L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement moral et comportement éthique en milieu de travail Julie Ménard, Karine Racicot et Marie-Pierre Simard2 Résumé Le thème de l’éthique a été peu exploité en psychologie organisationnelle. Les scandales financiers qui ont ébranlé le monde des affaires ces derniers temps (Enron, Worldcom, Cinar, etc.) ont mis en relief l’importance d’un climat éthique sain dans les organisations. Ainsi, les praticiens devraient avoir accès à des instruments francophones permettant de mesurer le niveau d’éthique d’un individu. C’est pour combler cette lacune que des instruments de mesure ont été créés et validés afin de mesurer l’éthique organisationnelle de justice et de sollicitude. Les scandales économiques dus à la malhonnêteté de certains acteurs organisationnels ont fait manchette, plus souvent qu’autrement, au cours des dernières années. Dans cette perspective, il peut être intéressant de chercher à connaître ce qui pousse un individu à adopter des modèles de comportements particuliers laissant transparaître un certain degré d’éthique. Se questionnant sur les facteurs déterminant l’éthique individuelle en milieu de travail, le présent article tente de vérifier si le niveau de développement moral atteint par un acteur organisationnel a un impact sur ses agissements au travail. L’éthique en milieu de travail peut se définir comme : le niveau de développement moral de l’acteur organisationnel qui, en lien avec ses croyances individuelles, guide ses comportements teintés de justice et/ou de sollicitude dans son milieu de travail. Dans un premier temps, la théorie du développement moral de Kohlberg, théorie ayant préalablement guidé la réflexion sur l’éthique liée à la justice en milieu de travail, sera exposée. Il sera question de ses principes théoriques, du lien qu’elle établit avec le comportement et des critiques qui lui sont portées. Ensuite, compte tenu que l’éthique en milieu de travail se veut aussi liée à des 2 Il importe de souligner que les noms ont été mis par ordre alphabétique et non par ordre de contribution. Chaque auteur a contribué de façon équivalente dans la rédaction de cet article. 102 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement principes de sollicitude, il importe de considérer les travaux de Gilligan à ce sujet. Puis, en fonction des principes théoriques explicités, afin de faire état de la valeur éthique d’un individu et pour exploiter l’idée que le niveau de développement moral a un impact sur cette valeur, certains instruments de mesure du développement moral sont privilégiés et une brève description en sera faite. En d’autres termes, une question demeure : « Comment évaluer le degré éthique d’un acteur organisationnel? ». Modèle de Piaget La notion de développement moral a d’abord été introduite par Jean Piaget. Largement influencée par l’approche cognitive développementale, cette théorie stipule que « la logique est une morale de la pensée, comme la morale est une logique de l’action » (Piaget, 1932 dans Tostain, 1999). La morale et l’évolution intellectuelle chez une personne sont donc liées (Gibbs, 1991,1992; Tostain, 1999). En effet, les stades de développement intellectuel sont associés à des stades de développement moral. Pour Piaget, la moralité implique le respect de règles. Le développement moral se fait en deux stades successifs: la morale hétéronome et la morale de l’autonomie et du respect mutuel. D’abord, au stade d’hétéronomie, l’enfant est égocentrique et respecte les règles parentales par affection et par crainte. À ce stade, il fait preuve de réalisme moral. Ainsi, une règle est une loi sacrée provenant des adultes et doit donc être suivie à la lettre. (Duska et Whelan, 1975; Tostain, 1999). Ensuite, au stade d’autonomie et de respect mutuel, le développement cognitif et la socialisation mènent à la décentralisation, processus constructif où il y a un changement de jugement. L’attention n’est plus portée aux aspects les plus saillants ou intéressants d’une situation, mais à la situation dans son ensemble. Cette décentralisation est liée à l’acquisition du raisonnement opératoire et du principe de réciprocité: les relations sont maintenant réversibles. (Gibbs, 1991,1992). Il s’attribue désormais un statut égalitaire: il doit respecter les autres et vice versa (Duska et Whelan, 1975; Tostain, 1999). Modèle de Kohlberg Kohlberg est probablement l’auteur le plus connu en ce qui a trait au développement moral. Il est à l’origine d’un modèle qui a fait de lui une des références Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 103 les plus importantes en psychologie morale et qui a inspiré de nombreux auteurs (Gibbs, 1991,1992; Gilligan, 1982; Hoffman, 1976). Base théorique À l’instar de Piaget, la morale est, pour Kohlberg, une construction cognitive individuelle et progressive (Tostain, 1999). L’individu devient de plus en plus mature au cours de son développement cognitif. Effectivement, plus l’individu est mature, plus sa moralité sera interne, c’est-à-dire basée sur des principes moraux choisis par l’individu lui-même. Une moralité externe, soit une moralité basée sur les normes établies par autrui (la société ou l’autorité), est un signe d’immaturité selon Kohlberg. L’individu passe par des stades invariablement successifs à travers lesquels la morale progresse du superficiel (orientation morale