Modification de la fonction thyroïdienne par les inhibiteurs de

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Endocrinopathies
induites par les traitements
anticancéreux
dossier
thématique
Modification de la fonction
thyroïdienne par les inhibiteurs
de tyrosine kinases
Tyrosine kinase inhibitors and thyroid function tests
Frédéric Illouz*,**, Sandrine Laboureau-Soares*, Ingrid Allix*, Patrice Rodien*,**,***
» Les inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) modifient la fonction
Tyrosine kinase inhibitors (TKI) can alter the thyroid function
leading to hypothyroidism or hyperthyroidism.
» Les mécanismes physiopathologiques sont encore incertains
et varient selon les molécules : par exemple, thyroïdite
destructive (avec le sunitinib), modification du métabolisme
de la lévothyroxine (avec l’imatinib).
» L’évaluation préthérapeutique de la fonction thyroïdienne est
indispensable et doit être poursuivie régulièrement pendant
le traitement.
» La diffusion des ITK nécessite de la part des oncologues une
connaissance de leurs effets thyroïdiens.
Highlights
P o i nt s f o rt s
thyroïdienne en entraînant une hypo- ou une hyperthyroïdie.
Mots-clés : Inhibiteurs de tyrosine kinases – Thérapie ciblée
– Hypothyroïdie – Hyperthyroïdie.
L
* Département d’endocrinologie – diabétologie –
nutrition, CHU d’Angers.
** Centre de référence
des pathologies
de la réceptivité
hormonale, CHU d’Angers.
*** Inserm, U771,
Angers.
234
es tyrosine kinases (TK) sont des protéines
enzymatiques qui catalysent le transfert d’un
phosphate de l’adénosine triphosphate (ATP)
sur le résidu tyrosine d’une protéine. Ces TK sont souvent des récepteurs – comme les récepteurs du VEGF
(VEGFR) ou du PDGF (PDGFR) – ou des facteurs de croissance. Certaines TK sont impliquées dans l’initiation
de l’oncogenèse thyroïdienne (le récepteur RET dans
le carcinome médullaire ou la protéine BRAF dans les
carcinomes papillaires) et d’autres sont nécessaires aux
événements secondaires de l’oncogenèse, comme les
VEGFR dans l’angiogenèse. Une revue récente décrit
parfaitement les différents mécanismes liant les TK
au processus d’oncogenèse (1). Quels que soient les
mécanismes impliqués, l’activation excessive des TK
peut provoquer une prolifération, une survie et une
invasivité cellulaires anormales, ainsi qu’un défaut de
régulation de l’angiogenèse tumorale.
Les inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) appartiennent
aux nouvelles thérapies moléculaires : ils ciblent une ou
Physiopathological mechanisms remain unknown and
depend on the molecules: for example, destructive thyroiditis
(by sunitinib) modification of the metabolism of levothyroxine
(by imatinib).
Pretherapeutic tests of the thyroid function are necessary and
have to be taken regularly during treatment.
As TKI are largely used, oncologist must be aware of their
thyroid effects.
Keywords : Tyrosine kinase inhibitors – Targeted therapy
– Hypothyroidism – Hyperthyroidism.
plusieurs TK ou leurs voies de signalisation impliquées
directement dans l’oncogenèse (RET, BRAF) [2]. Mais
les ITK ne sont pas spécifiques d’une seule TK et la
plupart d’entre eux gardent des propriétés antiangiogéniques en interagissant avec les VEGFR ou les PDGFR
(2). La grande majorité des effets hormonaux de ces
molécules concerne les modifications de la fonction
thyroïdienne.
Cet article aborde une à une les molécules impliquées
à ce jour dans les dysfonctions thyroïdiennes, en envisageant par ailleurs leurs mécanismes physiopathologiques.
