Notes sur le temps en physique (classique)

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Notes sur le temps en physique (classique)
Jean-Philippe Uzan
Institut d’Astrophysique de Paris
Titre :
Le sujet imposé par Annick était le temps en cosmologie. Ce qu’un physicien peut
faire, c’est parler du temps dans un cadre théorique donné, c’est-à-dire expliciter la
représentation du temps dans ce cadre, et non chercher à élucider sa nature. Cette tâche
incombe au philosophe.
Le cadre cosmologique devient alors très intéressant. Mais, pour y arriver, je dois
d’abord rappeler la représentation du temps dans le cadre de la physique newtonienne, en
relativité restreinte puis en relativité générale. Nous finirons par le contexte des modèles
cosmologiques développés dans le cadre de la théorie de la relativité générale. Mon exposé se
restreint au contexte classique et ne tiendra pas compte de ce que nous dit la mécanique
quantique….simplement par manque de temps !
Ces notes qui reprennent les grandes lignes de mon exposé ne doivent surtout pas être
considérées comme un texte rédigé.
Remarques préliminaires :
Avant de commencer, je dois faire quelques remarques d’ordre général.
1- En feuilletant dictionnaires et encyclopédies, il semble que nous n’ayons
pas de définition non tautologique du temps. Par exemple, celle de Giono,
le temps est ce qui passe quand rien ne se passe est circulaire. D’une
certaine façon, Saint-Augustin avait déjà résumé la situation dans laquelle
nous nous trouvons, Le mot temps ne nous dit rien de la chose qu’il
désigne.
2- Dans le langage courant, ce mot a de nombreux sens :
succession/simultanéité/durée/changement/époque/devenir/attente/…
Ceci risque de compliquer la discussion scientifique car nous allons devoir
distinguer ces différents concepts.
3- En physique, il y a deux débats distincts autour du temps. Le premier
concerne le cours du temps, c.-à-d. la façon d’ordonner les événements
causalement reliés. Le second concerne la flèche du temps. Ce problème
semble surtout être une propriété des phénomènes temporels et non du
temps lui-même. En effet, les lois de la physique microscopique sont
invariantes sous un échange du sens de l’écoulement du temps mais la
nature nous offre de nombreux phénomènes irréversibles. La flèche du
temps est une propriété de ces phénomènes.
4- En science en général, il semble y avoir une confusion entre le temps luimême et les phénomènes temporels (on parle du temps géologique, du
temps biologique etc. pour désigner le temps ou plutôt l’échelle de temps
1
des phénomènes géologiques ou biologiques). En particulier, la
représentation (et la mesure du temps) se fait à travers une spatialisation.
5- Le lien entre le temps et le mouvement devra être clarifié. En particulier, le
temps est souvent spatialisé en physique.
Le temps et sa mesure dans la physique classique :
On peut presque dater l’apparition du temps dans la formulation des lois de la
physique (mais je prends plein de bémols car je ne suis pas historien). Elle se fait avec l’étude
du mouvement. La science grecque classique s’était principalement intéressée à la statique et
la compréhension des lois du mouvement était assez limitée. Commençons par rappeler
comment la mesure du temps a évolué.
Les principaux outils dont on disposait étaient des clepsydres, des sabliers, des bougies
graduées et des cadrans solaires. Ces derniers permettaient de mesurer le temps sur de longues
durées mais en un endroit fixe et avec une faible précision (au mieux 5 à 10 minutes). Les
clepsydres et les sabliers pouvaient être précis mais étaient souvent restreints à la mesure de
petits temps et devenaient peu précis sur de longues périodes (il faut retourner le sablier, etc.
ce qui entraîne une dérive non régulière). Les bougies étaient peu précises et ne permettaient
pas de mesures reproductibles (chaque bougie étant différente). Les horloges apparaissent dès
le XIVème siècle mais n’indiquent alors que les heures.
En 1583, Galilée réalise que les pendules permettent de mesurer le temps avec une
bonne précision. Il dessina un projet d’horloge à pendule mais elle ne fut jamais construite et
c’est Christiaan Huygens et Salomon Coster qui réalisèrent la première horloge de ce type en
1657. Les premières horloges « précises » et stables apparaissent au XVIIIème siècle,
principalement sous l’élan de John Harrisson (1734).
