Hormones sexuelles et troubles psychiques

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Hormones sexuelles et troubles psychiques
● A. Dib*
L
e rôle des stéroïdes sexuels dans les troubles psychiques est depuis longtemps un sujet de controverses,
notamment entre gynécologues et psychiatres. Il existe
incontestablement des arguments épidémiologiques en faveur
d'une action des hormones sexuelles sur le psychisme, qui sont
connus de longue date. En effet, l’incidence des maladies psychiatriques, en particulier des dépressions, est supérieure chez la
femme, et cette différence entre les sexes apparaît dès la puberté.
Par ailleurs, il existe des troubles psychiques spécifiques associés à différents événements de la vie génitale féminine: troubles
cycliques de l'humeur dans le cadre du syndrome prémenstruel,
dépression du post-partum, dépression péri- et postménopausique.
À l’inverse, la grossesse est marquée par une très faible incidence
des troubles psychiques sévères.
Ces événements de la vie génitale sont bien sûr caractérisés par
de grandes modifications du statut hormonal de la femme, mais
sont également associés à une transformation de son statut social
et de sa situation psycho-affective.
Les rôles respectifs des facteurs hormonaux et socio-affectifs sont
difficiles à évaluer ; cependant, les progrès récents dans la
compréhension des mécanismes d’action des stéroïdes sexuels
au niveau du système nerveux central, d’une part, et, d’autre part,
les résultats des études évaluant les effets sur le psychisme du
traitement hormonal substitutif de la ménopause ont relancé le
débat sur l’importance des facteurs hormonaux.
ASPECTS ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Si des troubles de l’humeur en période prémenstruelle ou dans le
post-partum sont observés a minima chez 20 à 80% des femmes,
environ 10 % d’entre elles développeront une forme sévère de
syndrome prémenstruel ou une réelle dépression du post-partum,
justifiant une prise en charge spécifique (1). L’existence d’une
susceptibilité individuelle à ces troubles psychiques est une des
informations les plus intéressantes apportées par les études épidémiologiques. En effet, il existe une récurrence des troubles psychiques sévères du post-partum dans 20 % des cas et, chez les
patientes présentant des troubles de l’humeur postménopausiques,
des antécédents de troubles psychiques prémenstruels, sous
estroprogestatifs ou dans le post-partum, sont observés de façon
significativement plus fréquente que chez les femmes ménopausées indemnes de troubles de l’humeur (2).
* Hôpital Necker, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15.
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Ces patientes, qui présentent une sensibilité psychique particulière aux variations des stéroïdes sexuels, ne semblent pas présenter un terrain psychiatrique spécifique en termes d’antécédents
personnels ou familiaux.
En ce qui concerne les maladies psychiatriques, leur évolution
semble pouvoir être partiellement modulée par des variations hormonales. En effet, il semble exister une amélioration de certaines
pathologies psychiatriques, notamment les crises d’angoisses
paroxystiques, pendant la grossesse, et des décompensations plus
fréquentes des psychoses maniaco-dépressives dans le postpartum.
Données fondamentales
Les stéroïdes sexuels présents au niveau du système nerveux
central ont deux origines. Il s’agit soit des stéroïdes produits en
périphérie qui ont franchi la barrière hémato-méningée et sont
dits "stéroïdes neuroactifs", soit de stéroïdes produits in situ et
appelés "neurostéroïdes". Ces neurostéroïdes proviennent, d’une
part, de la métabolisation des stéroïdes périphériques (par
exemple : catécholestrogènes) et, d’autre part, d’une synthèse de
novo, notamment de prégnénolone et de DHA, par les cellules
gliales (3).
Ces stéroïdes peuvent agir soit par l’intermédiaire de leurs
récepteurs spécifiques, dont l’activation permettra l’expression
de gènes cibles et la synthèse de différentes protéines, soit en
modulant l’activité de certaines voies neurotransmettrices. C’est
vraisemblablement ce deuxième mécanisme qui est le plus impliqué dans la modulation de l’humeur.
En ce qui concerne les actions génomiques, médiées par les récepteurs, leur rôle physiologique reste à préciser mais n’est sans doute
pas négligeable. En effet, les récepteurs des stéroïdes sexuels sont
observés dans les structures impliquées dans la régulation des
comportements, dans les fonctions cognitives et de mémorisation: hypothalamus, région périventriculaire, hippocampe, structures limbiques, cortex frontal. Il existe, globalement, une colocalisation des récepteurs des androgènes, de l’estradiol et de la
progestérone (4). Les principaux gènes-cibles actuellement
connus sont des facteurs neurotrophiques et des neuropeptides.