externe) au profond (orientation morale interne). Les stades sont des intégrations hiérarchiques, suivant le principe cognitif développemental selon lequel un stade sera bâti sur le précédent. Or, seulement une minorité se rendra au dernier des six stades. Ces stades sont regroupés en trois périodes (voir tableau 1). Dans un premier temps, la période préconventionnelle précède la compréhension et l’acceptation des conventions sociales. Elle est surtout présente chez les enfants de moins de 9 ans et chez certains adolescents et adultes qui ont commis des offenses criminelles. Cette période correspond aux stades I et II. Le stade I fait référence à la moralité hétéronome où l’individu obéit aux règles par crainte de punition (ex. : ne pas voler par crainte d’aller en prison) et perçoit l’autorité comme un pouvoir supérieur auquel on doit obéir, alors que le stade II renvoie à l’individualisme, à la relation instrumentale et à l’échange où l’individu sert ses propres besoins dans un monde où il reconnaît que les autres servent également leurs propres intérêts (ex. : voler parce que l’individu est dans le besoin). Ce qui est bien est ce qui est juste, réciproque, en terme d’échange. Dans un second temps, la période conventionnelle, période à laquelle une majorité d’adultes et d’adolescents terminent leur développement moral, il y a conformisme aux attentes et conventions de la société et de l’autorité, seulement pour le fait que l’on doit obéir aux règles. Elle correspond aux stades III et IV. Au stade III, l’individu a des attentes interpersonnelles mutuelles et fait preuve de conformité interpersonnelle. Les relations sont importantes; ainsi l’individu veut être bon à ses yeux et aux yeux des autres et émet, par le fait même, des stéréotypes de bons comportements ( ex. : ne pas voler parce que les gens vont penser qu’il s’agit d’une mauvaise personne). Au stade IV, l’individu accorde de l’importance au maintien du système social et à la Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 104 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement conscience sociale. Il a le souci de bien faire fonctionner la société, de maintenir l’ordre social. Les lois doivent être suivies impérativement (ex. : ne pas voler parce que la société ne fonctionnerait pas si tout le monde le faisait), sauf dans des cas extrêmes où celles-ci entrent en conflit avec d’autres devoirs sociaux. Finalement, la troisième période est la période postconventionnelle où l’individu formule et accepte des principes moraux généraux qui sont sous-jacents aux règles et où l’individu est indépendant face à l’approbation sociale. Seulement une minorité d’adultes atteint cette période et, lorsque c’est le cas, c’est surtout après l’âge de 20 ans. L’individu qui a atteint le stade V accorde de l’importance au contrat social, à l’utilité des règles et aux droits individuels. Il stipule que les règles sont relatives et doivent être respectées de façon impartiale. Les règles sont présentes dans un but utilitariste, pour le bien-être et la protection des droits du plus grand nombre (ex. : voler parce que la loi ne tient pas compte du cas d’extrême besoin de l’individu ; ce n’est pas bien, mais la fin justifie les moyens). Celui qui a atteint le stade VI souscrit à des principes éthiques universels. Il est engagé face à lui-même et suit les règles qu’il s’est dictées, en accord avec ses principes (ex. : ne pas voler parce que cela va contre ses principes, ses standards d’honnêteté). Le respect mutuel et la confiance sont importants pour lui (Gibbs, 1991, 1992; Kohlberg, 1969, 1976, 1981, 1984; Tostain, 1999). Kohlberg (1969, 1976, 1981 et 1984) voit le développement moral comme un processus ne pouvant être mesuré que par des dilemmes moraux. La personne doit être confrontée à un conflit interpersonnel ou un conflit d’intérêts et prendre position par rapport à ce dilemme. Une personne sera classée comme appartenant à une période et à un stade précis en fonction de la justification qu’elle apportera à sa décision morale. Par exemple, un individu qui ne volera pas dans le seul but d’éviter d’aller en prison sera considéré comme appartenant au niveau préconventionnel et adhérant au stade 1 (voir tableau 1). Les cas ou dilemmes moraux sont caractéristiques de la mesure du développement moral puisqu’il repose sur la prise de rôle dans une situation morale (Gibbs, 1991,1992; Kohlberg, 1969,1976,1981,1984; Tostain, 1999). Enfin, d’après Kohlberg, la motivation morale est basée sur la justice, l’égalité et la réciprocité (Gibbs, 1991; Kohlberg, 1981,1984). C’est pour cette raison qu’on dit de Kohlberg qu’il traite d’éthique de la justice soit de l’éthique de la distribution des droits et devoirs, régulée par les concepts d’égalité et de réciprocité. Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 105 Tableau 1: Les stades et niveaux de développement moral selon Kohlberg (1969, 1976, 1981, 1984,1986) et Petrick & Quinn (1997) (traduction libre) Description Exemple en milieu de travail Orienté vers la punition et l’autorité Obéissance aux règles dans le seul but d’éviter les punitions Je ne désobéirai pas au patron, car il peut m’aider à faire avancer ma carrière. 2 : Orienté vers l’échange Obéissance aux règles dans le but d’obtenir des faveurs ou des gratifications Je vais l’aider seulement parce qu’elle peut m’aider à faire avancer ma carrière. 