Une horloge doit permettre de définir des intervalles de temps réguliers. Un problème
semble cependant apparaître car comment savoir que les intervalles de temps donnés par
l’horloge sont réguliers si on ne possède pas déjà une horloge ? Expliquons comment
construire une horloge même si on ne possède pas un phénomène physique régulier.
Supposons que nous disposions de deux objets (des clepsydres par exemple) qui peuvent ne
pas être identiques et que nous voulions les graduer pour en faire des horloges. La seule
hypothèse importante est que les phénomènes étudiés soient reproductibles (c'est-à-dire que,
pour chaque clepsydre, si la situation initiale est identique alors l’écoulement est identique).
Pour obtenir la première graduation, on fait débuter l’écoulement des deux clepsydres en
même temps et on les arrête, arbitrairement, en même temps. On obtient ainsi une première
graduation, notre unité de temps, qui est arbitraire. Pour obtenir la seconde graduation, on
remplit une des deux clepsydres et on fait repartir l’écoulement des deux clepsydres en même
temps jusqu’à ce que le niveau de la première atteigne la première graduation. On arrête alors
l’écoulement dans les deux clepsydres. On marque alors une deuxième graduation sur la
seconde clepsydre. On peut continuer ainsi pour obtenir une clepsydre graduée régulièrement
même si l’écoulement de l’eau n’est pas régulier.
On voit ainsi que l’on peut fabriquer des horloges régulières à partir de phénomènes
non réguliers pour peu que ces phénomènes soient reproductibles, c.-à-d. que le phénomène
ne dépende pas de l’instant dans le temps où il est initié. Il s’agit là d’une hypothèse forte de
la physique : les lois physiques recherchées sont universelles, et ne dépendent pas du lieu où
de l’époque. Dans la construction précédente, le temps est assimilé à la notion de durée.
2
Revenons au concept de temps en physique. On peut dater son introduction à 1604
(date reconstruite par divers historiens). C’est à cette époque que Galilée formule la loi de la
chute des corps qui fait intervenir pour la première fois explicitement le paramètre temps (les
vitesses de chute sont proportionnelles aux temps de chute).
La formalisation du temps sera ensuite effectuée par Newton dès l’ouverture des
Principia (1687) :
« Absolute, true, and mathematical time, of itself and of its own nature, flows equably
without relate onto anything external, and by an other name is called duration »
Cette définition nous renvoie à l’image de la rivière d’Héraclite. Le temps coule de façon
inexorable. Il peut être décrit par une variable continue à une dimension. Ces hypothèses ne
laissent que deux possibilités car les espaces à une dimension sont de deux types : les boucles
et les lignes infinies.
La physique invoque un autre principe, qui en soit est une lapalissade si on essaie de
comprendre les lois de la nature. Il s’agit du principe de causalité, qui stipule que « les causes
précèdent les effets ». On peut le reformuler en « les effets ne peuvent pas rétroagir sur leurs
causes ». Dans le cadre newtonien, cela implique que le temps ne peut pas être cyclique si
bien qu’il doit être linéaire. On en déduit donc que dans ce cadre, les voyages dans le temps
sont strictement interdits. Remarquons tout de même ici que nous ne devons pas être
impressionnés par les mots : comment distinguer une cause d’un effet ? Pour cette raison, le
principe de causalité est un concept qu’il faudra élucider et non une hypothèse à utiliser telle
qu’elle.
Dans le cadre Newtonien, le temps est donc linéaire et il « coule » inexorablement de
façon régulière, « en solitaire ». On peut donc représenter l’espace et le temps de la physique
classique comme un cristal à trois dimensions comportant une horloge en chaque point.
Toutes les horloges étant synchronisées, par construction. Le temps est aussi indépendant du
mouvement des observateurs si bien que la montre d’un tel observateur synchronisée avec une
des horloges le sera avec toutes les autres et pour toujours. Le temps mesuré par deux
voyageurs entre deux rencontres ne dépend pas de leurs chemins respectifs. Soulignons aussi
que dans ce cadre, le temps est découplé du concept de mouvement ; ce n’est pas parce que
rien ne bouge que le temps n’existe plus.
