Mauisepoint Métabolisme de l’homocystéine Ph. Gillery* P O I N T S F O R T S L’ ➬ L’homocystéine est un acide aminé dérivé du métabolisme de la méthionine, qui n’est pas incorporé dans les protéines. ➬ Elle peut être métabolisée de deux façons : soit par transsulfuration, conduisant à la formation de cystéine, soit par reméthylation en méthionine. ➬ Le métabolisme de l’homocystéine est dépendant de l’apport en plusieurs facteurs vitaminiques : vitamines B6 et B12, acide folique. ➬ Les hyperhomocystéinémies peuvent être provoquées par des anomalies soit de la transsulfuration, soit de la reméthylation. ➬ Leur cause peut être soit génétique (déficits enzymatiques), soit environnementale (carences vitaminiques). ➬ L’exploration du métabolisme de l’homocystéine comporte, outre le dosage de l’homocystéine circulante totale, des dosages de vitamines, un test de charge en méthionine, le dépistage de mutations des gènes codant les enzymes impliquées. ➬ La mutation associée aux hyperhomocystéinémies modérées, la plus recherchée en pratique courante, est celle du gène de la MTHFR en position 677. ➬ La double origine des anomalies (génétique et acquise) permet d’envisager des interventions thérapeutiques sur le versant environnemental (supplémentations vitaminiques). homocystéine est un acide aminé soufré, homologue supérieur de la cystéine. Il présente la particularité de ne pas être incorporé dans les protéines, et il existe dans l’organisme sous différentes formes en équilibre d’oxydoréduction : homocystéine, homocystine (constituée de deux résidus d’homocystéine réunis par un pont disulfure), disulfure mixte homocystéine-cystéine (1-3). Dans le plasma, 70 % de l’homocystéine circule sous une forme liée aux protéines par des ponts disulfure. L’homocystéine dite “libre” est essentiellement représentée par les disulfures mixtes homocystéine-cystéine (figure 1, page 58). Métabolisme de l’homocystéine (4) L’homocystéine est formée au cours du métabolisme de la méthionine, dont l’ori- 57 gine est principalement alimentaire (figure 2, page 59). La méthionine est utilisée par l’organisme sous sa forme activée, la S-adénosyl-méthionine, au cours des réactions de méthylation catalysées par les méthyl-transférases. La fixation des groupements méthyl sur leur substrat (acides nucléiques, protéines, catécholamines par exemple) forme la S-adénosyl-homocystéine, à partir de laquelle l’homocystéine est libérée par hydrolyse. L’homocystéine peut être métabolisée de deux façons distinctes : • La première possibilité est la voie de la transsulfuration, qui conduit à la formation de cystéine. Ce métabolisme, surtout actif dans le foie, le rein, le pancréas et le cerveau, est irréversible et permet de cataboliser l’homocystéine présente en excès. Deux réactions constituent cette voie métabolique. La première, qui forme la cystathionine par réaction avec la sérine, est catalysée par la cystathionine synthase. La seconde, catalysée par la cystathionase, libère l’homosérine et la cystéine, dont le catabolisme final est la formation de sulfates. L’activité de ces deux enzymes est dépendante de la vitamine B6 (phosphate de pyridoxal). • La seconde possibilité est la reméthylation en méthionine, qui constitue un système de conservation de celle-ci et qui peut être assurée par deux voies métaboliques distinctes : – une voie mineure, localisée essentiellement dans le foie, catalysée par la bétaïnehomocystéine méthyltransférase : celle-ci utilise la bétaïne comme donneur de méthyl et libère la diméthyl-glycine ; – une voie majeure, ubiquitaire, catalysée par la méthionine synthase, dont le cofacteur est la vitamine B12. Cette enzyme synthétise la méthionine en fixant sur l’homocystéine un groupement méthyl fourni par le 5-méthyl-tétrahydrofolate (5-méthyl-THF). Le tétrahydrofolate (THF) libéré au cours de cette réaction est au centre d’un cycle de réactions passant par le 5-10-méthylène-THF, puis le * Laboratoire central de biochimie, hôpital Robert-Debré, Reims. Le Courrier de l’Arcol (1), n° 2, juin 1999 Mauisepoint H3C – S – CH2 – CH2 – CH – COOH Méthionine NH2 HS – CH2 – CH2 – CH – COOH Homocystéine NH2 HS – CH2 – CH – COOH Cystéine NH2 CH2 – CH2 – CH – COOH S Homocystine NH2 S CH2 – CH2 – CH – COOH NH2 CH2 – CH2 – CH – COOH déduire que les hyperhomocystéinémies sont liées à des troubles affectant soit la transsulfuration, soit la reméthylation. En effet, les augmentations d’apport ou de production de méthionine ne sont pas capables d’induire par ellesmêmes une hyperhomocystéinémie, hormis lors d’une charge massive, utilisée au cours de tests diagnostiques, à des concentrations très supérieures aux apports alimentaires. Les causes des hyperhomocystéinémies sont soit d’origine génétique, soit d’origine environnementale. Les causes génétiques • Le déficit en cystathionine synthase représente le déficit S enzymatique classique conduisant à l’homocystinurie. Sa CH2 – CH – COOH prévalence est de 1/200 000, et sa transmission autosomique NH2 récessive. Plus de trente mutations différentes de la cystaCH2 – CH2 – CH – COOH thionine synthase ont été identiHomocystéine fiées. Les formes homozygotes S NH2 liée à une protéine conduisent à l’homocystinurie typique, avec hyperhomocystéiS némie et hyperméthioninémie. Protéine Les signes cliniques associent des troubles neurologiques et Figure 1. Structure des acides aminés impliqués dans le oculaires, des anomalies squemétabolisme de l’homocystéine et des différentes formes lettiques et des signes d’athérode l’homocystéine dans l’organisme. sclérose précoce. Les formes hétérozygotes, présentes dans 5-méthyl-THF. Il est apporté à l’organisme moins de 1 % de la population générale, par l’alimentation, sous la forme d’acide s’accompagnent rarement d’hyperhomocysfolique rapidement réduit en THF. Le téinémie (2 ,5). 5-méthyl-THF est recyclé en permanence • Les enzymes du cycle de méthylation peusous l’action de l’enzyme méthylènevent également être affectées. Leur atteinte tétrahydrofolate-réductase (MTHFR), qui peut entraîner, plus rarement que dans le cas exerce donc une action indirecte mais déterprécédent, d’authentiques homocystinuries. minante dans la reméthylation de l’homoPlus souvent, elles sont associées à des cystéine. hyperhomocystéinémies modérées. Les principales anomalies génétiques de cette voie touchent le gène de la MTHFR. Dans les formes sévères, rares, l’homocysMécanismes téine est augmentée dans le plasma et l’urine, des hyperhomocystéinémies la méthionine plasmatique est diminuée, et divers troubles, notamment neurologiques L’exposé des voies de métabolisme de l’hoet cardiovasculaires, sont notés. L’activité mocystéine et de la méthionine permet de résiduelle MTHFR est faible, et différentes S NH2 Disulfure mixte homocystéine-cystéine Le Courrier de l’Arcol (1), n° 2, juin 1999 58 mutations responsables de ces tableaux ont été identifiées (6). Par ailleurs, un polymorphisme génétique courant de ce gène a été identifié : la substitution C ➝ T du nucléotide 677, qui conduit à l’incorporation d’une valine à la place d’une alanine dans la protéine (7). Cette modification crée un site de clivage Hinf I, qui permet sa mise en évidence après amplification de l’ADN par PCR. La mutation s’accompagne d’une diminution de l’activité et d’une augmentation de la thermolabilité de l’enzyme codée. Il s’agit d’une mutation fréquente dans les populations occidentales : environ 12 % d’homozygotes et 40 à 45 % d’hétérozygotes (8). D’autres mutations du gène de la MTHFR, associées à des déficits modérés de l’activité enzymatique et d’éventuel intérêt clinique, ont été décrites (9). En pratique courante, la mutation C677T est la mutation le plus souvent recherchée. Son association avec les pathologies athérothrombotiques est toujours discutée (10). • Enfin, des maladies génétiques rares du métabolisme de la vitamine B12 peuvent être responsables d’hyperhomocystéinémie. Elles s’accompagnent d’anémie mégaloblastique, de troubles neurologiques, et parfois de manifestations thromboemboliques (2). Les causes environnementales Trois facteurs vitaminiques sont, comme on l’a décrit plus haut, impliqués dans le métabolisme