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G20 : vers la n
de la « guerre
des monnaies » ?
ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN
DE BOISSIEU (1),
président du Conseil d’analyse économique
et professeur à Paris-I,
Question
?
Pourquoi parle-t-on de « guerre des monnaies » ou de
« guerre des devises », comme le ministre des Finances brési-
lien l’a fait en septembre 2010 ? En quoi consiste-t-elle ?
Quelles sont ses conséquences sur les échanges et l’économie
mondiale ?
La crise mondiale n’est pas fi nie, même si la reprise s’est amorcée depuis
le second semestre de 2009. On peut prendre la mesure du choc, et du
fait qu’il n’est pas dissipé, à la lumière de plusieurs éléments : le niveau
du chômage en général et celui des jeunes en particulier, le soutien
persistant de l’économie par les politiques monétaires et les politiques
budgétaires, et enfi n la présence toujours effective d’actifs fi nanciers
« toxiques » dans les bilans de certaines banques. Sans oublier la catas-
trophe récente au Japon qui ajoute, au moins à court terme, beaucoup
d’incertitudes et des forces récessionnistes.
Dans ce contexte encore diffi cile, aucun pays ne veut voir sa monnaie
s’apprécier, ce qui pèserait sur la compétitivité de ses entreprises et
sa croissance. Et ceci vaut même pour les grands pays émergents, qui
1. Entretien réalisé le 18 mars 2011.
Réponse
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G20 : VERS LA FIN DE LA « GUERRE DES MONNAIES » ?
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Dossier
enregistrent des taux de croissance impressionnants (par exemple,
Chine, Inde, Brésil, Corée du Sud,…) et voient affl uer des masses de
capitaux, etc. La « guerre des monnaies » désigne cette situation dans
laquelle chacun veut éviter que le cours de sa monnaie ne monte, mais
préfère qu’elle reste sous-évaluée pour doper l’activité et l’emploi
domestiques. Ainsi, la Chine résiste à la réévaluation de sa devise (le
yuan), les Américains, quoiqu’ils en disent, se satisfont très bien de la
faiblesse du dollar… Or, toutes les monnaies ne peuvent pas baisser
en même temps ; au moins l’une d’entre elles doit s’apprécier. Dans ce
contexte, l’absence de politique de change de la zone euro désigne l’euro
comme l’une des devises fortes, non pas parce que l’Europe irait bien
(ce qui est loin d’être le cas…), mais comme conséquence de l’activisme
monétaire des autres pays ou zones. Il a fallu une accélération de l’infl a-
tion depuis la fi n 2010, sous l’effet des prix alimentaires et pétroliers,
pour que certains pays émergents (dont le Brésil) acceptent de relever
taux d’intérêt et taux de change, au point que d’aucuns ont alors évoqué
la fi n de la guerre des monnaies. Je n’en crois rien. Côté paradoxal de la
situation : c’est la zone peu tonique (en moyenne) du point de vue de la
croissance et de l’emploi, l’Europe, qui risque de faire les frais de cette
« guerre des monnaies ».
Enfi n, taux de change et commerce international sont étroitement
imbriqués. Une façon effi cace pour un pays de protéger son marché
intérieur et de favoriser ses exportations, est de pratiquer ou d’encou-
rager une sous-évaluation systématique de sa devise. Si jamais la « guerre
des monnaies » devait durer et s’aggraver, il y aurait là une menace sur
l’ouverture commerciale des pays et un encouragement, en riposte, à des
stratégies nationales protectionnistes.
?
Le président français, Nicolas Sarkozy, a ficomme
principal objectif de sa présidence du G20 la réforme du
système monétaire international (SMI) que certains quali-
ent de « non-système ». En quoi est-ce un non-système ?
Pourquoi ne fonctionne-t-il plus ?
Le système de Bretton Woods est mort en deux étapes, d’abord en
août 1971 avec la décision américaine de supprimer la convertibilité du
dollar en or, puis en mars 1973 avec la généralisation des changes fl ot-
tants (2) (au plan mondial). Depuis, nous sommes d’une certaine façon
dans un « non-système » (même si je ne veux pas trop jouer sur les mots),
caractérisé par une forte volatilité des taux de change, par l’absence de
2. Le change (taux de ou cours de) représente le prix d’une monnaie exprimé par rapport à une monnaie étrangère. Le taux
de change se forme sur le marché des changes en fonction des offres et des demandes des agents économiques et des inter-
ventions des autorités monétaires. Dans les systèmes de parités fi xes, les autorités monétaires sont tenues d’intervenir pour
maintenir le taux de change à l’intérieur de marges étroites de fl uctuations autour de la parité. Dans les régimes de changes
ottants, les monnaies n’ont pas de parité offi cielle : leur cours se forme sur le marché des changes en fonction des offres et
des demandes.
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REGARDS SUR L’ACTUALITÉ
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règles et de disciplines permettant de contenir les déséquilibres interna-
tionaux (défi cits extérieurs des uns, excédents des autres) à l’intérieur
de certaines limites et de répartir sur une base claire et consensuelle la
charge de l’ajustement entre pays excédentaires et pays défi citaires, par
une régulation défectueuse de la création des liquidités internationales,
par des crises fi nancières à répétition, etc. En même temps pointent
des éléments faisant système, les uns relevant de la continuité vis-à-vis
du système de Bretton Woods (exemple : les privilèges persistants du
dollar, monnaie de réserve par excellence), d’autres relevant de tenta-
tives, souvent peu effi caces, de régulation via les exercices de coordina-
tion internationale menés depuis le milieu des années 1970 dans le cadre
du G7/G8.