Une autre façon de représenter cette structure est de considérer un « film d’espaces »,
c.-à-d. une succession d’espaces à divers temps (voir la figure 1). L’espace-temps est alors
une entité à 4 dimensions car il faut 4 nombres pour repérer tout événement, sa position
spatiale et le temps où cet événement a lieu.
Pour tout événement P, il existe une notion intuitive de simultanéité. Si l’on considère
un second événement Q, alors il y a trois cas de figures : (1) on peut aller de P à Q, Q
appartient alors au futur de P, (2) on peut aller de Q à P, alors Q appartient au passé de P, (3)
il est impossible de voyager entre P et Q, les deux événements sont alors simultanés. Cette
structure repose donc sur la possibilité, en principe, de voyager à n’importe quelle vitesse
finie.
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Fig. 1 : la représentation du temps en physique classique. L’espace-temps possède quatre
dimensions et peut être visualisé comme un cristal d’horloges synchronisées (gauche) ou
comme un feuilletage d’espace (droite).
La dynamique classique a été établie par Galilée et Newton avec l’introduction des
notions de vitesse et d’accélération. L’idée révolutionnaire consistait à réaliser qu’une force
modifie l’accélération et non pas la vitesse. Un corps libre se déplace donc à vitesse constante
(contrairement à la physique d’Aristote). Une conséquence de ce principe d’inertie est qu’il
est impossible de distinguer un mouvement à vitesse constante par rapport à l’espace absolu
d’une situation de repos, c’est ce que l’on appelle le principe de relativité galiléenne. Ces
référentiels sont appelés référentiels inertiels et forme une classe privilégiée de référentiel. En
particulier, la cinématique galiléenne est caractérisée par la propriété d’addition des vitesses :
un observateur se déplaçant à la vitesse U par rapport à un référentiel fixe observera la vitesse
V d’un mobile par rapport à ce même référentiel comme V-U.
Dans ce cadre, l’état de tout système dont les positions et vitesses sont connus à un
instant initial, peut être caractérisé à un instant final. La loi de la dynamique reliant
l’accélération à la force est cependant invariante si l’on remplace t par –t si bien que le sens
d’écoulement du temps est arbitraire et n’affecte pas la dynamique. En particulier, n’importe
quel système peut retrouver dans son futur un état physique qu’il a connu dans le passé (c’est
ce que l’on appelle le Théorème de récurrence de Poincaré). Ceci n’implique cependant pas
que l’on est revenu dans le passé. Les phénomènes physiques irréversibles ne satisfont pas
cette propriété.
Une dernière remarque concerne la notion d’énergie. Pour un système mécanique en
mouvement, il existe des fonctions des grandeurs cinématiques (vitesses, positions) qui
conservent une valeur constante pendant le mouvement. Ces constantes du mouvement, aussi
appelées intégrales premières du mouvement, sont reliées aux constantes arbitraires qui
apparaissent dans la résolution des équations du mouvement. Pour un système de N particules,
on a N positions et N vitesses si bien qu’il apparaît 2N constantes arbitraires dans la solution.
Une de ces constantes peut être supprimée car l’origine des temps est arbitraire.
Certaines des intégrales premières du mouvement ont une origine très profonde, liée
aux propriétés de l’espace et du temps. On peut montrer que l’uniformité du temps, c.-à-d. la
propriété que les lois de la physique sont les mêmes à tout temps (ce qui implique entre autre
que le temps n’apparaît pas explicitement dans ces lois), implique que l’énergie est conservée.
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Le temps de la relativité restreinte :
La cinématique a été remise en cause à la fin du XIXème siècle principalement parce qu’elle
était en contradiction avec les lois de l’électromagnétisme développées par James Clerck
Maxwell. Le point central autour duquel s’est construite la relativité restreinte est la
propagation de la lumière
Pour concilier la cinématique classique, la théorie de Maxwell et les résultats de
l’expérience de Michelson-Morley, trois solutions s’offraient :
1- admettre que les postulats de la théorie de Maxwell n’étaient pas corrects,
2- rendre compatible les postulats des deux théories,
3- admettre que les postulats de la cinématique classique n’étaient pas corrects.