De nombreux travaux ont, ces dernières années, mis en évidence
une modulation par les stéroïdes sexuels des principales voies
neurotransmettrices : catécholamines, dopamine, sérotonine,
voies GABA et NMDA. Les hormones sexuelles peuvent agir à
différents niveaux de chacune de ces voies : modulation de
l’activité ou de l’expression des récepteurs, interactions avec les
enzymes de métabolisation ou avec les sites de recapture.
La Lettre du Gynécologue - n° 234 - septembre 1998
L’intégration complète de ces interactions sur chacune des voies
et leur importance réelle en physiologie et en pathologie sont
encore loin d’être éclaircies. Cependant, en ce qui concerne les
estrogènes, on peut noter qu’ils semblent moduler les trois voies
impliquées dans la pathogénie des troubles dépressifs : catécholamines (inhibition de la COMT), dopamine (modulation de
l’activité des récepteurs D1 et D2), sérotonine (inhibition de la
MAO, interaction avec les sites de recapture) (5).
Le principal mécanisme d’action de la progestérone au niveau
du système nerveux central a en revanche été clairement démontré et permet de rendre compte des effets sédatifs et anxiolytiques
classiquement attribués à cette hormone. Les métabolites 3α
hydroxylés de la progestérone se lient en effet au récepteur
GABAA. Ce récepteur multimérique, qui fonctionne comme un
canal Cl-, est le site d’action principal des benzodiazépines et
des barbituriques, pour lesquels il possède des sites de liaison
spécifiques. Les métabolites 3α hydroxylés de la progestérone
agissent comme ces drogues en augmentant la durée d’ouverture
du canal Cl-, potentialisant ainsi la voie GABAergique (6).
RÔLE DES DIFFÉRENTS STÉROÏDES
Androgènes
Chez l’animal, en particulier chez les rongeurs, les données expérimentales démontrent le rôle des androgènes dans le développement de l’agressivité physique et sociale. Les androgènes augmentent également les phases d’activité par rapport aux phases
de sommeil. L’influence des facteurs hormonaux, notamment
dans le comportement social, semble moindre chez les primates
(7).
Chez l’homme, il n’existe pas de fluctuations physiologiques
significatives du taux des androgènes plasmatiques après la
puberté. Le rôle des androgènes sur le psychisme ne peut donc
être suspecté qu’à partir de certaines situations pathologiques et
à partir des effets psychiques de l’utilisation pharmacologique
des androgènes et des antiandrogènes.
Chez les hommes hypogonadiques non substitués, il est fréquent
d’observer une faible agressivité sociale, et, chez certains, une
tendance dépressive.
Les ambiguïtés sexuelles, par défaut de virilisation de sujets XY
(résistance aux androgènes, déficit en 5α réductase) ou par virilisation de sujets XX (hyperplasie congénitale des surrénales),
qui constituent d’excellents modèles pour comprendre le rôle des
androgènes dans la différenciation sexuelle des organes génitaux, ont parfois été utilisées par certains pour extrapoler le rôle
physiologique des androgènes sur le psychisme, et en particulier
sur la différenciation sexuelle des comportements. Cela paraît
tout à fait abusif dans la mesure où le rôle de l’environnement
parental ainsi que des possibilités de réparation chirurgicale des
organes génitaux externes conditionne vraisemblablement au
moins autant l’identification sexuelle dans la petite enfance et
les comportements que l’imprégnation hormonale pendant la vie
fœtale.
Les tumeurs virilisantes de la femme sont rares, mais ces
patientes rapportent souvent un dynamisme et une libido
augmentés.
La Lettre du Gynécologue - n° 234 - septembre 1998
Les données pharmacologiques apportent d’autres informations sur le rôle des androgènes. En effet, les anabolisants utilisés à fortes doses, comme cela est fréquent dans certains
milieux sportifs, ont des effets psychiques incontestables. À
côté des effets bénéfiques recherchés, à savoir, physiquement,
un effet trophique majeur sur les muscles, et, sur le plan psychique, la stimulation de l’agressivité, utile au sportif en compétition, d’authentiques troubles psychiques sont rapportés
avec une fréquence de 22 à 33 %. Pendant le traitement, des
états hypomaniaques, voire des accès maniaques, des hallucinations et des idées délirantes, notamment sensation de toutepuissance et délires paranoïaques, ont été rapportés. Ces
troubles sont dose-dépendants et réversibles à l’arrêt du traitement, qui peut, quant à lui, être marqué par la survenue de
syndromes dépressifs (8).
