Article de synthèse Rev Neuropsychol Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 2013 ; 5 (1) : 45-55 Fanny Dégeilh1,2,3,4 , Armelle Viard1,2,3,4 , Jacques Dayan1,2,3,4,6 , Fabian Guénolé1,2,3,4,5 , Pierre-Jean Egler1,2,3,4,5 , Jean-Marc Baleyte1,2,3,4,5 , Francis Eustache1,2,3,4 , Bérengère Guillery-Girard1,2,3,4 1 Inserm, U1077, 14000 Caen, France 2 Université de Caen - Basse-Normandie, UMR-S1077, 14000 Caen, France 3 École pratique des hautes études, UMR-S1077, 14000 Caen, France 4 CHU de Caen, UMR-S1077, 14000 Caen, France <[email protected]> 5 CHU de Caen, service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, France 6 CHGR Rennes-I, service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 35000 Rennes, France doi: 10.1684/nrp.2013.0252 Pour citer cet article : Dégeilh F, Viard A, Dayan J, Guénolé F, Egler PJ, Baleyte JM, Eustache F, Guillery-Girard B. Altérations mnésiques dans l’état de stress posttraumatique : résultats comportementaux et neuro-imagerie. Rev Neuropsychol 2013 ; 5 (1) : 45-55 doi:10.1684/nrp.2013.0252 Altérations mnésiques dans l’état de stress post-traumatique : résultats comportementaux et neuro-imagerie Memory impairment in posttraumatic stress disorder: behavioural and neuroimaging findings Quand un événement est perçu comme menaçant la vie ou l’intégrité physique de soi ou d’un autre et déclenche un stress extrême, un état de stress post-traumatique (ESPT) peut se développer. Cet article propose une revue des connaissances actuelles sur les dysfonctionnements mnésiques et les altérations cérébrales au cœur de cette pathologie. De nombreuses études permettent aujourd’hui de décrire un profil caractéristique du dysfonctionnement du souvenir de l’événement traumatique, associant une hypermnésie des aspects émotionnels et la faible mémorisation de l’information contextuelle. L’ESPT est également associé à des troubles mnésiques des événements quotidiens avec, ici encore, un biais mnésique en faveur de l’information négative et une moindre mémorisation de l’information neutre. Ces dysfonctionnements mnésiques ont été corrélés à des altérations anatomiques et/ou fonctionnelles de régions impliquées dans la mémoire épisodique (l’hippocampe), la mémoire émotionnelle (l’amygdale) et la régulation émotionnelle (cortex préfrontal médian et cingulaire antérieur). Nous développerons dans cet article les deux principales théories qui synthétisent l’ensemble de ces connaissances chez l’adulte. Par ailleurs, chez l’enfant, bien que la symptomatologie soit bien décrite, le manque d’investigations ne permet pas aujourd’hui l’identification précise d’un profil particulier de dysfonctionnements mnésiques et de leurs substrats cérébraux. Nous présenterons tout de même les quelques travaux sur le sujet. Résumé Mots clés : état de stress post-traumatique · mémoire · émotion · cognition · neuro-imagerie Abstract When an event is perceived as life-threatening or potentially causing serious bodily injury to self or others, an intense feeling of fear, horror or helplessness can be elicited and memory process can be disrupted leading to development of posttraumatic stress disorder (PTSD). This pathology is characterised by three kinds of symptoms: (i) re-experiencing, this is probably the principal PTSD symptom and refers to intrusive memories occurring in flashbacks or/and nightmares so invasive that the PTSD sufferer feels as if he is reliving the sensory and emotional aspects as occurring in the present; (ii) avoidance, the sufferer tries to avoid everything that may remind him of the traumatic event (thoughts, places, people and other reminders of the trauma) and (iii) hyper-arousal, this includes hyper-vigilance, exaggerated startle reaction, sleep disturbances and irritability. The purpose of this article is to review the current state of knowledge on memory disturbances and cerebral abnormalities that are central to the pathology’s importance. On one hand, PTSD in adults is well documented, and a concise description of impairment of traumatic event memory has been established, involving both enhanced memory for emotional aspects and decreased memory for contextual information. As for traumatic events, memory for everyday events is Correspondance : B. Guillery-Girard REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 45 Article de synthèse also impaired in PTSD with hypermnesia for negative information and lower memorizing of neutral information. Structural and functional abnormalities of brain areas implicated in episodic memory (hippocampus), emotional memory (amygdala) and emotional regulation (medial prefrontal and anterior cingulate cortices) seem involved in memory disturbances observed in PTSD. We will describe the two main theories synthesizing current understanding in adult PTSD. On the other hand, in children, whereas symptoms are well described, the lack of investigations hinders the accurate identification of a particular profile of memory dysfunctions and their cerebral substrates. However, we will review the few findings in this field. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Key words: posttraumatic stress disorder · memory · emotion · cognition · neuroimaging Introduction La psychopathologie post-traumatique a tout d’abord été décrite par la médecine militaire sous le nom de « névrose traumatique ». Il faut attendre 1980 pour voir cette pathologie référencée pour la première fois dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux sous le nom anglais de posttraumatic stress disorder (PTSD), traduit en français par état de stress post-traumatique (ESPT). Depuis cette date, l’intérêt des scientifiques pour cette pathologie n’a cessé d’augmenter dans le but de mieux définir son étiologie et son évolution afin d’améliorer sa prise en charge. L’étude de cette pathologie permet également, d’un point de vue fondamental, une meilleure compréhension de l’organisation cognitive et anatomofonctionnelle de la mémoire, en