La première solution se révéla rapidement inacceptable. La deuxième solution conduit à
l’introduction du concept d’éther déterminant un référentiel privilégié servant de support à la
propagation des ondes électromagnétiques. Cependant toutes les expériences tentant de mettre
ce milieu en évidence ont échoué. La troisième solution se trouva être la bonne voie et mena,
avec différentes étapes que nous ne détaillerons pas ici, à la formulation de la relativité
restreinte, qui supplanta la cinématique galiléenne. Cette théorie est basée sur deux postulats :
Premier postulat : tous les référentiels d’inertie sont équivalents.
Second postulat : la vitesse de la lumière dans le vide est indépendante de l’état de
mouvement de la source.
Le premier postulat renforce le principe de relativité galiléenne et implique que les lois
physiques prennent la même forme dans tous les référentiels d’inertie. Le second est en
contradiction flagrante avec le principe d’additivité des vitesses de la cinématique galiléenne,
en particulier parce que l’on peut l’écrire de façon symbolique « c+v=v » quelle que soit la
vitesse v de l’observateur, c étant la vitesse de la lumière.
Ces postulats, dont la formulation est extrêmement simples ont des conséquences
importantes pour la représentation du temps.
Une petite expérience permet de prendre l’ampleur des conséquences du second postulat.
Considérons une horloge battant « la mesure » en faisant osciller des photons entre deux
miroirs espacés d’une distance d (voir Fig. 2). Un observateur 1 au repos par rapport aux
miroirs observent que le faisceau lumineux est perpendiculaire aux miroirs si bien que le
temps aller-retour de la lumière (c.-à-d. la période de l’horloge) est T = 2d/c où c est la vitesse
de la lumière dans le vide.
Supposons maintenant que l’horloge se déplace à une vitesse V par rapport au sol. Un
observateur 2 immobile par rapport au sol observera que la lumière a un trajet oblique. La
lumière se propageant toujours à la même vitesse (d’après le second postulat) et le trajet à
parcourir plus long, nous en déduisons que l’observateur 2 voit l’horloge battre plus
lentement. La longueur du trajet de la lumière pour l’observateur 2 est D=2√(d2+(V T’/2)2),
T’ étant la période de l’horloge mesurée par l’observateur 2. Comme D=cT’, on en déduit que
T’=T/√(1-v2/c2).
Le second postulat implique donc que la période d’une horloge dépend de son état de
mouvement : un observateur au repos par rapport à l’horloge la voit battre plus rapidement
qu’un observateur en mouvement par rapport à elle. Il s’agit là d’un phénomène relativiste,
appelé dilatation du temps, et absent de la description classique de l’espace et du temps. La
période mesurée par l’observateur au repos par rapport à l’horloge sera appelée période
propre. Tout observateur aura ainsi un temps propre qui est celui qu’il mesure avec une
horloge qui se déplace avec lui. On peut synchroniser des horloges qui sont au repos les unes
par rapport aux autres mais nous ne pouvons plus parler de temps absolu.
5
Ce phénomène ne devient important que pour des vitesses proche de celle de la
lumière. Par exemple à un dixième de la vitesse de la lumière, l’amplitude de l’effet est de
0,5% et il devient de 2% pour une vitesse de neuf dixième de la vitesse de la lumière.
Fig. 2 : Une horloge au repos par rapport à un observateur bat plus rapidement qe
lorsqu’elle de déplace par rapport à une vitesse V.
Le second postulat remet en cause un deuxième présupposé de l’espace-temps de la physique
classique : la notion de simultanéité. La figure 3 illustre une situation où deux phénomènes
physiques (en l’occurrence des explosions) peuvent être perçues comme simultanées où non
par différents observateurs, la conclusion dépendant de l’état de mouvement de chacun des
observateurs.
Fig. 3 : Deux explosions se produisent en A et B. La lumière se propage à la vitesse c pour
tous les observateurs. Un observateur au repos à mi-chemin entre les points d’explosion
déduit qu’elles sont simultanées. Un observateur se déplaçant à la vitesse V vers la source B
déduit que l’explosion en B est antérieure à celle en A. Un observateur se déplaçant vers la
source A arrive à la conclusion inverse.