3 : Orienté vers le maintien des bonnes relations et l’approbation des autres Obéissance aux règles dans le but d’éviter la désapprobation des autres, pour être aimé des autres Je vais aller selon mon groupe de travail, pas parce que je suis en accord avec mon groupe, mais parce que je veux être accepté. 4 : Orienté vers le respect de la loi et le maintien de l’ordre Obéissance aux règles pour éviter la réprobation des autorités ; importance de faire son devoir pour pr éserver l’ordre social ( la loi, c’est la loi; devoirs = lois ) Je vais me contraindre aux politiques de la compagnie, même si cela implique un sacrifice personnel et entraîne la désapprobation de mon groupe de travail parce que c’est bien de respecter l’autorité légitime et hiérarchique au travail. POSTCONVENTIONNEL 5 : Orienté vers le contrat social Respect des règles en fonction de principes moraux reconnus comme essentiels au bien-être de la société ; importance du respect des pairs ( désir de changer les lois ) Je vote et participe à des processus qui tiennent compte des désirs de la majorité au travail et je supporte les décisions de la majorité, même si cela conteste l’autorité légitime, entraîne la désapprobation de mon groupe de travail et/ou me cause des difficultés personnelles, et ce, tout en tolérant le point de vue de la minorité. 6 : Orienté vers les principes d’éthique universels Respect des règles choisies de façon individuelle (justice, réciprocité, égalité ) sans tenir compte des contraintes légales ou de l’opinion des autres (justice pour tous et droits de la personne ) J’utilise mes principes éthiques pour clarifier, justifier et/ou critiquer les politiques de ma compagnie même si ces politiques sont supportées par la majorité au travail, renforcées par l’autorité légitime, acceptées par mon groupe de travail et/ou me causent des difficultés personnelles. Niveau Stade PRÉCONVENTIONNEL 1: CONVENTIONNEL Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 106 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement Niveau de développement moral et comportement Selon la documentation, les études tentant de vérifier le lien empirique entre le niveau de jugement moral atteint par un individu et ses comportements spécifiques associés n’abondent point dans un même sens. Par ailleurs, avant d’en exposer les principales conclusions, il importe de présenter la relation théorique entre le jugement et l’action morale proposée par Kohlberg et Candee (Kohlberg et Candee, 1984 dans Kurtines et Gerwitz, 1984) et décrite brièvement par le modèle que voici : Figure 1 : Modèle de la relation du jugement moral à l’action morale3 Fonctions I Interprétation et sélection de principe II Prise de décision III IV Jugement de responsabilité ou obligation Par exemple, attention délai de gratification Stade moral Choix déontique Cognitions Action morale Type moral Selon Kohlberg et Candee (1984), tel que présenté préalablement, le niveau de jugement moral atteint par un individu réfère aux structures cognitives qui le sous-tendent et par lesquelles il analyse une situation d’ordre moral. De cette analyse et perception, il établit les principes, par exemple plus universels dans le cas d’un individu de stade V, qui seront sous-jacents à l’action à poser; tout ceci en fonction des étapes suivantes (fonction I). Le choix déontique (fonction II), soit le jugement de ce qui est bien de faire, ainsi que le jugement de responsabilité ou d’obligation (fonction III), soit le fait d’agir ou non dans le sens décrété comme étant bien et la justification de ce comportement, sont influencés par le stade atteint par le sujet. En ce sens, tel que soutenu par Kohlberg, l’étude de McNamee (1978) démontre que plus un sujet se trouve à un niveau élevé de développement moral, plus il agit conformément au jugement déontique effectué préalablement. Ceci serait expliqué par l’ampleur du jugement de responsabilité qui augmente avec le développement du jugement moral (Kohlberg et Candee, 1984). Ainsi, un sujet au stade V se sentirait obligé 3 Traduction libre de Kohlberg & Candee, 1984, dans Kurtines & Gerwitz 1984. Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 107 d’aider une personne en détresse, portant la responsabilité d’opérer le choix déontique posé (ex.: intervenir si un collègue en harcèle un autre parce que c’est ce que l’on juge qu’il se doit d’être fait puis, en étant témoin, on porte la responsabilité de ne pas laisser un être humain se faire traiter ainsi), tandis qu’un sujet au stade II agirait de façon plutôt instrumentale, soit en fonction des avantages qu’il retirerait ou non de la situation (ex. : être témoin d’une situation de harcèlement et juger que quelqu’un devrait intervenir, mais se dire que le tout ne nous regarde pas et que nous préférons ne pas nous attirer d’ennuis). Toujours selon le modèle exposé, la quatrième fonction représente les facteurs non moraux relatifs au sujet qui pourraient entrer en jeu dans l’émission d’un comportement moral et ce, parallèlement aux jugements établis (ex.: Q.I., attention, délai de gratification, etc.) (Grim, Kohlberg et White, 1968). Malgré les affirmations de Kohlberg, les résultats de plusieurs études sont trop contradictoires pour affirmer un lien empirique évident et fort entre le niveau de développement moral et des types spécifiques de comportements, sans pour autant nier totalement son