Tous ces thèmes ne sont pas nouveaux. Déjà, au début des années 1960,
c’est-à-dire à l’apogée du système de Bretton Woods, le général de Gaulle
et Jacques Rueff, son principal conseiller économique, dénonçaient les
défi cits américains et les privilèges du dollar. Des commentaires que
l’on retrouve, à partir de mars 2009, dans les propos du Gouverneur de
la Banque centrale de Chine, même si la formulation a bien sûr un peu
changé.
Avec l’accord du Plaza de septembre 1985 (3) et celui du Louvre en
février 1987 (4), des tentatives ont eu lieu pour contenir l’instabilité
des taux de change. Celles-ci se sont révélées éphémères, car mises
en défaut par la très imparfaite coordination internationale des poli-
tiques macro-économiques nationales. On y retrouve l’incontournable
« triangle d’incompatibilité » mis en évidence par le prix Nobel Robert
Mundell (5) et par le regretté Tommaso Padoa-Schioppa (6) : on ne peut
pas avoir à la fois des changes fi xes, une parfaite mobilité internationale
des capitaux (engendrée par la libéralisation fi nancière) et des politiques
monétaires nationales autonomes. Si l’on veut réduire la volatilité des
changes sans toucher à la mobilité des capitaux, il faut plus et mieux
coordonner les politiques monétaires…
En 2009 et 2010, le G20 a surtout parlé de régulation bancaire et fi nan-
cière. Il a permis d’avancer sur certains dossiers comme la nouvelle
réglementation prudentielle des banques (passage de Bâle 2 à Bâle 3 en
relevant les exigences de fonds propres pour les banques par exemple).
Mais, puisque la crise mondiale enclenchée à partir d’août 2007, aggravée
par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et non achevée
à ce jour, a été alimentée, entre autres facteurs, par les déséquilibres
3. Du nom de l’hôtel de New York où il a été conclu, le 22 septembre 1985, entre les ministres des Finances des États-Unis, du
Japon, de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni (G5), l’accord du Plaza essaie de réguler le recul du dollar (NDLR).
4. Suite à l’accord du Plaza, le G5 passa une autre convention, l’accord du Louvre, le 22 février 1987, afi n de limiter les fl uctuations
des taux de change de leur monnaie dans des fourchettes jugées économiquement souhaitables (NDLR).
5. Robert Alexander Mundell (1932-) est un économiste canadien connu notamment pour avoir participé à l’élaboration de la
théorie des zones monétaires optimales (NDLR).
6. Tommaso Padoa-Schioppa (1940-2010) est un économiste italien, qui fut ministre de l’Économie et des Finances du gouverne-
ment Romano Prodi, après avoir été membre du directoire de la Banque centrale européenne (NDLR).
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internationaux, par les privilèges du dollar et l’abondance des liquidités
dans le monde (tous ces éléments étant reliés entre eux), il était logique
d’élargir dans ces directions l’agenda du G20. On ne va pas en un an
traiter des questions restées pendantes depuis des décennies. L’im-
portant, est d’accepter d’en parler autour de la table du G20, de voir
jusqu’où le même diagnostic peut être partagé entre les pays membres
et s’il existe des éléments de convergence sur les mesures à prendre ou
à favoriser avec des effets attendus sur le moyen long terme. L’accord
laborieusement obtenu en février 2011 à Paris lors du G20 Finances à
propos de la liste des indicateurs à surveiller suggère que les négocia-
tions ne seront pas un long fl euve tranquille (7)… La Chine fera tout
pour éviter d’être désignée comme responsable, voire coupable des
déséquilibres internationaux et de l’instabilité en découlant (elle a réussi
à faire sortir de la liste des indicateurs le taux de change réel et les
réserves de change), et pour freiner l’appréciation de sa devise (le yuan).
Mais, clairement, elle n’est pas le seul pays à mettre en avant ses propres
intérêts…
?
Quelles étaient les précédentes organisations du système
monétaire international (SMI) ?
Le SMI se présente aujourd’hui comme un duopole (8) monétaire asymé-
trique. Un duopole, car il repose sur deux monnaies de réserve, le dollar
et l’euro. En effet, le yen n’est plus vraiment une monnaie de réserve
internationale : il représente seulement 3 % des réserves de change des
banques centrales dans le monde, avec un chiffre même inférieur pour la
facturation du commerce mondial, et il n’est même plus la monnaie de
référence de l’Asie (lorsque deux pays asiatiques commercent entre eux,
ils facturent et règlent en dollars, voire en euros… plutôt qu’en yens). La
devise japonaise est donc tombée en deuxième division si l’on considère
son rôle international, et non son taux de change. Cette évolution est
probablement irréversible, et elle ne doit pas totalement surprendre les
Japonais qui, lorsque les circonstances s’y prêtaient, ont plutôt freiné l’in-
ternationalisation de leur monnaie. Car émettre une monnaie de réserve
internationale engendre, pour le pays concerné, à la fois des privilèges et
des responsabilités. Il y a trente ans, le SMI correspondait à une triade
monétaire dollar/deutsche mark/yen. Pour passer du duopole actuel à
une nouvelle triade, celle formée par le dollar, l’euro et le yuan, il faudra
attendre entre cinq et dix ans, le temps que la devise chinoise devienne
pleinement convertible. J’y reviendrai plus loin.
7. Le G20 Finance est la réunion des ministres des Finances et Gouverneurs des banques centrales des pays du G20. La dernière
s’est tenue à Washington les 14 et 15 avril, l’avant-dernière à Paris les 18 et 19 février 2011 (NDLR).
8. Un duopole est une structure de marché dans laquelle deux entreprises, les duopoleurs, produisent un même bien dont elles
fournissent la totalité de l’offre. Ces derniers peuvent ainsi agir, soit sur les prix, soit sur les quantités (NDLR)
.
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