Sunitinib (Sutent®)
Données cliniques
Le sunitinib cible les VEGFR, le PDGFR et les récepteurs KIT et RET, qui sont impliqués dans la croissance
tumorale, dans l’angiogenèse et dans le potentiel
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 7 - septembre 2011
Modification de la fonction thyroïdienne par les inhibiteurs de tyrosine kinases
métastatique (2). Initialement, le traitement par sunitinib
se composait de cycles de 6 semaines correspondant à
une période de 4 semaines avec traitement (période on),
suivie de 2 semaines sans traitement (période off) ;
actuellement, ce traitement est proposé en continu
à plus faible dose. Le tableau résume les principales
publications qui ont analysé les effets du sunitinib sur
la fonction thyroïdienne. En 2006 et pour la première
fois, Desai et al., analysant 42 sujets traités par sunitinib
pour une tumeur stromale gastro-intestinale (GIST),
objectivent l’apparition d’une TSH anormale chez 62 %
d’entre eux, dont 36 % avaient une hypothyroïdie persistante (TSH > 7 mUI/l) nécessitant une substitution
(3), et 17 % avaient une TSH entre 5 et 7 mUI/l. Depuis,
différentes études ont analysé le risque d’hypothyroïdie
sous sunitinib, estimé entre 7 et 85 % (4-9). Mannavola
et al. rapportent une hypothyroïdie persistante chez
46 % des patients (4). De plus, 25 % d’entre eux ont une
élévation transitoire de la TSH (4). Dans une étude de
phase I/II sur la cardiotoxicité du sunitinib dans le cadre
d’un traitement pour une GIST, Chu et al. décrivent une
élévation de la TSH chez 14 % des patients, après une
durée moyenne de traitement de 54 mois (6). Dans
l’étude de Rini et al., des anomalies compatibles avec
une hypothyroïdie (TSH élevée, T4 libre ou T3 libre abaissée) sont retrouvées chez 85 % des 66 sujets traités
pour cancer du rein (7). L’étude de Wolter et al. vient
préciser le risque d’hypothyroïdie, en analysant de façon
prospective les modifications de la fonction thyroïdienne en début et en fin de période on de traitement
(8). Une élévation permanente ou transitoire de la TSH
apparaît chez 66 % des sujets, et un traitement par lévothyroxine est institué pour 27 % d’entre eux. Dans une
étude récente portant sur l’efficacité du sunitinib dans
le traitement des tumeurs endocrines pancréatiques,
7 % des patients ont développé une hypothyroïdie sans
que l’on connaisse leur statut thyroïdien antérieur (9).
Cette fréquence, qui semble moins élevée que dans
les autres séries, peut être expliquée par le schéma
thérapeutique à moindre dose et en continu.
Le retentissement clinique de l’hypothyroïdie est difficile
à apprécier, car ses symptômes sont peu spécifiques et
fréquents chez les sujets atteints de cancer. Les deux
études sur l’hypothyroïdie montrent que la plupart
des patients sont symptomatiques, la substitution
hormonale réduisant les symptômes chez la moitié
d’entre eux (7, 8).
Le risque d’hypothyroïdie semble s’accroître avec le
temps, et donc avec le nombre de cycles de traitement. Dans toutes les séries, la TSH s’élève en fin de
période on et se rapproche de la normale en fin de
période off, créant ainsi une hypothyroïdie transitoire.
5BCMFBV Fréquence de l’hypothyroïdie ou adaptation thérapeutique de la lévothyroxine sous inhibiteurs de tyrosine kinases.