existence. Une compilation de ces diverses recherches fait ressortir que les comportements étudiés en lien avec le développement moral se divisaient principalement en cinq catégories (Kupfersmid et Wonderly, 1980). Voir le tableau 2 à la page suivante. L’association entre le jugement moral et le comportement n’étant pas clairement établi, Kupfersmid et Wonderly (1980) émettent des doutes, quant aux études ici relatées, à propos de certains facteurs pouvant en affecter les résultats. Par exemple, les auteurs nomment: l’utilisation de peu de sujets postconventionnels, peu d’adultes et de femmes dans l’échantillon et une limitation de l’étendue des comportements à l’étude. De ce fait, ils suggèrent des comportements qui pourraient être mesurés chez des adultes; celui qui retient notre attention est le suivant: les habitudes désirables et indésirables au travail. Dans cette perspective, la définition de l’éthique en milieu de travail employée dans la présente recherche tente d’établir que le niveau de jugement moral atteint par un acteur organisationnel influe en grande partie sur le type de comportements au travail qu’il adopte. Ainsi, se basant sur la théorie du jugement moral de Kohlberg, il importe de mesurer si la structure de pensée morale atteinte par un individu peut être associée à des comportements qui lui sont qualitativement propres. Advenant à de telles corrélations, il serait possible d’instituer que le niveau de développement moral représente un bon prédicteur de certains comportements; les instruments de mesure employés seront ultérieurement présentés. Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 108 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement Tableau 2 : Études établissant le lien entre les comportements et le niveau de développement moral de Kohlberg4 Comportements Kohlberg Résister à la tentation (mesure de la tricherie) ? Schwartz (1969) a montré que 17 % de ceux qui ont un niveau élevé de dév. Kohlberg affirme que les étudiants moral ont triché et 53 % de ceux qui au niveau postconventionnel de la ont un niveau bas. moralité résistent plus à la tentation ? Deux autres études n’ont trouvé aucune de tricher. relation significative dans le comportement en fonction du raisonnement moral (Fodor, 1972; Santrock, 1975) ex. : ne pas écrire un nombre d’heures de travail plus élevé sur sa feuille de temps, même si l’on n’est pas surveillé. Résister à l’influence sociale et à l’autorité ex.: ne pas fausser les chiffres même si le patron insiste à l’effet de camoufler certains gains. Des normes pleinement internalisées devraient déterminer le comportement, même quand il est en conflit avec une autorité externe (Kohlberg, 1963). Résultats ? Dans l’étude de Milgram, 75 % des sujets du stade 6 auraient refusé de continuer l’expérience, plutôt que d’appliquer le choc extrême, alors que 13 %seulement ne se sont pas confirmés chez les autres stades. ? Podd (1972) a reproduit la situation de Milgram avec 134 personnes et n’a trouvé aucune différence significative. ? Cinq autres études ont montré que la résistance à la pression sociale était en lien avec le stade de dév.moral. ? Des étudiants arrêtés durant le mouvement « Free Speech sit-in » à Le comportement politique est l’Université de Californie à Berkeley Activisme étudiant avaient un stade 6 de dév.moral dans 80 % ex.: aller manifester pour la lourdement influencé par le jugement moral (Kohlberg & des cas. (Haan et al., 1968) paix entre collègues. Turiel, 1971, p.464) ? D’autres résultats remettent en doute l’influence de la maturité morale sur le comportement politique. Comportements prosociaux ex. : écouter un collègue qui a des problèmes Comportements antisociaux ex.: faire des blagues racistes au travail 4 ? Des supports à la théorie de Kohlberg sont observés lorsque l’on utilise l’entraide comme variable dépendante. Ils voient une diff. significative selon de niveau de maturité morale. (Schwartz et coll., 1969) ? Trois études ont comparé le raisonnement moral des délinquants et non-délinquants et ont montré que les premiers avaient un niveau de raisonnement moral plus haut. (Fodor, 1971; Fodor, 1972) ? D’autres résultats ne supportent pas cette conclusion (Prentice and Jurkovic, 1973) Kupfersmid & Wonderly (1980) Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 109 Niveaux de développement moral et leadership Un lien spécifique entre le développement moral et un type particulier de comportement a déjà été objet de réflexion. Effectivement, Petrick et Quinn (1997), ont posé que le développement moral d’un individu influence son style de leadership. Ils affirment que le modèle de leadership adopté par les leaders reflèteetrenforceleurpropredéveloppementmoraletinfluenceledéveloppement moraldessuiveursce,toutenfavorisantl’émissiondecertainscomportements. C’estainsiqu’unleaderaustadeIauratendanceàutiliserunpouvoircoercitif, poussantlesemployésàatteindreuneperformanceminimaleetàagirparpeur de perdreleuremploi.Un leader au stade IIaura davantage un leadership transactionneldirigéverslatâche,favorisantparlefaitmêmeunemanipulation mutuelleentrepatronetemployésainsiquel’utilisationdesressourcespour avancerauseindel’entreprise.Poursapart,unleaderaustadeIIIfavorisera l’échangeentrelesdifférentsniveauxhiérarchiquesd’uneorganisationet opterapourlaconsidérationinterpersonnelle.Cestyledeleadershipencouragera la loyauté