lors de tâches de mémoire épisodique. Cela a été interprété en termes de limites inhérentes à la technique utilisée (résolution spatiale de la caméra insuffisamment précise) ou de difficultés à détecter des activations hippocampiques de par leur nature faible ou diffuse (Fletcher et al., 1995b) ou bien encore trop fugitive (Andreasen et al., 1995a). La méthode de soustraction a aussi été incriminée (Haxby, 1996) puisque l’activation du lobe temporal interne pourrait aussi survenir de façon automatique quelle que soit la tâche de référence utilisée. Cependant, depuis quelques années, un nombre important d’études en TEP et en IRMf ont montré des activations du lobe temporal interne en utilisant des paradigmes différents. Certains travaux ont ainsi souligné le rôle du lobe temporal interne dans la détection d’informations nouvelles, processus précédant ou associé à l’encodage de ces informations. Ainsi, Tulving et al. (1994b, 1996) ont demandé à des sujets de détecter des images colorées nouvelles (images complexes de la revue National Geographic pour la première étude citée et images de personnes, de scènes et de paysages pour la deuxième) parmi d’autres qui leur avaient été présentées 24 heures au préalable. Les résultats obtenus montrent des activations au niveau d’un réseau de régions appartenant au système limbique droit. En effet, comme le souligne Martin (1999), l’augmentation de l’activité au niveau du lobe temporal interne droit serait associée à une augmentation de l’éveil et de la vigilance ce qui permettrait de favoriser la détection, et ainsi la mémorisation 99 d’informations nouvelles (ayant une valeur adaptative selon Tulving et al., 1996). Même si certaines études basées sur la détection de la nouveauté ne montrent pas d’activation du lobe temporal interne, les résultats qui viennent d’être mentionnés ont été confortés par des études portant sur le traitement de matériel non verbal (Stern et al., 1996) et verbal (Dolan et Fletcher, 1997 ; Martin et al., 1997). Certains auteurs ont préféré l’hypothèse selon laquelle le lobe temporal interne jouerait des rôles différents selon l’axe antéro-postérieur de cette structure. Ainsi, Roland et Gulyas (1995) ont été les premiers à montrer une activation bilatérale de l’hippocampe antérieur lors de l’encodage de patterns géométriques colorés et de l’hippocampe postérieur lors de la reconnaissance de ces stimuli parmi des distracteurs. Par la suite, à partir d’une méta-analyse de 52 études en TEP, Lepage et al. (1998) ont proposé le modèle HIPER (pour Hippocampal Encoding Retrieval) selon lequel l’encodage en mémoire épisodique impliquerait préférentiellement la partie antérieure du lobe temporal interne alors que la récupération impliquerait préférentiellement sa partie postérieure. Comme le soulignent les auteurs, ce modèle n’a qu’une valeur descriptive et non pas explicative par rapport aux rôles attribués à ces deux régions. Enfin, tout récemment, Schacter et Wagner (1999) ont relativisé le modèle HIPER en effectuant une nouvelle méta-analyse en se basant sur les résultats obtenus dans des études supplémentaires en TEP et en IRMf. Ainsi, il est possible de constater que l’encodage, étudié en TEP, impliquerait à la fois les parties antérieure et postérieure du lobe temporal interne alors que ce même processus, étudié en IRMf, n’impliquerait que sa partie postérieure. Les auteurs attribuent cette différence à la nature des paradigmes employés qui ne serait pas strictement équivalente entre les deux techniques. D’autres régions sont régulièrement activées dans les tâches d’encodage en mémoire épisodique, notamment le cortex associatif postérieur, avec une asymétrie en faveur de l’hémisphère gauche ainsi que le cortex cingulaire antérieur et postérieur. Au total, les études en TEP et en IRMf ont clairement souligné l’importance des régions préfrontales gauches (même si l’hémisphère droit semble impliqué pour les informations non verbales) et du lobe temporal interne (de préférence gauche pour le matériel verbal et droit ou bilatéral pour le matériel non verbal) dans l’encodage en mémoire épisodique. ♦ Récupération Les processus de récupération, comme ceux d’encodage, peuvent s’appliquer à du matériel de nature verbale ou non verbale. Il existe par ailleurs diffé- 100 rentes formes de récupération estimées par des tâches de rappel libre, de rappel indicé ou de reconnaissance nécessitant l’utilisation de stratégies différentes et d’efforts de recherche plus ou moins importants pour accéder à la trace mnésique. Les études d’activations concernant la récupération en mémoire épisodique ont souligné l’importance du cortex préfrontal droit (cf modèle HERA, voir supra) dans la réalisation de tâches de rappel libre, de rappel indicé et de reconnaissance de stimuli de différente nature : mots, phrases, dessins d’objets, visages, odeurs, patterns géométriques colorés (voir Tulving et al., 1994a ; Nyberg et al., 1996a, pour revues). Cependant, des activations bilatérales du cortex préfrontal ont aussi été observées dans plusieurs études (Desgranges et al., 1998a, pour revue). Différentes interprétations ont été proposées afin d’expliquer ce résultat. En effet, selon Bäckman et al. (1997), un tel pattern serait davantage associé à la réalisation de tâches de rappel indicé que de reconnaissance, les premières étant plus difficiles que les secondes. En réalité, c’est l’importance de la difficulté de la tâche qui semble déterminer les patterns d’activations plus que la nature de la tâche, comme l’ont montré Nolde et al., (1998) qui ont alors proposé l’hypothèse CARA (pour Cortical Asymmetry of Reflective Activity). Selon cette hypothèse, quelle que soit la nature des épreuves de récupération utilisées, les tâches les plus simples entraîneraient des activations préfrontales unilatérales droites et les tâches les plus complexes, des activations préfrontales bilatérales. D’autres hypothèses ont été proposées afin d’expliquer la présence de ce pattern bilatéral en récupération. En effet, selon certains auteurs, le cortex préfrontal gauche serait associé, même lors de la récupération, à un processus de prolongation de l’encodage d’informations récemment acquises (Andreasen et al., 1995b). D’autres auteurs ont suggéré que ces résultats seraient liés à un traitement préférentiel du matériel verbal par l’hémisphère gauche, ce point de vue étant conforté par des études portant sur du matériel verbal (Buckner et Petersen, 1996), notamment lorsqu’un traitement lexico-sémantique est effectué, comme dans les tâches de complètement de trigrammes (Nyberg et al., 1996). Certaines études en IRMf portant sur la récupération de matériel verbal ont même montré une activation unilatérale gauche du cortex préfrontal (Wagner et al., 1998a ; McDermott et al., 1999). Par ailleurs, il est aussi possible de prendre en considération l’implication plus spécifique des régions préfrontales dans la mise en œuvre de stratégies de recherche permettant la récupération d’informations préalablement encodées. Ainsi, certains travaux se sont focalisés sur la distinction entre une forme de récupération basée sur des mécanismes de recherche stratégique (qui seraient 101 sous-tendus par le cortex préfrontal) et une autre forme de récupération, davantage automatique, appelée ecphorique, caractérisée par une adéquation entre les indices de récupération proposés et la trace mnésique (Tulving, 1983). Dans ce cadre, Schacter et al. (1996a) ont observé une activation bilatérale du cortex préfrontal lors du rappel indicé de mots encodés une seule fois et traités de façon superficielle (rappel indicé difficile), ce résultat n’étant pas obtenu pour une tâche de rappel indicé facile (mots encodés quatre fois et traités de façon profonde), la première nécessitant un effort de recherche en mémoire plus important. Au contraire, un certain nombre de travaux ont suggéré que le cortex préfrontal, plus particulièrement à droite, serait impliqué dans toute activité de recherche en mémoire, que celle-ci soit exigeante ou non, efficace ou non (Kapur et al., 1995 ; Cabeza et al., 1997a ; Wagner et al., 1998b). Par exemple, dans l’étude de Nyberg et al. (1995), les sujets devaient écouter deux listes de mots et les traiter selon un critère soit sémantique, soit perceptif. Quatre mesures de DSC étaient ensuite effectuées, dont trois alors que les sujets étaient engagés dans une activité de recherche en mémoire (tâche de reconnaissance portant soit sur les mots traités sémantiquement, sur les mots traités de façon perceptive ou sur des mots nouveaux) et la dernière, pendant la lecture silencieuse de mots. Les comparaisons effectuées entre les trois tâches de recherche en mémoire et la tâche contrôle ont montré des activations du cortex préfrontal droit, indiquant que l’implication de cette région est davantage liée à la tentative de récupération qu’au succès effectif (qui varie selon les tâches, le taux de bonnes réponses étant supérieur pour les mots traités sémantiquement que pour ceux traités de façon perceptive). Tout récemment, dans le prolongement de cette conception selon laquelle le cortex préfrontal serait plus spécifiquement impliqué dans l’activité de recherche des informations en mémoire, Lepage et al. (2000) ont répertorié, à partir d’une analyse de résultats obtenus dans plusieurs études en TEP, un ensemble de régions associées au maintien d’un « mode de récupération épisodique » (qualifiées de sites REMO pour « Retrieval Mode »). REMO est défini comme un état neurocognitif pendant lequel un individu focalise son attention sur une partie de son passé personnel, prend en compte les informations qui lui parviennent comme des indices de récupération d’événements spécifiques passés, évite d’effectuer des traitements non liés à la tâche et s’approprie consciemment le produit d’une ecphorie (accès effectif à la trace mnésique) se manifestant sous la forme d’un événement dont il se souvient. Ainsi, six sites REMO ont été mis en évidence. Un de ces sites se situe dans le gyrus cingulaire antérieur (BA 32). Les cinq autres sont au niveau du cortex préfrontal et compren- 102 nent deux régions homologues bilatérales et symétriques, une au niveau du pôle frontal (BA 10), et l’autre au niveau de l’opercule frontal (BA 47/45). La cinquième se situe au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral droit (BA 8/9). Ces résultats amènent les auteurs à proposer une reformulation du modèle HERA tout du moins en ce qui concerne les aspects liés à la récupération, même si les deux sites REMO de l’hémisphère gauche présentent une activité et une étendue spatiale moindres que les sites homologues de l’hémisphère droit. De nombreuses études ont souligné l’implication du lobe temporal interne dans la récupération d’informations épisodiques, que ce soit avec du matériel verbal (Squire et al.,1992 ; Schacter et al., 1996a ; Fujii et al., 1997 ; Rugg et al., 1997), des dessins (Schacter et al., 1995 ; Petersson et al., 1997 ; Uecker et al., 1997), des patterns géométriques (Roland et Gulyas, 1995) et des informations topographiques (Owen et al., 1996b). Cependant, plusieurs études n’ont pas montré d’activations de cette structure lors de la récupération d’informations épisodiques (par exemple, Shallice et al., 1994 ; Cabeza et al., 1997a). Schacter et al. (1996a) ont attribué ce résultat à la nature des tâches utilisées, qui impliqueraient préférentiellement le cortex préfrontal lorsqu’elles engagent le sujet dans une stratégie de recherche exigeante. Ils appuient cette hypothèse sur une étude dans laquelle une condition de rappel indicé facile (mots ayant été précédemment présentés quatre fois et ayant fait l’objet d’un traitement sémantique) entraînait une augmentation bilatérale du DSC dans le lobe temporal interne, tandis qu’une condition de rappel indicé difficile (mots présentés une seule fois et traités superficiellement) activait le cortex préfrontal, de façon bilatérale (voir supra). Ce résultat suggère donc que le cortex préfrontal et l’hippocampe seraient préférentiellement impliqués dans des aspects différents de la récupération en mémoire épisodique, le premier dans la stratégie de récupération et le second dans la récupération consciente non liée à l’effort (ecphorique). A l’aide d’une méthode corrélative, Nyberg et al. (1996b) ont également mis l’accent sur l’implication du lobe temporal interne gauche dans la reconnaissance de mots. En outre, cette activation était plus importante après encodage profond qu’après encodage superficiel, la première condition amenant à une meilleure récupération. D’autres études (Owen et al., 1996b ; Rugg et al., 1997 ; Fujii et al., 1997) ont conforté cette interprétation concernant le rôle du lobe temporal interne dans la récupération n’exigeant pas d’effort important, le matériel verbal activant préférentiellement l’hémisphère gauche, et le matériel non verbal, le droit. Cependant, certaines études ayant proposé des tâches de « récupération facile » n’ont pas montré d’activation du lobe temporal interne (Petrides et al., 1995 ; Kapur et al., 1995 ; Rugg et al., 1996). De même, Grasby et al. (1994) ont mis en évidence des corrélations significatives entre l’activation du lobe 103 temporal interne et des performances dans une tâche de rappel d’une liste de mots qui exige des efforts de recher che. Enfin, Petersson et al. (1997) ont montré une activation bilatérale du lobe temporal interne lors du rappel libre d’une série de dessins abstraits non verbalisables, cette activation étant plus importante lors du rappel sans entraînement qu’après entraînement, ce qui est contraire à ce que suggèrent Schacter et al. (1996a). Lorsqu’on considère à nouveau l’hypothèse d’une implication différentielle du lobe temporal interne selon son axe antéro-postérieur (Roland et Gulyas, 1995 ; Lepage et al., 1998 ; Schacter et Wagner, 1999), on constate que les résultats concernant le processus de récupération semblent moins contradictoires que pour l’encodage. En effet, comme le suggère le modèle HIPER (Lepage et al., 1998), la partie postérieure du lobe temporal interne semble être effectivement fortement impliquée dans la récupération en mémoire épisodique (Schacter et Wagner, 1999). De nombreuses incertitudes subsistent encore actuellement quant à l’implication des structures temporales internes dans les processus de mémorisation et le problème est exacerbé d’une part, par la complexité de cette structure, d’autre part, par la petite taille de ses composantes. La confrontation des résultats obtenus selon différentes techniques se révèle être sur ce point très enrichissante (Schacter et Wagner, 1999 ; Stern et Hasselmo, 1999). Le processus de récupération en mémoire épisodique implique aussi des activations du cortex postérieur associatif, notamment au niveau du cortex pariétal ainsi qu’au niveau du précuneus, une petite région située au niveau du cortex pariétal postérieur médian. L’étude de Fletcher et al. (1995c), dans laquelle le degré d’imageabilité des mots à mémoriser était manipulé, est en faveur du rôle du précuneus dans l’imagerie visuelle liée au rappel. Cependant, Krause et al. (1999) ont montré des activations du précuneus lors du rappel de mots tant abstraits qu’imageables et ceci, que les mots aient été présentés visuellement ou auditivement. Kapur et al. (1995) suggèrent que le précuneus joue un rôle dans les processus de récupération ecphorique. Ces auteurs ont comparé les activations observées lors de deux tâches de reconnaissance visuelle de mots, l’une étant caractérisée par une forte, et l’autre par une faible proportion d’itemscibles. L’ecphorie qui est provoquée par la forte proportion d’items-cibles entraîne une activation dans la région du précuneus. A l’inverse, Buckner et al. (1996) mettent en avant l’implication du précuneus dans l’effort de recherche en mémoire, s’appuyant notamment sur les résultats de Schacter et al. (1996a). Dans cette dernière étude, en effet, une activation du précuneus droit était observée lors de la condition de rappel indicé difficile, en comparaison avec la condition de rappel indicé facile. 