La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Avril 1999 • 3
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L’œuvre d’art sur la page couverture est
intitulée Memory. C’est le deuxième
tableau de Jennifer Hiscox que nous repro-
duisons dans la Revue canadienne de la ma-
ladie d’Alzheimer. Le premier, intitulé Ghost
illustrait en effet le tout premier numéro. Mes
collègues et moi avons été si émus par Ghost
que nous avons invité Jennifer à devenir
l’artiste attitrée à notre clinique.
Memory est la première œuvre de cette nou-
velle collection. L’artiste y décrit l’impression
ressentie au cours d’une entrevue que j’ai eue
avec une patiente âgée, souffrant d’un trouble
de la mémoire. Cette dame était accompagnée
de son fils.
À l’instar de nombreux médecins, j’évalue la mémoire à
long terme en demandant à mes patients de me relater certains
événements passés de leur vie : le lieu et la date de leur nais-
sance, l’école fréquentée, le rang de naissance de leurs enfants,
les noms des conjoints de leurs enfants et de leurs
petits-enfants. Pour que cette information soit utile au diagnos-
tic, le patient doit être accompagné d’une personne qui con-
firmera la validité des renseignements.
Cette patiente était donc venue en compagnie de son fils
qui, même s’il se rendait compte que la mémoire de sa mère
était défaillante, n’était aucunement préparé à ce qui a suivi. En
effet, même si sa mère se rappelait de la date de son mariage,
du nom de ses enfants et était en mesure de décrire sa vie en
général, tout à coup, sous l’effet du stress causé par l’examen,
elle n’a pas reconnu son propre fils.
Je me rappelle d’une autre de mes patientes. Elle était
l’épouse d’un ancien combattant qui s’était mérité de nom-
breux honneurs militaires. Le jour du Souvenir, quelques mois
après le décès de sa femme, j’ai rencontré cet homme et j’ai
passé une remarque sur les nombreuses médailles qui ornaient
sa poitrine. Il m’a répondu : « C’est bien de donner des
médailles pour reconnaître les mérites d’un soldat, mais je
pense qu’il faudrait surtout donner des médailles pour souli-
gner le courage des personnes dont les conjoints ne les recon-
naissent plus après 40 années de vie commune. »
J’ai raconté cet incident au fils de ma patiente pour essayer
d’atténuer le choc de la réalité qu’il venait de découvrir à cause
de moi.
Ce jour-là, Jennifer assistait à l’entrevue. C’est par suite de
cette expérience, et d’autres aussi, qu’elle a peint Memory. À
gauche de la toile, on peut voir un tourbillon de couleurs. Tout
à fait en haut, à gauche, un cercle crée une fenêtre qui entoure
une structure évoquant le clocher d’une église,
à peine esquissé. Devant, deux personnages
flous qui, on dirait, se tiennent par la main.
À droite, un texte dont les caractères sont
obscurs, mais quand même visibles : les mots
sont lourds de sens même si les phrases ne
s’enchaînent pas normalement.
« Il fait nuit dans la rue. La noirceur et la
confusion ressemblent au brouillard dans mon
esprit. Autrefois, j’avais un nouveau-né. Je lui
donnais le sein, il reconnaissait sa mère. Cet
homme affirme qu’il est ce bébé. Pourquoi me
regarde-t-il si tristement? »
Jennifer m’a expliqué : « C’est cela que
vous faites pour les personnes qui souffrent
de démence. Elles viennent vous voir et vous livrent une
information désorganisée, des idées hors de leur contexte.
Vous donnez un sens au discours du patient, même si parfois
c’est quelque chose de terrifiant. »
Pour diverses raisons, ces tableaux ont beaucoup de valeur
pour mes collègues et moi. Les œuvres de Jennifer décrivent la
réalité d’un autre point de vue, d’une perspective qui nous est
extérieure, mais qui n’est pas en contradiction avec ce que nous
faisons. Une centaine de questionnaires sur l’assurance de la
qualité ne nous apporteraient jamais une information aussi pré-
cieuse sur nos interventions.
Ces tableaux sont très émouvants et ont un impact immé-
diat. Ils sont très utiles à l’enseignement en petits groupes. Il y
a longtemps que nous répétons que les médecins doivent éprou-
ver du respect pour les patients atteints de la maladie
d’Alzheimer et leurs familles. Pourtant, dire qu’une réalité est
émouvante, ce n’est jamais comme réussir à émouvoir.
Memory réussit ce tour de force.
Enfin, même si nous prônons constamment l’importance de
prendre soin des aidants, il est facile d’oublier que les médecins
et les autres professionnels de la santé sont aussi des aidants.
Malgré notre confiance dans la thérapeutique, nous aussi avons
besoin de faire une pause pour reconnaître le stress, les senti-
ments de deuil et d’impuissance qui nous assaillent parfois.
Comme c’est le cas pour nos patients, Memory est une
œuvre porteuse de nombreux sens.
Kenneth Rockwood
Donner un sens à la
maladie d’Alzheimer
par Kenneth Rockwood, M.D., FRCPC
ÉDITORIAL