apportant notamment un éclairage sur les fonctionnements dynamiques entre mémoire, émotion et processus attentionnels. L’ESPT, bien que majoritairement décrit chez l’adulte, est également observé chez l’enfant. En revanche, la sémiologie est en partie différente et pourrait rendre compte de la dimension développementale. Aspects psychopathologiques L’ESPT est la conséquence psychopathologique la plus spécifique de l’exposition à un événement traumatique. Ce trouble anxieux est consécutif à un événement ayant été perçu par l’individu comme menaçant sa vie ou son intégrité physique, tel que les violences des combats, une catastrophe naturelle, un acte de terrorisme, un accident de la voie publique, une agression violente, et ayant entraîné chez lui une sensation intense de peur, d’horreur ou d’impuissance (critères A de l’ESPT selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux [1]). Trois grands syndromes accompagnent l’ESPT : le syndrome de répétition (critère B du DSM IV-R), le syndrome d’évitement (critère C du DSM IV-R) et le syndrome d’hyperactivité neurovégétative (critère D du DSM IV-R). Le syndrome de répétition se manifeste par des reviviscences répétées et involontaires de l’événement qui se traduisent 46 par des souvenirs intrusifs, souvent sous forme visuelle, se produisant au travers de flashbacks et de rêves d’angoisse, et faisant littéralement revivre à l’individu les aspects sensoriels et émotionnels de l’événement dans le présent. Le syndrome d’évitement se traduit par des efforts importants du patient pour éviter tout ce qui peut lui rappeler l’événement traumatique, comme les pensées, les conversations, les lieux, les situations et les personnes en lien avec celui-ci. Il peut s’accompagner ou plus souvent est suivi d’un émoussement de la réactivité générale s’exprimant par une réduction des affects et de l’élan vital, un détachement et un pessimisme latents. Enfin, l’hyperactivité neurovégétative est caractérisée par une hypervigilance, une réaction de sursaut exagérée, des troubles du sommeil, une irritabilité et des difficultés de concentration. En moyenne, 20 à 30 % des personnes confrontées à un événement traumatique développent un ESPT, soit d’emblée après l’exposition à l’événement traumatique, en prolongement d’un état de stress aigu ou après une longue période de latence. La durée moyenne de l’ESPT est de trois à cinq ans mais une symptomatologie résiduelle est retrouvée chez un tiers environ des sujets, dix ans après l’événement déclenchant [2]. L’hyperactivité neurovégétative peut notamment persister longtemps après l’atténuation ou la disparition des autres signes cliniques. Plus particulièrement, il est parfois observé un ESPT incomplet qui se traduit par l’absence du syndrome d’évitement. Par ailleurs, l’ESPT est rarement diagnostiqué seul et de fréquentes comorbidités psychologiques comme la dépression, les comportements d’addiction, l’anxiété, les crises de panique et les phobies sont observées. Dans le cas particulier d’une exposition à des événements traumatiques répétés ou prolongés sur plusieurs mois ou années (guerre, violences physiques ou abus sexuels répétés, torture. . .), il est fréquent qu’un type particulier d’ESPT, nommé « ESPT complexe », se développe. Il se caractérise par des troubles dissociatifs (troubles du rapport à soi et à autrui) importants dont l’intensité peut varier de relativement peu intense (sentiment éphémère que l’événement traumatique se reproduit dans le présent) à sévère (la personne perd tout lien avec son identité actuelle et son environnement présent pendant la reviviscence du REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES Article de synthèse Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. souvenir). Ces troubles dissociatifs s’accompagnent d’une altération de la régulation émotionnelle, de l’attention, de la conscience et de la perception de soi, de la relation à autrui et des croyances antérieures, ainsi que d’une somatisation [3]. En neuropsychologique, l’ESPT est considéré comme une pathologie de la mémoire, bien qu’il porte également atteinte à d’autres dimensions de la cognition et du comportement. En ce sens, les syndromes de reviviscence et d’évitement sont envisagés comme l’expression de dysfonctionnements mnésiques sous-tendus par des altérations cérébrales fonctionnelles et/ou structurales. État de stress post-traumatique et mémoire L’ESPT est associé à un profil particulier de dysfonctionnements mnésiques dont le principal s’exprime par des difficultés à rappeler le souvenir de l’événement traumatique de façon cohérente. De manière surprenante, l’ESPT apparaît comme étant à la fois accompagné par une augmentation (ou hypermnésie) et une diminution de la mémorisation de différents aspects du souvenir de l’événement traumatique. Plus précisément, la vivacité du souvenir traumatique, exprimée au travers des flashbacks et des cauchemars, contraste avec la faible capacité des patients souffrant d’ESPT à rappeler de façon volontaire et consciente les détails de l’événement traumatique. Par ailleurs, une plainte mnésique pour les événements quotidiens non relatifs à l’événement traumatique est fréquemment rapportée par les patients. Des études comportementales ont confirmé l’ensemble des troubles mnésiques, attentionnels et émotionnels [4, 5]. Mémoire de l’événement traumatique Les dysfonctionnements mnésiques observés dans l’ESPT s’expriment à la fois par une intensification de la mémorisation des aspects centraux de l’événement traumatique (émotionnels principalement) et par une diminution de la mémoire des détails périphériques. Le souvenir d’un événement fait appel à la mémoire autobiographique qui regroupe un ensemble d’informations et de souvenirs particuliers à un individu, accumulés depuis son plus jeune âge, et qui lui permettent de construire un sentiment d’identité et de continuité. Elle offre à l’individu la capacité de « voyager mentalement dans le temps », de revivre mentalement les expériences passées et de se projeter vers le futur [6]. Elle est constituée d’une composante épisodique (encodant et stockant les événements personnellement vécus dans leur contexte spatial et temporal d’acquisition) mais aussi d’une composante sémantique autobiographique (ensemble de connaissances générales sur soi et sur sa propre vie permettant la représentation de soi). La conscience autonoétique, associée au rappel des souvenirs épisodiques, donne à l’individu la possibilité de prendre conscience de sa propre identité (sentiment d’identité) dans un temps subjectif et lui permet la reviviscence consciente de l’événement et du contexte d’encodage (lui permettant de dire « je me souviens ») [6]. Au contraire, l’état de conscience noétique accompagne le rappel en mémoire sémantique et permet d’accéder à l’ensemble des connaissances générales sans souvenir du contexte dans lequel elles ont été encodées (« je sais »). L’interaction des deux composantes de la mémoire autobiographique permet le maintien de la cohérence du sentiment d’identité et de la représentation de soi au fil du temps de telle façon que les souvenirs restent en accord avec les aspirations, buts, désirs, croyances actuels de l’individu [7]. Conway propose également que les souvenirs autobiographiques puissent être rappelés selon deux types de récupération : – la récupération générative du souvenir, via des processus top-down, est intentionnelle et contrôlée et met en jeu l’administrateur central de la mémoire de travail ; – la récupération directe, automatique et involontaire des détails sensoriels du souvenir, via des processus bottom-up, est déclenchée par des indices très spécifiques. La récupération générative permet, par des processus essentiellement exécutifs tels que l’inhibition, la reconstruction complète du souvenir autobiographique replacé dans le temps et l’espace, en accord avec la représentation de soi actuelle. Au contraire, la récupération automatique ne permet pas toujours de retrouver le contexte du souvenir, il s’agit plutôt d’une sensation de souvenir (comme la « madeleine de Proust »), une étape supplémentaire de récupération générative est ensuite nécessaire pour reconstruire le souvenir complet. Cette dernière étape pourrait être affectée dans l’ESPT. Une altération particulière de la mémoire autobiographique concerne la fréquente incapacité des patients souffrant d’ESPT à se distancer mentalement de l’épisode traumatique, à l’intégrer dans une succession chronologique, à lui faire perdre son caractère d’immédiateté [2]. Cela se manifeste par la reviviscence involontaire de l’événement avec le sentiment intense de danger imminent (flashbacks) et peut être attribué à un phénomène dissociatif laissant supposer des modifications du sentiment d’identité et de la représentation de soi [8, 9]. Cette hypothèse est confirmée par une étude récente révélant, qu’après l’exposition à un événement traumatique, les individus ayant développé un ESPT présentent des perturbations de la représentation de soi associées à une estime de soi plus négative. Leur passé, avant l’événement, leur semble plus sûr que leur présent et leur futur [10]. Les flashbacks, symptômes centraux de l’ESPT, sont donc des souvenirs intrusifs déclenchés involontairement par des états internes ou des indices externes relatifs à l’événement traumatique et faisant fortement revivre les aspects émotionnels de l’événement traumatique à travers des images multisensorielles fragmentaires affranchies d’un contexte spatiotemporel cohérent [8]. Il semble donc qu’en cas d’ESPT, la remémoration consciente de l’événement REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 47 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Article de synthèse traumatique soit difficile, laissant supposer un défaut du processus de récupération générative qui ne permettrait pas la reconstruction complète du souvenir suite à la récupération directe des aspects sensoriels. Par ailleurs, le récit de l’événement traumatique est pauvre en détail, largement fragmenté et désorganisé, et manque de cohérence [4]. Parmi les hypothèses avancées pour expliquer ce phénomène, il est proposé que durant un événement traumatique, l’attention tend à se restreindre et à se focaliser sur la source principale du danger, de telle sorte que les éléments sensoriels (indices) de la scène soient faiblement liés entre eux. Cela laisse supposer que l’ESPT soit associé à un défaut de contextualisation, processus permettant que les stimuli soient différemment interprétés, représentés et utilisés pour guider les comportements en fonction du contexte et de la situation. Ce défaut de contextualisation mènerait à la sur-généralisation du souvenir et pourrait être à l’origine du syndrome de reviviscence. Les différents aspects du souvenir n’étant pas liés à un contexte spécifique, de nombreux indices non spécifiques à l’événement traumatique pourraient raviver le souvenir [8]. Mémoire et nouveaux apprentissages L’ESPT n’est pas seulement associé à des dysfonctionnements de la mémoire autobiographique de l’événement traumatique. En effet, les études utilisant des tâches de laboratoire permettant de contrôler les phases d’encodage et de restitution en mémoire ont mis en évidence des déficits mnésiques [11]. L’ESPT s’accompagne d’un défaut d’apprentissage et de rappel d’informations neutres. De plus, le sentiment de récollection qui accompagne habituellement la restitution des souvenirs épisodiques semble également moindre [12]. Cela confirme l’hypothèse d’une altération de l’accès à la conscience autonoétique lors du rappel du souvenir épisodique de l’événement traumatique mais aussi non traumatique. En parallèle, la vigilance accrue pour les stimuli négatifs ou menaçants entraîne un biais mnésique ayant pour conséquence le meilleur rappel des informations négatives [9]. Cette hypervigilance génère également des difficultés importantes à désengager l’attention de ces stimuli [13]. Ces difficultés peuvent donc être interprétées comme une diminution des capacités d’inhibition, spécifique aux informations négatives. La difficulté à rappeler le souvenir d’un événement spécifique négatif ou positif est observée constamment dans l’ESPT. Ce manque d’épisodicité des souvenirs est corrélé avec la difficulté des patients ESPT à inhiber toute information en lien avec l’événement traumatique, ainsi qu’avec la sévérité des symptômes [14]. Il est intéressant de noter qu’une perte d’épisodicité des souvenirs autobiographiques mesurée rapidement après l’exposition à un événement traumatique peut être un indice prédictif du développement d’un ESPT six mois plus tard [15]. 