104 Une activation du cortex cingulaire antérieur a été régulièrement détectée dans les études consacrées à la mémoire épisodique (Cabeza et al., 1997a ; Heun et al., 1999). Plusieurs fonctions ont en fait été attribuées à cette région, ce qui selon Fletcher et al. (1995a) pourrait s’expliquer par l’importance de ses connexions extensives avec les structures corticales (préfrontales, pariétales et temporales) et sous-corticales (thalamus antérieur, notamment). Son implication a ainsi été établie dans l’attention divisée (Bench et al., 1993), ainsi que dans l’initiation et la sélection des réponses (Cabeza et al., 1997a). A l’aide d’un paradigme original, intégrant toutes les caractéristiques de l’information épisodique, Nyberg et al., (1996c) ont montré l’implication du cortex cingulaire antérieur lors du rappel de la caractéristique temporelle de l’information épisodique (« quand »), comparativement au rappel des autres caractéristiques (« quoi » et « où »). Des activations du cervelet ont régulièrement été montrées lors de tâches de mémoire épisodique. Le rôle du cervelet dans les activités cognitives est maintenant largement reconnu même s’il n’est pas encore bien compris (Fiez, 1996, pour revue). Selon Schacter et al. (1996a), le cervelet serait, comme le cortex préfrontal, impliqué dans les processus de recherche stratégique et d’inhibition des informations non pertinentes. Récemment, Andreasen et al. (1999) ont observé une activation du cervelet droit associée à l’évocation mentale de souvenirs relatifs à des expériences personnellement vécues. Ainsi, selon les auteurs, cette structure serait impliquée dans la récupération consciente d’informations en mémoire. Au total, les études d’activations en TEP et en IRMf concernant le processus de récupération ont souligné l’implication des régions préfrontales (principalement à droite), qui seraient fortement associées à la tentative de récupérer les informations mémorisées, et du lobe temporal interne (plus spécifiquement dans sa partie postérieure) qui semble davantage associé à une récupération de type ecphorique. De plus, la latéralisation des activations du lobe temporal interne serait sous la dépendance du type de matériel utilisé (gauche pour du matériel verbal, droite pour du matériel non verbal). A côté de ces travaux expérimentaux, quelques études ont cherché à mieux connaître les régions cérébrales impliquées plus spécifiquement dans la récupération en mémoire autobiographique. Ainsi, Fink et al. (1996) ont mesuré le DSC chez des sujets sains lors d’une condition dite « impersonnelle » pendant laquelle le sujet écoute des phrases contenant des informations qui concernent le passé autobiographique d’une personne qu’il ne connaît pas et qui lui ont été présentées une heure avant la passation sous caméra à positons et d’une condition dite « personnelle » pendant laquelle le sujet écoute des phrases contenant des informations sur son propre passé. La soustraction entre les 105 valeurs du DSC obtenues pour la condition personnelle et celles obtenues pour la condition impersonnelle met en évidence des activations, principalement latéralisées à droite, comprenant les lobes temporaux latéral et interne (hippocampe, gyrus parahippocampique et amygdale), l’insula, le cortex cingulaire postérieur, la jonction temporo-pariétale et le cortex préfrontal. Selon les auteurs, l’activation de l’amygdale et des régions hippocampiques, qui appartiennent au système limbique, refléterait le rôle de ces structures dans le traitement des caractéristiques émotionnelles de la mémoire. Par ailleurs, l’activation du cortex préfrontal droit est en accord avec les résultats des travaux expérimentaux portant sur la récupération d’informations en mémoire épisodique. Récemment, Maguire et Mummery (1999) ont tenté de déterminer les régions impliquées dans la récupération d’informations du « monde réel » en prenant en compte deux dimensions ; la pertinence personnelle et la spécificité temporelle, permettant d’étudier quatre catégories de représentations mnésiques : les événements autobiographiques (spécificité personnelle et contexte temporel), les événements publics (peu de spécificité personnelle mais contexte temporel), les faits autobiographiques (importante spécificité personnelle mais sans contexte temporel) et les connaissances générales (peu de spécificité personnelle et sans contexte temporel). Les résultats montrent que ces quatre catégories de mémoire sont associées à l’activation d’un réseau commun, principalement médian et latéralisé à gauche, comprenant le cortex préfrontal médian, le gyrus temporal latéral antérieur moyen, le pôle temporal, l’hippocampe et le gyrus parahippocampique, le cortex cingulaire postérieur et la jonction temporopariétale (de façon bilatérale). A l’intérieur de ce réseau, des activations spécifiques ont été observées pour chaque catégorie de représentations mnésiques. Ainsi, la récupération d’événements autobiographiques active l’hippocampe gauche, le cortex préfrontal médian et le pôle temporal gauche. Ainsi, l’hippocampe semble impliqué dans la récupération d’informations autobiographiques dont le caractère épisodique est bien spécifié. ♦ Applications de ces techniques en neuropsychologie Etudes d’activations dans le vieillissement normal et la maladie d’Alzheimer Le vieillissement normal se caractérise notamment par un déclin de la mémoire épisodique (Eustache et al., 1998, pour revue). Des études d’activations en TEP ont été effectuées en comparant des groupes de sujets jeunes et âgés afin de voir si ce déclin s’accompagne de modifications au niveau des patterns d’activations relatifs à des tâches d’encodage et de récupération en mémoire épisodique. 106 Grady et al. (1995) ont ainsi montré que les patterns d’activations liés aux processus d’encodage et de reconnaissance de visages se modifient avec l’âge. Lors de l’encodage, les sujets jeunes activent de manière significativement plus importante que les sujets âgés les cortex préfrontal gauche, cingulaire antérieur et temporal gauche. Selon les auteurs, les diminutions de performance en mémoire liées au vieillissement seraient dues en grande partie aux difficultés qu’éprouvent les individus âgés à encoder de manière adéquate les stimuli présentés. En revanche, lors de la reconnaissance des visages, une activation similaire du cortex préfrontal droit a été observée dans les deux groupes même si des régions supplémentaires sont activées chez les sujets jeunes (cortex pariétal droit et occipital). Schacter et al. (1996b) ont demandé à des sujets jeunes et âgés d’effectuer des tâches de rappel indicé facile et difficile de mots appris au préalable. Les sujets jeunes ont rappelé significativement plus de mots que les sujets âgés dans ces deux tâches. Lors du rappel indicé facile, les deux groupes ont montré des activations similaires des régions hippocampiques. Cependant, lors du rappel indicé difficile, les sujets jeunes ont montré une activation des régions frontales antérieures, et les sujets âgés, une activation de la région de Broca, ce qui peut refléter le recours à des mécanismes de répétition subvocale, stratégie moins efficace que celle de catégorisation sémantique pour la mémorisation de mots. La discordance de résultats entre l’étude de Grady et al. (1995) et celle de Schacter et al. (1996b) concernant les activations du cortex préfrontal peut provenir du mode de rappel choisi - respectivement reconnaissance et rappel indicé -, le premier étant moins perturbé dans le vieillissement normal. Cabeza et al. (1997b) ont utilisé un paradigme d’encodage et de récupération (reconnaissance et rappel indicé) de matériel verbal (voir figure 1). Leurs résultats renforcent l’hypothèse du recours à des stratégies différentes selon l’âge : les sujets jeunes montrent des activations plus grandes que les sujets âgés dans le cortex préfrontal gauche lors de l’encodage et dans le cortex préfrontal droit lors du rappel. Par ailleurs, les sujets âgés ont des activations plus grandes que les sujets jeunes dans plusieurs régions (à la fois lors de l’encodage et du rappel) ce qui peut refléter l’utilisation de stratégies cognitives moins efficaces ou la présence d’une réorganisation fonctionnelle (Cabeza et al., 1997c). Ces études suggèrent globalement que l’asymétrie du modèle HERA tend à s’atténuer avec l’âge et que des aires supplémentaires seraient recrutées chez les sujets âgés afin de compenser les déficits mnésiques, même si Bäckman et al. (1997) ont souligné l’absence de modification des activations préfrontales (bilatérales dans ce cas) au cours du vieillissement. 107 Madden et al. (1999) ont comparé des sujets jeunes et âgés à l’aide de tâches d’encodage et de reconnaissance de mots (voir figure 2). Contrairement à ce qui était attendu, ces auteurs n’ont pas constaté d’activation significative chez les sujets jeunes lors de l’encodage alors que les sujets âgés ont activé le cortex préfrontal de façon bilatérale. En reconnaissance, une activation étendue du cortex préfrontal chez les sujets jeunes et âgés a été observée avec un pattern davantage bilatéral chez les sujets âgés. Ces résultats répliquent ceux de Cabeza et al. (1997b,c) en soulignant à nouveau une atténuation de l’asymétrie du modèle HERA avec l’âge mais avec cette fois-ci une différence liée à l’âge en terme de performance cognitive (moins bonne reconnaissance des mots chez les sujets âgés). Enfin, Grady et al. (1999) ont fait effectuer à des sujets jeunes et âgés sous TEP des tâches d’encodage d’images d’objets et de mots en utilisant trois formes de stratégies différentes : un traitement profond (effectuer un jugement sémantique en décidant si chaque item correspond à quelque chose de vivant ou non), un traitement superficiel (décision par rapport à la dimension de chaque item présenté) ou un encodage intentionnel (mémorisation consciente et volontaire des stimuli). Les résultats obtenus dans une épreuve de reconnaissance effectuée après les mesures TEP montrent une meilleure mémorisation des images d’objets par rapport aux mots dans les deux groupes de sujets, avec toutefois un déclin spécifique de la reconnaissance de mots lié à l’âge. Quelle que soit la nature des stratégies utilisées, l’encodage d’images d’objets est associé à une augmentation de l’activité au niveau du cortex extrastrié et du lobe temporal interne alors que l’encodage de mots est associé à l’activation des cortex préfrontal et temporal gauches. Quelle que soit la nature du matériel, les tâches d’encodage intentionnel et d’encodage incident profond sont associées à des patterns d’activations différents, notamment au niveau du cortex préfrontal. Les sujets âgés obtiennent de tels patterns d’activations avec toutefois une amplitude significativement moins importante que chez les sujets jeunes. Un troisième pattern d’activations, comprenant les régions préfrontale gauche et temporales internes bilatérales, est associé à l’encodage incident profond et à l’encodage intentionnel d’images d’objets, sans qu’il y ait cette fois-ci de différence significative liée à l’âge. Selon les auteurs, l’ensemble des résultats obtenus permet de souligner le dysfonctionnement, lié à l’âge, de certains réseaux associés à l’encodage, même si l’encodage élaboré d’images d’objets semble épargné. Ainsi, ces changements liés à l’âge affecteraient davantage la mémorisation d’informations de nature verbale. Quelques études ont tenté d’appliquer le paradigme d’activations en TEP à des groupes de patients atteints de maladie d’Alzheimer, mais l’interprétation 108 des résultats est restée difficile. Becker et al. (1996) ont étudié les modifications du DSC chez sept patients lors de tâches de répétition de séries de trois et de huit mots. La première tâche est relativement bien réussie par les patients et le pattern d’activations est proche de celui des sujets témoins, la taille des aires activées étant toutefois plus grande chez les patients. En revanche, le rappel libre de séries de huit mots est déficitaire et les aires activées sont différentes entre les deux groupes, en particulier au niveau du cortex préfrontal. Cela pourrait traduire une réorganisation du fonctionnement cognitif, les patients utilisant une stratégie différente pour effectuer la tâche. Analysant les mêmes données avec une nouvelle méthode, les mêmes auteurs (Herbster et al., 1996) ont nuancé leur interprétation initiale en soulignant la similitude entre les activations des patients et celles des sujets âgés normaux. Ainsi, les réseaux fonctionnels sous-tendant la mémoire seraient partiellement préservés dans la maladie d’Alzheimer débutante, mais les patients n’utiliseraient pas nécessairement les mêmes éléments de ce réseau que les sujets sains. Récemment, Bäckman et al. (1999) ont demandé à des patients et à des sujets âgés sains d’effectuer une tâche de rappel indicé de mots. Les performances obtenues chez les patients sont déficitaires par rapport à celles des sujets sains et ce résultat est associé à un pattern d’activations (cortex préfrontal bilatéral, précuneus gauche, cervelet droit) et de désactivations (régions temporales gauches) commun entre les deux groupes malgré certaines différences pouvant refléter la présence de mécanismes compensatoires chez les patients. En effet, les sujets sains activent le cortex pariétal et la formation hippocampique gauches alors que les patients activent le cortex préfrontal inférieur et le cervelet gauches ainsi que les gyri temporal moyen droit et cingulaire postérieur. Méthode des corrélations cognitivo-métaboliques dans le vieillissement normal et la maladie d’Alzheimer Une deuxième méthode en TEP semble particulièrement adaptée pour étudier les modifications du métabolisme au cours du vieillissement normal et dans différentes pathologies neurodégénératives. Dans ce cas, les études sont réalisées au repos (pendant que le sujet ne se livre à aucune activité particulière), les mesures effectuées reflétant le métabolisme de base du cerveau, et donc les altérations neuronales. Les valeurs métaboliques peuvent être mises en correspondance avec des performances cognitives recueillies en dehors de la mesure TEP. Cette méthode présente ainsi l’avantage de permettre l’utilisation de tests neuropsychologiques sophistiqués, contrairement à la méthode d’activations qui comporte un certain nombre de contraintes. La variabilité des valeurs cognitives et métaboliques, liée au vieillissement ou à l’affection étudiée, per- 109 met l’obtention de corrélations cognitivo-métaboliques reflétant la localisation des structures cérébrales responsables des déficits observés. Le métabolisme cérébral global est sensible au vieillissement normal, diminuant d’environ 6% par décennie (Petit-Taboué et al., 1998). Quelques travaux ont étudié des groupes de sujets sains d’âge différent au moyen de tests psychométriques et de mesures du métabolisme cérébral au repos (Eustache et al., 1995a, 1995b pour revue). Leur but était de mettre en évidence les régions cérébrales impliquées dans les modifications cognitives survenant au cours du vieillissement. Ainsi, l’étude de Riege et al. (1985) fait état de corrélations significatives entre des scores de mémoire à long terme épisodique verbale et la consommation régionale de glucose (CMRGLc) de plusieurs régions corticales dont le cortex frontal et sous-corticales telles que le thalamus et le noyau caudé dans une population de 23 sujets sains âgés de 27 à 78 ans. Par ailleurs, Eustache et al. (1995b) ont montré, dans une population de sujets sains âgés de 20 à 70 ans, que les performances en mémoire épisodique verbale, estimées à l’aide d’une épreuve de mémoire associative, étaient significativement corrélées avec les valeurs de consommation régionale d’oxygène (CMRO2) dans le thalamus gauche et les deux hippocampes. Enfin, Baron et al. (1997) ont observé, dans un groupe de sujets sains âgés de 20 à 65 ans, des corrélations significatives entre des performances obtenues à un test de rappel d’histoire et la CMRGLc, essentiellement dans le cortex préfrontal bilatéral, résultat rejoignant les données des études d’activations. Selon les mêmes principes, une étude de corrélations cognitivo-métaboliques a été réalisée dans la maladie d’Alzheimer. Plusieurs systèmes mnésiques ont été explorés et des corrélations significatives, différentes pour chaque système, ont été mises en évidence (Desgranges et al., 1998b). Ces résultats renseignent sur les régions cérébrales sous-tendant les déficits mnésiques dans la maladie d’Alzheimer, en particulier de la mémoire épisodique, de la mémoire de travail et de la mémoire sémantique. Concernant la mémoire épisodique, les performances obtenues à une épreuve de rappel d’histoire sont significativement corrélées avec le métabolisme de l’hippocampe et du cortex cingulaire postérieur gauches (voir figure 3). Ces résultats comparés à ceux de l’étude de Baron et al. (1997) peuvent s’expliquer par la nature différente des troubles de la mémoire épisodique dans les deux populations. Dans le vieillissement normal, les troubles concerneraient essentiellement les stratégies d’encodage et de récupération de l’information, vraisemblablement sous la dépendance du cortex préfrontal. Dans la maladie d’Alzheimer, le déficit concernerait avant tout les mécanismes intrinsèques de l’encodage qui mettent en jeu les structures temporales internes et notamment l’hippocampe. 110 Etudes dans les syndromes amnésiques Les techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale permettent d’obtenir des renseignements précieux sur les régions cérébrales impliquées dans le fonctionnement normal ou pathologique de la mémoire épisodique chez des groupes de sujets (sains jeunes ou âgés, patients atteints de pathologies neurodégénératives). Elles offrent aussi la possibilité de mieux connaître les substrats neuronaux des déficits observés chez des patients uniques porteurs de lésions cérébrales focales. Ainsi, dans une étude originale, Levine et al. (1998) rapportent les résultats obtenus chez un patient (M.L.) atteint d’une amnésie rétrograde consécutive à un traumatisme crânien grave. M.L. est profondément amnésique pour les événements qui précèdent son accident mais ne présente pas d’amnésie antérograde évaluée par une batterie de tests standard de rappel et de reconnaissance. Cependant, les résultats obtenus grâce à un paradigme « Remember/Know » (« se souvenir/savoir », paradigme qui permet d’évaluer le niveau de conscience associé à la récupération) semblent indiquer que ce patient ne revit pas de façon aussi épisodique que des sujets témoins les événements post-traumatiques, se basant probablement sur d’autres processus (comme la familiarité) pour faire une distinction entre les événements personnellement vécus et ceux qui ne le sont pas. L’IRM anatomique de M.L. révèle des lésions du cortex frontal ventral droit et de la substance blanche (comprenant le faisceau unciné, qui relie les régions frontale et temporale et qui serait impliqué dans la récupération d’événements personnellement vécus, voir figure 4). Ce patient a par ailleurs participé à une étude d’activations en TEP utilisant un paradigme inspiré de Kapur et al. (1996) et de Cabeza et al. (1997a). Les résultats ont été comparés à ceux obtenus par un groupe de sujets sains et par un groupe de patients ayant eu un traumatisme crânien. Ainsi, par rapport à ces deux groupes de sujets témoins, M.L. montre une hypoactivation au niveau du pôle du cortex frontal droit, ainsi qu’une activation plus importante au niveau du lobe temporal interne gauche lors de la réalisation d’une tâche de rappel indicé. Selon les auteurs, l’absence d’amnésie antérograde chez M.L. serait liée à une implication particulière (plus importante que chez les sujets contrôles) du lobe temporal interne gauche expliquant l’augmentation de l’activité au niveau de cette région. Les résultats de cette étude suggèrent la présence chez le patient M.L. d’un trouble de la conscience autonoétique (niveau de conscience associé à la récupération d’informations en mémoire épisodique, permettant de se situer en tant qu’entité continue à travers le temps) lié à l’atteinte du lobe frontal ventral droit (incluant une dysconnexion entre les régions temporale et frontale droites). Il existerait également une réorganisation des systèmes cérébraux sous-tendant 111 certains traitements cognitifs sans permettre pour autant au patient d’avoir accès à des informations complémentaires concernant sa situation par rapport aux événements passés et futurs. Les études au repos en TEP sont plus couramment utilisées dans l’étude des syndromes amnésiques. Elles permettent de déterminer, chez un groupe de patients ou chez un cas unique, par rapport à un groupe contrôle, une cartographie de régions hypométaboliques reflétant le dysfonctionnement des réseaux neuronaux impliqués dans l’amnésie. Fazio et al. (1992) ont, selon cette approche, mesuré la CMRGLc au repos chez un groupe de 11 patients présentant un syndrome amnésique d’étiologies diverses caractérisé par une importante amnésie antérograde et une amnésie rétrograde plus ou moins étendue. Les résultats obtenus montrent un hypométabolisme bilatéral au niveau d’un réseau de régions appartenant au circuit de Papez (lobe temporal interne, gyrus cingulaire, thalamus) ainsi qu’au niveau des régions orbitofrontales. Cependant, cette étude présente les limites de ne pas avoir