Molécules
Sujets (n)
Indications
Hypothyroïdie ou adaptation thérapeutique (%)
Desai, 2006 (3)
Sunitinib
42
GIST
36
Mannavola, 2007 (4)
Sunitinib
24
GIST
71
Wong, 2007 (5)
Sunitinib
40
Tumeurs solides (surtout GIST)
53
Chu, 2007 (6)
Sunitinib
36
GIST
14
Rini, 2007 (7)
Sunitinib
66
CR
85
Wolter, 2008 (8)
Sunitinib
59
CR, GIST
61
Raymond, 2011 (9)
Sunitinib
86
TE pancréatique
7
De Groot, 2005 (16)
Imatinib
11
CMT, GIST
100 chez les sujets thyroïdectomisés
De Groot, 2007 (17)
Imatinib
15
CMT
100 chez les sujets thyroïdectomisés
Sherman, 2008 (20)
Motesanib
93
CDT
22
Tamaskar, 2007 (24)
Sorafénib
39
CR
18
Gupta-Abramson, 2008 (25)
Sorafénib
33
CDT
Adaptation thérapeutique chez 30
Hoftijzer, 2009 (26)
Sorafénib
31
CDT
Majoration en L-T4 chez 19
Réduction en L-T4 chez 16
Robinson, 2010 (33)
Vandetanib
19
CMT
Élévation de la TSH
Majoration en L-T4 chez 10
Nilotinib
Dasatinib
55
10
LMC
LMC
22
50
Kim, 2010 (35)
GIST : tumeur stromale gastro-intestinale ; CR : cancer du rein ; TE : tumeur endocrine ; CMT : carcinome médullaire thyroïdien ; CDT : cancer différencié thyroïdien ; LMC : leucémie myéloïde chronique.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 7 - septembre 2011
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Cependant, avec la répétition des cycles, la TSH a tendance à rester élevée en fin de période off, menant ainsi
à une hypothyroïdie permanente (3, 4, 8). La figure 1
illustre parfaitement les variations de niveau de la TSH
lors du traitement par sunitinib (Dr Damatte-Fauchery,
données personnelles). Les études analysant la fonction
thyroïdienne après l’arrêt du sunitinib restent contradictoires quant à la persistance ou non de l’hypothyroïdie (3, 4).
Un effet vasculaire prédominant
La première hypothèse physiopathologique est celle
d’une thyroïdite destructrice : Desai et al. retrouvent une
évolution biphasique de la fonction thyroïdienne, avec
une diminution de la TSH qui précède son élévation,
faisant évoquer une période d’hyperthyroïdie transitoire
(3). Un tableau d’hyperthyroïdie a d’ailleurs été observé
dans 3 autres séries, avec apparition d’une hyperthyroïdie chez 25 % des sujets traités par sunitinib pour un
cancer du rein (8, 10, 11). L’absence de glande thyroïde
visualisée lors de l’échographie de 2 patientes hypothyroïdiennes, l’augmentation du niveau de thyroglobuline
et la diminution du captage iodé renforcent l’hypothèse d’une thyroïdite destructrice (3, 11). Des travaux
expérimentaux réalisés sur des animaux indiquent que
l’inhibition du signal relayé par le VEGFR est responsable
d’une régression capillaire réversible qui atteint 68 %
du tissu thyroïdien (12, 13). De plus, les souris traitées
par inhibiteurs du VEGFR ont un phénotype hormonal
d’hypothyroïdie. Le VEGF et ses récepteurs sont en effet
Début de la
lévothyroxine
140
TSH (mUI/l)
60
Imatinib (Glivec®)
40
Reprise de la
lévothyroxine
Arrêt de la
lévothyroxine
20
0
–4 0
2
4
6
8
10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34
Semaines
'JHVSF Variations du taux de TSH au cours des différents cycles de traitement par sunitinib
chez un patient porteur d’un cancer du rein métastatique. Les zones grisées correspondent aux
périodes on et les zones blanches aux périodes off du traitement. La zone hachurée indique les
normes TSH (0,35-4,5 mUI/l). [Avec la permission du Dr Damatte-Fauchery.]
236
exprimés par les cellules folliculaires thyroïdiennes (14).
Le sunitinib inhibant le signal VEGF pourrait ainsi altérer
la vascularisation intrathyroïdienne, engendrer une
hypoxie cellulaire et rendre ainsi compte du tableau
de thyroïdite destructrice.
Ce mécanisme vasculaire n’est peut-être pas le seul :
on observe chez la majorité des patients sous sunitinib
une réduction du captage iodé en période on , qui est
rapidement réversible en période off (4). Cette réduction
pourrait être responsable d’une hypothyroïdie, puisqu’il
existe une relation négative entre le captage iodé et les
concentrations de TSH au cours des périodes on et off.
Toutefois, sur des cellules de rat FRTL-5, le sunitinib augmente le captage iodé induit par la TSH sans modifier
l’expression de l’ARN messager du symporteur d’iodure
NIS (15). De même, l’efflux d’iode n’est pas modifié (15).