48 Corrélats neuro-anatomiques et fonctionnels Les études de neuro-imagerie menées chez des patients ESPT ont permis de révéler des modifications cérébrales anatomiques et/ou fonctionnelles de régions impliquées dans les processus mnésiques, attentionnels et émotionnels, notamment l’hippocampe, l’amygdale, le cortex préfrontal et le cortex cingulaire antérieur, qui pourraient sous-tendre la symptomatologie de l’ESPT. L’hippocampe L’hippocampe est une région cérébrale largement impliquée dans la mémoire épisodique et notamment dans l’encodage et le rappel contextuel des souvenirs [5, 16]. Une diminution bilatérale du volume de cette structure associée à l’ESPT est rapportée après différents traumatismes (combat, abus sexuel durant l’enfance. . .) et pourrait soustendre les troubles de mémoire épisodique (tableau 1) [5]. Il n’est pas encore clairement déterminé si la diminution du volume hippocampique est une conséquence de l’exposition à l’événement traumatique ou s’il représente un facteur de risque de développement d’un ESPT après l’exposition à un événement traumatique. Dans l’optique d’éclaircir ce point, des études s’intéressant à l’impact du stress sur les systèmes neuronaux ont mis en évidence un effet neurotoxique important des glucocorticoïdes (cortisol), hormones sécrétées en réponse au stress, sur les neurones hippocampiques entraînant une réduction de son volume [17]. Dans ce sens, une méta-analyse récente [18] a montré une diminution du volume hippocampique à la fois chez les patients souffrant d’un ESPT et chez les sujets exposés à un événement traumatique mais n’ayant pas développé d’ESPT, en comparaison à des sujets non exposés. Cela suggère que l’exposition à un événement traumatique, même en l’absence de développement d’un ESPT, peut entraîner une atrophie hippocampique. Néanmoins, toutes les études de neuro-imagerie ne sont pas en accord avec cette interprétation. Des études ont comparé des paires de jumeaux monozygotes dont un seul a été exposé à un événement traumatique. Dans ces études, deux groupes de jumeaux étaient comparés : le groupe « ESPT » constitué de patients ESPT et de leurs frères non exposés à l’événement traumatique, et le groupe « témoin » incluant des individus exposés à l’événement traumatique n’ayant pas développé d’ESPT et leurs frères non exposés. De manière intéressante, la comparaison des deux groupes a permis de mettre en évidence une atrophie hippocampique dans le groupe « ESPT » chez les patients de la même façon que chez leurs frères non exposés. Aucune différence du volume hippocampique n’a été retrouvée au sein du groupe « témoin » [19]. Ce résultat suggère que la diminution du volume hippocampique représenterait plus un facteur de vulnérabilité au développement d’un ESPT après l’exposition à un événement traumatique qu’un effet unique de l’exposition. REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES Article de synthèse Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Tableau 1. Relations entre altérations cérébrales et troubles mnésiques dans l’état de stress post-traumatique (ESPT) chez l’adulte. Régions cérébrales Systèmes et processus cognitifs Troubles de mémoire dans l’ESPT Hippocampe Mémoire épisodique Encodage et rappel du contexte Déficit de mémoire épisodique Fragmentation du souvenir Décontextualisation du souvenir Sur-généralisation des souvenirs Amygdale Mémoire émotionnelle Détection de la menace Réponse de peur Hypermnésie des aspects émotionnels négatifs Biais attentionnel en faveur de la menace Cortex préfrontal médian Cortex cingulaire antérieur Régulation attentionnelle Régulation émotionnelle Sentiment d’identité et de la représentation de soi Déficit de régulation de l’attention Déficit de contrôle de la réponse émotionnelle Modification du sentiment d’identité et perception de soi négative L’amygdale L’amygdale joue un rôle crucial dans la détection de la menace, la réponse de peur et, particulièrement, dans la mémoire émotionnelle ainsi que dans la régulation attentionnelle [20]. Aucune modification anatomique de l’amygdale n’a été retrouvée liée à l’ESPT. Cependant, les études de neuro-imagerie fonctionnelle ont révélé une activation exacerbée de l’amygdale en réponse à des stimuli négatifs relatifs ou non à l’événement traumatique [5] et pendant l’acquisition de la peur conditionnée [21]. L’hyperactivation de l’amygdale promouvrait les symptômes de reviviscence et d’hypervigilance. De plus, elle pourrait jouer un rôle dans le biais attentionnel et mnésique en faveur de l’information négative relative ou non à l’événement traumatique, ainsi que dans l’encodage exagéré des aspects émotionnels de l’événement traumatique (tableau 1). Le cortex préfrontal médian et le cortex cingulaire antérieur Les cortex préfrontal médian et cingulaire antérieur jouent un rôle central dans la régulation émotionnelle et la modulation attentionnelle en évaluant la valeur des stimuli grâce à des processus d’inhibition [22]. Ces régions sont également impliquées dans les processus de référence à soi impliqués dans le sentiment d’identité et de la représentation de soi [23]. Au niveau anatomique, l’ESPT est associé à une diminution du volume des cortex préfrontal médian et cingulaire antérieur [5]. Une