effectué d’analyses individuelles et de se baser uniquement sur la méthode des régions d’intérêt qui se limite à l’étude de certaines régions cérébrales. Récemment, Aupée et al. (soumis) ont étudié la CMRGLc chez un groupe de 5 patients atteints d’un syndrome amnésique permanent (3 patients présentent un syndrome de Wernicke-Korsakoff et 2 présentent un syndrome postanoxique) à l’aide du logiciel SPM (Statistical Parametrical Mapping) qui permet d’analyser les valeurs du métabolisme sur l’ensemble du volume cérébral. L’analyse de groupe a révélé un hypométabolisme au niveau du thalamus, du gyrus cingulaire postérieur, du cortex préfrontal médian (à proximité du gyrus cingulaire antérieur) ainsi qu’au niveau des gyri temporal moyen et supramarginal gauches. Les analyses individuelles ont montré un pattern similaire à celui obtenu dans l’analyse de groupe et ont par ailleurs déterminé d’autres régions hypométaboliques spécifiques à certains patients. En effet, trois d’entre eux présentent un hypométabolisme au niveau lobe temporal interne. Les résultats ainsi obtenus indiquent que le syndrome amnésique serait sous-tendu par un dysfonctionnement des structures appartenant au circuit de Papez, s’étendant à des régions habituellement dévolues au langage, probablement par un mécanisme de dysconnexion thalamo-cortical. L’ictus amnésique est un syndrome qui offre l’opportunité unique d’étudier le dysfonctionnement de la mémoire humaine en l’absence de réorganisations cognitive et neurologique présentes dans le syndrome amnésique permanent. En outre, le patient peut être son propre contrôle, ce qui représente un intérêt particulier dans le domaine de la mémoire qui se caractérise, y compris chez le sujet sain, par une grande variabilité interindividuelle. Cependant, 112 l’étude de l’ictus amnésique présente certaines contraintes et difficultés, pour des raisons logistiques évidentes : la courte durée de l’épisode et le contexte d’urgence. Dans tous les cas, les investigations neuropsychologiques sont incomplètes, contrairement aux études portant sur le syndrome amnésique permanent. Ainsi, les travaux portant sur l’étude du métabolisme cérébral au repos dans l’ictus amnésique sont très rares. Deux études, présentées sous la forme de résumés, ont souligné une altération du métabolisme au niveau des régions temporales internes (Heiss et al., 1992) notamment dans l’hippocampe (Volpe et al., 1983). Ces résultats n’ont pas été confirmés par les investigations réalisées dans notre laboratoire. Dans le premier cas (Baron et al., 1994), une diminution de la CMRO2 a été mise en évidence, lors du début de la phase de récupération, au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral droit, du thalamus droit et du noyau lenticulaire. La seconde étude (Eustache et al., 1997) a permis d’estimer la CMRO2 ainsi que le fonctionnement de différents systèmes mnésiques pendant la phase critique de l’ictus. L’étude TEP a mis en évidence une diminution de la CMRO2 au niveau des cortex préfrontal, temporal et du noyau lenticulaire gauches. L’examen neuropsychologique a révélé une dissociation nette entre une mémoire épisodique déficitaire et une mémoire implicite préservée. Par ailleurs, la fluence catégorielle était significativement déficitaire, ce résultat suggérant un trouble de l’utilisation d’une stratégie de récupération en mémoire sémantique. La prise en compte des résultats obtenus dans les études d’activations concernant l’implication du cortex préfrontal gauche dans l’encodage en mémoire épisodique ainsi que dans la récupération en mémoire sémantique permet d’inférer un lien entre l’hypométabolisme observé au niveau de cette région et les troubles de la mémoire épisodique et de la fluence verbale. On peut noter que cet hypométabolisme concerne plus précisément le gyrus frontal inférieur gauche, une région activée pendant l’encodage en mémoire épisodique chez des sujets sains dans l’étude de Shallice et al. (1994). Ainsi, les résultats obtenus en TEP chez le patient de cette étude iraient dans le sens d’un déficit de l’encodage. Cependant, il n’a pas été possible d’évaluer spécifiquement les processus d’encodage et de récupération chez ce patient. Dans l’étude de Baron et al. (1994), un hypométabolisme préfrontal droit a été montré mais il n’y a pas eu d’examen neuropsychologique. En se basant sur le modèle HERA, cet hypométabolisme préfrontal droit serait lié à un déficit de la récupération en mémoire épisodique. Actuellement, l’interprétation des résultats TEP obtenus dans l’ictus amnésique reste difficile car très peu d’études ont évalué à la fois les troubles métaboliques et cognitifs pendant la phase critique. Néanmoins, ces résultats suggèrent la présence d’un dysfonctionnement d’un large réseau impliqué dans 113 la mémoire épisodique et comprenant l’hippocampe, le thalamus, et le cortex préfrontal bilatéral. ♦ Conclusion Les résultats obtenus grâce aux techniques de neuroimagerie fonctionnelle permettent de mieux connaître le vaste réseau neuronal qui sous-tend le fonctionnement de la mémoire épisodique chez le sujet sain. Certaines composantes de ce réseau seraient mobilisées quelle que soit la tâche effectuée tandis que d’autres seraient impliquées préférentiellement dans certains traitements (encodage versus récupération, récupération ecphorique versus stratégique) effectués sur des informations de nature différente (verbal versus non verbal). Les structures cérébrales qui composent ce réseau sont aussi fortement interconnectées et il est possible de déterminer les relations fonctionnelles entre ces régions (Nyberg et al., 1996d). Les études qui ont été effectuées soulignent la place privilégiée qu’occuperaient le cortex préfrontal et le lobe temporal interne au sein de ce réseau. Les résultats ainsi obtenus constituent une source d’inférence riche et permettent d’orienter de façon plus précise les études effectuées chez les patients. Les études expérimentales bénéficient aussi de ces résultats qui fournissent des axes de recherche originaux. Ainsi, Blanchet et al. (1999), en utilisant une technique de tachitoscopie en champ visuel divisé, ont obtenu des résultats qui vont dans le sens d’un compromis entre ce que prédit le modèle HERA et les hypothèses concernant l’asymétrie hémisphérique du traitement d’informations selon leur nature (verbale versus non verbale). En effet, ces auteurs ont observé une asymétrie en faveur de l’hémisphère gauche plus prononcée lors de l’encodage que lors de la récupération de matériel verbal, et une asymétrie en faveur de l’hémisphère droit plus importante lors de la récupération que lors de l’encodage de matériel non verbal. Ainsi, la direction de l’asymétrie hémisphérique semble dépendre de la nature du matériel traité alors que l’amplitude de cette asymétrie serait liée au type de traitement effectué. Les études de neuroimagerie fonctionnelle ont aussi permis de préciser et d ’ e n ri chir le concept de mémoire épisodique en intégrant la notion de conscience autonoétique (qui fait référence au niveau de conscience associé à la récupération d’informations en mémoire épisodique et qui permettrait à l’individu de voyager dans son passé pour y chercher un souvenir entouré de son intimité et de projeter ce souvenir dans le futur, ce qui donne au sujet, conscient de son identité, sa cohérence interne) et les connaissances liées aux régions préfrontales (Wheeler et al., 1997). Dans les années qui viennent, il y a fort à penser que des études de plus en plus nombreuses prendront en considération ce 114 niveau de conscience, notamment dans le cadre d’explorations de la mémoire autobiographique. Par ailleurs, ces études permettent d’obtenir des renseignements précieux sur les substrats neuronaux des altérations de la mémoire épisodique survenant dans le vieillissement normal, dans la maladie d’Alzheimer ou dans les syndromes amnésiques. La méthode des corrélations cognitivo-métaboliques présente l’avantage d’exploiter la variabilité interindividuelle qui caractérise les populations étudiées et de déterminer les régions dont l’altération est significativement corrélée au déclin des performances. Récemment, Tulving et al. (1999) ont conceptualisé une distinction entre les « WHAT sites », qui correspondent aux régions mises en évidence dans les études d’activations et qui décrivent ce que le système fait, et les « HOW sites », mis en évidence dans les études de corrélations cognitivo-métaboliques (mais aussi dans les études qui mesurent des corrélations entre les régions activées et des performances de mémoire) qui décrivent la façon dont le système effectue les tâches. Les auteurs insistent sur l’aspect complémentaire des deux approches qui permettent de déterminer de telles régions et sur l’intérêt d’étudier les relations qu’elles entretiennent. Ainsi, par inférence, les résultats obtenus selon ces différentes méthodes offrent l’opportunité de mieux comprendre la mémoire humaine (Eustache et al., 1999, pour revue). Enfin, les techniques de neuroimagerie fonctionnelle utilisées chez des patients uniques devraient permettre de mieux comprendre la nature de leurs déficits, d’observer la présence d’éventuels mécanismes compensatoires et de sélectionner les stratégies de rééducation les plus adaptées. 115 116 117 REFERENCES ANDREASEN N.C., O’LEARY D. S., ARNDT S., CIZADLO T., HURTIG R., REZAI K., WATKINS G.L., PONTO L.L.B., HICHWA R.D. (1995a). Short-term and long-term verbal memory : A positron emission tomography study. Proceedings of the National Academy of Science of the USA, 92, 5111-5115. 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Psychological Bulletin, 121, 331-354. 122 Prise en charge des troubles de mémoire des patients traumatisés crâniens Mireille Beauchamps, Marie-Noëlle Besson Résumé Depuis une quinzaine d’années, la recherche en neuropsychologie a permis de faire évoluer la prise en charge des troubles mnésiques des patients traumatisés crâniens. Les stratégies rééducatives tentent maintenant d’apporter au sujet une aide beaucoup plus concrète dans les diverses activités de sa vie quotidienne. Le programme rééducatif est mis en place après une analyse fine des troubles mnésiques et une évaluation des processus préservés. Différentes techniques de rééducation nécessitant chacune une phase d’apprentissage préalable peuvent être employées : il s’agit notamment des techniques dites de facilitation, de réorganisation ou d’utilisation des capacités résiduelles. La thérapie instaurée doit avant tout être adaptée en fonction de l’évolution neuropsychologique et comportementale du patient. Mots clés : traumatisés crâniens, troubles de la mémoire, stratégies de rééducation. Remediation of memory deficits in patients with traumatic brain injury Abstract Over the last fifteen years, neuropsychological research has contributed to significant advances in the treatment of memory deficits in patients with traumatic brain injury. Currently, remediation strategies attempt to provide the patient with much more concrete help in his various daily life activities. The therapeutic program is developed on the basis of a detailed analysis of the patient’s memory deficits and of his intact processes as well. Different therapeutic techniques, each requiring an introductory learning stage, can be used: more specifically, techniques for the facilitation, reorganization or usage of residual capacities. The prescribed therapy must be adapted primarily according to the neuropsychological and behavioral progress of the patient. Key Words : traumatic brain injury, memory deficit, remedial strategies. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 123 Mireille BEAUCHAMPS Marie-Noëlle BESSON Orthophonistes Unité de Neuropsychologie & Rééducation du Langage CHU de Poitiers Cité hospitalière de la Milétrie 350, avenue Jacques Cœur P endant de nombreuses années, les troubles mnésiques consécutifs à une lésion cérébrale n’ont pas fait l’objet d’une prise en charge rééducative. Puis, l’étude des amnésies sévères et durables entraînant un handicap fonctionnel très important a permis la mise en place de programmes de réentraînement mnésique. Ainsi, les travaux de Pattern (1972), Jones (1974) et Gianutsos (1979) se sont succédés (Mazaux et al., 1987). Ces auteurs s’étaient inspirés des données de la psychologie expérimentale et leurs méthodes recouraient aux moyens mnémotechniques employés par des sujets normaux. Depuis une dizaine d’années, les techniques dites de jogging mental, dont l’objectif principal visait à améliorer les performances au niveau de tâches ponctuelles, semblent révolues. Grâce aux apports des travaux réalisés en neuropsychologie, de nombreux thérapeutes s’attachent désormais à rendre au sujet amnésique une qualité de vie aussi proche que possible de celle qu’il avait avant la survenue des troubles, et ce, tant sur le plan social que professionnel. Le plus ancien document vieux de 2500 à 3000 ans et faisant référence à la prise en charge de patients traumatisés crâniens est d’origine égyptienne et a été découvert par Smith et Luxor (Walsh, 1987). Les troubles de mémoire constituent un handicap fréquent chez les patients traumatisés crâniens et leur prise en charge au plan rééducatif est impérative. Ils sont cependant souvent associés à d’autres déficits cognitifs (aphasie, troubles de l’attention, difficultés de raisonnement et de jugement, ralentissement idéo-moteur, fatigabilité...), ainsi qu’à des perturbations émotionnelles (irritabilité, passivité...). Les différentes atteintes de la sphère cognitive et comportementale ne sont pas sans influer sur les capacités d’apprentissage et doivent par conséquent faire l’objet d’une approche rééducative avant même que ne soient abordées les difficultés mnésiques sur le plan thérapeutique. 124 Il existe en fait autant de tableaux d’amnésies que de patients traumatisés crâniens. Les troubles vont être plus ou moins invalidants, plus ou moins persistants, et leur intensité sera différente. Par conséquent, avant de mettre en place un projet rééducatif, il est indispensable de déterminer le mieux possible la nature des troubles mnésiques présentés par le patient. Le déficit est-il global ou limité à certains types de stimuli ? Sommes-nous en présence d’un trouble de l’encodage et/ou d’un stockage inefficace ? Les mécanismes de récupération de l’information sont-ils inopérants ? Si les scores obtenus aux tests psychométriques nous permettent de mieux cerner l’intensité du déficit présenté par le patient comparativement aux résultats obtenus par une population témoin du même âge et de même niveau socioculturel, ils ne nous apportent par contre que peu ou pas d’indications sur le retentissement des troubles mnésiques au niveau des activités journalières du patient. Il est également important de savoir si le patient et/ou son entourage surestiment ou sous-évaluent l’intensité des troubles et si des stratégies de réadaptation ont été mises en place spontanément. Par ailleurs, lorsque l’on considère les plaintes des patients amnésiques, on s’aperçoit qu’elles sont extrêmement variées et correspondent à des difficultés de nature très différente. Il peut s’agir : - de difficultés pour localiser ses propres objets (où ai-je mis mes clefs ?) ; - de difficultés pour retenir ce que l’on vient de lire, pour suivre une conversation ; - de difficultés pour récupérer le nom d’une personne connue ; - de difficultés pour se souvenir d’avoir quelque chose à réaliser dans le futur (payer une facture avant la date d’échéance, ce qui fait appel à la mémoire prospective). Des informations utiles au thérapeute peuvent être obtenues à l’aide d’un auto-questionnaire que remplit le patient et sa famille (Questionnaire d’AutoEvaluation de la Mémoire : QAM de Van Der Linden et al., 1988). Les réponses permettent de mieux préciser le profil mnésique du patient et d’ajuster avec plus d’exactitude la prise en charge rééducative. La rééducation des troubles mnésiques s’appuie sur des techniques diversifiées adaptées aux troubles rencontrés. Son but n’est pas uniquement de tenter de réimprimer des traces dans un espace de mémoire qu’Aristote et Platon ont comparé métaphoriquement à une tablette de cire, mais il est aussi d’essayer de faire acquérir de nouvelles habiletés spécifiques et de pallier le déficit mnésique par différentes stratégies. 125 ♦ Principes généraux 1 - La spécificité de la prise en charge en fonction du patient L’âge du patient et sa situation socio-professionnelle au moment de l’accident représentent deux facteurs importants en ce qui concerne l’orientation de la rééducation et la perspective d’une réinsertion future. Lorsque le patient est âgé, d’autres déficits viennent souvent s’associer aux troubles mnésiques. La rééducation peut par ailleurs s’avérer difficile quand le patient est anosognosique, c’est-à-dire non conscient de ses troubles. L’anosognosie n’est cependant généralement que transitoire, le patient réalisant peu à peu son déficit grâce à la mise en œuvre de la thérapie. Enfin, il apparaît important de prendre en compte « les préférences et les styles individuels » variant en fonction des sujets. Ainsi, certains patients peuvent préférer utiliser les procédés mnémotechniques plutôt qu’avoir recours à l’imagerie visuelle : on peut penser que le rappel interne de l’image reste souvent difficile pour beaucoup de patients (Bruyer et al., 1991). Selon Tulving et al. (1991), les sujets présentant des troubles de mémoire peuvent apprendre de nouvelles informations factuelles ou sémantiques à la condition qu’elles aient du sens pour eux. Cela signifie alors que ces informations s’insèrent dans un univers connu du patient. Tel fut le cas de AC qui possédait beaucoup de connaissances concernant la sphère politique avant la survenue de son amnésie, et qui a pu en acquérir de nouvelles dans le même domaine par la suite (Van Der Linden et al., 1996). 2 - La spécificité de la prise en charge en fonction des troubles rencontrés Les programmes de rééducation doivent tenir compte de trois éléments importants qui diffèrent d’un patient à l’autre. a - la nature du déficit Certains patients amnésiques présentent un déficit au niveau de l’encodage des informations, alors que pour d’autres, les troubles intéressent le stockage ou encore la récupération des données (Bouvard et al., 1994). Lorsque le patient a des difficultés pour encoder correctement une information, il est possible de : ❖ réduire la quantité de données à traiter simultanément. ❖ simplifier les données. ❖ demander au patient d’associer l’information à retenir à quelque chose qu’il connaît déjà. ❖ réorganiser l’information à mémoriser (grouper les informations en catégories permet de retenir plus aisément les items d’une liste de mots). 