Addictions et ESPT Complexe: Place de l’EMDR Dr Emmanuelle RAPPARD Psychiatre, Addictologue Formée à l’EMDR Institut Camille Miret, Leyme (46) • Expérience de 18 mois dans un service d’addictologie en hôpital psychiatrique • Prenant en charge les comorbidités psy • 1 patient sur 3 au moins présente un ESPT • L’évocation du traumatisme est parfois tardive (lors des réhospitalisations) • Repéré souvent sur des troubles du sommeil (cauchemars) Données épidémiologiques • Conduites addictives = deuxième trouble comorbide associé à l’ESPT après la dépression • Pour Stewart et al., (2000) de 30 à 59% des patients traités pour usage de drogues présentent un ESPT • La comorbidités addiction - ESPT entraîne un facteur de risque élevé de rechutes • Pour Ouimette et coll en 2003 • De 22% à 33% des patients qui consultent pour un TLUS rencontrent tous les critères permettant de poser un diagnostic d’ESPT. • Lorsque l’on ne considère que les femmes de cette population, la prévalence de la comorbidité s’accroît encore pour atteindre de 30 à 59% selon les études • Plusieurs études Nord américaines ayant étudié les populations d’anciens combattants du Vietnam notent le maintien après la fin des combats d’une dépendance aux drogues dures, cette dépendance étant considérée comme une « adaptation » face à l’ ESPT, le toxique jouant le rôle d’amortisseur psychique. • Sigward considère que l’addiction peut représenter une tentative de « solution » pour faire face aux : – Reviviscences ressenties comme incontrôlables et dangereuses – Peurs du moment de l’endomissement – Cauchemars – Anxiété, dysphorie – Affects négatifs dans les relations interpersonnelles • Mais la consommation de substances psycho-actives masque les symptômes de l’ESPT et • L’ ESPT favoriserait chez les patients ayant une addiction : – Le besoin impérieux de consommer – Des consommations plus importantes – Des efforts accrus pour se procurer des drogues • Selon RAVITT M. (2003); le manque tout comme l'ingestion de la substance provoquerait un traumatisme artificiel. • Elle nomme ce traumatisme: «traumatisme de couverture » et en précise la fonction : protéger le sujet par rapport à toutes les autres excitations provenant de l'environnement extérieur et de son monde interne. Le nouveau traumatisme géré en dehors du psychisme prend valeur traumatolytique. » Pour Marc Valleur • La prise de risque initiale du toxicomane serait la reproduction de situations extrêmement dangereuses , traumatiques, vécues dans l’enfance • Le but de la prise de produit serait de transformer une expérience terrifiante en situation prévisible et routinière… Particularité du sevrage chez les ESPT : • L’abstinence confronte le sujet aux conflits internes et externes que les consommations masquaient. • l’arrêt de « l’anesthésie » peut entraîner une dissociation péri-traumatique en cas de reviviscence de l’événement traumatique • Des angoisses dépressives , une dépression, une dysphorie peuvent survenir. • Une utilisation « contrôlée » de substances psychoactives ou l’utilisation sur prescription de médicaments psychotropes peut alors être utilisée comme une dissociation « chimique » recherchée par le patient • L’aggravation de l’ESPT suite au sevrage est un facteur important de reconsommation • Le fait de traiter en parallèle l’ESPT réduirait le recours aux consommations Traumas type I et II – Type I • Evènement traumatique accidentel • Chez l’adulte • ESPT – Type II • • • • Traumatisation sévère et répétée Dans l’enfance Pendant les années de développement ESPT complexe ou Etat de stress extrême non spécifié (ESENS) (DESNOS) ESPT Complexe • Critères du trauma complexe selon HERMAN (1992) • Un antécédent d'assujettissement à un contrôle totalitaire sur une période prolongée (mois ou années). • Des troubles de l’affect et de la régulation des affects • Des attitudes existentielles dépressives • Perturbation de la relation aux autres et à soi même. • Difficulté à l’évocation des souvenirs traumatiques (somatisation, symptômes dissociatifs) • Ce trouble permet de mettre sur un même plan les séquelles de population en apparence assez éloignées : • les personnes victimes de traumatismes subis pendant l'enfance (maltraitance, agressions sexuelles...), • les victimes de violence conjugale sous emprise d'une part , et • les personnes victimes d'autres assujettissement à un contrôle totalitaire tels que • les rescapés de sectes, les survivants de camps de concentration, de prises d'otages. • . • Ces deux types de population ont eu à affronter des événements traumatiques qui ont la particularité d'avoir été • intentionnels et perpétrés par un autre être humain de manière répétée. • Les autres critères sont les symptômes qui résultent généralement de la victimisation chronique, comme les changements dans : • La régulation des émotions, ce qui peut se traduire par une tristesse persistante, des pensées suicidaires, une colère explosive ou refoulée. • L’état de conscience comme l’oubli ou la reviviscence des évènements traumatiques ou des épisodes de détachement de son propre esprit ou de son corps (dissociation traumatique). • La perception de soi, ce qui peut se traduire par un sentiment d’impuissance , de honte, de culpabilité , de stigmatisation ou encore par le sentiment d’être complètement différent des autres. • La perception d’une attribution d’une autorité totale à l’auteur du traumatisme ou une préoccupation soudaine par rapport à sa relation avec l’auteur, dont un désir de vengeance. • Les relations avec les autres, y compris l’isolement, la méfiance ou la recherche constante d’un sauveur. • Le système de croyances et de valeurs comme la perte de la foi ou le désespoir. Troubles et régulation de l’affect • Changements d’humeur – Sentiment incontrôlable de rage de colère ou de tristesse • Capacité réduite à se tranquilliser – Les patients traumatisés vivent les stresseurs actuels liés