Ainsi, les postulats de la relativité restreinte remettent en cause les propriétés de l’espace et du
temps de Newton. En particulier, la notion de temps semble devenir dépendante de l’état de
mouvement de l’observateur et la notion de simultanéité disparaît. Soulignons que la notion
de causalité n’est pas affectée et reste « absolue », c.-à-d. indépendante de l’état de
mouvement de l’observateur si aucune particule ou signal ne peut se propager plus vite que la
vitesse de la lumière.
Une conséquence de cette nouvelle structure est une nouvelle vision de l’espace et du
temps. Comme le dit Hermann Minkowki dans une conférence en 1908, « L’espace lui-même,
le temps lui-même, sont condamnés à s’évanouir tels de simples ombres, et seule une sorte
d’union des deux préserve une réalité indépendante. » Dans la vue de Minkowski, l’espace et
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le temps doivent être pensés ensemble dans une nouvelle structure, appelée espace-temps, qui
dépasse la simple union de l’espace et du temps.
Ce nouvel espace possède quatre dimensions, ce qui le rend difficile à visualiser. Pour
simplifier nous ne représenterons qu’une ou deux dimensions d’espace. La chose importante à
se rappeler dans tous ces schémas est qu’un point représente un événement, c.-à-d. un point de
l’espace à un instant donné. Le diagramme complet représente l’ensemble de l’histoire. Une
particule, tandis qu’elle perdure dans le temps, sera représentée par une ligne appelée ligne
d’univers.
Commençons par considérer un flash de lumière émis en un point de l’espace. La
lumière se propage de façon isotrope à partir de son point d’émission si bien qu’à un instant t
elle est localisée sur une sphère de rayon ct. La figure 4 représente ce phénomène dans
l’espace et dans l’espace-temps. On voit alors que dans l’espace-temps le flash de lumière
occupe un cône, appelé cône de lumière, qui représente la série des sphères occupées par les
photons.. Toute particule massive émise en même temps que le flash se propage plus
lentement que la lumière si bien que sa ligne d’univers doit se trouver à l’intérieur du cône de
lumière.
Fig. 4 : Un flash de lumière est émis depuis un point de l’espace. Le front d’onde décrit une
série de sphère de rayon croissant (gauche). Nous avons ici supprimé une dimension d’espace
si bien que les sphères sont représentées par des cercles. Dans l’espace-temps, cet ensemble
de sphère forme un cône : le cône de lumière.
Cette structure doit être respectée en tous les points de l’espace-temps. La figure 5 illustre
alors notre espace-temps que nous pouvons voir comme un cristal de cône de lumière. Le
cône de lumière d’un événement P défini le futur de cet événement comme l’ensemble des
événements situés à l’intérieur du cône formé par tous les rayons lumineux émis depuis P. Le
passé de P est l’ensemble des événements situés à l’intérieur du cône formé par tous les
rayons lumineux arrivant en P. Seuls ces événement peuvent influer sur l’état physique d’un
système en P. Tous les points en dehors du cône représentent l’ailleurs, c.-à-d. l’ensemble des
événements qui ne peuvent pas influencer ou être influencés par l’événement P.
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Fig. 5 : La structure de l’espace-temps en un événement P (gauche) permet de définir le futur,
le passé de cet événement. Tous les événements en dehors du cône de lumière ne peuvent pas
être mis en contact causal avec P. (droite) : l’espace-temps de Minkowski peut être vu comme
un cristal de cônes de lumières. Toues les lignes d’univers doivent se trouver à l’intérieur
d’un tel cône en tout événement.
Cette structure déduite de la finitude de la vitesse de la lumière implique aussi qu’un
observateur reçoit à un instant donné des signaux lumineux émis par en différents points de
l’espace-temps. Ainsi plus il regarde « loin » plus il observe des événements vieux. Ceci aura
des conséquences importantes en cosmologie.
La figure 6 illustre une différence importante entre l’espace de Minkowski et l’espace
euclidien (l’espace de la géométrie « ordinaire »). Dans ce dernier la distance entre deux
points est définie positive contrairement à la distance entre deux événements. Ceci implique
que l’inégalité triangulaire n’est plus respectée dans un espace de Minkowski. En particulier,
la distance d’espace-temps (c.-à-d. le temps propre) entre deux événements est nulle le long
du cône de lumière. La figure 4 illustre aussi qu’elle est inférieure pour un observateur
voyageant. Ceci est connu sous le nom du paradoxe des jumeaux…bien qu’il n’y ait aucun
paradoxe !