étude menée auprès de jumeaux monozygotes a mis en évidence que les patients souffrant d’ESPT ont une diminution du volume du cortex préfrontal médian comparés à leurs frères jumeaux non exposés et au groupe témoin exposé à l’événement traumatique mais sans ESPT [24]. Il semble donc que l’atrophie du cortex cingulaire antérieur soit une conséquence du stress chronique lié à l’événement traumatique. Les études menées en neuroimagerie montrent que les patients souffrant d’un ESPT présentent également une diminution de l’activation du cortex préfrontal médian et du cortex cingulaire antérieur durant une tâche impliquant des stimuli négatifs [25]. Ces altérations sous-tendraient l’incapacité à contrôler efficacement l’attention et la réponse aux stimuli négatifs. De plus, une étude récente confirme que la modification du sentiment d’identité et de la représentation de soi observée chez les patients ESPT est corrélée à une activation moins importante du cortex préfrontal médian (tableau 1) [26]. Modèle neuro-anatomique de l’état de stress post-traumatique Le modèle actuel de l’ESPT suggère que l’hypoactivation du cortex préfrontal médian est associée à l’augmentation de l’activité de l’amygdale [5]. Plus précisément, un défaut d’inhibition du cortex préfrontal médian vers l’amygdale (effet top-down) serait à l’origine du biais attentionnel pour la menace, de l’augmentation de la réponse de peur, ainsi que du défaut de régulation émotionnelle. En accord avec ce modèle, l’activation du cortex préfrontal médian est inversement corrélée avec l’activation de l’amygdale, laissant supposer une connectivité fonctionnelle réduite entre ces deux régions (figure 1) [5]. Ce modèle propose également que l’altération anatomique de l’hippocampe sous-tende les déficits de mémoire épisodique, notamment du matériel neutre et des aspects contextuels (périphériques) des événements. Cependant, l’origine de l’atrophie hippocampique reste débattue. REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 49 Article de synthèse Cortex cingulaire antérieur Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Volume réduit Hypoactivation Cortex préfrontal médian Volume réduit Hypoactivation Hippocampe Volume réduit Amygdale Hyperactivation Figure 1. Altérations cérébrales fonctionnelles et anatomiques liées à l’état de stress post-traumatique (ESPT) chez l’adulte. L’ESPT s’accompagne d’une atrophie de l’hippocampe, d’une réduction du volume et des activations des cortex préfrontal médian et cingulaire antérieur, ainsi que d’une hyperactivation de l’amygdale. La connectivité fonctionnelle entre le cortex préfrontal médian et l’amygdale semble réduite et se traduirait par un défaut d’inhibition du cortex préfrontal sur l’amygdale. Théories neuropsychologiques de l’état de stress post-traumatique Deux grandes théories de l’étiologie de l’ESPT sont actuellement discutées dans la littérature : la théorie de la double représentation [8, 27] et la théorie de la régulation émotionnelle [28, 29]. Ces deux théories ont comme intérêt de se fonder sur les caractéristiques cliniques, neuropsychologiques et cérébrales liées à l’ESPT. Théorie de la double représentation Cette théorie propose que le développement de l’ESPT soit dû à un déséquilibre entre un encodage excessif des informations perceptivo-sensorielles et une trop faible représentation contextuelle de l’événement traumatique [8, 27]. Elle suggère qu’un événement est encodé par deux systèmes parallèles selon deux cadres de référence différents. D’une part, le système de mémoire sensorielle (S-memory), mettant en jeu principalement l’amygdale, encode les aspects sensoriels, perceptifs et émotionnels vécus par l’individu selon un cadre de référence égocentré. Les informations sensorielles ainsi encodées ne sont pas accessibles de manière intentionnelle, mais sont réactivées 50 par des états internes ou des indices environnementaux relatifs à l’événement (processus bottom-up) et se traduisent par des images mentales difficiles à verbaliser. D’autre part, le système de mémoire contextuelle (C-memory), dépendant de l’hippocampe, encode le contexte spatial et temporel de l’événement dans un cadre de référence allocentré. Contrairement aux informations sensorielles, les aspects contextuels de l’événement peuvent être rappelés de façon intentionnelle et consciente (processus top-down) et sont facilement verbalisables. Dans des circonstances normales, ces deux systèmes de mémoire interagissent (l’un activant l’autre) pour former une représentation mentale complète et précise de l’événement placé dans son contexte spatiotemporel [8]. Cette proposition est en accord avec les deux types de récupération des souvenirs autobiographiques (générative et directe) proposés par Conway [7], permettant la récollection du souvenir. En revanche, dans l’ESPT, l’atrophie hippocampique aurait pour conséquence un faible encodage de la représentation contextuelle de l’événement traumatique et entraînerait la décontextualisation du souvenir lors de son rappel. Plus précisément, dans ce cas, l’activation des aspects sensoriels du souvenir ne serait pas associée à l’activation des informations contextuelles correspondantes (ou trop faiblement) faisant REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES Article de synthèse que le souvenir ne peut être replacé dans son contexte spatiotemporel. Ainsi, le souvenir n’est accessible que de façon involontaire au travers d’images perceptivo-sensorielles détaillées s’exprimant par des flashbacks ou des cauchemars et faisant revivre à l’individu les aspects émotionnels de l’événement traumatique comme si la menace était imminente [8]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Théorie de la régulation émotionnelle Cette théorie, initialement décrite par Foa et al. [28, 29], propose qu’une altération du traitement émotionnel serait à l’origine du syndrome d’évitement, de l’émoussement de la réactivité générale, de l’anxiété et de l’état