de l’homocystéine : – la vitamine B12, cofacteur de la méthionine synthase, – l’acide folique, précurseur direct du THF, – la vitamine B6, cofacteur des réactions de transsulfuration. Les deux premiers facteurs interviennent dans la voie de reméthylation de l’homocystéine. Les carences en ces facteurs, principalement dues à une insuffisance de leur apport alimentaire, sont directement responsables d’hyperhomocystéinémie, généralement modérée. Les carences en acide folique, et à un moindre degré en vitamine B12, sont le plus souvent associées à l’hyperhomocystéinémie. D’autres causes environnementales, impliquant à divers degrés ces métabolismes ou influant sur le métabolisme rénal de l’homocystéine, sont à l’origine d’hyperhomocystéinémies (2) : insuffisance rénale, cancer, maladies diverses comme le psoriasis, traitements médicamenteux (méthotrexate, anticonvulsivants, NO). Mauisepoint Réactions de reméthylation de l'homocystéine Acide folique Protéines ATP Sérine Méthionine-adénosyl-transférase Méthionine THF Glycine Sérine hydroxyméthyltransférase Méthionine synthase N5-N10 méthylèneTHF BHMT Substrat Méthyltransférase Vit B12 MTHFR S-ad-Met Diméthylglycine bétaïne Substrat méthylé S-ad-Hcy Réactions de méthylation Adénosyl homocystéinase 5-méthyl-THF Homocystéine Cystathionine synthase Adénosine Vit B6 Cystathionine Réactions de transsulfuration Vit B6 Cystathionase Cystéine Figure 2. Voies métaboliques impliquant l’homocystéine. BHMT : bétaïne-homocystéine méthyltransférase. S-ad-Met : S-adénosyl-méthionine. S-ad-Hcy : S-adénosyl-homocystéine. THF : tétrahydrofolate. MTHFR : méthylène-tétrahydrofolate-réductase. Les constituants apportés par l’alimentation sont indiqués sur fond bleuté. Bases métaboliques des explorations biologiques En clinique, l’étude du métabolisme de l’homocystéine peut, outre le dosage de l’homocystéine totale, être complétée par des examens destinés à l’exploration des différentes voies décrites plus haut : – le test de charge en méthionine, qui consiste à administrer par voie orale 0,1 g de méthionine par kg de masse corporelle, généralement dans un jus d’orange (les dosages d’homocystéine plasmatique sont le plus souvent effectués à 0, 2 , 4 et 6 heures) ; – les dosages des facteurs vitaminiques impliqués ; – la détection de polymorphismes du gène de la MTHFR (C677T en premier lieu). Le test de charge, initialement utilisé pour détecter les sujets hétérozygotes pour le déficit en cystathionine synthase, permet de mettre en évidence des anomalies, même modérées, de la voie de transsulfuration (3). Des travaux récents suggèrent cependant que ce test puisse également révéler des anomalies de la voie de reméthylation. Nous ne discuterons pas ici des résultats et des valeurs seuils retenus en clinique, car la plupart de ces tests ne sont pas encore standardisés. Ce sujet fait l’objet d’un autre article de cette revue. Conclusion Le métabolisme de l’homocystéine peut être affecté par des anomalies tant génétiques qu’environnementales. Différentes investigations biologiques en permettent un diagnostic de plus en plus fin. Les diverses carences vitaminiques génératrices d’hyperhomocystéinémie suggèrent la possibilité d’une prise en charge thérapeutique effective, et des études prospectives d’intervention sont menées à l’heure actuelle par plusieurs équipes. ■ Références 1. Jacobsen D.W. Homocysteine and vitamins in cardiovascular disease. Clin Chem 1998 ; 44 : 1833-43. 2. Bakker R.C., Brandjes D.P.M. Hyperhomocysteinemia and associated disease. Pharm World Sci 1997 ; 19 : 126-32. 59 3. Refsum H., Ueland P.M., Nygard O., Vollset S.E. Homocysteine and cardiovascular disease. Annu Rev Med 1998 ; 49 : 31-62. 4. Finkelstein J.D. The metabolism of homocysteine : pathways and regulation. Eur J Pediatr 1998 ; 157 : S40-4. 5. Mudd S.H., Levy H.L., Skovby F. Disorders of transsulfuration. In : Scriver C.R., Beaudet A.L., Sly W.S. et coll. (eds) : The metabolic and molecular basis of inherited diseases. New York, Mc GrawHill, 1995 : 1279-327. 6. 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