126 Plus une information est traitée en profondeur, plus elle aura de chances d’être bien encodée. Il faut pour cela encourager le patient à réfléchir et à s’interroger sur le matériel qu’il doit mémoriser. Cependant, les patients amnésiques stockent d’emblée relativement peu d’informations, et le taux d’oubli est important durant les premiers jours qui suivent l’apprentissage. Pour aider les patients à conserver les items dans leur registre mnésique, le rééducateur, aidé par l’entourage, doit inciter le patient à maintenir et à utiliser activement l’information apprise. Un rappel régulier est un moyen de consolider l’information : la technique de recouvrement espacé peut être utilisée. La récupération de l’information peut, elle aussi, poser des difficultés pour le patient qui détient l’item-cible mais qui ne peut consciemment le récupérer (l’exemple type est ici celui du phénomène dit « tip-of-tongue » ou « mot sur le bout de la langue »). Il est alors possible d’aider le patient en lui fournissant un indice qui va lui permettre d’accéder à l’information recherchée. Différents types d’indices peuvent être utilisés : la recherche du mot « loup » pourra ainsi être facilitée par le recours à un indiçage sémantique (« attaque les troupeaux »), à un indiçage catégoriel (« carnivore »), à un indiçage littéral (« L ») ou contextuel (« vit à l’état sauvage ou dans des réserves »). Lorsque les informations à mémoriser correspondent à des noms de personnes, il est nécessaire au cours des répétitions de faire varier les conditions dans lesquelles se déroulent d’une part, la phase d’apprentissage et, d’autre part, la phase de recouvrement de l’information ; dans le cas contraire, l’accès au nom sera le plus souvent impossible. Ainsi, l’apprentissage du nom du thérapeute est pour le patient bien souvent lié à un endroit spécifique (hôpital) et à une situation particulière (séances de rééducation), et il est alors indispensable que les conditions contextuelles de récupération soient identiques pour que le sujet puisse récupérer le patronyme considéré. Dans un contexte inhabituel (piscine), le malade aura beaucoup de difficultés pour retrouver le nom de son thérapeute. b - les types d’activités concernés par le déficit mnésique Il est primordial de cerner avec précision les répercutions du déficit mnésique du patient au niveau des faits de la vie quotidienne. Le recours à un questionnaire concernant les activités journalières est donc très utile. Le thérapeute pourra ainsi savoir si le patient est ou non capable de mémoriser le contenu d’un livre, s’il a ou non des difficultés à suivre une conversation, s’il se rappelle ou non de ses prochains rendez-vous... etc. 127 c - les processus préservés chez les patients amnésiques Connaître les processus mnésiques préservés peut permettre de mieux aider le patient à utiliser efficacement ses habiletés mnésiques résiduelles. ♦ Les différentes stratégies de rééducation de la mémoire chez les patients traumatisés crâniens 1 - Les stratégies de restauration Les essais de restauration, dans son mode de fonctionnement antérieur, du système nerveux central endommagé, n’ont pas été tellement concluants. La récupération n’apparaît en général effective que dans le cas de troubles résultant d’atteinte cérébrale secondaire et non pas primaire. Cependant, plusieurs études chez l’animal ont montré qu’une certaine stimulation pouvait entraîner une production neuronale. Chez les patients présentant des troubles de la mémoire, les essais de rétablissement de la fonction mnésique ont porté sur l’utilisation d’exercices d’entraînement avec des stimulations réitérées. Les jeux de KIM ou la mémorisation de poèmes ont ainsi été utilisés dans cette optique. Les progrès observés ne se sont toutefois pas étendus au fonctionnement mnésique en général et sont restés localisés au seul matériel ayant fait l’objet d’un travail particulier (Van Der Linden, 1999). Si ce type de stratégie demeure encore très utilisé dans les thérapies cognitives, il ne semble cependant plus être considéré comme efficace, ainsi que le suggèrent Bruyer et Van Der Linden (1991), reprenant notamment les propos d’Harris et Sunderland. L’exemple de HM, opéré d’une double lobectomie temporale incluant l’hippocampe, et souffrant d’un oubli à mesure, conforte cette impression car, malgré un « jogging mental » intensif pendant plus de vingt ans, HM a conservé les mêmes difficultés. L’étude de Godfrey et Knight en 1988 aboutit à un constat identique : aucune évolution notable n’a en effet pu être constatée chez un patient traumatisé crânien ayant pourtant bénéficié d’un entraînement quotidien pendant 8 semaines basé sur un programme comportant des exercices d’apprentissage variés. On ne peut donc plus actuellement considérer la mémoire comme un muscle indifférencié qu’il suffit de réentraîner. La fonction mnésique recouvre en effet une série de systèmes indépendants qui sont régis par des zones cérébrales particulières et qui sont eux-mêmes divisés en sous-processus spécialisés extrêmement complexes susceptibles d’être électivement atteints par la lésion cérébrale. 128 Si une amélioration survient dans le cadre de la mise en place de stratégies de restauration, elle ne sera guère que la conséquence d’une récupération spontanée : le jogging mental se révèle en effet le plus souvent inutile, mais en l’absence de toute autre stimulation, il peut toutefois avoir le mérite de constituer pour un patient une certaine source de motivation. 2 - Les stratégies de réorganisation Les stratégies de réorganisation s’appliquent notamment dans le cadre de la rééducation de la mémoire épisodique (ou autobiographique ou mémoire pure selon la terminologie bergsonienne). Chez un sujet amnésique, mémoire antérograde et mémoire rétrograde peuvent être conjointement atteintes. La mémoire épisodique, qui permet de « maintenir, stocker et actualiser des souvenirs référencés dans le temps et dans l’espace, reconnus par le sujet comme siens et comme passés » (Gil, 1996), est très fréquemment déficitaire lors de la survenue d’une lésion cérébrale. La mise en place d’une aide adaptée doit être précédée d’investigations cliniques précises qui, au moyen de tests, vont permettre de savoir à quel niveau du traitement mnésique d’un matériel donné se situe plus particulièrement l’atteinte. En effet, lors d’un test mettant en jeu la mémoire épisodique tel que l’apprentissage d’une liste de mots avec rappel différé après 5 à 10 minutes, plusieurs processus interviennent au cours de la mémorisation : ➯ l’information-cible (mot) est encodée simultanément avec l’information-contexte (espace, temps, source). Cette dernière sera utilisée à la phase de récupération du souvenir. Les régions hippocampiques seraient chargées de réaliser une liaison entre l’information-cible et le contexte pour créer un épisode. ➯ les différentes informations sont organisées (constitution de catégories), reliées les unes aux autres (encodage élaboré), afin de rendre leurs traces plus durables en mémoire épisodique. ➯ les données sont stockées et consolidées afin de permettre leur récupération ultérieure. Un déficit en mémoire épisodique peut donc se situer au niveau de la phase d’encodage, d’organisation des informations, de stockage ou de récupération des données. La prise en charge aura donc ici pour but de faciliter le fonctionnement de la mémoire épisodique en apprenant à des patients, dont le déficit mnésique peut être qualifié de léger à modéré, une nouvelle façon d’encoder ou de récupérer ou encore de stocker l’information. La stratégie qui sera utilisée sera appelée 129 stratégie de réorganisation ou de facilitation puisqu’on apprend au patient à contourner les difficultés auxquelles il se heurte. S’il existe plusieurs stratégies pour faciliter le fonctionnement de la mémoire afin de stocker des informations ponctuelles, il est par contre difficile d’obtenir du patient une utilisation habituelle des procédés facilitateurs. Pour tenter d’y parvenir, le programme de rééducation doit nécessairement comporter : - une phase où l’on facilite le fonctionnement de la mémoire par le biais d’exercices spécifiquement adaptés au sujet et à des situations de la vie quotidienne. - une phase où l’on apprend au patient à utiliser les procédés de facilitation. 2-1 - Les stratégies verbales Les stratégies d’encodage employées concernent ici des informations « signifiantes et reliées » qui peuvent par exemple correspondre aux données contenues dans un texte (Coyette et al., 1994). ✥ La stratégie P.Q.R.S.T. Elle a été décrite pour la première fois en 1970 par Robinson (Bruyer et al., 1991), puis utilisée depuis par de nombreux auteurs chez des patients présentant des troubles de la mémoire à long terme consécutifs à un traumatisme crânien. Cette stratégie consiste à traiter l’information de manière explicite en « l’organisant et en la reliant » aux connaissances déjà mises en mémoire. Ceci s’effectue au travers des étapes suivantes : ➯ P (Preview) : prise de connaissance du contenu général du texte. ➯ Q (Question) : choisir des questions clés. ➯ R (Read) : lecture du texte dans le but de répondre à ces questions. ➯ S (State) : donner les réponses aux questions. ➯ T (Test) : auto-évaluation du sujet à intervalles réguliers. La méthode P.Q.R.S.T. s’est révélée efficace dans beaucoup d’activités de la vie de tous les jours : lecture de livres, de journaux, de reportages ou apprentissage scolaire (études de Wilson en 1987). Toutefois, elle demande certains efforts de la part des patients. Crosson et Buening (1984) suggèrent d’adjoindre à la méthode P.Q.R.S.T. une technique d’imagerie visuelle ou d’autres stratégies pour améliorer l’encodage. ❖ La technique de la macrostructure Fayol, en 1985, a montré qu’un texte narratif était toujours organisé à sa base selon un schéma reposant sur une macrostructure qui, du cadre à la résolution de l’histoire, intègre différents épisodes. 130 La technique de la macrostructure a été présentée par Van Der Linden et Van Der Kaa en 1989. Le programme de rééducation de la prise d’informations consiste à rechercher les liens entre les données à mémoriser et à utiliser les règles de réduction de l’information définies par Kintsch et al. en 1975. Ces règles impliquent notamment l’omission de ce qui n’est pas nécessaire à la cohérence sémantique, la concentration de l’information dans des mots-clés (utilisation d’un superordonné afin d’éviter de construire une phrase), l’absence de répétition d’une information, l’omission de tout ce qui peut être inféré. Les patients lisent ainsi tout d’abord le texte dont ils bâtissent la macrostructure, puis, dans un deuxième temps et après un délai variable, ils reconstituent le texte uniquement à partir de cette même macrostructure. Cette méthode nécessite une étroite collaboration thérapeute-patient, surtout si le texte est difficile. 2-2 - Les stratégies visuelles Lorsque les informations à enregistrer ne sont pas signifiantes ou reliées, il devient nécessaire d’employer des stratégies d’encodage ayant recours à des indices qui se révèleront utiles pour une meilleure récupération des données. Les procédés mnémotechniques d’imagerie visuelle interviennent alors afin de permettre le codage de l’information par l’intermédiaire d’une image sans que soit fait appel à une quelconque stratégie verbale. Il existe différentes techniques d’imagerie visuelle : ❖ la technique d’imagerie absurde utilisée par Van Der Linden et Van Der Kaa (1989) pour apprendre des paires de mots et également s’entraîner à la construction d’images mentales. Exemple d’image mentale crée à partir des mots « éléphant » et « sombrero », entre lesquels il n’existe aucun lien sémantique, phonologique ou visuel. Adaptation du programme de Van Der Linden et Van Der Kaa (1989) 131 Dans un premier temps, le rééducateur guide le patient en lui fournissant une association visuelle entre les deux mots choisis, puis le patient doit essayer de créer lui-même ses propres associations. ❖ la technique du « face-name » permet d’apprendre de nouveaux noms de personnages en associant une caractéristique du visage d’une personne à un mot phonologiquement proche du nom patronymique à encoder (Mc Carthy, 1980). Cette méthode est directement issue de la technique d’imagerie absurde dont elle est une application concrète. Elle comprend 3 étapes (Coyette et al., 1999) : 1 - Trouver un nom concret et imageable pour remplacer le nom initial à mémoriser. Le patronyme PAILLON peut ainsi devenir « PAPILLON ». 2 - Isoler un trait distinctif du visage, tel que l’existence de larges oreilles décollées. 3 - Associer en une image interactive le remplaçant concret du nom et la caractéristique du visage. Au niveau de l’exemple précédemment choisi, le patient devra imaginer deux ailes de papillon de chaque côté du visage à la place des oreilles. Invité à nommer le personnage ici considéré, le patient, percevant d’emblée le trait distinctif au niveau du visage (oreilles décollées), accèdera par le biais d’une image mentale (ailes de papillon) au mot concret « papillon », lequel indicera à son tour le nom « PAILLON ». Image mentale crée pour apprendre le nom de Mr Paillon (adaptation d’un exemple de Van Der Linden et Van Der Kaa, 1980) Une étude réalisée par Wilson en 1987 a permis de montrer que les patients amnésiques se souvenaient plus des dessins qu’ils n’accédaient aux images mentales elles-mêmes : utiliser des images dessinées (et de préférence par le sujet luimême) semble donc constituer un moyen efficace de mémorisation. 132 La technique du « face-name » peut également être utilisée pour l’apprentissage de la profession, du lieu de résidence, du passe-temps d’un personnage (à partir de photographies) : il est possible de créer de la même façon des liens entre les diverses informations et le visage choisi (Coyette et al., 1999). Cette méthode sera en conséquence proposée à un patient pour l’aider à mémoriser les noms de ses proches (parents, voisins, collègues de travail...), ou ceux des différents thérapeutes. ❖ la technique du mot-clef peut quant à elle être utilisée pour l’apprentissage d’un nouveau vocabulaire, de termes techniques ou pour l’apprentissage d’une langue étrangère. Le principe consiste à créer une image mentale permettant de retrouver simultanément la prononciation et la signification d’un mot (Coyette et al., 1999). ❖ la méthode des lieux ou méthode de Loci, utilisée par les orateurs grecs, peut aussi faciliter un apprentissage. Vers le milieu des années 20, Luria fit la connaissance d’un homme, M. Cherechevski, reporter dans un journal et réputé dans son milieu professionnel pour sa mémoire anormalement développée. Ce personnage transformait toutes les informations qu’il entendait ou lisait en une séquence d’images et se représentait mentalement ces images ancrées en des endroits successifs d’une rue. Grâce à cette manière de procéder, il peut devenir possible d’aider un patient à mémoriser une liste de mots ou d’objets en lui apprenant à les imaginer situés en plusieurs endroits d’un espace connu de lui, comme par exemple les pièces de sa maison. Le sujet pourra ensuite appliquer cette méthode à l’apprentissage d’une liste de courses ou pour se remémorer une série d’actes à effectuer. ❖ on peut enfin avoir recours à la technique classique de la table de rappel connue de tous. L’ensemble de ces procédés mnémotechniques nécessite un long apprentissage et requiert de la part des patients suffisamment d’attention et une certaine motivation. Il est également nécessaire que le sujet possède une compréhension satisfaisante. Les capacités de chaque patient doivent donc être évaluées de façon détaillée. Enfin, ces stratégies semblent surtout efficaces pour des patients dont les difficultés de mémorisation peuvent être qualifiées de légères à modérées. Dans les cas de déficit mnésique grave, les patients n’utilisent pas spontanément de telles techniques (Coyette et al., 1999). Or, ces stratégies doivent, après la phase d’apprentissage, pouvoir être utilisées dans les situations de vie quotidienne. 133 3 - Utilisation des capacités résiduelles Chez les sujets amnésiques ayant des troubles de la mémoire épisodique extrêmement importants (oubli à mesure), la thérapie doit surtout viser à utiliser les capacités mnésiques préservées. 3-1 - Technique de la récupération espacée Pour aider les patients amnésiques à stocker l’info rm ation le plus durablement possible, il est nécessaire de les inciter à répéter les données mais aussi à les utiliser activement (travaux de Schacter et al., 1985, cités dans Van Der Linden et al., 1999). La technique de recouvrement espacé peut ici s’avérer efficace. S’il s’agit, par exemple, de retenir un nom propre ou un numéro de téléphone, il est préférable d’effectuer un apprentissage distribué dans le temps plutôt qu’un apprentissage massé. Autrement dit, il sera demandé au patient de restituer lors d’un rappel immédiat (empan immédiat supposé normal) le nom propre ou le numéro de téléphone qui vient de lui être présenté, puis la même demande sera réitérée après un délai très court (2 à 3 secondes). L’intervalle de temps sera progressivement allongé au fur et à mesure des essais successifs. Cette technique conduit à un meilleur apprentissage comparativement à un apprentissage réalisé en une seule fois ou à un apprentissage effectué sans augmentation du délai de restitution. 3-2 - Technique de l’apprentissage sans erreurs utilisée dans le cadre des amnésies sévères (d’après Baddeley et Wilson, 1994) Cette technique peut par exemple être utilisée pour l’apprentissage des noms propres. Elle implique que la bonne réponse soit donnée dès le départ au patient. Le sujet regarde en conséquence une photographie d’un personnage dont on lui indique d’emblée le nom. Le but est ici d’instituer un apprentissage sans erreurs (l’apprentissage avec erreurs pouvant par ailleurs se révéler utile chez des sujets présentant des troubles mnésiques légers) : en effet, si le sujet normal va se souvenir de l’erreur qu’il aura effectuée pendant une tâche d’apprentissage, il n’en sera pas de même du sujet amnésique qui oubliera son erreur. Le patient sera en outre plus long à s’approprier de nouvelles procédures et si la tentative d’acquisition d’une information sémantique entraîne une erreur, cette dernière se renouvellera car l’interférence ne sera pas contrée par la mémoire épisodique. Par ailleurs, dans le cadre des amnésies sévères et de l’apprentissage des noms propres, il est plus efficace d’utiliser les noms réels des personnages plutôt que de recourir à des noms inventés qui rendent l’apprentissage encore plus laborieux. 