au traumatisme avec une intensité émotionnelle qui appartient au trauma d’origine – Sensibilité physiologique exacerbée aux bruits, images, et pensées liées à des éléments spécifiques rappelant le trauma – Ils sont ainsi continuellement retraumatisés dans la vie courante Pour tenter de compenser leur hyper-sensibilité et réactivité: • Les patients traumatisés • Evitent les stimuli qui rappellent le trauma – À un niveau comportemental – En gelant leurs émotions • Ils emploient une variété de méthodes pour retrouver le contrôle de l’auto régulation émotionnelle. – La plupart de ces méthodes sont autodestructrices Méthode visant à retrouver le contrôle de l’auto-régulation des affects: • • • • • Auto-mutilations Tendance au suicide Comportement à risque Alimentation compulsive, purges Consommation de drogues et abus d’alcool. Attitudes existentielles dépressives • Absence de perspectives futures – Désespoir et impuissance • Perte de convictions et de valeurs de base – Perte de croyance antérieurement aidantes – Démantèlement de la vision du monde Perturbation des relations aux autres • Atteinte de la capacité fondamentale à faire confiance • Altération dans la perception de l’agresseur – Distorsion des croyances, idéalisation de l’agresseur • Compulsion de répétition du trauma: tendance à la revictimisation • Compulsion à répéter le trauma: tendance à victimiser les autres – Identification à l’agresseur – Transmissions intergénérationnelle du trauma Perturbation dans la relation avec soi même • Prise en charge de soi insuffisante • Sentiment d’être abîmé pour toujours • Sentiment chronique de culpabilité et de honte • Faible estime de soi • Auto-condamnation • Sentiment d’inefficacité et d’impuissance • Sentiment d’isolement Difficulté avec l’évocation des souvenirs traumatiques • • • • • Somatisation Symptômes dissociatifs Amnésie Dépersonnalisation Troubles dissociatifs non spécifiés ESPT complexe et addiction • Les violences, particulièrement quand elles sont répétées, comme les violences intra-familiales de l'enfance ou les violences conjugales sont à l'origine de la mise en place de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui font disjoncter le circuit émotionnel au niveau cérébral (avec production de drogues endogènes dures), • la réponse physiologique au stress s'éteint et une anesthésie émotionnelle et physique s'installe avec un état dissociatif (de conscience altérée) et des troubles de la mémoire: amnésie de tout ou partie de l'événement à partir de la déconnexion) et mémoire traumatique (mémoire émotionnelle piégée, isolée, non intégrée) véritable bombe à retardement, qui peut s'allumer à l'occasion de toute situation rappelant inconsciemment tout ou partie de l'événement jusqu'à des dizaines d'années après l'événement. • Dans de très nombreuses situations, le moindre lien avec les violences subies est susceptible de faire "exploser" cette mémoire traumatique sans possibilité de comprendre l'origine de cette détresse, ni de la calmer, rendant nécessaire la mise en place de conduites d'évitement handicapantes. • Quand ces dernières sont mises en échec, seules des conduites dissociantes souvent paradoxales peuvent calmer cet état, il s'agit de refaire disjoncter le circuit émotionnel en augmentant le stress ( conduites auto-agressives, conduites à risques, conduites addictives, conduites de dépendance à un agresseur qui par le risque, la terreur qu'elles produisent sont à même de le faire disjoncter ).. • Ces conduites dissociantes qui s'imposent aux victimes et dont elles ne veulent surtout pas, sont pour elles incompréhensibles, très douloureuses, stigmatisantes et déroutantes pour leur entourage et les professionnels qui les aident, elles sont responsables d'un important sentiment de culpabilité et de la très grande difficulté qu'ont les victimes de violences de se séparer de leur agresseur Particularité et importance de la relation thérapeutique • Les sujets victimes d‘ESPT complexe, de par leur histoire d’abus, imposent de mettre en place une relation thérapeutique SECURE • Le travail sur le traumatisme ne peut s’engager qu’une fois la relation sécure établie • Mettre en place cette relation peut demander du temps… La demande d’aide • Elle peut être ambivalente et anxiogène (shémas d’abus/confiance) • Transfert et contre transfert peuvent générer agressivité ou abandon… • Elle nécessite disponibilité et persévérance… • Elle nécessite du temps tant pour le patient que le thérapeute avant de s’orienter vers un travail sur le ou les traumas EMDR et traumatisme complexe 1- Stabilisation initiale (en particulier construction de la relation thérapeutique) 2 -Amélioration de la régulation des affects 3- amélioration des relations, en particulier amélioration constante de la relation thérapeutique (parfois > 1 an) 4- plan de ciblage standard inversé - futur proche (stress de la vie quotidienne) - présent (déclencheurs) - passé (dans la dernière phase) -Matériel traumatique secondaire -Matériel traumatique primaire En conclusion • EMDR peut être très rapide pour l’ESPT simple • Long et difficile pour l’ESPT complexe • Si l’on dispose du temps nécessaire, expérience vécue comme une reconstruction salvatrice pour le patient (bcp ont évoqué une renaissance…) Risque pour la précarité • Précarité plus en lien avec des traumatismes complexes? • Plus il y a de traumatismes , plus le traitement sera long • Si prise en charge multifocale, envisager un traitement « de fond » • Si absence de temps, cf recommandations P.Brillon… à savoir Pour P.Brillon • Si l’on dispose de peu de temps: Privilégier: • Une évaluation des séquelles et des difficultés de la victime • Psychoéducation afin de favoriser la compréhension de ce qu’elle vit • Une aide à la gestion émotionnelle pour l’aider à s’apaiser • Une référence à un thérapeute compétent qui pourra prendre en charge le patient quand il sera prêt …