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conscience, Plotin fait intervenir la fonction langagière. Il prend le modèle
du miroir et donne au langage la fonction de réceptacle de la pensée ; la
réflexion n’est possible que par le rôle de « mise en images » de la pensée
par le langage. Les mots font passer la pensée indivisible qui nous
échappe à l’état d’images. Le langage est le support de cette opération
d’affaiblissement de la pensée, opération en quoi consiste la conscience.
Le langage introduit ainsi une division entre la pensée indicible et la
perception de la pensée. Par cette division il nous sépare de la pensée,
nous laissant le champ de la conscience dans lequel notre âme peut se
complaire. La conscience est un miroir.
La connaissance de soi-même consiste pour l’âme à re-connaître cet
autre qu’elle-même, cet autre qui, à la fois la précède, et à la fois la
constitue. Cette situation particulière est rendue possible par le caractère
duel de l’âme qui a la capacité, d’une part de résider « ici » dans le
sensible, et d’autre part de demeurer « là-bas » dans l’intelligible. Ce
clivage est un élément théorique essentiel pour la compréhension de la
notion d’extériorité de la pensée. L’homme est toujours quelque part entre
l’Intelligible et le sensible, il n’est ni totalement intelligible car une partie
de lui est embourbée dans le sensible, ni totalement sensible car le haut est
lié à l’Intellect. Il est le moyen terme entre le déjà « là-bas » et le
toujours « ici ». La pensée discursive est le propre de l’homme en tant
qu’elle se situe dans l’entre-deux, intermédiaire entre l’Intellect et le
sensible, recevant d’en bas les images sensibles, et d’en haut les « sortes
d’empreintes » qui lui viennent de l’Intellect. C’est là que nous pensons.
Mais ce « nous » (hJmei'") équivaut-il à un « je » pense? En effet, si
l’Intellect est « nôtre », il n’est pas « nous-même ». Or la raison discursive
est à la fois nôtre et « nous-mêmes ».
La singularité du hJmei'" plotinien est un élément important dans notre
étude sur « l’extériorité de la pensée ». Qui pense lorsque nous avons
l’habitude de dire « je pense » ? Quel est-il, ce « je » ? D’où parle-t-il
pour pouvoir s’affirmer comme pensant ? Cette pensée dont nous avons le
sentiment d’appartenance est-elle en nous au point d’être identifiable à
nous-même ? N’y a-t-il pas une pensée en amont de ce que nous
percevons comme « notre pensée » ? Notre « je » est-il premier ? Est-il
départ ou aboutissement ? Plotin ne dit pas « moi, qui suis-je ? » mais il
demande « Nous ? Mais qui nous ? »
( JHmei'" dev - tivne" de; hJmei'"_)
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Pour
saisir la portée du hJmei'" plotinien, il faut le concevoir hors des
catégories du particulier et de l’universel : il ne s’agit ni d’un moi
3 Plotin, 22 (VI, 4) 14, 16