Mise au point
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La Lettre du Cardiologue - n° 400 - décembre 2006
associée à une altération des voies de transduction (adényl-
cyclase, AMP cyclique). Néanmoins, cette downregulation doit
être vue plus comme un mécanisme de protection du cœur que
comme une anomalie pouvant expliquer une altération de la
performance cardiaque, comme cela avait parfois été suggéré.
D’autres hormones sont produites en excès : il existe en parti-
culier une stimulation du système rénine-angiotensine-aldos-
térone (SRAA) se traduisant notamment par une rétention
hydrosodée. C’est la baisse de la pression de perfusion rénale
qui est à l’origine de cette stimulation du SRAA. L’endothéline
et la vasopressine sont également augmentées.
Les modifi cations de la volémie dans la cirrhose sont connues
depuis plusieurs dizaines d’années (3). Il est classiquement
admis que cette augmentation du secteur extracellulaire a lieu
essentiellement dans le secteur extravasculaire avec une relative
“hypovolémie” effi cace (d’où la stimulation du système rénine-
angiotensine). En ce qui concerne la précharge, c’est-à-dire le
volume télédiastolique ventriculaire gauche secondaire aux
modifi cations de la volémie centrale, les résultats des études
ne sont pas homogènes : certaines études montrent une aug-
mentation (4, 5), d’autres une diminution du volume sanguin
central (6, 7). Il semble que ces modifi cations soient infl uencées
par l’orthostatisme puisque, dans la majorité des études, la volé-
mie centrale est retrouvée diminuée en position verticale. Le
tableau semble également diff érent selon qu’il y a ou non une
ascite. Il semble exister une baisse de la volémie centrale en
présence d’une ascite ; les dimensions ventriculaires gauches
sont en eff et, en général, plus faibles en présence d’une ascite (5).
Cette augmentation de volume des cavités cardiaques entraîne
une augmentation de l’étirement des myocytes à l’origine d’un
processus d’hypertrophie dite excentrique, c’est-à-dire avec
une diminution du rapport épaisseur/rayon du cœur. Le pep-
tide natriurétique de type B (BNP) sécrété par le myocarde en
réponse à cette distension pariétale est généralement modéré-
ment augmenté dans la cirrhose (8). Des études ont également
montré une augmentation de la troponine suggérant une nécrose
des zones sous-endocardiques lors de dilatations ventriculaires
gauches importantes (9). Quoi qu’il en soit, lorsque la volé-
mie centrale est augmentée, elle participe à l’augmentation du
débit cardiaque. On doit citer l’anémie, fréquente du fait des
hémorragies secondaires à l’hypertension portale (gastropathie
d’hypertension portale ou rupture de varices œsophagiennes),
qui peut encore favoriser l’augmentation du débit cardiaque.
Il existe enfi n des anomalies du système nerveux autonome
dont le rôle délétère est mal connu. De même, des anomalies
de l’espace QT ont été rapportées sans que l’on puisse objec-
tiver une augmentation de fréquence des troubles du rythme
ventriculaire chez ces patients. Il faut noter que la fi brillation
auriculaire est toutefois fréquente dans la cirrhose, du fait de la
dilatation auriculaire et de l’hypertonie sympathique.
L’examen cardiaque du cirrhotique est en général relativement
pauvre. La pression artérielle est habituellement diminuée ; la
tachycardie est fréquente, sauf en cas de traitement bêtablo-
quant. L’exploration échographique retrouve en général une
augmentation des diamètres télédiastolique et télésystolique
avec un volume d’éjection systolique normal ou plutôt augmenté,
et un débit cardiaque augmenté. Les épaisseurs pariétales sont
normales ou augmentées et la masse ventriculaire est accrue.
La pression télédiastolique ventriculaire gauche et la pression
capillaire pulmonaire (PCP) sont en général normales ou discrè-
tement augmentées. La fraction d’éjection ventriculaire gauche
refl étant la capacité de vidange du ventricule gauche tend à être
normale ou augmentée. Cette augmentation modérée de la PCP
associée à l’augmentation du volume systolique rend compte
d’une élévation fréquente de la pression artérielle pulmonaire
(PAP) systolique et moyenne qui ne doit pas faire croire néces-
sairement à une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
primitive ou portopulmonaire. En eff et, le calcul des résistances
vasculaires pulmonaires montre que celles-ci sont normales. Il
n’existe par ailleurs pas, dans ces conditions, de gradient entre la
PAP diastolique et la PCP. La bradycardie en cas de traitement
bêtabloquant tend également à majorer la pression pulsée pul-
monaire. Il faut donc être prudent avant de conclure à une HTAP
vraie – défi nie par une augmentation de la PAP moyenne ou,
mieux, des résistances pulmonaires – devant une augmentation
de la vitesse d’une insuffi sance tricuspide au doppler.
Les traitements, enfi n, peuvent modifi er le profi l cardiaque des
cirrhoses : les vasodilatateurs majorent encore le débit cardiaque
et la diminution de pression artérielle. Surtout, le bêtabloquant
utilisé dans le traitement de l’hypertension portale ralentit la
fréquence cardiaque, ce qui tend à augmenter encore le volume
télédiastolique. L’eff et inotrope négatif tend également à dimi-
nuer le volume d’éjection systolique.
ATTEINTE MYOCARDIQUE LATENTE
DES CIRRHOTIQUES
La cirrhose peut s’associer à une altération intrinsèque de la
contractilité myocardique. Celle-ci est compréhensible en cas
de cirrhose alcoolique car l’alcool a une toxicité cardiaque bien
connue (myocardiopathie alcoolique, réversible au sevrage).
Cette atteinte peut toutefois s’observer même chez les patients
non alcooliques ; elle a été rapportée à une toxicité des acides
biliaires et à l’hyperactivité hormonale. La production accrue
d’angiotensine II et d’aldostérone a également des eff ets toxi-
ques sur le cœur : production de radicaux libres, apoptose,
augmentation de la fi brose interstitielle... Une augmentation
de la NO synthase inductible au niveau cardiaque a également
été impliquée : elle pourrait intervenir dans l’altération de la
contractilité et de la distensibilité.
Le problème, pour le clinicien, devant une cirrhose alcoolique
ou non, est de détecter une éventuelle altération de la fonction
myocardique masquée. On l’a vu, une dilatation modérée du
volume cardiaque peut s’observer en dehors de toute altération
de la contractilité. Surtout, la vasodilatation artérielle, qui favo-
rise l’éjection du ventricule gauche, peut masquer une altération
myocardique latente : les conditions circulatoires du cirrhotique
sont fi nalement celles d’un patient traité par des vasodilatateurs
qui sont justement les médicaments de référence de l’insuffi sance