134 De même, il apparaît particulièrement important de revoir régulièrement les connaissances déjà enregistrées en mémoire et de « ne pas abandonner ce qui a déjà été réacquis » (Van Der Linden, 1999). Parkin et al. en 1998 ont utilisé la technique dite de l’apprentissage sans erreurs pour réapprendre à un patient les noms de certains de ses amis qu’il fréquentait avant la survenue de la maladie. Une étude réalisée par Squires et al. en 1998 (cités par Van Der Linden et al., 1999) a montré que cette méthode s’était avérée plus performante que la méthode avec erreurs au niveau de l’apprentissage des noms et des visages pour 14 patients. En 1994, Baddeley et Wilson avaient déjà suggéré qu’un apprentissage avec erreurs reposait surtout sur les capacités de mémoire implicite (la mémoire épisodique étant déficitaire), laquelle est sensible à l’interférence. 3-3 - Utilisation des capacités de mémoire procédurale Les patients ayant des troubles de mémoire peuvent apprendre des habiletés extrêmement complexes comme le traitement de texte (Glisky et al.,1986 a et b). Ces acquisitions peuvent augmenter les chances de réinsertion d’un sujet et renforcer son autonomie dans la vie quotidienne. Il s’agit alors de « greffer une à une les informations » par l’intermédiaire de la mémoire procédurale (Van Der Linden, 1999). Van Der Linden et Coyette (1995) ont ainsi proposé au patient AC, victime d’un traumatisme crânien ayant entraîné un grave syndrome amnésique, un programme d’entraînement portant sur l’apprentissage de la dactylographie, du vocabulaire relatif à l’informatique (ordinateur, traitement de texte), puis sur l’utilisation elle-même d’un ordinateur et d’un logiciel de traitement de texte. L’apprentissage s’est effectué pendant une période allant de 1989 à 1993. AC a pu ensuite trouver un travail bénévole de secrétaire et de bibliothécaire dans une association d’aide aux patients cérébrolésés. Les connaissances acquises par le biais de la mémoire procédurale deviennent des « connaissances conceptuelles » qui ne sont pas forcément dépendantes du contexte d’apprentissage. Elles apparaissent flexibles : le sujet pourra ainsi aisément passer d’un traitement de texte à un autre lorsqu’il n’existe que de légères différences entre les deux. Il y a donc élaboration de modèles mentaux d’une tâche complexe (Van Der Linden, 1999). 3-4 - Technique de l’estompage La technique d’estompage ou « vanishing cues » a été décrite par Glisky et al. (1986 a). Il s’agit d’une méthode d’apprentissage avec estompage progressif des indices fournis au patient et se rapportant à l’item-cible qui doit être rappelé. 135 Ainsi, le sujet doit d’abord découvrir un mot de vocabulaire en réponse à une définition (exemple : IMPRIMER ➝ « procéder au tirage de »). Pour favoriser l’apprentissage de ce nouveau mot, il est préférable d’éviter que le patient ne se fourvoie en lui indiquant dès le début le mot attendu. La technique consiste à demander à nouveau la restitution de l’item, après un certain temps de latence, et en indiçant alors le sujet grâce à l’indication des quatre premières lettres du mot (IMPR...). Cette aide sera progressivement diminuée au fur et à mesure des essais (IMP..., puis IM... et enfin uniquement I). Ce sont ici les capacités préservées de mémoire implicite qui sont au maximum exploitées. Dans le cas du patient AC suivi par Van Der Linden et al., la rétention d’un nouveau vocabulaire informatique est restée stable après un délai de 24 mois. L’estompage progressif mérite d’être utilisé contrairement à la technique inve rs e. En effet, n’indiquer à l’origine que la première lettre du mot attendu a souvent pour conséquence l’émission d’un mot inapproprié. Or, le patient amnésique qui commet une erreur a tendance à la réitérer (Van Der Linden, 1999). Glisky et al. (1986 a) ont pu constater que cette méthode permettait d’apprendre avec efficacité aux patients amnésiques un nouveau vocabulaire lié à l’informatique, sans que les sujets aient un souvenir conscient de cet apprentissage. Les performances obtenues en utilisant cette technique se montraient supérieures à celles réalisées en ayant choisi une procédure classique d’apprentissage par anticipation (« apprentissage par cœur »). Cependant, cet avantage n’a pas été retrouvé par tous les auteurs, notamment Hunkin et Parkin (1995). La façon d’estimer les réponses justes, variable selon les auteurs, pourrait peut-être toutefois expliquer les différences constatées : en effet, Hunkin et Parkin n’enregistraient que la première réponse fournie, alors que Glisky et al. acceptaient que des réponses inexactes précèdent l’émission de l’item attendu et comptabilisaient néanmoins celui-ci comme bonne réponse à la seule condition qu’il soit fourni dans le laps de temps imparti. Les différences entre études pourraient également s’expliquer par le fait que la méthode d’estompage utilisant la mémoire implicite ne permet pas l’apprentissage d’associations nouvelles (qui n’ont pas de représentations en mémoire). Van Der Linden et al. (1999) suggèrent en outre que l’emploi de cette technique ne serait envisageable que pour certains patients amnésiques présentant un trouble de mémoire épisodique très sévère. En effet, la mémoire épiso- 136 dique, puisque très déficitaire chez ces patients, ne gênerait pas l’utilisation des capacités de mémoire implicite. L’efficacité de cette technique dépend donc d’un certain nombre de facteurs. 4 - Les stratégies palliatives Elles pourraient être qualifiées de « stratégies de la dernière chance » (Séron et al., 1994). En effet, elles sont souvent mises en place lorsque les stratégies précédentes n’ont pas permis d’évolution favorable. Le recours aux stratégies palliatives peut notamment favoriser la récupération d’une certaine confiance en soi. Ces stratégies concernent l’aménagement de l’environnement et la mise au point d’aides-mémoire externes. 4-1 - L’aménagement de l’environnement L’utilisation d’étiquettes sur les étagères, de signaux indicateurs, de tracés sur le sol, de badges nominatifs, de codes-couleurs (flèches de couleurs différentes symbolisant les trajets ; matérialisation par des couleurs des portes et des clés du domicile), de même que le recours à une disposition particulière des objets (vêtements...), constituent autant d’aides utilisées dans le but de réduire la charge mnésique de certains patients (Bruyer et al., 1991). Chez certains patients traumatisés crâniens, le contrôle du niveau sonore ambiant peut être important ainsi que l’aménagement du temps de travail (respecter des pauses entre les activités permet une amélioration des performances). 4-2 - Les prothèses mentales (les aides-mémoire externes) : Il existe deux types d’aides externes selon Harris (1984), parallèlement aux aides-mémoire internes représentés par les procédés mnémotechniques précédemment décrits. ❖ La première catégorie comprend les alarmes de montre, les minuteries programmables, les pense-bêtes familiers : faire un nœud à son mouchoir, une croix dans sa main. Toutes ces aides permettent d’accéder à des informations déjà stockées en mémoire. Elles demeurent cependant peu efficaces chez les patients souffrant d’amnésie sévère « puisqu’ils oublient ce dont ils sont censés se souvenir ». 137 ❖ La deuxième catégorie regroupe les notes personnelles, les agendas, calendriers, dictionnaires ou listes de courses. Les informations sont alors enregistrées dans des systèmes externes au sujet. Solliciter l’aide d’une personne extérieure chargée de rappeler au patient ce qu’il doit faire peut aussi constituer un moyen de contourner le handicap. Ces aides mnésiques externes représentent des moyens alternatifs utiles pour se souvenir. L’objectif doit être de trouver les aides qui correspondent le mieux au patient, celui-ci devant apprendre à s’en servir avec efficacité. Cependant, certains patients répugnent à utiliser ces aides externes et préfèrent ne pas « tricher ». D’autres ne se souviennent pas qu’ils peuvent utiliser ces moyens. Il faut enfin souligner que l’utilisation de ces prothèses peut intervenir dès le début de la prise en charge parallèlement à une rééducation mnésique spécifique. Bruyer et al. (1991) soulignent qu’il peut être utile pour certains patients d’envisager une thérapie comportementale visant à encourager à l’emploi d’aide-mémoire externes. Van Der Linden et Coyette (1995) ont appris au patient AC à se servir d’un carnet de mémoire dans le but qu’AC accède à l’autonomie la plus large possible. AC pouvait ainsi utiliser son carnet pour noter et consulter des informations, retrouver des noms de personnes, des trajets... etc. Les parents du patient ont été impliqués au niveau du programme d’apprentissage : ils devaient à plusieurs moments bien définis de la journée, et alors qu’AC devait exécuter telle ou telle action mais ne s’en souvenait plus, donner à leur fils un indice général (« que dois-tu faire maintenant ? »), ou un indice plus spécifique si besoin était (« tu dois consulter ton carnet-mémoire »), afin qu’AC finisse par penser spontanément à utiliser son carnet. La même méthode a été utilisée par le thérapeute pendant les séances de rééducation. Vingt-six semaines furent nécessaires pour qu’AC utilise enfin son carnet à chaque moment-clé sans que l’on soit obligé de l’y inciter. AC se sert maintenant de cette aide externe tout au long de ses journées. Un tel programme d’apprentissage est mis en place dans le but « d’utiliser un carnet-mémoire comme une habileté mettant en jeu la mémoire procédurale ». Il est cependant impératif d’évaluer initialement les capacités et les besoins actuels et futurs du patient. Ce dernier doit prendre par la suite l’habitude de consulter son aide-mémoire et d’écrire les informations. L’apprentissage peut s’étendre sur plusieurs mois. Le carnet-mémoire, unique et personnel, d evient ensuite une prothèse de mémoire épisodique qui supplée aux défaillances de cette dernière (Van Der Linden, 1999). Certains patients ont 138 ainsi appris à consulter leur carnet de notes lorsque leur montre émettait une sonnerie et à exécuter l’acte correspondant dans la demi-heure suivante (arroser les plantes, prendre un médicament...). On peut adjoindre à l’utilisation de ce carnet-mémoire celle d’une « check-list » où sont notées puis barrées au fur et à mesure de leur exécution toutes les activités de la journée (Andrews et Gielewski, 1999). Harris (1984) suggère l’utilisation d’un dispositif miniaturisé correspondant à une alarme auditive reliée à un système d’affichage électronique sur écran et permettant le rappel d’informations. Une aide similaire consisterait à créer des agendas électroniques simples utilisés aussi au niveau de la mémoire prospective (la sonnerie indiquerait par exemple le moment de se rendre à tel rendez-vous). Les agendas électroniques actuellement disponibles sur le marché sont trop complexes pour pouvoir être utilisés en rééducation. On peut leur reprocher une lisibilité insuffisante, une taille d’écran inadaptée, un clavier d’utilisation difficile, l’existence de trop nombreuses fonctions générant des interférences inutiles (Séron et al., 1994). Dans la littérature, d’autres procédures visant à aider les patients amnésiques sont notifiées. Davies et Binks en 1983 rapportent ainsi le cas d’un patient korsakovien auquel on avait donné une petite carte mentionnant au recto son identité et au verso des informations relatives à ses troubles de mémoire, expliquant la nécessité de lui écrire des messages. Ce patient pouvait ainsi présenter sa carte aux personnes qu’il côtoyait. Wilson (1992) a suivi un groupe de patients pendant une période de temps s’étendant de 5 à 10 ans après la survenue de l’accident. Il a ainsi pu constater que les patients ayant bénéficié d’une rééducation au plan mnésique conservaient l’habitude d’utiliser les aides externes. Enfin, Harris en 1980 a montré que les aides externes étaient plus utilisées que les procédés mnémotechniques considérés par l’auteur comme moins fiables. 5 - La rééducation de groupes La rééducation de groupes constitue d’une part un soutien thérapeutique et psychologique, et permet d’autre part d’envisager des situations plus proches de celles habituellement rencontrées dans la vie quotidienne. Le groupe favorise les échanges de conseils et d’astuces. Par ailleurs, confronté aux difficultés des uns et des autres, chaque patient acquiert peu à peu un niveau de conscience plus aigu de ses propres troubles et il se crée ainsi « un phénomène d’émulation et de réassurance » (Bouvard et al., 1994). 139 ♦ Conclusion Les techniques de réentraînement mnésique doivent rester extrêmement concrètes, réalistes et modestes dans leurs ambitions. Elles doivent être simples à mettre en œuvre et ne peuvent être proposées qu’à des patients conscients de leurs troubles et désireux d’entreprendre une rééducation. La plupart des patients traumatisés crâniens vont devoir réapprendre à vivre différemment. Les changements de personnalité fréquemment observés chez les traumatisés crâniens peuvent être difficiles à accepter pour l’entourage familial. Des réadaptations permanentes vont en conséquence s’effectuer. La prise en charge de sujets traumatisés crâniens ne doit donc négliger aucun des bouleversements de la sphère cognitive et psychologique rencontrés chez ces patients et essayer d’améliorer au mieux la vie quotidienne de chacun d’eux. 140 REFERENCES ANDREWES D. & GIELEWSKI E. (1999). The work rehabilitation of a herpes simplex encephalitis patient with anterograde amnesia. Neuropsychological Rehabilitation, 9, 77-99. BADDELEY A.D. & WILSON B.A. (1994). When implicit learning fails : Amnesia and the problem of error elimination. 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Ann Readaptation Méd phys., 37, 275-280. 142 La prise en charge de patients Alzheimer au stade débutant : rôle d’un centre de jour Stéphane Adam, Martial Van Der Linden Résumé Le Centre de Jour semble être une structure particulièrement bien adaptée pour la prise en charge de patients Alzheimer à un stade débutant à modéré de la maladie. Il constitue un lieu dans lequel les activités de la vie quotidienne peuvent être explorées et les stratégies d’optimisation installées avant leur utilisation à domicile. Dans ce contexte, nous décrivons l’organisation générale du Centre de Jour créé récemment à l’hôpital universitaire de Liège. Nous présentons également le programme d’intervention que nous avons développé dans ce Centre dans le but de réduire l’apathie généralisée observée chez une patiente Alzheimer âgée de 70 ans (AM). Cette prise en charge a consisté à réinstaller une activité de loisir à domicile (le tricot) en proposant plusieurs adaptations destinées à minimiser l’impact des déficits cognitifs de AM sur cette activité de tricot. Tandis qu’une aggravation des déficits mnésiques a été observée, l’intervention a significativement diminué l’apathie et l’humeur dépressive présentées par la patiente ainsi que la charge ressentie par le conjoint. Mots clés : Alzheimer, prise en charge, neuropsychologie, centre de jour. Management of patients with Alzheimer’s disease in the initial stage of the illness : Role of a day-care center Abstract Day-care centers appear to be particularly well-suited for the management of patients with mild to moderate Alzheimer’s disease. This type of facility provides a place where daily life activities can be explored, and optimization strategies can be established before they are used at home. Withn this perspective, we describe the general organization of a recently created day-care center at the University Hospital of Liège. We also present the therapeutic program which was implemented in this day-care center in order to reduce behaviors of generalized apathy observed in a 70-year-old patient with Alzheimer’s disease (AM). This program involved restoring a leisure activity (knitting) at home by proposing several adaptations designed to minimize the impact of AM’s cognitive deficits on her knitting activity. While an aggravation of her memory deficits was observed, the therapeutic intervention significantly decreased AM’s apathy and depressive mood, and also alleviated the burden experienced by her husband. Key Words : Alzheimer’s disease, rehabilitation, neuropsychology, day-care center. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 143 Stéphane ADAM (1,2) Martial VAN DER LINDEN (1,2,3) 1 Service de Neuropsychologie, Université de Liège 2 Unité de Neuropsychologie Cognitive, Université de Louvain 3 Unité de Psychopathologie Cognitive, Université de Genève D iverses études épidémiologiques montrent que la prévalence de la maladie d’Alzheimer est de l’ordre de 5% chez les personnes âgées de plus de 65 ans et qu’elle augmente considérablement avec l’âge. La maladie toucherait ainsi, pour l’an 2000, 81 000 cas dans la population belge de plus de 60 ans (Kurz & Dresse, 1996), et 765 000 cas en France (Katzman & Fox, 1999). L’ensemble de ces données indique clairement l’ampleur du problème social et économique que constitue cette maladie et combien il est essentiel de développer des stratégies de prise en charge et d’accompagnement efficaces. Et pourtant, jusqu’il y a peu, la possibilité d’appliquer des interventions cognitives chez des patients présentant une maladie d’Alzheimer au stade débutant était envisagée avec beaucoup de scepticisme. En effet, la maladie d’Alzheimer a longtemps été considérée comme une atteinte touchant de manière diffuse et homogène l’ensemble des fonctions cognitives. Dans ce contexte théorique, les interventions rééducatives dans le domaine de la démence ont été dominées par trois approches : la Reality Orientation Therapy (ROT ; Powell-Proctor & Miller, 1982) qui vise à améliorer l’orientation spatio-temporelle et de rétablir des repères d’identité, par la présentation continue d’informations d’orientation et par l’utilisation d’aides externes diverses ; la Reminiscence Therapy (Thornton & Brotchie, 1987) qui a pour but d’inciter les patients à récupérer des souvenirs personnels anciens ; et la Thérapie Comportementale (Ylieff, 1989 ; Burgio & Burgio, 1986) qui vise à renforcer, maintenir ou diminuer la fréquence d’apparition de conduites en modifiant les relations existant entre ces conduites, les événements antécédents et les événements conséquents. D’une manière générale, les limites de ces approches tiennent à l’absence de réflexion théorique sur la nature des troubles que l’on souhaite rééduquer et l’absence d’individualisation des thérapies. En fait, elles se fondent sur le postulat implicite que les patients Alzheimer souffrent des mêmes déficits cognitifs et donc qu’ils répondraient de façon équivalente aux mêmes programmes rééducatifs (voir Van der Linden & Seron, 1989, pour une discussion approfondie de ces questions). 