interpersonnelle etl’entraide de même que la cohésion du groupe de travail.Le leader au stade IV aura un style plutôtimpersonnel, transactionneletinstitutionnel,favorisantchez lesemployés lerespectdes règles etl’obéissance à l’autorité l’empowerment des employés et la délégation. La prise de décision chez un leader du stade VI se fera de façon consensuelle. Il favorisera l’amélioration des compétences de l’effectif et visera la qualité totale au sein de l’entreprise. Critiques à la théorie du développement moral de Kohlberg En premier lieu, avec les années, diverses recherches ont validé l’ordre séquentiel des stades du développement en place. Un leader au stade V sera davantage participatif et serviable. Il encouragera la démocratie et le bonheur du plus grand nombre au sein de ses employés, tout en tolérant le point de vue de chacun. Enfin, un leader au stade VI aura un penchant pour moral établi par Kohlberg (Armon et Dawson, 1997; Colby et Kohlberg, 1987; Nissan et Kohlberg, 1982; Walker, 1989). En d’autres termes, il semble permis de penser que les acteurs organisationnels, comme tout individu, traversent des réorganisations cognitives de leurs structures morales. Par contre, en 1968, Kohlberg bâtit une nouvelle échelle de mesure du développement moral basée sur une révision des stades. Une étude longitudinale s’en suivit, de 1968 à 1976, menant à l’omission du stade VI. Son statut restera irrésolu aussi longtemps que les recherches ne s’effectueront pas avec des échantillons de sujets ayant atteint le stade V et selon des dilemmes moraux plus appropriés à leur niveau de Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 110 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement développement moral (Colby et Kolhberg, 1984). Puka (1991) prétend que de nombreuses critiques s’attaquent au bien-fondé de la théorie de Kohlberg puisque ce stade VI et la séquence qui y mène, semblent traduire un idéal philosophique plutôt que psychologique, étant tous deux biaisés culturellement par le libéralisme individualiste des démocraties occidentales. Ensuite, l’universalité du développement moral, tel qu’entendu par Kohlberg, est mise en doute par les travaux de Gilligan (1982). Effectivement, celle-ci dénote que le raisonnement moral des hommes est privilégié à celui des femmes au travers des stades de Kohlberg (Gilligan 1982 dans Dawson, 2002). En étant attentives aux besoins et bien-être des autres, les femmes ne se trouveraient pas moralement à des niveaux aussi élevés que les hommes, tel qu’explicité ultérieurement. Une des raisons soulevées par Gilligan se veut l’emploi d’échantillons de recherche composés à trop forte proportion d’hommes dans la mise sur pied de la théorie du développement moral et de ses échelles de mesure (Gilligan, 1977 dans Rich et DeVitis, 1985). Par ailleurs, des études plus récentes ont démontré que, lorsque l’âge et le niveau d’éducation atteints sont pris en compte, les différences entre les sexes quant aux stades atteints sont pratiquement inexistantes (Armon et Dawson, 1997; Dawson, 2002; Walker, 1984). Comme le soulignent plusieurs auteurs (Kohlberg, 1981; Pritchard, 1999; Puka, 1991; Rest et Narvaez, 1994; Rich et DeVitis, 1985;), les stades kohlbergiens ont été contestés à plusieurs reprises pour la définition qu’ils sous-tendent, amplement teintée des philosophies kantiennes et utilitaristes, d’un être plus moralement adapté. Par ailleurs, Pritchard (1999) souligne que, même si l’on considère que la moralité implique plus que des principes de justice, il importe de ne pas perdre de vue que Kohlberg a su cerner trois différents niveaux de raisonnement moral, trois schèmes moraux cognitifs. À cet effet, la présente recherche ne tente pas de démontrer la supériorité morale des acteurs organisationnels à un stade plus élevé de Kohlberg, mais bien de déterminer l’impact comportemental, en milieu de travail, du niveau atteint. De ce fait, le but ultime se veut d’être en mesure d’évaluer le degré éthique d’un individu, tel que mentionné précédemment. Modèle de Gilligan Nous avons vu que l’univers moral, selon Kohlberg, est constitué substantiellement d’obligations, de droits et est conceptualisé par des demandes de justice et d’impartialité. Dans une recherche sur l’éthique au travail, il nous importe Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 111 d’avoir une vision globale du développement moral, incluant toutes les exigences requises lors d’un choix moral. En effet, nous avons découvert que la théorie de Kohlberg et celle de Gilligan se souciait chacune d’une préoccupation morale importante : l’éthique de la justice et l’éthique de la sollicitude. Nous explorerons dans cette seconde partie les bases théoriques de l’éthique de la sollicitude, sa séquence développementale et les critiques adressées au modèle de Gilligan. Traditionnellement, on attribuait aux femmes des facultés de raisonnement moral inférieures. Freud a été le premier à parler des différences homme-femme au niveau moral (Brabeck, 1983). Il affirme que : Pour les femmes, le niveau de ce qui est éthiquement moral est différent de ce qui l’est pour les hommes. Leur surmoi est si inaltérable, si impersonnel, si indépendant de ses origines émotionnelles… elles démontrent moins de sens de la justice, sont moins prêtes à se soumettre aux grandes exigences de la vie, et elles sont plus souvent influencées