Les antiandrogènes, et en particulier l’acétate de cyprotérone,
ont été utilisés pour traiter des sujets délinquants sexuels (qui,
sur le plan hormonal, ne diffèrent pas des témoins sains), en
association avec une prise en charge psychiatrique. Indépendamment du débat sur l’intérêt médico-légal et le bénéfice réel
de ce traitement dans cette indication, ces cas apportent indirectement des informations sur le rôle des androgènes sur le
psychisme. En effet, à côté des effets recherchés sur la fonction sexuelle (effondrement de la réponse à la stimulation,
surtout, et, à un moindre degré, réduction de la libido), une
réduction de l’agressivité et un effet anxiolytique sont souvent
observés. Des cas de syndromes dépressifs ont également été
rapportés.
Il apparaît ainsi que les androgènes exercent incontestablement
un effet stimulant sur le psychisme chez le sujet de sexe masculin. Chez la femme, l’importance physiologique des androgènes
sur le psychisme reste méconnue.
Progestérone
L’action anticonvulsivante, anxiolytique et hypnotique de la progestérone naturelle est maintenant bien établie. Elle résulte de la
potentialisation de la voie GABA par modulation allostérique du
récepteur GABAA, et cette action est propre aux métabolites 3α
hydroxylés de la progestérone. Sur le plan physiologique, cela
permet de rendre compte de la diminution de la fréquence des
crises épileptiques pendant la phase lutéale, de la somnolence
observée en début de grossesse et vraisemblablement de l’amélioration des attaques de panique également rapportée pendant
la grossesse (5).
En pharmacologie, cet effet ne peut être attendu que de la progestérone naturelle, qui seule est métabolisable en 3α, contrairement aux progestatifs de synthèse. Par ailleurs, la voie orale,
caractérisée par une intense métabolisation, contrairement à la
voie vaginale, permet d’obtenir le maximum d’effets psychotropes de la progestérone (9). En ce qui concerne les progestatifs de synthèse, il faut noter que l’on ne dispose d’aucune étude
évaluant leurs effets psychiques propres lorsqu’ils sont utilisés
en monothérapie, ou même lorsqu’ils sont utilisés en association séquentielle avec les estrogènes dans le traitement substitutif de la ménopause.
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Estrogènes
Les études réalisées chez l’animal, principalement le rongeur,
mettent en évidence une augmentation de l’agressivité et une
amélioration du rang social chez les animaux castrés traités par
des estrogènes. Il semble donc exister, chez les rongeurs, des
similitudes importantes entre le rôle physiologique des estrogènes et celui des androgènes sur le psychisme. Chez le rongeur,
il apparaît d’ailleurs qu’une partie importante des effets des
androgènes sur le comportement est médiée par le récepteur des
estrogènes après aromatisation des androgènes dans le cerveau
(7).
Le rôle antidépresseur potentiel des estrogènes est discuté depuis
de nombreuses années. La mise en évidence d’une modulation
par l’estradiol des différentes voies neurotransmettrices impliquées dans la dépression lui apporte un substratum fondamental. Sur le plan physiopathologique, l’hypoestrogénie est ainsi
impliquée dans le développement de certains types de troubles
psychiques cycliques, dans la dépression du post-partum et bien
sûr dans les troubles de l’humeur périménopausique. L’utilisation pharmacologique des estrogènes dans certaines de ces indications a d’ailleurs été évaluée de façon souvent discutable sur
le plan méthodologique, comme nous allons le développer dans
les paragraphes suivants. Par ailleurs, leur utilisation a été proposée en traitement adjuvant de dépressions sévères résistantes
aux thérapeutiques classiques ; une réponse positive était observée chez certaines patientes, mais le petit nombre de patientes
évaluées ne permet aucune conclusion.