Fig. 6 : La distances dans un espace euclidien (gauche) est définie positive, contrairement à
l’espace de Minkowski (droite). Dans ce cas la distance représente le temps propre le long de
la trajectoire reliant les événements. Ceci implique un renversement des inégalités
triangulaires.
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Le temps de la relativité générale :
La relativité restreinte supposait l’existence de référentiels inertiels et travaillait dans leur
cadre. La relativité générale établit quant à elle les lois de la physique dans des référentiels
quelconques. La relativité générale étend les postulats précédents à tout référentiel.
Le principe d’équivalence, c.-à-d. le fait que tout corps tombe de la même façon
indépendamment de sa masse et de sa composition chimique, conduit à une théorie métrique
de la gravitation. Dans une telle théorie, l’espace-temps a une structure géométrique
(courbure) qui est déterminée par son contenu en matière et le mouvement de la matière est
contraint par la géométrie. En particulier, on peut montrer que la gravitation peut localement
être effacée si bien que localement (c.-à-d. autour de chaque point de l’espace-temps)
l’espace-temps a la structure d’un espace-temps de Minkowski. Ceci n’est cependant pas vrai
de façon globale si bien que l’on peut concevoir l’espace-temps comme une mosaïque
d’espace-temps de Minkowski. Mais la grande différence est que maintenant l’espace-temps
devient dynamique est n’est plus une donnée extérieure dont on choisit les propriétés comme
dans le cas de la physique newtonienne ou de la relativité restreinte.
La figure 7 représente cette structure. En chaque point on peut définir un cône de
lumière et les lignes d’univers des particules massives doivent en tout point être à l’intérieur
de ce cône.
Fig. 7 : La structure de l’espace-temps de la relativité générale.
Ceci implique que la structure causale de l’espace-temps est plus complexe que celle de
l’espace-temps de Minkowski. On peut distinguer plusieurs notions. On dit qu’un espace est
orientable temporellement si on peut définir de façon continue une notion de passé et de futur.
La figure 8 donne un exemple d’un espace-temps, artificiel, qui ne satisfait pas cette propriété.
Fig. 8 : Exemple d’un espace-temps non-orientable temporellement.
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Le deuxième ingrédient est celui de boucle temporelle. Il s’agit de déterminer si l’espacetemps possède des lignes d’univers fermées. Dans un tel cas, un observateur dont c’est la
ligne d’univers revient dans son propre passé et peut agir sur son passé, ce qui est en
contradiction avec le principe de causalité. La figure 9 donne deux exemples de telles boucles
temporelles. On impose ainsi la condition de causalité forte qui stipule que l’espace-temps ne
doit pas posséder de telles boucles.
Une seconde notion de causalité, appelée causalité stable, apparaît dans ces études.
Elle revient à faire l’hypothèse de l’existence d’une fonction temps globale. Cette hypothèse
très forte revient à supposer que l’espace-temps quadri-dimensionel peut être feuilleté en une
succession d’espaces de dimension trois, et que ce feuilletage est caractérisé par la donnée
d’une seule fonction.
D’un point de vue théorique, il existe des solutions de la relativité générale qui ne
satisfont pas ces conditions, qui sont rajoutées a posteriori. Les espaces-temps correspondant
à des situations rencontrées dans la nature les respectent cependant.
Fig. 9 : Boucles temporelles fermées.
D’un point de vue plus opérationnel, remarquons que le temps est la seule chose que l’on peut
mesurer dans un tel espace-temps. En effet, la distance entre deux points ne peut pas être
déterminées avec une règle. La façon la plus simple de définir une distance entre deux
observateurs est d’échanger un signal lumineux. L’observateur 1 envoie un signal vers
l’observateur 2 qui le lui renvoie à l’aide d’un miroir. Le signal revient à l’observateur 1 au
bout d’un temps propre T (i.e. au bout du temps T mesuré par l’observateur 1). Cet
observateur définit alors la distance entre lui et l’observateur 2 comme cT/2 (voir Fig. 10).