dans leurs jugements par leurs sentiments d’affection ou d’hostilité. (Traduction libre de Marie-Pierre Simard) (Freud, 1961/1925, 257-258) Piaget, le pionnier du développement moral, remarque que les femmes sont moins attentives aux règles du jeu que les garçons (Brabeck, 1983). Il conclut face aux différences sexuelles qu’il était plus facile d’étudier les garçons car le raisonnement des filles apparaît anormal et difficile à interpréter (Gilligan, 1988). Kohlberg a également identifié un fort biais interpersonnel dans le jugement moral des femmes. Il remarque que dans les stades de développement moral, elles se placent le plus souvent au stade 3, qui correspond à la conformité interpersonnelle (Gilligan, 1977). Cette modalité indique qu’elles posent leur jugement moral en fonction de ce qui fait plaisir ou aide les autres. En réponse aux différences sexuelles observées dans le passé, et particulièrement aux résultats de Kohlberg (1969,1976,1981,1984), Gilligan (1977,1982,1988) propose une théorie alternative du jugement moral. Elle soulève le paradoxe suivant : ce qui est considéré comme bon chez les femmes et valorisé par la société à leur égard les place aussi comme inférieures dans leur raisonnement moral. Elle suggère alors une orientation morale différente, qui peut être présente chez les deux sexes même si particulière à la femme (Gilligan, 1988). Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 112 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement La compilation de 29 entrevues de femmes enceintes qui doivent prendre la décision de se faire avorter (Gilligan, 1977) et d’une étude longitudinale de l’expérience personnelle de 25 étudiants à résoudre des dilemmes moraux (Gilligan, 1982) a formé la base de son modèle. Ainsi, elle remarque que les femmes, contrairement aux hommes, perçoivent les dilemmes moraux comme des conflits de responsabilités plutôt que des conflits de devoirs. De plus, la résolution de ces dilemmes est contextuelle et inductive plutôt que formelle et abstraite. Pour décrire cette orientation morale, Gilligan instaure une séquence développementale amenant une vision différentiée et intégrée de la sollicitude. Le tableau 3 présente les différents stades de progression qui s’inscrivent dans la même logique que ses prédécesseurs. En effet, la résolution des dilemmes moraux progresse généralement en trois étapes importantes (Gilligan, 1977) : 1- Perspective égocentrique (stade préconventionnel selon Kohlberg) 2- Perspective sociétale (stade conventionnel selon Kohlberg) 3- Perspective universelle (stade postconventionnel selon Kohlberg) Là où Gilligan se démarque de Kohlberg, c’est que le dernier niveau n’est pas caractérisé par des principes abstraits et une autonomie (Vasudev, 1988), mais plutôt par la perception de soi en connexion avec les autres. En milieu du travail et en gestion d’entreprise, on observe une différence chez les femmes dans leur façon de procéder. C’est d’ailleurs ce que Langlois et Lapointe (2002) ont remarqué lors d’une étude qualitative dans le milieu de l’éducation. En effet, les femmes gestionnaires disent préférer le pouvoir définit comme « atteindre les finalités » plutôt qu’un pouvoir sur les personnes. Elles valorisent également l’animation contrairement à la direction. En plus, elles préfèrent la réussite collective à l’individuelle pour maximiser les relations positives de collaboration. Elles se disent également plus efficaces pour la résolution de problèmes ce, en étant plus attentives aux autres. Finalement, elles croient davantage aux relations humaines, favorisent le travail d’équipe, la transparence, et évitent la confrontation. Il est vrai qu’une étude qualitative comporte des limites quant à la généralisation de ses conclusions. Tout de même, ces résultats concordent avec la théorie de Gilligan qui affirme que les relations interpersonnelles et le climat harmonieux sont des préoccupations importantes chez les femmes. Le tableau 3 met en relation les niveaux de développement moral et la prise de décision en milieu de travail. Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 113 Tableau 3 : Les niveaux de développement moral de la sollicitude selon Gilligan (1977) en lien avec des exemples de raisonnement moral dans le milieu du travail. Niveau de développement moral Exemple de raisonnement moral dans le milieu du travail 1. Orientation sur la survie individuelle Le soi est l’unique objet de préoccupation. L’importance est placée sur la survie du soi et les considérations morales émergent lorsque ses propres besoins sont en conflit. Je ne dis pas à mon patron que je n’aime pas mes conditions de travail car j’aurais trop peur que cela nuise à ma promotion. Transition 1 : De l’égoïsme à la responsabilité Implique une redéfinition du soi avec les attachements envers les autres. Ses désirs et les responsabilités envers les autres sont vus dans un conflit entre ce que l’on « veut » et ce que l’on « devrait ». Même si je sais que la coopération avec le reste de l’équipe est nécessaire pour accomplir ce travail, je ferai marche seule quand même car je désire vraiment qu’il soit fait à ma façon. 