Une autre action du sunitinib serait l’inhibition de l’activité thyropéroxydase, qui pourrait atteindre 25 à 30 %
de l’inhibition induite par le propylthiouracile (5). Cet
effet expliquerait la latence observée entre l’institution
du sunitinib et l’apparition de l’hypothyroïdie, qui ne se
développerait qu’après épuisement du stock hormonal intrathyroïdien. Contrairement aux modifications
induites par l’interféron, l’immunité ne semble pas jouer
un rôle important dans le risque d’hypothyroïdie. Seuls
4 à 10 % des sujets traités par sunitinib développent
des anticorps antithyroglobuline (7, 8). Si les altérations
du captage et de l’organification iodés peuvent être
impliquées dans les mécanismes de l’hypothyroïdie,
elles n’expliquent pas la période d’hyperthyroïdie qui
précède. L’hypothèse de la thyroïdite destructrice
reste donc valable, même si celle-ci ne rend probablement pas compte de tous les cas d’hypothyroïdie
sous sunitinib.
Données cliniques
L’imatinib cible la protéine de fusion de BCR-ABL, KIT et
les récepteurs du PDGF (2). Les données cliniques relatives à l’effet de l’imatinib sur la fonction thyroïdienne
sont peu nombreuses, concernant moins de 30 sujets
et dérivant toutes de l’équipe de J.W. de Groot. En 2005,
l’effet de l’imatinib a été étudié chez 10 patients traités
pour un carcinome médullaire thyroïdien (CMT) [16]. Les
seuls sujets présentant une élévation de la TSH (supérieure à 5 fois la normale) sont les patients thyroïdectomisés ; les 3 patients non thyroïdectomisés gardent
des niveaux stables de TSH. Cette hypothyroïdie reste
infraclinique : les niveaux de T4 libre et de T3 libre, bien
que réduits d’environ 60 %, restent dans les valeurs nor-
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 7 - septembre 2011
Modification de la fonction thyroïdienne par les inhibiteurs de tyrosine kinases
males. Dans une autre série, de Groot et al. retrouvent
les mêmes résultats, avec une augmentation de plus
de 200 % des besoins substitutifs en lévothyroxine (17).
Contrairement au sunitinib, l’effet apparaît rapidement
et est réversible après arrêt du traitement (16).
Une modulation du métabolisme hormonal
Aucune étude ne s’est intéressée à l’effet de l’imatinib
sur le tissu thyroïdien. L’absence d’effet de l’imatinib
sur la fonction thyroïdienne des sujets non thyroïdectomisés exclurait une action propre de la molécule sur
le tissu thyroïdien (16, 17). Dora et al. ont confirmé que
l’imatinib ne modifiait pas la fonction thyroïdienne
chez 68 sujets avec thyroïde en place (18). Ainsi, l’imatinib pourrait interagir avec le métabolisme de la T4.
L’absorption de lévothyroxine ne semble pas être
altérée : l’administration séparée de la lévothyroxine
et de l’imatinib ne modifie pas les niveaux de TSH.
L’absence de changement des niveaux de thyroxinebinding globulin (TBG) et de thyroxine totale n’est pas
en faveur d’une modification de la liaison entre la T4 et
sa protéine porteuse, ni d’une altération des désiodases
(16). L’une des hypothèses serait donc une stimulation
de la clairance hormonale de la T4 et de la T3 par induction des uridines diphosphate-glucuronosyltransférases
(UGT) [16, 19]. Cependant, aucune interaction n’a jamais
été démontrée entre les UGT et l’imatinib.
Motésanib (AMG 706)
Données cliniques
Le motésanib cible les TK impliquées dans les processus
vasculaires tels les VEGFR, le PDGFR ainsi que KIT et
RET (2). Dans 2 essais de phase II, 91 patients porteurs
d’un cancer différencié thyroïdien (CDT) et 93 d’un CMT
ont été traités par motésanib (20, 21). Après un suivi
médian de 50 semaines, 41 % de ces sujets thyroïdectomisés porteurs d’un CDT et 22 % des sujets porteurs
d’un CMT présentaient au moins une fois durant le suivi
une élévation de la TSH ou une hypothyroïdie et une
majoration des besoins en lévothyroxine.
