Pourquoi faire des biopsies au cours des endoscopies gastriques

e nombreuses études de cohortes et études cas-
témoins montrent formellement la relation entre
infection à Helicobacter pylori et cancer de l’esto-
mac. Deux méta-analyses reprenant ces études sont concordantes
pour donner des odds-ratios (OR) autour de 3 pour l’association
infection à H. pylori et cancer gastrique, le cancer du cardia étant
exclu (1, 2). Des études plus récentes montrent que les OR ont
en fait été sous-estimés. En effet, au moment du diagnostic de
cancer, l’infection à H. pylori a le plus souvent disparu et la séro-
logie est négativée, et ce depuis plusieurs années. Pour établir une
relation entre infection et cancer, il faut donc disposer de prélè-
vements sériques anciens, remontant à plus de dix ans avant le
diagnostic de cancer. Dans les études disposant de tels prélève-
ments, l’OR est supérieur à 6 (3). Cet élément est confirmé par
l’étude de Ekström et al., qui utilisent une sérologie anti-cagA,
dont la positivité persiste plus longtemps que les sérologies clas-
siques. L’OR, dans ce cas, passe à 27,7 pour le cancer de type
intestinal et à 41 pour le cancer de type diffus, alors qu’il reste
autour de 1 pour le cancer du cardia (4). Le deuxième élément à
prendre en compte est la prévalence de l’infection dans la popu-
lation d’étude. Dans la méta-analyse de Huang et al., la préva-
lence de l’infection à H. pylori chez les patients atteints de can-
cer gastrique est autour de 80 %, quelle que soit la tranche d’âge
concernée ; en revanche, la prévalence de l’infection dans la popu-
lation témoin diminue avec l’âge et est autour de 30 % pour les
sujets de moins de 40 ans (1). Dans les tranches d’âge les plus
jeunes, la différence importante de prévalence entre la popula-
tion malade et la population témoin conduit à un OR élevé de 9.
Enfin, l’étude japonaise de Uemura et al., portant sur
1 526 malades suivis en moyenne 7,8 ans, confirme elle aussi le
rôle de l’infection : aucun des 280 patients H. pylori-négatif n’a
développé de cancer gastrique, alors que 36 cancers sont surve-
nus chez les 1 246 patients H. pylori-positif (5). Toutes ces études
confirment donc que l’infection à H. pylori est un facteur de
risque majeur pour la survenue d’un cancer gastrique (cancer
du cardia exclu), y compris dans les populations occidentales.
La prévention du cancer gastrique devrait donc passer par la
recherche et l’éradication systématique de l’infection à H. pylori.
Le dépistage pourrait être fait par sérologie. Mais la diminution
récente de l’incidence du cancer gastrique dans les pays déve-
loppés du fait de meilleures conditions d’hygiène et d’une ali-
mentation plus riche en produits frais et en fruits et légumes fait
que le cancer gastrique n’est plus au premier plan des préoccu-
pations de santé publique. Il reste cependant le deuxième cancer
digestif en France, avec 8 000 nouveaux cas par an, et, de ce fait,
mérite que l’on s’intéresse à sa prévention. À défaut d’un dépis-
tage sérologique généralisé, on peut au moins recommander un
dépistage et le traitement de l’infection dans des populations
“ciblées”, comme les patients ayant eu une gastrectomie partielle
pour ulcère ou cancer, ou les apparentés au premier degré des
sujets ayant eu un cancer gastrique.
Un moyen d’étendre ce dépistage serait la réalisation de biopsies
systématiques au cours de toute endoscopie gastrique chez les
sujets de moins de 70 ans.
Les biopsies gastriques permettent en effet de :
– faire le diagnostic de l’infection;
– préciser la topographie de l’infection;
– préciser le stade évolutif de la gastrite.
FAIRE LE DIAGNOSTIC DE L’INFECTION
En cas d’endoscopie, seule l’histologie permet de faire le diagnostic
de l’infection et de la gastrite chronique qui lui est associée. L’as-
pect endoscopique n’a aucune spécificité : l’érythème diffus, l’œ-
dème, les plis congestifs ou les exulcérations diffuses que voient
les endoscopistes peuvent témoigner d’une gastrite chronique
autant que d’une gastropathie chimique ou médicamenteuse. En
outre, une étude finlandaise a montré que, dans 60% des cas, la
muqueuse était endoscopiquement normale alors qu’il existait une
infection à H. pylori prouvée à l’examen histologique (6). Il faut
donc rappeler qu’en dehors de l’aspect de gastrite nodulaire dif-
fuse observé chez l’enfant et chez l’adulte jeune, il n’y a aucun
signe spécifique endoscopique de l’infection à H. pylori, et que
seules des biopsies systématiques, y compris en muqueuse nor-
male, permettent de faire le diagnostic d’infection et de gastrite. Il
a été recommandé à Sydney, en 1990, de faire deux biopsies antrales
* Service d'hépato-gastroentérologie, centre hospitalier,
Villeneuve-Saint-Georges Cedex.