IMPLICATION DES STÉROÏDES SEXUELS
DANS LES DIFFÉRENTS TROUBLES DE L’HUMEUR
ASSOCIÉS À LA VIE GÉNITALE CHEZ LA FEMME
Troubles cycliques de l’humeur et syndrome prémenstruel
Le syndrome prémenstruel associe des symptômes somatiques :
gonflement abdominal, œdèmes, mastodynie… à des troubles
psychiques: irritabilité, nervosité, labilité émotionnelle, humeur
dépressive… La caractéristique majeure de ces troubles est leur
cyclicité, puiqu’ils apparaissent au cours de la phase lutéale et
sont spontanément résolutifs dans les premiers jours du cycle
suivant. Les troubles de l’humeur observés sont de deux types :
signes d’irritabilité et signes dépressifs. Un seul type de troubles
psychiques peut être prédominant chez certaines patientes, alors
que les deux seront associés chez d’autres, selon une séquence
souvent reproductible.
L’objectivation même d’un syndrome prémenstruel repose donc
sur un interrogatoire précis et sur la réalisation d’un calendrier
des troubles, couplé à une courbe ménothermique, sur plusieurs
cycles consécutifs. L’association de signes physiques objectifs
à des troubles psychiques, dont la nature devra être détaillée,
selon une chronologie cyclique et reproductible d’un cycle à
l’autre, est indispensable pour affirmer le diagnostic.
La pathogénie précise de ces troubles reste un sujet de controverse ; toutefois le rôle causal des hormones sexuelles est indiscutable, en raison même de la cyclicité de ces troubles au cours
du cycle menstruel, de leur reproductibilité d’un cycle à l’autre
et enfin de leur guérison après castration chimique ou chirurgicale.
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Deux mécanismes hormonaux sont évoqués dans la pathogénie
de ce syndrome : l’insuffisance relative en progestérone avec
inadéquation du rapport E2/P en milieu de phase lutéale, d’une
part ; d’autre part, la chute du taux d’E2 et de P au cours des
derniers jours du cycle, et l’hypoestrogénie qui caractérise les
derniers jours de la phase lutéale et les premiers jours de la
phase folliculaire du cycle suivant. Ces deux mécanismes ne
s’excluent pas l’un l’autre.
Aucune étude n’a cependant pu objectiver de différence significative en valeur absolue entre les taux plasmatiques d’E2 et de P
chez les patientes présentant des troubles cycliques de l’humeur
par rapport à celles qui n’en présentent pas.
L’insuffisance en progestérone et l’hyperestrogénie relative sont
clairement impliquées dans la genèse de certains des symptômes
physiques du syndrome prémenstruel, en particulier la mastodynie. Elles pourraient être à l’origine des signes d’irritabilité
et de nervosité, signes également observés dans la période préménopausique, caractérisée par le même type de profil hormonal.
Les études d’intervention évaluant l’efficacité des progestatifs
se heurtent à différents problèmes méthodologiques : critères de
définition du syndrome prémenstruel, choix de la molécule progestative et de sa voie d’administration, tout d’abord. Par ailleurs,
dans toutes les études rapportant un important effet placebo, une
randomisation versus un groupe placebo au minimum est indispensable. Une étude avec cross-over évaluant traitement versus
placebo chez la même patiente, qui est alors son propre contrôle,
ce qui supprime la variabilité individuelle des réponses au traitement par des stéroïdes, reste le schéma méthodologique idéal,
mais de réalisation difficile.
Peu d’études satisfont à ces critères, et une seule a mis en
évidence un effet bénéfique significatif de la progestérone micronisée par voie orale. Dans cette étude, outre l’amélioration des
symptômes physiques de rétention hydrique, la progestérone
micronisée par voie orale à la dose de 300 mg/j pendant 10 jours
à partir du 3e jour suivant l’ovulation entraînait une amélioration
des symptômes psychiques, en particulier du stress et de l’anxiété
(10). Compte tenu du mécanisme d’action de la progestérone au
niveau du système nerveux central, qui nécessite une métabolisation en 3α, il n’est pas surprenant que cet effet bénéfique n’ait
pas pu être retrouvé avec une administration par voie vaginale
(11). Une étude plus récente réévaluant, sur un échantillon plus
large de patientes, l’effet de la progestérone micronisée par voie
orale versus un placebo et versus une benzodiazépine, l’alprazolam, n’a pas retrouvé d’amélioration des symptômes dans
le groupe progestérone, mais les doses utilisées étaient supraphysiologiques (quatre à six fois supérieures aux doses habituelles), pouvant entraîner des effets secondaires masquant tout
bénéfice éventuel (12).