Effet vasculaire
et effet sur le métabolisme hormonal
L’augmentation des besoins en lévothyroxine chez
les patients thyroïdectomisés suggère un effet indirect sur le métabolisme des hormones thyroïdiennes
(20, 21). De plus, chez la souris, le motésanib inhibe
la prolifération des cellules endothéliales et réduit la
perméabilité vasculaire induite par le VEGF (22). Dans
des modèles de xénogreffe, le motésanib réduit la
croissance tumorale et induit une régression tumorale, après une action proapoptotique sur les cellules
endothéliales. Le motésanib pourrait donc interagir
avec la fonction thyroïdienne par un mécanisme de
réduction vasculaire, comme le sunitinib, et aussi par
une modification du métabolisme des hormones thyroïdiennes, comme l’imatinib.
Sorafénib (Nexavar®)
Données cliniques
Le sorafénib est aussi un ITK qui cible de multiples protéines TK : VEGFR, récepteur β du PDGF, KIT, RET, BRAF (2,
23). Une étude a analysé 39 sujets traités par sorafénib
pour cancer du rein (24). Après 2 à 4 mois d’exposition,
18 % des patients présentaient une hypothyroïdie, dont
un quart a développé des anticorps antithyroglobuline.
L’hypothyroïdie persisterait après l’arrêt du sorafénib.
Dans une étude concernant 33 patients porteurs d’un
CDT réfractaire, une adaptation de la substitution hormonale a été nécessaire pour 10 d’entre eux afin de
maintenir la TSH dans les valeurs souhaitées (25). Une
autre étude concernant 31 patients traités pour CDT
métastatique rapporte la nécessité d’adapter la substitution à la hausse ou à la baisse chez 11 d’entre eux (26).
Un effet plutôt vasculaire
Dans les modèles de xénogreffe, le sorafénib inhibe les
voies de signalisation des VEGFR et PDGFR, ce qui réduit
l’angiogenèse (23, 27). Dans les xénogreffes orthotopiques de CMT, le sorafénib favorise l’apoptose des cellules endothéliales (28). Cet effet pourrait expliquer les
tableaux de thyroïdite destructive récemment supposée
(26) ou rapportée, avec réduction du volume thyroïdien
(29, 30). De plus, le sorafénib diminue la prolifération
et la survie des cellules tumorales par inhibition de la
voie RAF/MEK/ERK (23, 27). Toutefois, à ce jour, l’effet
antiprolifératif et antivasculaire sur le tissu thyroïdien
sain n’a pas été étudié. Le sorafénib pourrait également interagir avec la voie de signalisation de la TSH :
il a en effet été montré que la transduction du signal
TSH impliquait la voie des RAF kinases (31). D’autres
études seront nécessaires pour mieux appréhender
l’hypothyroïdie induite par le sorafénib.
Vandétanib (Zactima®)
Le vandétanib exerce une action antiangiogénique par
ses cibles (VEGFR, EGFR), ainsi qu’une action sur RET
(32). Dans une étude concernant 19 patients porteurs
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 7 - septembre 2011
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d’un CMT métastatique, une élévation de la TSH entre
4 et 5 fois la valeur basale est objectivée, avec une
majoration de la substitution en lévothyroxine chez
2 patients (33). La fonction thyroïdienne n’a pas été évaluée dans l’essai ZETA 3, qui étudie le bénéfice du vandétanib dans les CMT métastatiques (34). Cependant,
l’expérience clinique confirme la nécessité de majorer
la lévothyroxine chez les patients thyroïdectomisés
sous vandétanib. Aucune modification de la fonction
thyroïdienne n’a été rapportée à ce jour dans les autres
essais étudiant le vandétanib, où les patients devaient
avoir une thyroïde en place. Cela laisse à penser que la
majoration des besoins en lévothyroxine sous vandétanib signe davantage une modification de l’absorption
ou du métabolisme de la lévothyroxine, le vandétanib
n’entraînant probablement pas d’atteinte thyroïdienne
à proprement parler.
die suivie d’une hypothyroïdie, souvent spontanément
régressive (35, 36), ce qui laisse envisager un processus
vasculaire prédominant.