144 ♦ Apports de la neuropsychologie cognitive Capacités préservées Les recherches récentes en neuropsychologie cognitive ont considérablement modifié la manière d’aborder les déficits manifestés par les patients Alzheimer (Venneri, Turnbull, & Della Sala, 1996 ; Van der Linden, 1994). Il est ainsi actuellement largement admis que cette maladie ne s’exprime pas nécessairement par une détérioration globale affectant l’ensemble des fonctions cognitives mais que, au contraire, certains aspects du fonctionnement cognitif des patients Alzheimer peuvent être sélectivement préservés. Ainsi, par exemple, en dépit de déficits importants en mémoire épisodique, les patients Alzheimer sont capables d’apprendre normalement diverses habiletés perceptivo-motrices (Heindel, Salmon, Shults, Walicke, & Butters, 1989), ce qui indique un maintien de la mémoire procédurale. De plus, dans les stades débutants à modérés de la maladie, les patients Alzheimer peuvent manifester des performances normales à certaines épreuves de mémoire implicite qui n’exigent pas la récupération consciente de l’information apprise antérieurement (voir Fleischman & Gabrieli, 1998), et notamment des épreuves d’amorçage perceptif. Ces données suggèrent l’intégrité du système de représentation perceptive. Dans une étude récente, Ikeda et al. (1998) ont observé que des patients Alzheimer (même à un stade avancé de la maladie) restaient capables de se souvenir de manière relativement précise d’un événement chargé émotionnellement (le tremblement de terre de Kobe au Japon) alors qu’ils éprouvaient des difficultés mnésiques importantes concernant des événements plus neutres et plus récents. Par ailleurs, plusieurs études de cas ont illustré le maintien de certaines aptitudes spécifiques dans des domaines où les patients avaient atteint un niveau d’expertise important avant l’entrée en démence (Beatty et al., 1994). Hétérogénéité des déficits cognitifs De nombreuses recherches ont également montré que tant la nature des processus déficitaires que l’évolution des troubles variaient considérablement d’un patient Alzheimer à l’autre. Cette hétérogénéité des troubles peut se manifester entre les grandes fonctions cognitives (comme par exemple entre les capacités langagières et visuo-spatiales, Martin, Brouwers, Lalonde, Cox, Teleska, & Fedio, 1986) mais également au sein même d’une fonction particulière. Ainsi, dans le domaine de la mémoire de travail, Belleville, Peretz, et Malenfant (1996) ont mis en évidence que la plupart des patients Alzheimer présentaient des déficits affectant l’administrateur central de la mémoire de travail tandis que 145 seulement la moitié d’entre eux manifestaient des troubles au niveau de la boucle phonologique (voir également Collette, Van der Linden, Bechet, & Salmon, 1999). Facteurs d’optimisation Un apport important de la neuropsychologie cognitive dans le contexte de la maladie d’Alzheimer a également consisté en la mise en évidence de différents facteurs permettant une optimisation de la performance cognitive des patients. Par exemple, il est possible de favoriser la performance en mémoire épisodique d’un patient Alzheimer en lui fournissant un support à la fois à l’encodage et à la récupération (voir Herlitz, Adolfsson, Bäckman & Nilsson, 1991 ; Bäckman & Small, 1998 ; Bird & Lucz, 1993 ; Lipinska, Bäckman, Mäntylä, & Viitanen, 1994). Diagnostic précoce L’élaboration d’épreuves neuropsychologiques sensibles ont conduit à des avancées importantes dans le domaine du diagnostic précoce de la maladie (voir Van der Linden & Juillerat, 1999 ; Juillerat, Van der Linden, Seron, & Adam, 2000). Même si l’hétérogénéité des déficits semble être une des caractéristiques majeures de la démence d’Alzheimer, différentes études ont montré la prévalence de certains troubles cognitifs à un stade très précoce de la maladie, et en particulier les troubles de la mémoire épisodique et des fonctions exécutives. En outre, il a été montré que l’évaluation de ces deux domaines du fonctionnement cognitif, ajoutée à des mesures globales (telles que le MMSE ; Folstein, Folstein, & McHugh, 1975) permettait d’améliorer de façon importante l’efficacité du diagnostic précoce de la maladie. Ainsi, par exemple, plusieurs études indiquent que les épreuves de mémoire épisodique qui fournissent plus de support cognitif lors de l’encodage et de la récupération constituent de bons prédicteurs de la maladie d’Alzheimer. Par exemple, Buschke, Sliwinski, Kuslansky, & Lipton (1997) ont montré que les mesures de rappel indicé, en particulier quand les indices à la récupération sont identiques à ceux fournis à l’encodage (indices sémantiques), constituent une mesure relativement efficace pour dissocier les sujets normaux des patients avec maladie d’Alzheimer débutante. Une version française de cette épreuve a été développée (Adam et al., 2000a). Celle-ci comporte 48 items (répartis en 12 catégories sémantiques de 4 items) et se compose uniquement d’une phase d’encodage contrôlé et d’une phase de rappel indicé. Le nombre important d’items à mémoriser permet de limiter l’effet-plafond constaté fréquemment dans la tâche de rappel libre/rappel indicé à 16 items (Coyette et al., 2000 ; inspirée de Grober & Buschke, 1987). De plus, les résul- 146 tats préliminaires (Ivanoiu et al., 1999) semblent tout à fait encourageants et montrent une sensibilité de 93% et une spécificité de 96%, ce qui suggère que cette tâche pourrait être d’un grand intérêt dans le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. Des études plus récentes (Fabrigoule et al., 1998 ; Salthouse & Becker, 1998) ont en outre suggéré que les déficits précoces manifestés par les patients Alzheimer seraient sous-tendus par un facteur général, à savoir une atteinte des processus contrôlés (exécutifs) de traitement de l’information, alors que les processus automatiques seraient relativement préservés. Cependant, ces propositions d’une atteinte précoce des processus contrôlés ont été réalisées à partir d’analyses a posteriori et sur base de performances à des tâches le plus souvent multi-déterminées. Néanmoins, deux études récentes (Collette et al., 1999 ; Adam, Van der Linden, & Juillerat, 1999) ont exploré cette hypothèse au moyen de tâches spécifiquement construites pour intégrer cette distinction entre automatique et contrôlé : la tâche d’alpha span (Belleville et al., 1998) qui permet d’explorer la coordination de l’information, et une tâche de complètement de mots (Adam et al. 1999a ; adaptée de Ste-Marie, Jennings, & Finlayson, 1996) basée sur un paradigme proposés par Jacoby (1991). Les résultats obtenus semblent confirmer l’intérêt de ces épreuves dans la perspective du diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. ♦ Implications pour la prise en charge des patients Alzheimer Outre leur importance au plan théorique, ces données, et plus particulièrement la mise en évidence de capacités cognitives préservées et de facteurs d’optimisation ainsi que les possibilités accrues de diagnostic précoce, ouvrent des perspectives nouvelles de prise en charge des difficultés cognitives quotidiennes manifestées par les patients Alzheimer. En effet, il semble actuellement possible d’envisager une intervention cognitive précoce qui tienne compte à la fois de l’extrême complexité du fonctionnement cognitif et du caractère hétérogène des déficits (Van der Linden, 1995). Compte tenu du caractère évolutif de la maladie d’Alzheimer, cette approche cognitive visera essentiellement à optimiser les performances du patient à chaque moment de son évolution, et ce en exploitant ses capacités cognitives préservées ainsi que l’ensemble des facteurs susceptibles d’améliorer sa performance. Par exemple, la prise en charge clinique des déficits mnésiques peut suivre trois directions globales (pour une revue de question, voir Van der Linden, 1995 ; Camp & Foss, 1997 ; Juillerat et al., 2000). Une première consiste à faciliter temporairement l’encodage et/ou la récupération d’une information en tirant parti des facteurs d’optimisation relevés lors de l’évaluation cognitive 147 (Bird & Luszcz, 1993). Il s’agira entre autres d’utiliser l’apport que constitue pour le patient dément un encodage moteur, émotionnel, ou multimodal de l’information, plutôt que de se contenter d’un simple encodage verbal. Un deuxième axe potentiel de prise en charge des déficits mnésiques des patients Alzheimer consiste à leur apprendre de nouvelles connaissances ou habiletés spécifiques dans le but de les rendre plus autonomes dans la vie quotidienne. Dans ce contexte, il s’agira donc d’une part de délimiter les connaissances et habiletés qu’il est important pour le patient d’acquérir, d’autre part de développer les techniques d’apprentissage (telles que la technique de récupération espacée, la technique d’estompage, ou la technique d’apprentissage sans erreurs) qui exploitent les capacités mnésiques préservées des patients (voir Bird, Alexopoulos, & Adamowicz, 1995 ; Abrahams & Camp, 1993 ; Vanhalle, Van der Linden, Belleville, & Gilbert, 1998). Enfin, un dernier objectif de la prise en charge chez les patients déments pourra être de confier une partie des fonctions déficitaires du patient à un support physique ou à des aides externes telles que le carnet mémoire ou encore, à aménager son environnement physique afin de réduire l’impact des déficits cognitifs sur son fonctionnement quotidien (voir par exemple Camp, Foss, O’Hanlon, & Stevens, 1996). ♦ L’évaluation préalable à la prise en charge Evaluation neuropsychologique et écologique Dans la perspective de prise en charge cognitive, l’objectif de l’évaluation neuropsychologique sera, au moyen d’épreuves explicitement construites en fonction d’un modèle du fonctionnement cognitif normal, d’essayer d’identifier la ou les composantes déficitaires responsables du trouble et de mettre en évidence d’éventuelles capacités préservées ainsi que de possibles facteurs d’optimisation. Par ailleurs, l’objectif de la prise en charge n’est pas d’améliorer la performance du patient dans les tests cognitifs mais bien d’augmenter son autonomie dans la vie quotidienne et ainsi, d’accroître sa qualité de vie et celle de sa famille. Dans ce contexte, l’analyse cognitive ne pourra pas se limiter aux situations de tests de laboratoire. Le neuropsychologue devra également identifier les conséquences des troubles sur les activités de la vie quotidienne. Une approche particulièrement bien adaptée à ce type d’objectif consiste à évaluer le patient dans des situations proches des activités de la vie quotidienne (simulations d’activités) ou encore à l’observer directement dans la réalisation d’activités réelles (voir par exemple Skurla, Rogers, & Sunderland, 1988 ; Rusted, Ratner, & 148 Sheppard, 1995). Ce type d’évaluation écologique et les analyses qui en découlent ne peuvent être réalisées sans maintenir un cadre interprétatif cognitif (voir par exemple Juillerat, Peigneux, Van Hoecke, Lekeu, & Van der Linden, 1999, pour une analyse de la performance de patients Alzheimer dans des activités de la vie quotidienne, basée sur une approche de Schwartz & Buxbaum, 1997 ; voir aussi Feyereisen, Gendron, & Seron, 1999). En d’autres termes, une simple analyse phénoménologique du déficit est insuffisante pour comprendre de quel désordre sous-jacent dépend le trouble. Dans cette perspective, le développement d’une « neuropsychologie cognitive de la vie quotidienne » s’avère indispensable. Evaluation comportementale A côté de l’évaluation des déficits cognitifs dans la vie quotidienne, il est également important d’explorer les troubles de l’humeur et du comportement qui sont fréquemment observés chez les patients Alzheimer, même dans les stades très débutants de la maladie (Patterson & Bolger, 1994). Ainsi par exemple, plusieurs études ont constaté la présence d’une dépression chez 15 à plus de 50% des patients Alzheimer (Lyketsos et al., 1997). Par ailleurs, Chen, Ganguli, Mulsant, et DeKosky (1999) ont mis en évidence que les symptômes dépressifs constituaient une manifestation précoce de la maladie d’Alzheimer. Ces auteurs ont également observé une relation entre la dépression et l’évaluation subjective du patient de ses propres difficultés mnésiques. Ces données suggèrent que la dépression dans les stades précoces de la maladie d’Alzheimer pourrait refléter une réaction psychologique des patients à la prise de conscience de leurs déficits fonctionnels et de leur perte d’autonomie dans les activités quotidiennes. Dans ce contexte, l’identification et la compréhension des changements comportementaux et de l’humeur chez les patients Alzheimer mais également la mise en place de thérapies adéquates (pharm a c o l ogi q u e s , psychosociales, comportementales) sont essentielles et ce pour plusieurs raisons (Jacobs, Strauss, Patterson, & Mack, 1998). En particulier, les désordres de l’humeur peuvent aggraver les difficultés cognitives ainsi que les habiletés fonctionnelles d’un patient. De plus, la présence de symptômes comportementaux et de l’humeur conduit à une augmentation du stress et de la charge des accompagnants (Coen, Swanwick, O’Boyle, & Coakley, 1997). Enfin, si certaines modifications de l’humeur (telles que la dépression et l’anxiété) sont la conséquence (même partielle) de la prise de conscience par le patient de la présence de déficits cognitifs, on peut émettre l’hypothèse que la mise en place d’une intervention visant à réduire l’impact de ces déficits aura également un effet positif sur l’état d’humeur du patient. 149 ♦ Rôle du conjoint La prise en charge des troubles cognitifs, fonctionnels, et de l’humeur dans la maladie d’Alzheimer implique la participation active d’un conjoint (ou d’une personne proche). La contribution des proches consistera notamment à favoriser l’utilisation par le patient des facteurs d’optimisation et des capacités préservées, à interagir avec lui dans des conditions favorables, à éviter le recours aux capacités déficitaires, à aménager son environnement de vie en fonction de ses troubles cognitifs ou encore à l’assister dans son utilisation des aides externes (Camp, 1989 ; Camp & McKitrick, 1992). Par ailleurs, l’accompagnement au quotidien d’un patient Alzheimer constitue une situation particulièrement stressante et il paraît essentiel de fournir un soutien psychologique au conjoint (Brodaty, McGilchrist, Harris, & Peters, 1993 ; Mittelman, Ferris, Shulman, Steinberg, & Levin, 1996). PRÉSENTATION DU CENTRE DE JOUR DE LIÈGE De plus en plus de travaux montrent sans équivoque que des interventions cognitives, fonctionnelles, comportementales et psychosociales peuvent aider les patients déments (et plus particulièrement les patients Alzheimer) à améliorer leurs problèmes dans la vie quotidienne, et plus globalement à augmenter leur qualité de vie ainsi que celle de leur famille (pour une revue, voir Camp & Foss, 1997 ; Beck, 1998 ; Juillerat et al., 2000). Cependant, ce type d’intervention nécessite des infrastructures adaptées à la fois pour l’évaluation et le développement d’un programme de prise en charge. De ce point de vue, le Centre de Jour est une structure qui semble particulièrement bien convenir et dans laquelle un environnement proche des situations de la vie quotidienne peut être reproduit, et les stratégies d’optimisation peuvent être mises en place. C’est ainsi qu’un Centre de Jour pluridisciplinaire, pour la prise en charge de patients Alzheimer au stade débutant à modéré de la maladie, a été créé au Centre Hospitalier Universitaire de Liège sur l’initiative conjointe des départements de Neuropsychologie et de Neurologie. ♦ Description générale du Centre Le Centre est localisée dans la ville, à l’intérieur d’un building. Il occupe un étage entier comprenant un secrétariat, trois bureaux de consultation, une grande salle de séjour, deux salles d’ergothérapie, une cuisine équipée, et un local destiné à des évaluations cognitives. L’équipe est composée d’un neuropsychiatre, de trois neuropsychologues, de deux ergothérapeutes, d’une secrétaire et d’une assistante sociale. Des étudiants stagiaires en neuropsychologie et 150 ergothérapie prennent également part au programme de prise en charge. Le Centre fonctionne actuellement à mi-temps et peut accueillir un maximum de douze patients par demi journée (pour une description détaillée du Centre, voir Quittre et al., 1998). ♦ Objectifs de l’intervention en Centre de Jour Un premier objectif du Centre de Jour est d’optimiser la réalisation des activités quotidiennes du patient et par conséquent, d’augmenter son autonomie, de prolonger une insertion de qualité dans le milieu socio-familial et de retarder l’institutionnalisation. Un autre objectif du Centre de Jour est de créer un lieu de rencontre où, à travers diverses activités de groupe et de loisirs, le patient puisse rompre son isolement et prendre du plaisir à fréquenter le Centre et à y rencontrer d’autres personnes. En effet, les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer réduisent souvent, de façon considérable, leurs activités sociales soit parce que la prise de conscience de difficultés croissantes les amène à éviter toutes les « situations à risque », soit encore parce qu’ils (ou leur conjoint) redoutent de voir se produire à nouveau certains incidents embarrassants. Ces activités de loisirs constituent également des situations privilégiées permettant de mettre en évidence certaines difficultés chez le patient, mais aussi des compétences jusque-là insoupçonnées. De plus, elles permettent de réapprendre aux patients une série de connaissances pouvant s’avérer utiles dans la vie quotidienne. Enfin, le Centre de Jour a aussi pour objectif de fournir à la personne proche un soutien psychologique ainsi que des informations et des conseils de sorte qu’elle puisse mieux interagir avec le patient et mieux gérer les déficits qu’il présente. Une assistante sociale est également disponible pour fournir un soutien administratif et social au proche pour toutes les démarches destinées à obtenir des aides financières, des services à domicile et des facilités de transport. Par ailleurs, en accueillant le patient deux à trois demi-journées par semaine, le Centre de Jour contribue de façon non négligeable à soulager le conjoint de la tâche difficile que constitue l’accompagnement au quotidien d’un patient Alzheimer. Ce soutien fourni au conjoint pourrait contribuer à différer l’institutionnalisation du patient (Lawton, Brody, & Saperstein, 1991 ; Flint, 1995). ♦ Prise en charge pour quels patients ? Tous les patients pris en charge au Centre de Jour ont préalablement été examinés et ont reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer à la Clinique de la 151 Mémoire située au Centre Hospitalier Universitaire de Liège. Seuls les patients se trouvant à un stade débutant de la maladie (c’est-à-dire ceux chez qui des capacités préservées et des facteurs d’optimisation seront le plus aisément identifiables et exploitables) sont orientés vers le Centre de Jour. Par ailleurs, la personne doit toujours vivre à domicile et doit se montrer favorable à la perspective de venir au Centre, soit parce qu’elle en perçoit elle-même l’utilité, soit parce qu’elle est simplement attirée par l’idée d’y rencontrer d’autres personnes. Enfin, une personne proche accompagnante (conjoint, enfant ou autre) doit être disponible à certains moments de la prise en charge. Il est également essentiel que le patient et son accompagnant acceptent le diagnostic de « maladie d’Alzheimer probable ou possible » afin qu’ils comprennent l’importance d’un programme de prise en charge. ♦ Evaluation initiale et suivi au Centre de Jour Le travail neuropsychologique et ergothérapeutique visant à améliorer le fonctionnement au quotidien du patient commence par une évaluation extrêmement détaillée de ses capacités cognitives et fonctionnelles atteintes et de celles qui sont préservées. Cette évaluation s’effectue à partir des résultats aux tests neuropsychologiques, de l’observation directe du patient dans des activités quotidiennes, mais aussi du témoignage recueilli auprès des personnes proches. Une autre stratégie d’évaluation consiste à mettre en place des situations de simulation où l’on demande au patient de produire des conduites proches des activités quotidiennes. Ces situations seront filmées afin de permettre une analyse ultérieure détaillée. Enfin, d’autres outils permettant l’exploration spécifique des capacités préservées sont utilisés. C’est le cas notamment d’un questionnaire qui évalue systématiquement les différentes activités (scolaires, de loisirs ou professionnelles) dans lesquelles le patient est susceptible d’avoir développé un certain niveau d’expertise. Une fois que l’équipe a obtenu suffisamment d’informations sur les capacités qui semblent préservées et sur celles qui sont atteintes, un objectif fonctionnel de prise en charge est proposé sur la base d’un contrat de trois mois (renouvelable) et une stratégie d’intervention est élaborée. Toute prise en charge s’accompagne d’une évaluation de l’efficacité de l’intervention proposée et ce au moyen de lignes de bases adaptées au caractère évolutif des déficits, ainsi que de questionnaires ou échelles d’évaluation proposés à l’accompagnant. Certaines échelles permettent également d’évaluer l’impact de l’intervention sur la charge psychologique que représente l’accompagnement du patient pour l’entourage. 