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D
Pourquoi faire des biopsies
au cours des endoscopies gastriques ?
Usefulness of biopsy during gastric endoscopy
lA. Courillon-Mallet*
et deux biopsies fundiques pour le diagnostic de l’infection (7). En
effet, dans ce cas, la sensibilité du diagnostic anatomopathologique
est de 95 %. Avec des biopsies antrales seules, elle tombe à 81 %
si le patient est sous inhibiteur de la pompe à protons (IPP) ou s’il
a reçu un traitement antibiotique préalable (8, 9).
PRÉCISER LA TOPOGRAPHIE DE LA GASTRITE
L’infection acquise dans l’enfance est responsable d’une gastrite
chronique, qui, suivant les individus, peut évoluer soit vers une
gastrite antrale prédominante, soit vers une pangastrite. La gas-
trite antrale prédominante est associée dans 10 à 20 % des cas à
une maladie ulcéreuse duodénale et s’accompagne d’une hyper-
sécrétion acide. La pangastrite est plus fréquente, généralement
asymptomatique, et s’accompagne d’une normo- ou d’une hypo-
chlorhydrie (figure).
PRÉCISER LE STADE ÉVOLUTIF DE LA GASTRITE
Au cours de l’évolution, l’aspect inflammatoire de la muqueuse peut
persister, inchangé, tant que dure l’infection. Dans d’autres cas, l’évo-
lution peut se faire vers la transformation de la muqueuse. La
muqueuse devient atrophique, avec disparition progressive des
glandes antrales ou fundiques et remplacement de l’épithélium spé-
cialisé gastrique par un épithélium de type intestinal. Cette transfor-
mation est favorisée par des facteurs alimentaires (régime riche en
sel et pauvre en vitamines), des facteurs liés à l’hôte (prédisposition
génétique telle que certains génotypes associés à une hypersécrétion
de l’interleukine 1β) ou certains facteurs de virulence bactériens.
L’incidence de la transformation muqueuse est évaluée à 1 % par an
(figure). Cette évolution a été considérée pendant très longtemps
comme le témoin du “vieillissement” de l’estomac. En fait, les études
de suivi en Hollande et en Finlande ont bien montré que cette évo-
lution était le fait de l’infection à H. pylori et non de l’âge (10, 11).
Ces transformations muqueuses sont considérées depuis longtemps
comme des lésions “précancéreuses”. En effet, on sait que le can-
cer de type intestinal, qui est de loin la forme la plus fréquente des
cancers de l’estomac, est associé à des lésions d’atrophie et de méta-
plasie intestinale sur la muqueuse adjacente à la tumeur. Le cancer
de type diffus, plus rare, qui survient plus précocement dans la vie,
est également associé à une gastrite chronique due à H. pylori mais
n’est pas associé à la métaplasie ou à l’atrophie. Sa survenue est
très probablement favorisée par l’effet mutagène direct de l’infec-
tion et de l’inflammation sur les cellules épithéliales.
L’atrophie se traduit par une raréfaction des glandes antrales ou
fundiques, et la sévérité de l’atrophie est classée en trois stades,
selon la classification de Sydney. La raréfaction des glandes peut
être due à leur destruction vraie et, dans ce cas, il s’agit d’une véri-
table atrophie, mais la raréfaction des glandes peut aussi être le fait
d’un œdème et d’un infiltrat inflammatoire entraînant une dimi-
nution du nombre de glandes par champ. Dans ce dernier cas, après
traitement de l’infection et diminution de l’inflammation, on peut
assister à une normalisation de l’aspect muqueux et à une fausse
impression de réversibilité de l’atrophie. Idéalement, il faudrait
donc évaluer l’atrophie à distance de l’infection. Pour ce qui est de
la métaplasie intestinale, une gradation est également proposée. Se
pose ici le problème d’échantillonnage, puisqu’il s’agit de lésions
focales dont le diagnostic, notamment de sévérité, peut être diffi-
cile avec seulement quelques prélèvements. Les recommandations
de Sydney sont de faire, en plus des biopsies antrales et fundiques,
une à deux biopsies de l’angle de l’estomac, l’atrophie et la méta-
plasie intestinale commençant en général dans cette zone (7). Ainsi,
la réalisation de cinq biopsies permet au mieux de faire le
diagnostic de l’infection et de rechercher une atrophie ou une
métaplasie intestinale débutante et d’en préciser l’extension.
QUE FAIRE EN CAS DE MÉTAPLASIE INTESTINALE
OU DE GASTRITE ATROPHIQUE ?