Nous arrivons à la conclusion surprenante que le temps, que nous ne savons toujours
pas définir, est la seule chose que nous pouvons mesurer et la seule dimension dans laquelle
nous ne pouvons pas voyager. La méthode de mesure des distances que nous venons de
décrire est en fait celle qui est implicitement supposée dans le système d’unités internationales
Puisque l valeur de la vitesse de la lumière a été fixée si bien que l’unité de longueur (le
mètre) est dérivée de l’unité de temps (la seconde).
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Fig. 10 : La mesure de distance entre les lignes d’univers des observateurs A et B passe par
l’échange de signaux lumineux et une mesure de temps.
Tout comme en relativité restreinte le temps propre mesuré entre deux événements dépend de
la ligne d’univers empruntée entre ces deux événements. Alors que la dilatation relative du
temps ne dépendait que de la vitesse relative entre les deux observateurs dans le cadre de la
relativité restreinte, elle dépend maintenant aussi de la structure géométrique de l’espacetemps. En particulier, cela implique qu’une horloge dans un champ de gravitation faible bat
plus vite que dans un champ fort. Cet effet, nommé effet Einstein, a été vérifié
expérimentalement. Par exemple, ne pas le prendre en compte induirait une dérive journalière
de 14 km sur le système de positionnement GPS (voir figure 11).
Fig. 11 : Le système GPS déduit la distance relative entre deux points du globe terrestre à
partir de la comparaison de temps de propagation de signaux entre ces points et plusieurs
satellites. Ne pas prendre en compte la relativité générale dans cette comparaison induirait
une dérive journalière de 14 km.
Pour finir ce tour d’horizon de la relativité générale, revenons sur des affirmations selon
lesquels le temps n’existerait pas en relativité générale. Il me semble est que la conclusion
selon laquelle le temps existe ou pas dépend du point de vue que l’on adopte. En effet, la
structure de l’espace-temps étant déterminée, nous avons la connaissance globale de la
structure à quatre dimensions et de toutes les trajectoires (les lignes d’univers) de toutes les
particules. Dans ce cadre, on peut en effet affirmer que le temps n’existe pas et que seul
l’espace-temps est donné, ce dernier n’étant soumis à aucune évolution. Cependant, les lignes
d’univers permettent de définir un temps propre le long de chacune d’elles si bien qu’à partir
d’une famille de lignes d’univers on peut construire une fonction temps et un feuilletage de
l’espace-temps. Dans ce cadre l’espace-temps est vu (de l’intérieur) comme une succession
d’espace de dimension 3. On peut alors dire qu’un temps existe, même si différents
feuilletages sont possible (voir la figure 12). Ceci revient un peu à se demander si le temps
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existe dans un film. En regardant la bobine entière (extérieur), on déduit que non alors qu’en
la projetant (intérieur), on déduit que oui. Cette distinction se retrouve au niveau de la
formulation de la théorie (lagrangienne versus hamiltonienne).
La question à laquelle nous devons répondre est comment choisit-on un feuilletage
plutôt qu’un autre. Pour cela, il nous faut, enfin, se plonger dans le cadre cosmologique.
Fig. 12 : Différentes façons de « parcourir » le même espace-temps.
Le temps en cosmologie :
L’univers était dès l’Antiquité une référence pour la mesure du temps (cycle, cadran).
En effet, les hommes ont tout d’abord basé la mesure du temps sur des phénomènes
périodiques terrestres (nombres d’hivers ou d’étés) et les calendriers sont nés de ces cycles.
La cosmologie est un discours qui demande de définir ce qu’est l’univers. Elle est
énoncée dans un cadre cosmologique précis qui sert de banc d’essai aux nouvelles théories
physiques (voir figure 13).
Fig. 13 : l’évolution de ce que recouvre le terme univers selon les périodes de l’histoire.
L’univers actuel n’est plus restreint à notre système solaire ou à notre galaxie mais à
une extension beaucoup plus grande. Nous appelons univers observable la partie de notre
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espace-temps que nous pouvons observer, c.-à-d. qui se trouve à l’intérieur de notre cône de
lumière passé. Toute l’information que nous pouvons récolter concernant notre univers est
localisée dans ce cône, et en fait sur la surface du cône car cette information est obtenue à
partir d’observation de photons. Ceci est une limitation car nous n’observons qu’un seul
univers à partir d’un seul point de l’espace-temps.