2. Le bon comme le sacrifice de soi Le jugement moral dérive des autres et des normes sociales. La principale préoccupation à ce niveau est portée sur les sentiments des autres, la possibilité d’infliger de la douleur. Le bon équivaut au sacrifice de soi et au besoin d’approbation. (niveau 3 de Kohlberg) Je suis d’accord avec le reste du groupe en réunion car je ne veux pas blesser personne, et habituellement, la décision du patron est la meilleure. Transition 2 : Du bon vers la vérité La personne commence à voir que la moralité doit inclure l’attention de soi ainsi que celle des autres. Elle considère la situation, les intentions et les conséquences d’une action plutôt que l’évaluation des autres. Lorsque l’on m’a offert une promotion, j’ai pensé à ma vie personnelle, que je laisserais de côté pour passer du temps sur ce nouveau projet. D’un autre côté, je sais que ma contribution pourrait vraiment être bénéfique pour la compagnie. La décision est difficile. 3. La moralité de la non-violence Le conflit entre l’égoïsme et la responsabilité du soi est résolu à ce niveau, dans un principe de non-violence. Il y a une reconnaissance du besoin de compassion et de l’attention au soi et aux autres. J’ai choisi de réévaluer mes attentes vis-àvis d’une certaine employée après avoir discuté avec elle. Nous avons convenu ensemble que si les nouvelles attentes n’étaient pas comblées, nous devrions la changer de département, car ce serait mieux pour elle, même si son départ aurait des répercussions négatives sur le climat de l’équipe. Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 114 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement Critiques à la théorie de Gilligan Gilligan a amené une nouvelle « voix » dans l’étude du développement moral. Toutefois, la notion de l’éthique de la sollicitude est basée sur les déficiences des autres théories (Brabeck, 1983). Ainsi, elle répond principalement à la différence entre les hommes et les femmes quant au niveau de développement moral, sans par ailleurs fournir d’observations empiriques validant sa théorie (Brabeck, 1983). Les résultats des études subséquentes nous informent de résultats contradictoires concernant les différences sexuelles lorsque les échantillons sont contrôlés au niveau de l’éducation, du statut socio-économique et de l’occupation (Vasudev, 1988). Toutefois, d’autres auteurs ont vu des différences (Baumrid, 1986). Finalement, Gilligan n’a pas publié d’entrevue standardisée. Elle n’utilisait pas de technique d’entrevue (Brabeck, 1983). Peu d’études ont été faites pour mettre l’éthique de la sollicitude en lien avec des comportements. On observe par contre des différences entre les sexes dans certains comportements prosociaux, comme l’altruisme et l’empathie ; les femmes étant légèrement plus altruistes et empathiques (Brabeck, 1983). Les instruments de mesure disponibles pour mesurer les comportements éthiques Afin de mesurer l’éthique, il apparaît important de prendre en considération deux orientations éthiques, soit celle de justice de Kohlberg et celle de sollicitude de Gilligan. En effet, le pluralisme conceptuel est recommandé pour bien cerner ce phénomène (Nardi et Tsujimoto, 1979). Plusieurs instruments ont été créés à cet effet, mais seulement ceux qui apparaissent être les plus pertinents seront brièvement expliqués ici. The Moral Judgment Interview (MJI) Cet instrument a été élaboré par Colby et Kohlberg (1987) et prend la forme d’une entrevue semi-structurée menée par un expert. Il est composé de 12 dilemmes moraux, ce qui fait que le temps de passation est assez important. Cet instrument inclut le stade 6. Étant donné les nombreuses critiques relatives à ce stade, il s’agit d’une limite importante de l’instrument. De plus, les problèmes de compilation des résultats sont nombreux. Tout d’abord, la personne qui les compile doit recevoir une formation complète. Certains auteurs (Kurtines et Greif, 1974) ont d’ailleurs souligné que la méthode Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 115 de compilation était ambiguë. Aussi, le matériel de compilation des résultats nécessite de nombreuses interprétations et inférences à partir des données. Puis, il semble très difficile de catégoriser les réponses des sujets étant donné les possibilités illimitées de réponses. Ce système serait aussi vulnérable aux biais de l’expérimentateur et du sujet (Rest, 1973; Rest, Turiel et Kohlberg, 1969). Effectivement, le fait que certaines réponses soient associées à un stade quelconque, il apparaît possible que les sujets repèrent les réponses correspondant à un plus haut niveau dans le but de bien paraître ou de faire plaisir à l’expérimentateur. Ces sujets seront donc classifiés dans un stade supérieur au leur. Toutefois, il semblerait plus facile de reconnaître un stade de plus haut niveau que de l’articuler (Rest, 1973; Rest, Turiel et Kohlberg, 1969). The Defining Issues Test (DIT) Basé sur le modèle de développement moral de Kohlberg, le DIT (Rest, 1974;1979) mesure également le niveau de développement moral de la justice. C’est l’instrument de mesure le plus fréquemment utilisé dans les études sur le développement moral (Skoe et Von der Lippe, 2002). Contrairement à Kohlberg, il standardise la justification des dilemmes moraux en élaborant 12 items par histoire. Le DIT est constitué de 6 dilemmes moraux suivis de choix de réponse. Trois dilemmes sont les mêmes que ceux élaborés par Kohlberg. De plus, il se répond rapidement (20 minutes). La corrélation du DIT avec le test de Kohlberg est de .70. Donc, le test de Kohlberg ne peut pas être substitué par le