L’hypoestrogénie, caractéristique de la fin de la phase lutéale
et du début de la phase folliculaire, est impliquée dans la pathogénie de la fatigue et, sur le plan psychique, dans le développement de signes dépressifs. Le rôle potentiel de l’hypoestrogénie
est étayé par une étude évaluant la répartition des tentatives de
suicide, expression extrême des troubles dépressifs, par rapport
à la phase du cycle menstruel et aux taux plasmatiques d’E2 chez
des femmes réglées régulièrement, incluses lors de leur prise en
charge aux urgences. Cette étude met effectivement en évidence
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une répartition non aléatoire, avec une prédominance nette (54 %)
de patientes en fin de phase lutéale et en début de phase folliculaire, dont le profil hormonal est marqué par une estradiolémie
< 50 pg/ml. À l’inverse, les patientes sous contraception estroprogestative se répartissent de façon tout à fait aléatoire (13).
L’utilisation de petites doses d’estrogènes dans la période d’hypoestrogénie, comme il est proposé dans le traitement des migraines
cataméniales, n’a pas été évaluée chez les patientes souffrant surtout de troubles dépressifs.
Dépression du post-partum
La survenue de troubles dépressifs minimes et transitoires, couramment appelés “baby-blues”, est très fréquente pendant le postpartum. Chez environ 10 % des femmes, une authentique dépression s’installe, souvent un peu plus tardivement, et surtout se
prolonge au-delà de trois mois Par ailleurs, ces troubles sévères
sont récurrents dans 20 % des cas, ce qui souligne à nouveau la
susceptibilité individuelle.
À l’évidence, cette période asssocie un bouleversement personnel psychologique, affectif et social majeur à des variations hormonales extrêmes, et il serait abusif de réduire la pathogénie de
ces troubles à la seule composante hormonale. De nombreuses
hypothèses hormonales ont cependant été proposées, et deux
d’entre elles méritent notre attention.
L’hypothyroïdie, secondaire à une thyroïdite silencieuse du postpartum, doit systématiquement être recherchée, mais ne semble
que rarement en cause.
La chute brutale du taux d’estradiol dans les jours qui suivent
l’accouchement et l’hypoestrogénie dans les semaines suivantes
ont également été incriminées. Cette hypothèse est renforcée par
les résultats d’une étude récente ayant évalué de façon randomisée un traitement estrogénique par rapport à un placebo chez
61 femmes présentant une dépression sévère du post-partum, non
contrôlée par un traitement antidépresseur classique, celui-ci
n’étant toutefois pas modifié pendant l’étude. Les patientes traitées par estrogènes pendant six mois présentaient une amélioration significative et rapide de leur dépression dès le premier mois
de traitement, et évoluaient ensuite parallèlement aux patientes
sous placebo. Ainsi, les estrogènes permettaient de “gagner” deux
mois par rapport à l’évolution spontanée sous antidépresseurs
seuls. On notera cependant que les doses de 17 ß-estradiol percutané utilisées étaient de 200 µg/j, permettant d’obtenir des taux
plasmatiques constants d’estradiol voisins de 200 pg/ml, donc
supraphysiologiques (14). Malgré cette réserve, cette étude
illustre à nouveau le rôle des estrogènes dans la dépression.
Troubles de l’humeur et ménopause
Une augmentation des troubles psychiques est observée en
période préménopausique. Bungay et coll., évaluant par questionnaire un échantillon de la population masculine et féminine
d’Oxford, rapportent chez les femmes une augmentation de l’irritabilité dès 35 ans, avec un maximum vers 48 ans, puis une diminution rapide, l’âge moyen de la ménopause étant de 50 ans dans
cette population. Les troubles dépressifs apparaissent plus tardivement, après 40 ans, et sont maximaux vers 50 ans, puis déclinent progressivement jusqu’à 55 ans (15). La courbe d’incidence
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de l’irritabilité est parallèle à celle de la mastodynie, et semble
donc mieux corrélée à l’hyperestrogénie ; la courbe d’incidence
des troubles dépressifs est, quant à elle, parallèle à celles des
bouffées de chaleur et des sueurs nocturnes, signes de carence
estrogénique (16).