Dasatinib (Sprycel®)
Dans l’étude de Kim et al., parmi les 10 patients traités
par dasatinib, 5 présentent une hypothyroïdie (2 étaient
déjà en hypothyroïdie avant le traitement) et 2 présentent une hyperthyroïdie (35). Une hypothyroïdie
vraie est objectivée chez un seul patient. Cette étude,
qui est le seul travail rapportant un effet du dasatinib sur
la fonction thyroïdienne, ne permet pas d’appréhender
le mécanisme sous-jacent.
Prise en charge des modifications
de la fonction thyroïdienne sous ITK
Nilotinib (Tasigna®)
Le nilotinib cible les protéines BCR-ABL, c-KIT et le
PDGFR (35). Une série récente a inclus 55 patients
porteurs d’une leucémie myéloïde chronique (LMC) et
traités par nilotinib (35). Même si l’analyse des résultats
est difficile du fait que certains patients présentaient au
départ une maladie thyroïdienne, une hypothyroïdie et
une hyperthyroïdie apparaissent respectivement chez
22 % et 33 % des sujets. Certains patients présentent un
tableau de thyroïdite destructive, avec une hyperthyroï-
TSH en préthérapeutique du traitement par sunitinib
abaissée
élevée
normale
TSH à J28
Traitement
approprié
élevée
TSH en fin
de période off
élevée
normale
normale
abaissée
TSH à J28/lors des
2 cycles suivants,
puis 1 fois/3 cycles
Dosage de T4
libre pour
adaptation
thérapeutique
Lévothyroxine
'JHVSF Proposition de stratégie de dépistage des anomalies de la fonction thyroïdienne
sous sunitinib.
238
L’introduction de tout ITK nécessite une évaluation hormonale préalable et durant le traitement. Le sunitinib
étant le plus étudié, Wolter et al. proposent un schéma
de surveillance s’appuyant sur le dosage de la TSH aux
premier et dernier jours de la période on des 4 premiers
cycles, puis tous les 3 cycles si les premiers résultats
sont normaux (8). Le moment de l’introduction de la
lévothyroxine peut être délicat sous sunitinib lorsque
celui-ci est proposé de façon cyclique. L’élévation de la
TSH en fin de période off implique que l’hypothyroïdie
est constituée et qu’elle ne pourra que se majorer durant
la période on, ce qui motivera la prescription de lévothyroxine. En revanche, une élévation de la TSH durant
la période on peut se normaliser durant la période off
et pourrait être responsable d’une hyperthyroïdie si un
traitement par lévothyroxine était introduit. Ainsi, la TSH
en fin de période on semble utile au diagnostic d’hypothyroïdie. En cas d’élévation, la TSH doit être contrôlée
en fin de période off afin de décider de l’introduction
de la substitution. La figure 2 propose une stratégie
de dépistage des dysfonctions thyroïdiennes ainsi que
leur prise en charge. Lors d’un traitement continu par
sunitinib, une surveillance mensuelle de la TSH pourra
être recommandée, comme cela doit être le cas avec
l’imatinib, le sorafénib ou le vandétanib, compte tenu
des majorations des besoins substitutifs souvent nécessaires. Toutefois, seule l’évaluation systématique de
la fonction thyroïdienne lors des essais cliniques de
phases II et III permettra d’améliorer nos connaissances
sur l’effet thyroïdien des ITK et de proposer une stratégie diagnostique et thérapeutique adaptée à chaque
molécule.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 7 - septembre 2011
Modification de la fonction thyroïdienne par les inhibiteurs de tyrosine kinases
Conclusion
Il semble aujourd’hui certain que de nombreux ITK
peuvent modifier la fonction thyroïdienne, bien que
les mécanismes impliqués, encore incertains, ne
soient probablement pas identiques pour les différentes molécules. L’élargissement de leurs indications
impliquera une augmentation de l’incidence des
perturbations de la fonction thyroïdienne. Il est donc
indispensable que les oncologues aient connaissance de ces modifications hormonales afin de les
dépister et, au besoin, de les traiter, dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie des patients. Des
études complémentaires sont encore nécessaires
pour évaluer l’effet des ITK sur les autres fonctions
endocrines. Il est donc indispensable d’évaluer les
modifications hormonales lors des phases II et III
des essais cliniques.
■
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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 7 - septembre 2011
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