L’étude de la littérature concernant l’évolution de la métaplasie
intestinale et de l’atrophie après éradication de H. pylori est
extrêmement décevante. En effet, parmi les 28 études analysées
par Hojo et al., seules 5 ont porté sur un suivi supérieur à un an.
En outre, le nombre de prélèvements histologiques est souvent
très faible (12). Certaines études décrivent une tendance à
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Figure. De la gastrite chronique au cancer.
Ulcère
10 à 20 %
Gastrite chronique
Cancer
type diffus
Cancer
type intestinal
Atrophie
MI
Environnement
Virulence bactérie
Prédisposition génétique
Asymptomatique
1 % par an
l’amélioration du score moyen de métaplasie et d’atrophie (13, 14).
Chez la gerbille de Mongolie, il apparaît que l’éradication bac-
térienne, après huit mois d’infection, ne supprime pas les lésions
de métaplasie intestinale et d’atrophie, mais, en revanche, évite
leur extension, leur aggravation et la survenue des cancers, obser-
vés chez 20 % des animaux infectés depuis 18 mois (15). Sur
ces données animales et en attendant de meilleures études chez
l’homme, il paraît raisonnable de recommander l’éradication de
la bactérie, même au stade d’atrophie ou de métaplasie intesti-
nale, dans l’espoir de limiter l’extension des lésions muqueuses.
En cas d’atrophie sévère ou de métaplasie intestinale sévère, faut-
il proposer une surveillance endoscopique ? Là encore, la litté-
rature nous apporte peu de réponses. L’étude de Filipe et al., por-
tant sur une cohorte de patients slovènes ayant des transforma-
tions muqueuses, a montré très peu de cancers gastriques après
dix ans de suivi (16). Toutefois, le diagnostic de cancer n’a été
fait que sur registre et sur certificat de décès, donc avec une pos-
sible sous-estimation du nombre de cancers. En outre, la sévérité
des anomalies muqueuses à l’inclusion dans l’étude était très
variable. Dans l’étude récente publiée par Whiting et al., consis-
tant en un suivi endoscopique annuel, durant dix ans, de patients
avec métaplasie intestinale ou atrophie, un pourcentage de can-
cers très élevé (10 %) était noté (17). Le risque relatif de cancer
sur métaplasie intestinale ou atrophie est donc difficile à évaluer,
mais seules les lésions sévères et étendues justifient une sur-
veillance, dont il n’est toutefois pas possible de préciser le rythme.
L’histologie permet donc à la fois de faire le diagnostic de l’in-
fection et de préciser le stade évolutif de la gastrite. La pratique
de biopsies systématiques au cours des endoscopies gastriques
permettrait d’étendre le diagnostic de l’infection à une population
“ciblée” consultant en hépato-gastroentérologie et ayant des symp-
tômes digestifs hauts justifiant une endoscopie. Une telle attitude
conduirait à revoir les recommandations et les pratiques actuelles.
En effet, jusqu’à présent, en l’absence d’antécédent ulcéreux, il
n’était pas recommandé de faire des biopsies systématiques en cas
de muqueuse endoscopiquement normale. Ces recommandations
sont appliquées, comme en témoignent les résultats de l’enquête
de la Société française d’endoscopie digestive ces dernières
années. En 2001, le nombre estimé d’endoscopies gastriques était
de 1 104 125, dont 75% d’examens initiaux. L’estomac était endo-
scopiquement normal dans 71 % des cas. Une biopsie gastrique
était faite dans moins de 25 % des examens.
En conclusion, l’infection à H. pylori joue un rôle majeur dans
la survenue du cancer gastrique (cancer du cardia exclu). L’éra-
dication de l’infection, associée à une éducation nutritionnelle,
est un facteur majeur de la prévention du cancer gastrique. Il est
donc essentiel de dépister et de traiter l’infection le plus large-
ment possible en commençant par des populations “ciblées”,
comme les apparentés au premier degré de malades atteints de
cancer gastrique ou les patients ayant eu une gastrectomie par-
tielle pour ulcère ou pour cancer. La pratique de biopsies systé-
matiques au cours de toute endoscopie chez les patients de moins
de 70 ans permettrait d’élargir le dépistage de l’infection chez
des patients ayant une plainte digestive, et donc motivés. Cela
suppose de modifier nos pratiques et, pour cela, d’informer les
endoscopistes sur le risque de cancer associé à H. pylori. Certes,
une telle pratique engendrerait un surcoût en pinces à biopsies et
en examens anatomopathologiques. Toutefois, que répondrons-
nous à un patient endoscopé pour une dyspepsie et qui reviendra
dix ans plus tard avec un cancer gastrique en nous demandant
pourquoi nous n’avons pas fait le diagnostic d’infection à
H. pylori à l’occasion de cet examen, alors que nous connaissions
déjà le risque de cancer lié à H. pylori ?
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