affectif négatif associés à l’ESPT. Le stress est un mécanisme adaptatif permettant de fournir une réponse appropriée en cas de menace (affronter ou fuir), néanmoins sa régulation est essentielle car le maintien d’un état de stress peut avoir des conséquences pathologiques. Le développement d’un ESPT pourrait donc être dû à un dysfonctionnement du système de régulation des émotions, notamment du stress, qui entraînerait la persistance inappropriée de la réponse de peur après l’exposition à un événement traumatique [30]. La régulation émotionnelle implique un ensemble de processus cérébraux permettant de moduler l’état émotionnel et la réponse de peur. Le système de régulation émotionnelle met en jeu deux réponses : une réponse rapide de détection de la menace qui implique les régions souscorticales, notamment l’amygdale, et une réponse plus lente des régions corticales, comme le cortex préfrontal et le cortex cingulaire, permettant la régulation de la réponse de peur (inhibition ou maintien de la réponse de peur) par des processus intégratifs et cognitifs [31]. Par ailleurs, l’ESPT est associé à un faible niveau de cortisol basal (hormone glucocorticoïde sécrétée en réponse au stress) et à une grande sensibilité des récepteurs glucocorticoïdes cérébraux qui ont pour conséquence une amplification des effets du stress [30]. En raison de son grand nombre de récepteurs glucocorticoïdes, l’hippocampe est particulièrement sensible à l’augmentation de la libération de cortisol et donc au stress déclenché par un événement traumatique. Cela pourrait perturber la fonction hippocampique et, en particulier, réduire l’encodage du contexte spatiotemporel lors de l’événement traumatique [32].Cette théorie a permis aux auteurs de suggérer une forme de thérapie, la thérapie par l’exposition, pour le traitement de l’ESPT (voir [33] pour une description des différentes thérapies de l’ESPT). Elle est basée sur l’évocation répétée du souvenir de l’événement traumatique dans un contexte sécurisant qui permettrait l’atténuation de l’anxiété permanente des patients ESPT grâce au phénomène d’habituation (réduction progressive de la réponse de peur). Cela permettrait que des informations supplémentaires (aspects contextuels, notamment) soient intégrées au souvenir de l’événement traumatique et ainsi de diminuer les reviviscences involontaires du souvenir puisque celui-ci serait réassocié à son contexte. Grâce au rappel répété, le souvenir deviendrait également plus organisé. Cette thérapie permettrait aussi de diminuer les troubles dissociatifs et de réévaluer la représentation de soi de façon positive. En résumé, la thérapie par l’exposition a pour objectif la réduction de l’anxiété et la restructuration de la mémoire, ainsi qu’une réévaluation positive des actions, des événements et de soi. L’état de stress post-traumatique chez l’enfant L’ESPT n’est pas une pathologie propre à l’adulte mais peut également se développer chez l’enfant victime ou témoin d’un événement traumatique [34]. Bien que l’ESPT de l’enfant soit largement similaire à celui de l’adulte, des particularités dans la symptomatologie dans l’expression des symptômes et également en termes de dysfonctionnements neuronaux ont été mises en évidence. Symptomatologie de l’état de stress post-traumatique de l’enfant [35, 36] Chez l’enfant souffrant d’ESPT, le syndrome de répétition reste, comme chez l’adulte, au cœur de la symptomatologie de l’ESPT bien que sa forme soit quelque peu différente. Les reviviscences sous forme de flashbacks sont moins importantes que chez l’adulte, elles s’expriment préférentiellement par des rêves d’angoisses sans contenu relatif à l’événement traumatique reconnaissable ou par des cauchemars à thème non spécifique. La remise en acte de l’événement traumatique s’observe au travers de jeux répétitifs et compulsifs au cours desquels la dimension de plaisir est absente alors qu’au contraire certains aspects de l’événement traumatique sont présents, sans que l’enfant en prenne conscience. Par ailleurs, l’émoussement de la réactivité générale est rarement retrouvé chez l’enfant. Cependant, il est fréquemment observé un changement d’attitude vis-à-vis des gens, de la vie et de l’avenir, avec notamment un sentiment de vulnérabilité, de méfiance et d’insécurité vis-à-vis des adultes protecteurs. Le syndrome d’hyperactivité neurovégétative, assez comparable à celui de l’adulte, se traduit, chez l’enfant, par des difficultés d’endormissement, une irritabilité et des accès de colère, une hypervigilance et des réactions de sursaut exagérées, des troubles de l’attention et de la concentration. Les comorbidités associées à l’ESPT de l’enfant, fréquentes et nombreuses, comprennent la dépression infantile, les manifestations phobiques sévères, les plaintes somatiques (céphalées, douleurs abdominales) et les phénomènes de régression psychoaffective et comportementale (voir encart 1 pour un exemple de cas clinique). Mémoire et état de stress post-traumatique chez l’enfant Chez l’enfant, comme chez l’adulte, l’ESPT s’accompagne de répercussions délétères du traumatisme sur la REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 51 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Article de synthèse cognition et notamment sur le fonctionnement mnésique. Particulièrement chez l’enfant, ces déficits cognitifs peuvent avoir un impact négatif et prolongé sur le développement émotionnel, social et scolaire [35]. Chez l’enfant présentant un ESPT, il a été retrouvé un déficit de mémoire et de concentration [37]. La littérature montre, comme chez l’adulte, l’existence d’un biais attentionnel en faveur des stimuli en rapport avec le traumatisme. Ce biais en faveur des items négatifs pourrait refléter une hyperréactivité aux stimuli négatifs observée également sur le plan neurophysiologique. Toutefois et de la même façon que chez l’adulte, il existe une hétérogénéité qui demeure encore peu étudiée. Nous nous sommes récemment