La théorie moderne de la cosmologie repose sur la théorie de la relativité générale. Les
modèles d’univers qui y sont déduits ont la particularité d’être en expansion et ont été
développés par Lemaître et Friedmann au débit des années 1920. Une des hypothèses centrale
de ces modèles est le principe cosmologique.
L’expansion de l’univers implique que la distance entre deux galaxies est une fonction
croissante du temps, si bien qu’un observateur voit toutes les autres galaxies s’éloigner de lui.
Cependant l’univers n’a pas de centre et la même conclusion serait tirée par un observateur
d’une autre galaxie. L’expansion a une conséquence importante ; elle étire aussi les longueurs
d’onde si bien que la longueur d’onde reçue est plus grande que la longueur d’onde
d’émission. C’est ce que nous appelons le décalage spectral vers le rouge qui mesure la
croissance relative entre l’émission et la réception. Quand nous observons une galaxie, par
exemple, nous pouvons mesurer sa position sur la voûte céleste (la direction d’observation) et
son décalage spectral. Ce dernier est caractéristique du moment d’émission de la lumière que
nous recevons mais le temps mis par la lumière pour nous parvenir ne peut pas être mesuré ; il
est déterminé par un calcul qui fait des hypothèses sur l’univers dans son ensemble
(composition matérielle…). Remarquons le lien entre une mesure locale (celle d’un temps
entre deux événements et la structure globale de l’espace-temps.
De façon surprenante toute l’évolution de l’univers peut être décrite sans faire
référence explicitement au temps mais seulement au facteur de croissance de l’univers. Cette
fonction joue le rôle d’une fonction temps globale. On en déduit qu’en cosmologie
l’expansion, et en fait le principe cosmologique, de l’univers fournit un feuilletage
préférentiel et donc un temps préférentiel.
L’expansion offre aussi une voie pour comprendre la flèche du temps qui serait déterminée
par le feuilletage préférentiel lié à l’expansion. Pour aller plus loin dans cette direction, il
faudrait introduire la notion d’entropie dans un cadre relativiste. Afin de montrer que la
gravité joue un rôle dans ces notions d’entropie, la figure 13 illustre l’évolution d’un nuage de
gaz sans et avec gravitation. Pour un gaz ordinaire, la croissance d’entropie tend à rendre le
gaz plus homogène. Pour un gaz auto-gravitant, c’est le contraire. Le fait que l’univers se
trouvait initialement dans un état où la matière était répartie de façon très homogène renferme
la raison de sa très faible entropie initiale.
Ces quelques éléments illustrent la relation étroite qui unie gravitation, cosmologie et
la flèche du temps.
13
.
Fig. 14 : Pour un gaz ordinaire, la croissance d’entropie tend à rendre le gaz plus homogène.
Pour un gaz auto-gravitant, c’est le contraier.
Conclusion :
Ce tour d’horizon nous a montré que la représentation et les propriétés du temps ont
énormément évolué avec notre connaissance de la physique. Le temps n’est plus une donnée
extérieure mais une structure à déterminer.
Les notions de causalité et les propriétés de la lumière ont été au centre de nos considérations.
La cosmologie offre une vision nouvelle, en particulier concernant l’origine de la flèche du
temps.
Bibliographie :
Brans, I. Stengers et Vincke, Temps et devenir, Patino.
O. Costa de Beauregard, Le second principe de la science du temps, Seuil.
Pascault et Vidal, A chacun son temps, Flammarion.
M. Paty et al., Le temps et sa flèche, Flammarion, 1994.
R. Penrose, The emperor’s new mind, Oxford university press, 1989
P. Peter et J.-P. Uzan, Cosmologie primordiale, Belin, 2005.
C. Semay et B. Sylvestre-Brac, Relativité restreinte, Dunod, 2005.
J.-P. Uzan et R. Lehoucq, Les constantes fondamentales, Belin, 2005.
H.D. Zeh, The physical basis of the direction of time, Springer, 2001.
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