152 ILLUSTRATION DE LA PRISE EN CHARGE EN CENTRE DE JOUR La patiente AM était âgée de 70 ans lorsqu’elle a consulté la Clinique de la Mémoire en février 1998, accompagnée de son mari âgé de 78 ans. Lors de l’entretien clinique, la patiente et son mari mentionnent essentiellement des difficultés de mémoire (surtout pour les informations récentes), d’orientation temporelle et spatiale (dans les endroits non-familiers), une importante perte d’initiative et une humeur dépressive (problèmes apparus un an plus tôt). Un CT scan se révélait sans particularité et une tomographie à émission de positons montrait une légère diminution du métabolisme dans les régions frontales et temporales gauches. AM obtenait un score de 25/30 au Mini Mental State Examination (MMSE ; Folstein et al., 1975) et de 125/144 à l’échelle de démence de Mattis (DRS ; Mattis, 1973). Une batterie de tests neuropsychologiques incluant des tâches sensibles pour le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer a été administrée à la patiente. La patiente présentait un langage fluent, et une absence de manque du mot. La lecture et l’écriture étaient sans particularité. Il n’y avait pas de signes d’agnosie ou d’apraxie. De plus sa mémoire à court terme était normale. AM présentait également des performances normales à plusieurs tâches attentionnelles (Trail Making Test ; Reitan & Wolfson, 1995, et le « Gottschald’s hidden figures test » ; Gottschald, 1929) de même qu’aux tâches de fluence phonémique et sémantique. Par contre, un déficit sévère en mémoire épisodique a été constaté au test de rappel libre/rappel indicé (Coyette et al., à paraître ; adaptation française de la procédure de Grober & Buschke, 1987) où la patiente obtenait des scores très inférieurs aux normes en rappel libre. En outre, la performance restait déficitaire malgré l’indiçage sémantique. Des difficultés affectant l’administrateur central de la mémoire de travail (et plus particulièrement la gestion de tâches doubles) ont également été mises en évidence à l’épreuve d’Alpha Span (Belleville, Rouleau, & Caza, 1998). De plus, à la tâche de Stroop (Stroop, 1935), la patiente produisait un nombre important d’erreurs dans la condition interférente suggérant la présence d’un déficit d’inhibition. Enfin, quelques difficultés de planification ont été constatées dans la copie de la figure complexe de Rey. Compte tenu de l’histoire clinique de la patiente et de l’examen neuropsychologique, un diagnostic de maladie d’Alzheimer probable a été posé. Des traitements pharmacologiques (cholinergique et par antidépresseur) ont été instaurés sans succès et ces deux traitements ont été interrompus avant l’arrivée de la patiente au Centre de Jour. Suite à ce diagnostic, la possibilité d’une prise en charge dans le Centre de Jour de Liège a été discutée avec la patiente et son mari. L’un et l’autre ont 153 accepté de prendre part au programme du Centre (voir Adam, Van der Linden, Andrès, Quittre, Olivier, & Salmon, 1999 ; Adam, Van der Linden, Juillerat, & Salmon, 2000, pour une présentation plus détaillée de cette prise en charge). ♦ Evaluation à l’entrée au Centre de Jour A l’entrée au Centre de Jour, une relative concordance entre les plaintes formulées par la patiente et son conjoint a été constatée. Ces plaintes concernaient essentiellement la mémoire épisodique, une perte généralisée d’initiative ainsi qu’un état dépressif. Ces trois plaintes étaient également retrouvées dans les réponses à une échelle faisant l’inventaire des problèmes de comportements et de mémoire (traduite du « Revised Memory and Behavior Checklist » ; Teri, Truax, Logdson, Uomoto, Zarit, & Vitaliano, 1992), et dans laquelle le conjoint doit estimer la fréquence d’apparition de certains déficits ainsi que la charge émotionnelle que constitue pour lui la présence de ces troubles. Par ailleurs, les réponses au « Neuropsychiatric Inventory » (NPI : Cummings, Mega, Gray, Rosenberg-Thompson, Carusi, & Gornbein, 1994 ; une échelle évaluant la fréquence, la gravité et la charge émotionnelle ressentie par le conjoint par rapport à dix troubles comportementaux fréquemment observés chez les patients déments) montrent que quatre troubles ressortent significativement, à savoir et en ordre décroissant d’importance : la dépression, l’apathie et l’indifférence, les difficultés de sommeil, et la perte d’appétit. Une échelle de dépression de Sheikh et Yesavage (1986 ; version abrégée) administrée à la patiente et à son conjoint montre que la patiente présente une dépression légère (scores de 6/15 pour les deux évaluations, supérieurs au score limite de 5/15). Une échelle destinée spécifiquement à évaluer la charge que constitue pour le conjoint l’accompagnement au quotidien de la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer (Zarit, Reever, & Bach Peterson, 1980) a également été administrée. Le score obtenu est de 25/88, ce qui correspond à la présence d’un fardeau léger à modéré. De plus, deux échelles (Teunisse & Derix, 1991 ; Gélinas, Gauthier, McIntyre, & Gauthier, 1998) évaluant l’autonomie de la patiente dans des activités de base de la vie quotidienne (hygiène, incontinence, alimentation, etc.) ne mettent en évidence aucun déficit dans ce domaine. Enfin, une exploration détaillée des loisirs et des activités pratiquées au cours de son existence a mis en évidence deux activités pour lesquelles la patiente a acquis un certain degré d’expertise et qu’elle a encore pratiquées dans une période récente : la musique (elle jouait de l’accordéon et de l’orgue d’église) et le tricot. Cependant, AM avait complètement arrêté ces deux types d’activités depuis un an en justifiant un manque d’intérêt et une grande fatigue. 154 ♦ Contrat de prise en charge L’évaluation des capacités cognitives et fonctionnelles a clairement mis en évidence la présence de deux déficits majeurs chez la patiente : une apathie avec humeur dépressive ainsi que des troubles mnésiques (avec notamment un questionnement répétitif et des oublis de rendez-vous). Dans ce contexte, un premier contrat de prise en charge de trois mois a été proposé à la patiente à raison de deux demi-journées par semaine. Il visait : 1. à diminuer l’impact des déficits mnésiques via l’installation d’un « carnet-mémoire » ; 2. à réduire l’apathie en réinstallant une activité de loisir (le tricot) à domicile. Seule la prise en charge concernant ce deuxième objectif sera détaillée ici. Le programme de prise en charge des déficits mnésiques consistait à encourager la patiente à utiliser un agenda simplifié dans lequel elle devait noter ses rendez-vous et choses à faire. Cet entraînement a été réalisé au centre de jour par le biais de jeux de rôle. De plus, le mari de AM a été entraîné à induire la consultation de l’agenda par la patiente à domicile (voir Adam, et al., 1999b). ♦ Prise en charge de l’apathie Dans un premier temps, une évaluation des connaissances sémantiques et procédurales de la patiente concernant l’activité de tricot a été réalisée. Un questionnaire portant sur dix gestes techniques associés au tricot a mis en évidence que la patiente était capable d’expliquer verbalement et en détail chacun des gestes. Par ailleurs, la réalisation effective de ces gestes ne lui a posé aucun problème et elle n’a manifesté aucun déficit dans la manipulation des aiguilles à tricoter. Consécutivement à cette première évaluation, une tâche capable de susciter un niveau élevé de motivation chez la patiente devait être trouvée : la patiente a proposé de réaliser un gilet pour son arrière-petite-fille de 2 ans. L’étape suivante dans cette prise en charge a consisté à identifier les difficultés éventuelles présentées par la patiente dans l’activité de tricot dans le but de proposer des aménagements destinés à diminuer l’impact de ces déficits et à rendre la patiente plus autonome. Etant donné l’état dépressif de la patiente et sa sensibilité face aux situations d’échec, des aides lui ont été fournies dès l’apparition d’une erreur et ont progressivement été estompées. Dans un premier temps, l’activité de tricot a été réalisée exclusivement au Centre. La patiente a été incitée à reprendre son tricot à domicile lorsqu’elle a atteint un critère de réussite fixé par les thérapeutes (une demi-heure de tricot réalisé par la patiente sans erreur, et sans aide). Cette mesure a été appliquée afin d’éviter que la patiente ne se trouve en situation d’échec à domicile sans possibilité d’aide, ce qui aurait pu la conduire à abandonner l’activité. 155 Une première observation (filmée) de l’activité de tricot dans des conditions normales de réalisation a mis en évidence d’importantes difficultés rendant tout à fait impossible l’avancement dans le travail. En fait, trop d’informations interférentes étaient présentes sur le modèle et AM avait des difficultés à inhiber cette information non pertinente. De plus, la patiente présentait des difficultés à maintenir en mémoire de travail l’information pertinente lorsqu’elle devait porter son regard du modèle au tricot (voir ses problèmes de mémoire de travail). En conséquence, un premier aménagement du plan du tricot a été réalisé pour minimiser l’impact de ces déficits : l’information non pertinente a été supprimée et le modèle de départ a été sensiblement agrandi. A ce niveau, la patiente éprouvait alors des difficultés importantes à planifier mentalement la succession de « diagrammes » pour se guider dans son tricot. Le diagramme représente le modèle contenant le motif en deux coloris (noir et blanc) du gilet, et à l’aide duquel tout le tricot doit être réalisé. Par exemple, une longueur du dos réside dans la succession de la deuxième moitié du diagramme, suivi de deux diagrammes entiers. Cette opération implique une planification mentale importante et de bonnes capacités de résolution de problèmes, car il faut pouvoir calculer le nombre de mailles à tricoter en fonction de cette succession de diagrammes. Compte tenu des difficultés de mémoire de travail et de planification, une deuxième adaptation a consisté à planifier la succession de diagrammes à la place de la patiente. Plus concrètement, le diagramme a été reproduit, découpé et collé en fonction des besoins de chaque partie du tricot. La patiente ne devait donc plus planifier la tâche mentalement mais disposait de toutes les informations visuellement. Suite à cette adaptation, les premières observations ont pu être réalisées par rapport à la réalisation concrète du tricot. En effet, jusqu’alors, la patiente ne pouvait utiliser le plan et ne tricotait donc pratiquement pas. Les problèmes de planification ont été résolus mais sont apparues alors des difficultés liées à la réalisation du tricot en tant que tel. Ainsi, la patiente avait tendance à confondre les lignes du diagramme, et à sauter d’une ligne à l’autre (elle se plaignait de problèmes visuels, et un examen ophtalmologique avait effectivement mis en évidence un début de cataracte). Une adaptation simple pour pallier ce déficit a consisté à agrandir encore le diagramme, mais surtout à introduire un espace entre les lignes. Par ailleurs, dans la réalisation de ce tricot, la patiente devait gérer trois tâches simultanément ou en alternance. En effet, elle devait compter et maintenir en mémoire le nombre de mailles à faire, et ensuite tricoter celles-ci tout en mémorisant l’emplacement sur le diagramme pour pouvoir poursuivre sa tâche. Or, comme nous avons vu dans l’examen neuropsychologique, la patiente présentait un déficit dans la mémoire de travail, et plus particulièrement dans la 156 gestion de tâches doubles. Ce déficit se manifestait effectivement dans la réalisation du tricot (oublis du nombre de mailles à tricoter entre la consultation du diagramme et leur production, oublis de l’emplacement du travail en cours sur le diagramme, erreurs de comptage des mailles). Une proposition d’aménagement a donc consisté à alléger au maximum (voire à supprimer) chaque soustâche pour diminuer leur impact sur les ressources de traitement de l’administrateur central de la mémoire de travail. Dans ce but, la patiente a été incitée à barrer les mailles réalisées au fur et à mesure de son avancement dans le diagramme. Cette aide supprimait ainsi la tâche de mémorisation de l’emplacement. De plus, des chiffres ont été insérés dans le diagramme chaque fois que le nombre de mailles d’une couleur dépassait deux. Ainsi, la patiente ne devait plus compter mais simplement regarder le chiffre dans un bloc de mailles. L’autonomie de la patiente a augmenté de façon significative suite à ces derniers aménagements. Elle commettait moins d’erreurs et sollicitait moins de soutien. A ce niveau, la patiente devait trouver et corriger elle-même ses erreurs. Rapidement, elle a atteint le critère de réussite lui permettant de passer à la phase de tricot à domicile (elle a en effet tricoté une demi-heure en ne faisant qu’une erreur auto-corrigée). Par la suite, la prise en charge s’est limitée à contrôler ponctuellement le travail de la patiente afin d’identifier la présence d’éventuels nouveaux déficits, et de l’inciter à réaliser son tricot à domicile. Deux évaluations post-thérapeutiques ont par ailleurs été réalisées. Chacune consistait à observer la patiente dans l’activité de tricot, durant une demiheure et en relevant le nombre d’erreurs et de mailles produites (sans intervention du rééducateur). Dans la première condition, la patiente bénéficiait de l’aide maximum, c’est-à-dire de la troisième adaptation du diagramme. Par contre, dans la deuxième évaluation, la patiente était replacée en condition d’aide minimale : elle disposait de la seconde adaptation du diagramme dans laquelle la charge sur les ressources de traitement de l’administrateur central de la mémoire de travail n’était pas allégée. Cette évaluation permettait de vérifier que l’amélioration de la performance de AM était bien la conséquence des aménagements spécifiques qui avaient été proposés pour compenser les déficits. Les résultats mettent en évidence une diminution substantielle du rendement de la patiente en situation d’aide minimale. En outre, le tricot réalisé dans la condition d’aide minimale était inexploitable car le nombre d’erreurs produites par la patiente et non corrigées était trop important. Enfin, nous avons également calculé le nombre d’heures consacrées par AM au tricot à domicile. Une première tentative de réimplantation de l’activité 157 de tricot à domicile avait été faite la deuxième semaine. La patiente avait tricoté 45 minutes mais avait très vite abandonné l’activité car elle a pris conscience de la présence d’erreurs qu’elle n’avait pas pu corriger. Par contre, une fois que la dernière adaptation du diagramme a été apportée, la patiente s’est montrée relativement autonome et la phase de transfert à domicile a dès lors été entamée. Lors de la cinquième semaine, elle a tricoté 18 heures (soit environ 2h30 par jour). Entre les semaines 5 et 13, l’activité de tricot a plus ou moins occupé 90 heures, c’est-à-dire environ 1h20’ par jour (alors qu’avant la prise en charge, cette activité avait totalement disparu depuis un an). ♦ Evaluation après trois mois de prise en charge Un bilan général a été réalisé après trois mois de prise en charge, c’est-àdire à la fin du premier contrat. Sur le plan du fonctionnement cognitif global, le score au Mini Mental State Examination est resté stable par rapport à l’entrée de la patiente au Centre (25/30). Par contre, on constate une chute de huit points à l’Echelle de Mattis (essentiellement dans la partie « mémoire » : la patiente passe d’un score de 7/7 à 0/7 au subtest de rappel). En ce qui concerne l’inventaire des problèmes de comportements et de mémoire (Revised Memory and Behavior Checklist ; Teri et al., 1992), le conjoint identifie moins de déficits que lors de l’évaluation initiale. De plus, même si la charge ressentie par le conjoint est équivalente entre les deux évaluations, elle est globalement plus faible puisqu’elle porte sur un nombre moins important de comportements. L’amélioration constatée se manifeste essentiellement au niveau des items concernant l’apathie et la dépression. Par contre, la dimension mnésique des déficits ressort de façon équivalente entre les deux évaluations. En outre, au « Neuropsychiatric Inventory » (Cummings et al., 1994), on constate une disparition totale des quatre troubles mis en évidence à l’entrée (dépression, apathie, difficultés de sommeil, et perte d’appétit). Par contre, une très légère anxiété est relevée alors qu’elle n’était pas présente en début de prise en charge. Cette disparition générale de l’apathie et de la dépression est confirmée par l’échelle de dépression gériatrique de Sheikh et Yesavage (1986). A l’échelle de Zarit et al. (1980), on observe également une disparition du fardeau pour l’époux. En résumé, alors qu’une aggravation des déficits mnésiques de la patiente est mise en évidence depuis le début de la prise en charge (sans que cette aggravation ne soit ressentie par le conjoint), on constate une réduction très significative des plaintes concernant l’apathie et la dépression ainsi que du fardeau que constituait ces troubles pour le conjoint. 