intéressés à cette variabilité lors d’une tâche de mémoire émotionnelle visuelle intégrant une tâche attentionnelle lors de la phase d’encodage [38]. Nous avons également intégré deux types de stimuli négatifs, certains générant de l’émotion à partir de détails perceptifs (processus bottomup) et les autres, à partir de la signification générale de la scène (processus top-down). Les données obtenues auprès d’adolescents de 13 à 18 ans nous ont permis de distinguer deux sous-groupes (« ESPT+ » et « ESPT- ») de patients (figure 2A et B). Le premier, « ESPT+ », se caractérise par un traitement plus rapide des stimuli lors de la phase A) ESPT + d’encodage à l’exception des stimuli perceptifs dont les détails captent automatiquement l’attention des adolescents et ralentit leur traitement de la même façon que la population témoin. Cette rapidité anormale pourrait révéler un processus adaptatif se traduisant par un évitement contrôlé des stimulations émotionnelles. Les performances observées lors de la phase de restitution indiquent que ces patients se comportent comme les témoins avec une meilleure reconnaissance des stimuli perceptifs (figure 2A). Le second groupe, « ESPT- », présente des troubles attentionnels dès l’encodage. Les adolescents ont des difficultés à engager leur attention sur les stimuli émotionnels. Ce déficit attentionnel ne permettrait pas à ces patients de bénéficier de l’émotion générée par les détails pour améliorer leurs performances en mémoire et entraînerait des fausses reconnaissances d’items négatifs partageant des propriétés conceptuelles similaires (figure 2B). Des analyses supplémentaires récentes suggèrent que ces deux groupes de patients se caractérisent également par des profils psychologiques différents cohérents avec leurs performances cognitives, le premier manifestant davantage de troubles externalisés en rapport avec cette rapidité d’exécution anormale et le second, des troubles internalisés qui pourraient rendre compte des déficits attentionnels. B) ESPT - Génération de I’émotion à partir de détails perceptifs spécifiques (processus bottom-up) Génération de I’émotion à partir de la signification générale (processus top-down) Génération de I’émotion à partir de détails perceptifs spécifiques (processus bottom-up) Encodage Encodage Ignorance/évitement des scènes réelles Capture attentionnelle Difficultés attentionnelles (difficultés à inhiber une tâche routinière pour traiter une scène réelle) Restitution Amélioration de la restitution grâce à la mémorisation des détails spécifiques Génération de I’émotion à partir de la signification générale (processus top-down) Restitution Fausses reconnaissances des items partageant les mêmes propriétés sémantiques identiques aux contrôles Absence d’effet bénéfique des détails perceptifs : pas d’amélioration de la récollection Augmentation anormale des fausses reconnaissances des items partageant les mêmes propriétés sémantiques Figure 2. Génération de l’émotion et mémoire épisodique chez l’adolescent présentant un état de stress post-traumatique (ESPT) : deux profils distincts. Deux groupes de patients peuvent se distinguer : ESPT+ (A) et ESPT- (B). Le groupe ESPT+ traite les scènes visuelles plus rapidement que les témoins de même âge, suggérant que les patients, soit accordent peu d’importance aux scènes réelles, soit les évitent de façon contrôlée. Le groupe ESPT- se caractérise par des difficultés attentionnelles se manifestant par un défaut de désengagement d’un traitement routinier pour se réorienter vers le traitement des scènes réelles. Ces deux groupes obtiennent des résultats différents en mémoire épisodique. Le groupe ESPT+ présente un comportement comparable à celui des témoins alors que le groupe ESPT- obtient des performances de restitution inférieures associées à une augmentation anormale des fausses reconnaissances des items ayant un lien sémantique avec les items cibles. Ces deux profils sont à mettre en relation avec, pour le premier, la présence de troubles externalisés et pour le second, de troubles internalisés. 52 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES Article de synthèse Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Encart 1: L’état de stress post-traumatique (ESPT) chez l’enfant, description d’un cas clinique Extrait de Dayan J. L’agression sexuelle de l’enfant et de l’adolescent. Aspects épidémiologiques, criminologiques et psychopathologiques. Thèse de doctorat de psychologie, Rennes, 2002. Renée, 15 ans, nous a été adressée après un traumatisme d’ordre sexuel. L’ESPT s’est constitué en deux temps, l’examen clinique recueille la symptomatologie au fil du discours. Il sera facile de reconnaître l’expression de l’ensemble des critères du trouble et la comorbidité dépressive et l’allusion aux troubles mnésiques. Habillée avec soin, Renée s’exprime avec calme et pondération. On observe toutefois l’agitation des mains frottées sans cesse l’une contre l’autre. Elle a récemment révélé à son père les violences subies alors qu’elle était âgée de 11 ans : « Il m’a crue mais a été choqué. . . Il m’a dit qu’il fallait que j’essaye d’oublier. Ça m’a choquée, parce que j’ai vu que je ne pouvais pas oublier ». L’ESPT se constitue en deux temps. Le premier est marqué par un syndrome de répétition isolé : « J’y pensais tous les jours. . . Je m’en suis voulue à moi. . . mais je ne sais pas de quoi ». Le trouble s’aggrave nettement peu de temps après la révélation des faits, soit quatre ans plus tard. La révélation met en pleine lumière le traumatisme qui avait été plus ou moins mis à l’écart de la conscience. Cet éclairage n’est pas toujours supportable : « Depuis, j’y pense tous les jours. . . Je fais des cauchemars souvent. Dans le cauchemar, il fait quelque chose sur des amis à moi et moi je suis seulement témoin. J’ai fait ce cauchemar trois fois l’an dernier et puis il y a trois semaines ». L’ESPT se constitue : les cauchemars répètent la scène traumatique légèrement