DIT. Remarquez toutefois que le DIT a une plus grande corrélation avec le test de Kohlberg que certaines versions du test de Kohlberg entre elles (r=.39) (Rest, 1979). The Ethical Reasoning Inventory (ERI) L’avantage premier du Ethical Reasoning Inventory (Page et Bode, 1979) est qu’il utilise 26 questions, ce qui est relativement court. Chacune des questions a cinq choix de réponses. Un dernier choix de réponse est ajouté pour tester la désirabilité sociale du répondant. À partir de deux ou trois choix de ces réponses, le test est considéré comme non valide. Les six dilemmes moraux sont tirés du Standardized Scoring Manual de Kohlberg (Colby et Kohlberg, 1987). Une corrélation de .56 (n=170, p= .001) est établie avec le Moral Judgment Interview de Kohlberg (1958) et de .57 avec le Defining Issues Test de Rest (1974;1979), procurant un appui à la validité de construit. Cette dernière nécessite des validations supplémentaires avec des groupes d’âge plus étendus, et ce, pour assurer l’utilité de l’instrument (Page et Bode, 1979). Interactions Vol. 8, no 1, printemps 2004 116 L’éthique de la justice et de la sollicitude : niveau de développement Les sujets n’élaborant pas leurs réponses au ERI, mais la cochant, les auteurs ont voulu vérifier si les sujets en arrivaient à fausser les résultats. L’étude démontre qu’il est possible, pour un sujet, d’obtenir un résultat final inférieur à leur résultat initial, mais qu’il est impossible d’obtenir un résultat supérieur (Page & Bode, 1979). Ceci constitue un avantage intéressant à son utilisation. Le ERI est d’ailleurs l’outil privilégié afin d’obtenir une mesure de niveau de développement moral relative à la théorie de Kohlberg. The Ethic of Care Interview (ECI) Comme nous l’avons vu plus tôt, Gilligan n’a pas développé de schème d’entrevue. Dix ans plus tard, Skoe (1991) a développé une mesure de l’éthique de la sollicitude, The Ethic of Care Interview (ECI), basée sur la théorie de Gilligan (1982). La fidélité interjuge de cette entrevue s’échelonne de r=.78 à r=.96 et les Kappa obtenus varient de .63 à .94 (Skoe, 1991). Le ECI est relié positivement à des indices développementaux comme le statut de l’identité de Marcia, les stades de Kohlberg et l’androgynéité (Skoe et von der Lippe, 2002). En concordance avec la théorie de Gilligan, les filles ont un résultat plus élevé au ECI que les garçons (Skoe, 1993). Pour l’étude en cours, l’entrevue du ECI a été modifiée pour en faire un questionnaire écrit, facilitant ainsi l’administration du test. De plus, en reproduisant une forme similaire à l’instrument mesurant l’éthique de la justice (ERI), les comparaisons seront facilitées. Dans le questionnaire, les trois dilemmes du ECI original sont repris et dix choix de réponses sont suggérés au répondant. Les choix ont été élaborés en tentant de respecter la préoccupation de Gilligan de faire apparaître le raisonnement derrière la réponse. The Measure of Moral Orientation (MMO) Cet instrument de mesure a pour but de remédier aux problèmes associés à la mesure du développement moral. Il tient compte de deux types d’éthique : l’éthique de la justice de Kohlberg et l’éthique de la sollicitude de Gilligan. Plutôt que de se centrer uniquement sur une approche, cet instrument fait appel à ces deux mesures afin d’obtenir un portrait complet du phénomène de l’éthique. Le MMO est constitué de 90 questions dont 78 traitent soit de l’éthique de la justice (37 items), soit de l’éthique de la sollicitude (41 items). Les 12 autres items visent à connaître la perception du répondant concernant sa propre valeur éthique, soit de justice (6 items), soit de sollicitude (6 items). Les réponses sont effectuées selon une échelle de Likert en 4 points, de fortement en désaccord à fortement en accord. Cet instrument a une bonne consistance interne (éthique de la sollicitude : r = .84 ; éthique de la justice : r = .73 ; percepInteractions Vol. 8, no 1, printemps 2004 moral et comportement éthique en milieu de travail 117 tion de sollicitude : r =.61 ; perception de justice : r = .62 ) (Lidell, 1992,1996). Par contre, Le MMO a été élaboré pour une clientèle adolescente, en milieu scolaire, et non pour une clientèle adulte, en milieu de travail. Il s’agit d’une limite importante à notre visée. CONCLUSION Les questions éthiques ont refait surface lors d’entraves sérieuses au respect et à la liberté des individus. Le choix d’une perspective cognitive s’est alors avérée une source d’information précieuse pour déterminer les facteurs déterminants de l’éthique comme le jugement moral et les comportements. En effet, la personne qui doit prendre une décision éthique peut se positionner en terme de justice et de respect des autres (sollicitude). Par l’étude du développement moral selon ces orientations éthiques, il sera possible de donner un sens aux pratiques professionnelles et aux décisions. Il également pertinent de cerner, dans le monde du travail la responsabilité, l’engagement vis-à-vis des autres, l’équité et l’impartialité des individus. À la suite de recherches futures, il serait intéressant de développer des outils pour le milieu organisationnel afin de permettre d’établir des normes de pratique professionnelle et une réflexion critique sur les agissements éthiques des employés et des employeurs. Références Armon, C.et, Dawson, T.L. (1997). 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