158 Le bénéfice de la prise en charge au niveau de l’apathie ne s’est pas uniquement limité à l’activité de tricot mais s’est généralisé à l’ensemble des activités de la vie quotidienne : la patiente a pris plus d’initiatives et est devenue plus active notamment au niveau des activités ménagères. Ces progrès se sont également manifestés au sein du Centre de Jour : la patiente a montré une plus grande participation aux conversations et a spontanément collaboré à certaines tâches quotidiennes effectuées dans le Centre. Au plan comportemental, la patiente était également plus souriante, moins fatigable, et par ailleurs, elle ne verbalisait plus de sentiments de solitude ou de lassitude. Sur le plan des fonctions mnésiques, la patiente a commencé à utiliser de façon régulière son agenda et selon le conjoint, s’est montrée plus organisée dans ses activités à domicile. Elle a également adopté de façon relativement spontanée des stratégies et des aides externes proposées (mais non entraînées) au Centre afin de minimiser l’impact de ses difficultés de mémoire (comme exemple placer un tableau sur le frigo afin d’y noter les produits à acheter). Après les trois premiers mois de prise en charge, un nouveau contrat d’une durée équivalente a été établi : il visait à renforcer l’intervention sur les déficits mnésiques par le biais du carnet mémoire, et à continuer le travail sur l’apathie mais en orientant celui-ci sur l’activité musicale dans laquelle la patiente avait également développé un certain niveau d’expertise. Cependant, au cours du premier mois de ce nouveau contrat, la patiente est décédée inopinément d’un infarctus du myocarde. Globalement, l’intervention proposée au Centre de Jour a permis une meilleure intégration de la patiente dans son milieu familial et social. Cela a contribué à une meilleure qualité de vie (tant chez la patiente que chez le conjoint). Par ailleurs, cette intervention aura permis à la famille de garder une image positive et digne de la patiente. ♦ Conclusions De plus en plus de données indiquent que des améliorations significatives peuvent être induites dans les activités de la vie quotidienne, amenant par là une qualité de vie supérieure et la possibilité d’un maintien à domicile prolongé. (Camp & Foss, 1997 ; Beck, 1998 ; Juillerat et al., 2000) Compte tenu du caractère évolutif de la maladie d’Alzheimer, il s’agit d’être efficace le plus rapidement possible et c’est pourquoi l’évaluation doit être centrée autant que possible sur les situations de la vie quotidienne dans le but de déterminer des objectifs (limités) de prise en charge visant à une meilleure autonomie. Il ne s’agit évidemment pas de faire l’impasse sur une analyse cognitive des troubles mais plu- 159 tôt, dans une perspective de neuropsychologie cognitive de la vie quotidienne, d’essayer de comprendre la nature des déficits impliqués dans les perturbations affectant les activités de la vie réelle. Le programme d’évaluation et de prise en charge que nous avons développé dans le but de minimiser l’impact des déficits cognitifs de la patiente AM constitue une illustration de ce type d’approche. Cette intervention centrée sur la vie quotidienne implique la mise en place de structures adaptées. Le Centre de Jour reproduisant différents lieux de vie (cuisine, atelier, potager, etc.) et installé au sein des communautés locales nous semble constituer une voie intéressante. Il peut servir de base à l’installation des stratégies d’optimisation et permet d’alléger la charge que représente pour les proches l’accompagnement d’un patient Alzheimer au quotidien. 160 REFERENCES ABRAHAMS, J.P., & CAMP, C.J. (1993). Maintenance and generalization of object training in anomia associated with degenerative dementia. Clinical Gerontologist, 12, 57-72. ADAM, S., VAN DER LINDEN, M., & JUILLERAT, A.C. (1999a). Exploration des processus contrôlés et automatiques chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade débutant par le biais de la procédure de dissociation des processus de Jacoby. Revue de Neuropsychologie, à paraître (abstract). ADAM, S., VAN DER LINDEN, M., ANDRES, P., QUITTRE, A., OLIVIER, C., & SALMON, E. (1999b). La prise en charge en centre de jour de patients Alzheimer au stade débutant. In PH. AZOUVI, D. PERRIER, & M. VAN DER LINDEN, La rééducation en neuropsychologie : études de cas. Marseille : Solal. 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Legal, social and financial aid to patients with Alzheimer’s disease : providing support to the family Abstract Alzheimer’s disease is characterized by impairment in memory, reasoning and jugment capacities which, associated with mood and behavioral disorders, create a great deal of anxiety and distress in both family members and health care professionals. We intend to review those various financial, legal and social aid resources which can be drawn upon at different stages of the disease. Their implementation must take into account the patient’s history and the progression of the disease. Using these available resources also stimulates increased awareness of those risk situations to be solved and/or prevented. Key Words : Alzheimer’s disease, legal aid, financial help, social support, multidisciplinary team. Rééducation Orthophonique - N° 201 - Mars 2000 165 M.D. LUSSIER, I. MIGEON-DUBALLET, J.Y. POUPET Service de Gériatrie CHU de Poitiers 86021 Poitiers Cedex L a qualité de la vie d’un patient porteur d’une maladie d’Alzheimer dépendra des possibilités de soutien qui se déploieront à son égard au fur et à mesure des besoins. Ce soutien s’adresse au patient et à son entourage. Seul l’accompagnement correct de l’entourage permettra de maintenir dans son domicile habituel un patient dément. Cet accompagnement associe la prise en charge psychologique et médicale, des aides financières et administratives dont la personne peut bénéficier. La difficulté de mise en oeuvre de ces aides se situe à 2 niveaux : ➯ méconnaissance des aides, ➯ choix de la période de mise en place de ces aides sans heurter l’autonomie du patient. Ces aides ne sont que des moyens et n’empêcheront donc pas l’évolution de la maladie. Elles ne doivent donc pas non plus être considérées comme permettant systématiquement le maintien à domicile jusqu’au bout. Une équipe pluridisciplinaire doit toujours soutenir les familles qui doivent parfois faire le constat que malgré toutes les ressources qu’elles ont pu développer, le maintien à domicile devient quand même insupportable. L’évaluation de la dépendance est souvent difficile car le maintien d’une bonne présentation physique et une capacité locomotrice correcte induisent en erreur ceux qui n’ont pas l’habitude de ces pathologies (les familles ellesmêmes). Il y a donc une sous-estimation des mesures à mettre en place. La difficulté supplémentaire est de faire face à toutes les initiatives dangereuses prises par le patient (laisser déborder l’eau, jeter le courrier ...). Il est donc nécessaire dans l’évaluation de la dépendance de ne pas sous-estimer la prise de risque imprévu. Nous réfléchirons à 3 éléments importants : l’organisation à domicile, les aides financières directes et les aides juridiques. 166 ♦ Organisation à domicile Elle comporte 3 volets : les actes de la vie courante, les soins techniques, ♦ l’état de l’environnement architectural et géographique (évaluation des risques potentiels). ♦ ♦ ☞ Au début de la maladie, les soins techniques sont souvent faibles (sauf s’il y a une pathologie associée comme un diabète insulino dépendant nécessitant un suivi infirmier). Si l’entourage familial ne fait pas défaut, il suffit en général à assurer la fonction de surveillance et de stimulation nécessaire au patient pour les actes de la vie courante (toilette, habillage, repas). C’est à cette période que les aménagements du domicile doivent être évalués et mis en place. En effet, le patient est encore suffisamment bien pour s’adapter à des modifications de son lieu de vie habituelle (réaménagement de salle de bain, réaménagement d’une chambre à coucher, modification d’un escalier, installation de barre d’appui). Ces aménagements peuvent et doivent être discutés auprès d’une équipe médicale ayant l’habitude de la maladie et qui comporte en son sein kinésithérapeute et ergothérapeute. Ces derniers ont des compétences qui leur permettent de faire des bilans à l’intérieur d’un domicile et de proposer des réaménagements en fonction du patient qu’ils connaissent. C’est souvent dans le cadre d’une prise en charge en hôpital de jour que l’avis d’un ergothérapeute peut être demandé. Des aides financières peuvent être obtenues si le réaménagement comporte des travaux importants et si les ressources sont modestes. Il existe des centres d’amélioration de transformation de l’habitat qui peuvent faire cette prise en charge (Cf. Annexe). ☞ Avec l’évolution de la maladie, des aides graduellement croissantes doivent être mises en place. Dans les actes de la vie courante, ces aides vont de la présence d’aide-ménagère pour les tâches domestiques, jusqu’aux auxiliaires de vie ou aides-soignantes pour les aides à la personne. Les soins d’hygiène lourds et les soins techniques étant assurés par des infirmiers. L’obtention de ces aides se fait en fonction : - du niveau de ressources, - du niveau de dépendance mesurée par la grille AGGIR, - de l’âge si le patient à - de 60 ans, du lieu de vie (urbain ou rural). L’accès au service des aides-ménagères se fait auprès des services sociaux des mairies. 167 L’accès aux prestations d’aides soignantes se fait en ville auprès des services de soins à domicile, en milieu rural auprès des fédérations d’aide-ménagère dite ADMR. L’accès aux soins infirmiers se fait soit directement auprès d’une infirmière libérale sur prescription médicale, soit auprès des services de soins à domicile de la ville qui peuvent assurer la double prestation aide-soignante / infirmière en fonction des besoins du patient. Les soins infirmiers sont toujours pris en charge à 100% par la Sécurité Sociale. ☞ En ce qui concerne les aides non directement liées aux soins à la personne, elles sont toutes à la charge financière des familles (portage des repas, téléalarme, garde-malade à domicile, travaux de dépannage) - (Cf. annexe). ♦ Les aides financières Pour les soins techniques Tous les patients porteurs d’une maladie d’Alzheimer peuvent bénéficier d’une prise en charge à 100% par la Sécurité Sociale dans le cadre de l’ALD (maladie de longue durée). Une partie du matériel médical peut aussi être prise en charge (Cf. Annexe). Pour la dépendance Si les patients ont plus de 60 ans, une demande de prestation spécifique dépendance (PSD) doit être faite. Elle évaluera la dépendance de la personne en utilisant la grille AGGIR, et en fonction des ressources, une somme d’argent sera allouée pour payer une tierce personne (le niveau alloué varie avec chaque département, entraîne un recours sur succession). Les dossiers sont à demander en mairie. Elle continuera à être versée en institution. Si la personne a moins de 60 ans, une demande d’allocation compensatrice tierce personne doit être faite auprès de la COTOREP (les assistantes sociales des mairies ou des hôpitaux fournissent en général l’ensemble des documents). Les emplois de garde malade peuvent donner lieu à des réductions d’impôts ; il est plus pratique alors d’utiliser la formule chèque emploi service pour le règlement ou de passer un contrat avec une association de garde-malade. Les autres situations En fonction des ressources, une allocation logement peut être demandée. Elle sera versée aussi ultérieurement si le patient entre en institution. 168 Lorsque le patient devra quitter son domicile, si ses ressources sont insuffisantes, la famille peut aussi demander à bénéficier de l’aide sociale du département. Une somme d’argent sera alors allouée pour participer au paiement du prix de l’hébergement dans l’institution. Cette prestation aide sociale est établie en fonction des ressources du patient et de celles de ses enfants. Elle entraînera un recours sur succession si le patient en bénéficie. Les enfants sont alors obligés alimentaires. ♦ Les aides juridiques L’évolution de la maladie va rendre le patient de plus en plus vulnérable avec des troubles du jugement et une inaptitude à gérer ses ressources personnelles. Le coût de la maladie peut aussi mettre en difficulté financière une famille, et des décisions graves comme la vente d’un bien immobilier peuvent être nécessaires. ☞ Il est donc indispensable de penser suffisamment précocement à la protection juridique dont peut bénéficier le patient. Cette mesure qui est à la fois une aide et une contrainte, ne pourra être prise que lorsque la famille aura reçu auprès d’une équipe médicale habituée à ces démarches et connaissant bien le patient, les informations nécessaires à la compréhension du mécanisme juridique. Cette démarche va en effet priver le patient de son autonomie juridique, elle doit être mise en place ni trop tôt quand le patient a encore les moyens intellectuels de décision, ni trop tard pour éviter de se retrouver dans des situations d’urgence notamment au moment de l’entrée en institution. Les démarches nécessaires à la mise en place d’une protection juridique nécessitent de 3 à 6 mois. Le patient peut bénéficier de 3 types de régimes de protection. 1/ la sauvegarde de justice : mesure rapide, immédiate à la date du certificat médical. Mesure de prévention temporaire de 3 mois qui permet d’annuler des actes de la vie civile qui nuiraient à la personne. Elle n’enlève pas les droits civiques. 2/ la curatelle : mesure de protection, d’assistance lorsque le patient a besoin d’être conseillé pour les actes d’administration (gestion de patrimoine ou de vente) ; le patient est contrôlé dans les actes courants (chèque, retrait d’argent). Les droits civiques sont conservés. 3/ la tutelle : mesure de représentation. La personne protégée a besoin d’être représentée d’une manière continue dans tous les actes de la vie 169 courante, l’incapacité physique ou/et mentale est considérée comme permanente, et la personne ne bénéficiera plus de ses droits civiques. Pour obtenir ces différentes mesures, la famille fait une demande au tribunal d’Instance de la ville auprès du juge des tutelles qui fournira le dossier à remplir. Un certificat médical est nécessaire. La liste des médecins experts est fournie par le tribunal. Un médecin ou une équipe médicale peuvent eux-mêmes solliciter cette mesure de protection s’ils estiment que l’état du patient dont ils ont la charge justifie cette protection, même si la famille n’est pas directement demandeur. Quand le dossier est complet, le juge peut entendre le patient et sa famille. Il prendra ensuite la décision de nommer le tuteur ou le curateur. Le plus souvent, le juge respecte le fonctionnement familial et va nommer le conjoint ou un proche, sauf s’il y a des conflits dans la famille, auquel cas il nommera un tuteur extérieur. ☞ Les familles sont souvent démunies quant à l’attitude à tenir vis-à-vis de la conduite automobile. Il est souhaitable d’interdire précocement la conduite d’une voiture. A l’inverse des autres pays européens, il n’y a pas de contrôle particulier en France pour la conduite automobile. S’agissant d’un patient qui présente des troubles du jugement et des troubles de la compréhension, le médecin traitant peut rédiger un document interdisant la conduite pour raison de santé. Si le patient n’accepte pas cette décision, il peut être utile de recourir à la « Commission médicale du permis de conduire » qui siège dans les villes. Sur sollicitation, cette commission convoquera ce patient et après examen pourra retirer le permis de conduire. Toutefois cela reste une épreuve très douloureuse pour le patient. ♦ Conclusion La prise en charge d’un patient porteur d’une maladie d’Alzheimer est un long cheminement qui consiste en permanence à trouver un équilibre entre la non stimulation qui isole et l’hyperactivité qui perturbe. L’objectif du réseau qui entoure le patient est de le considérer comme un interlocuteur à part entière. Les aides que nous avons détaillées ici, vont pouvoir être mises en place en fonction des besoins physiques du patient, mais aussi de son équilibre psychologique. C’est la coordination des efforts d’une équipe pluridisciplinaire et d’un entourage qui se sent soutenu, qui permettra au fil du temps de trouver à chaque moment des solutions respectant le patient et son identité. 170 ♦ ANNEXE 1 - REPARTITION DES AIDES ♦ ANNEXE 2 - LA PRESCRIPTION DE MATERIEL AU DOMICILE 171 ♦ ANNEXE 3 - REPARTITION DES AIDES REFERENCES BERTHEL M., Seul l’accompagnement correct de sa famille permet le maintien d’un dément à domicile. La Revue du Praticien, médecine générale, tome 12, n° 438 (15 à 18), 1998. LALLORET J., Considér ations pratiques sur l’assistance juridique et sociale aux malades atteints de la maladie d’Alzheimer. La Revue du Praticien, 39, 6, 1989. 172 ♦ QUELQUES OUVRAGES DE REFERENCE 1 - AZOUVI, P., PERRIER, D., VAN DER LINDEN, M. (1999). La rééducation en neuropsychologie : étude de cas. 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New-York : Guilford Press. ♦ ADRESSES UTILES 1 - ASSOCIATION DES FAMILLES DE TRAUMATISES CRANIENS : 236 bis, rue de Tolbiac, 75013 PARIS (( : 01-53-80-66-03). 2 - ASSOCIATION FRANCE ALZHEIMER : 21, boulevard Montmartre, 75002 PARIS (( : 01-42-97-52-41). 174 Que soient remerciés Jodi Tommerdahl, linguiste (Université de Paris IVSorbonne ; Université de Poitiers-Faculté de Lettres) et Solange Cook, psychologue (Hôpital Robert Debré - Paris) pour leur aide précieuse à l’occasion de la traduction des résumés de cet ouvrage. 175 Aucun article ou résumé publié dans cette revue ne peut être reproduit sous forme d’imprimé, photocopie, microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur. 176