déformée ou déplacée sur d’autres personnages, apparaissent des réminiscences diurnes, répétées et quotidiennes qui entraînent une sensation pénible de malaise, survenant le plus souvent de façon inopinée. Elle fait part aussi d’un syndrome anxieux et dépressif contemporain de la révélation des faits à son père : « J’étais perturbée, je ne dormais plus, je prenais des somnifères et des calmants pour dormir. C’est aussi depuis cette date que je me ronge les ongles. Je ne le faisais pas avant ». L’adolescente cherche à fuir les représentations insupportables et retrouver une maîtrise de sa vie psychique par les mortifications et les tentatives de suicide : « Je me scarifie. Une fois, j’ai vraiment voulu me suicider en m’ouvrant les veines. J’étais presque fière de moi, de me scarifier ». Elle espérait de ces gestes suicidaires un soulagement alors qu’elle était elle-même « sinistre, ayant tendance à voir les choses en noir ». Cette vision pessimiste du monde, cette anticipation négative a surgi en même temps que la révélation des faits. Neuro-imagerie de l’état de stress post-traumatique chez l’enfant Actuellement, peu d’études en neuro-imagerie ont été réalisées chez l’enfant souffrant d’un ESPT. Les corrélats neuropsychologiques de l’ESPT de l’enfant ne sont donc, aujourd’hui, pas encore clairement identifiés, mais quelques hypothèses peuvent tout de même être formulées et orientent les recherches futures. Contrairement aux adultes présentant un ESPT après un événement traumatique s’étant produit durant l’enfance, les enfants souffrant d’ESPT n’ont aucune diminution du volume hippocampique, ce qui suggère l’implication de facteurs développementaux liés au stress dans l’altération hippocampique observée chez l’adulte [39]. Dans ce sens, une étude longitudinale a mis en évidence que la sévérité des symptômes et le niveau de cortisol sont des prédicteurs de la réduction du volume hippocampique 12 à 18 mois plus tard [40, 41]. La grande variabilité des résultats mis en évidence par les rares études de neuro-imagerie fonctionnelle chez l’enfant, probablement due à l’utilisation de tâches très diverses, ne permet pas aujourd’hui de décrire un profil de dysfonctionnements cérébraux spécifique à l’ESPT de l’enfant. Par exemple, une réduction de l’activation du cortex cingulaire antérieur a été retrouvée durant une tâche de remémoration de l’événement traumatique [42] ; alors qu’une hyperactivation du cortex préfrontal médian était associée à une tâche d’inhibition [43]. Conclusion La mémoire et l’identité sont au cœur de la pathologie de l’ESPT. Cette pathologie se distingue par la combinaison particulière d’une hypermnésie des aspects émotionnels de l’événement traumatique et d’une faible mémorisation de son contexte. À l’heure actuelle, la description de l’ESPT chez l’adulte est bien établie et permet de révéler un profil particulier d’altérations cérébrales des régions impliquées dans la mémoire et la régulation émotionnelle (l’hippocampe, l’amygdale, les cortex préfrontal médian et cingulaire antérieur) sous-tendant les dysfonctionnements mnésiques. Cependant, des investigations supplémentaires sont nécessaires pour affiner les modèles descriptifs de la pathologie, notamment en caractérisant plus précisément les différents types d’ESPT comme par exemple l’ESPT complexe (ESPT associé à des troubles dissociatifs importants). Les comorbidités fréquentes de l’ESPT seront également un aspect important à prendre en compte dans les investigations futures. De plus, quelques études ne retrouvent pas les altérations cérébrales décrites généralement dans l’ESPT et laissent supposer que des différences pourraient être dues au type de traumatisme, à la gravité des symptômes ou au genre. Par exemple, une étude récente met en évidence une préservation des volumes sous-corticaux chez des femmes souffrant d’un ESPT relatif à REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 53 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Article de synthèse un abus sexuel [44]. Au contraire, les travaux chez l’enfant sont peu nombreux et ne permettent pas actuellement de proposer un modèle explicatif de l’ESPT de l’enfant. Les modifications structurales et fonctionnelles des régions cérébrales décrites dans l’ESPT peuvent être des indicateurs de la sévérité des symptômes mais également de l’évolution de la pathologie et de la réponse à la thérapie. Des corrélations entre les dysfonctionnements neuronaux associés à l’ESPT et la sévérité des symptômes ont été rapportées. Ainsi, plus les symptômes sont importants, plus les volumes de l’hippocampe, du cortex préfrontal médian et du cortex cingulaire antérieur sont réduits, et plus l’hyperactivation de l’amygdale et l’hypoactivation du cortex préfrontal médian sont importantes. Une étude longitudinale met notamment en évidence que l’hyperactivation de l’amygdale est un signe prédictif significatif d’une faible réponse à la thérapie cognitivocomportementale. Inversement, le degré d’amélioration des symptômes après une thérapie cognitivocomportementale est associé à une aug- mentation d’activation du cortex cingulaire antérieur [45]. Ces résultats soulignent l’importance de proposer une approche intégrative pour mieux comprendre cette pathologie [46]. Par ailleurs, ce type d’approche pourrait permettre de mieux définir la spécificité des différentes altérations liées à l’ESPT dans l’objectif de caractériser des biomarqueurs qui informeraient sur le pronostic et aideraient dans la prise en charge de la pathologie. Remerciements Les auteurs remercient Béatrice Desgranges et Grégory Lecouvey pour les relectures de l’article, Renaud La Joie pour son aide à la réalisation de la figure 1 et Shailendra H. Segobin pour la relecture de l’abstract. Conflits d’intérêts Aucun. Références 1. American Psychiatric Association. DSM-IV-TR diagnostic and statistical manual of mental disorders, 4th ed., revised. 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