Peu d’études longitudinales ont évalué ces modifications de
l’humeur dans une population en les rapportant au statut ménopausique, mais l’augmentation des troubles dépressifs à mesure
que la ménopause s’installe a été confirmée dans l’une d’entre
elles. Dans cette étude, le risque de troubles dépressifs était augmenté, d’une part, en cas d’antécédents de troubles psychiques
prémenstruels ou dans le post-partum, soulignant l’importance
de la sensibilité individuelle et, d’autre part, par une période de
préménopause prolongée (17).
Si l’augmentation progressive des troubles de l’humeur parallèlement à l’installation des bouffées de chaleur et des troubles du
sommeil, rapportée par la plupart des études épidémiologiques,
plaide pour un rôle important des stéroïdes sexuels dans leur
pathogénie, les facteurs socio-culturels et personnels influencent
également leur survenue. Il a ainsi été mis en évidence que l’incidence de ces troubles était nettement réduite dans les populations
qui valorisent socialement les sujets âgés, alors que dans les populations occidentales, leur survenue est favorisée par un niveau
socio-économique bas ou par l’absence d’activité professionnelle. L’existence de troubles organiques associés semble également être un facteur favorisant (16).
Il n’existe à ce jour aucune étude d’intervention ayant évalué
l’influence des traitements progestatifs, largement utilisés en
France, sur les troubles de l’humeur en préménopause.
À l’inverse, les essais cliniques évaluant les effets psychiques du
traitement hormonal substitutif de la ménopause par rapport à un
placebo sont très nombreux, mais de qualité méthodologique très
inégale. Les critères d’inclusion en ce qui concerne le statut
ménopausique ne sont pas toujours rigoureux, les schémas thérapeutiques évalués sont différents, les taux plasmatiques d’estradiol sous traitement ne sont pas mesurés et, enfin, on dispose de
peu d’études croisées permettant de prendre en compte la susceptibilité individuelle des patientes. Cependant, dans leur grande
majorité, ces études mettent en évidence une amélioration du
bien-être, des troubles de l’humeur, notamment des signes
dépressifs et de l’anxiété, quel que soit le score d’évaluation.
Cette amélioration est associée à une correction des troubles
vasomoteurs et du sommeil, mais l’effet bénéfique psychique
persiste de façon indépendante après ajustement à la correction
des signes objectifs (18, 19, 20).
Les différents modes d’administration de l’estrogénothérapie
n’ont pas été comparés. La dose substitutive n’a été évaluée que
dans une étude ouverte par de Lignières et coll., qui ont montré
que l’estrogénothérapie substitutive n’apporte une amélioration
de l’humeur et du bien-être que si les taux plasmatiques d’estradiol obtenus se situent dans une fourchette de 50 à 150 pg/ml.
Les patientes traitées par une dose standard (1,5 mg/j) de 17ßE2
percutané et ayant des taux plasmatiques supérieurs à 150 pg/ml
ont, au contraire, une irritabilité et une agressivité augmentées,
les patientes recevant une dose inférieure (E2 < 50 pg/ml) gardant des signes minimes de dépression (21). Compte tenu des
variations interindividuelles de la biodisponibilité des estrogènes,
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quelle que soit leur voie d’administration, la survenue de troubles
de l’humeur sous estrogénothérapie doit conduire à un ajustement thérapeutique.
CONCLUSION
De nombreux arguments plaident pour un rôle des stéroïdes
sexuels sur la modulation de l’humeur, mais avec une grande
variabilité individuelle. Cette susceptibilité individuelle doit être
reconnue et prise en compte dans le choix et l’adaptation des thérapeutiques hormonales, mais elle rend difficile la réalisation
d’études d’intervention et l’interprétation de leurs résultats. Les
études répondant à des critères méthodologiques stricts et évaluant les thérapeutiques hormonales utilisées à doses physiologiques, en cas de traitement à visée substitutive, ou aux doses
thérapeutiques habituelles, sont actuellement tout à fait insuffisantes. De ce fait, les progrès dans la connaissance des interactions entre stéroïdes sexuels et voies neurotransmettrices seront
déterminants pour sortir d’un certain empirisme et pour développer des stratégies thérapeutiques mieux adaptées au contexte
hormonal et aux symptômes psychiques de chaque patiente. Des
données précises sur le mode d’action et les effets de la progestérone existent déjà ; le rôle des estrogènes et leurs interactions
avec les voies neurotransmettrices doivent encore être précisés. ■
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La Lettre du Gynécologue - n° 234 - septembre 1998
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